vendredi 31 janvier 2020

Comment entrer à l'Académie en évitant les balles (Une enquête de Voltaire) - Frédéric Lenormand.

Amazon independant publishing, 2019.

  Voltaire a décidé qu’il était temps de mettre fin à une odieuse injustice : il n’est pas encore de l’Académie française ! Qui le croirait ? Ce scandale ne peut plus durer. Justement, un fauteuil vient de se libérer. Voltaire entame aussitôt la tournée de ses futurs collègues, il est prêt à tout, quitte à devoir se montrer aimable et à leur faire des compliments dont il ne pense pas le premier mot. Hélas, voilà qu’une célèbre faiseuse d’académiciens, Mme de Tencin, choisit un autre candidat, puis disparaît mystérieusement à dix jours du vote. Ces messieurs, qui lui doivent tous leur élection, somment notre philosophe de la retrouver coûte que coûte, moyennant quoi ils s’engagent à lui attribuer enfin ce fauteuil qui manque si durement à l’arrière-train du grand penseur-dramaturge-historien-défenseur-de-la-veuve-et-de-l’orphelin-vulgarisateur-scientifique-rédacteur-de-contes-avec-des-démons-dedans. Entre deux leçons de cuisine légère dont il retire l’énergie nécessaire à ce nouveau combat, Voltaire part à l’assaut des citadelles académiques tout en cherchant assidûment qui pouvait bien en vouloir à Mme de Tencin – même s’il figure en tête de liste. 

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  Alors qu'un tome inédit de la série Voltaire mène l'enquête se fait toujours attendre chez Lattès, on retrouve ici le Voltaire détective de Frédéric Lenormand pour une novella hors-série qu'on accueille à bras ouverts dans notre bibliothèque : Ô joie!

  Ce court roman nous emmène en 1746 : nous sommes à Paris et un fauteuil vient de se libérer à l'Académie Française. Parfait, pense Voltaire qui convoite une telle place depuis des années : le statut d'Immortel, ça vous redore un pedigree. Et ça, le philosophe en a besoin ; c'est d'ailleurs pour la même raison que, même avec une place vacante, il parvient difficilement à obtenir le soutien de ses confrères. Sa réputation beaucoup trop scandaleuse ne lui attire pas que des amis. Pire encore : il faut compter sur le vote des autres académiciens, en grande partie des hommes d'Eglise! Puisque sa Divine Emilie est partie demander un titre de princesse belge en Belgique, Voltaire fait campagne seul, visitant auteurs et religieux pour leur servir sa profession de foi, leur passant à l'occasion un bon coup de brosse à reluire. La personne la plus à même d'encourager son élection, c'est Madame de Tencin, salonnière au passé sulfureux mais à l'influence incontestée. Mais voilà : après un entretien tout juste cordial, la voilà qui s'évapore dans la nature... si l'on en vient à suspecter un acte criminel et qu'on apprend qu'il est le dernier à l'avoir vue en vie, Voltaire risque de retourner fissa à la Bastille. La seule solution? Mener l'enquête en même temps qu'il mène campagne : chercher auprès de ses concurrents au poste d'Académicien lequel aurait un intérêt à faire disparaître la Tencin...


"L'écrivain voulut pousser le portail de l'église, mais il était fermé, comme à chaque fois qu'un déiste cherchait les secours de la religion. En revanche, le clocher était ouvert. Voltaire entraîna son compère à l'intérieur.
— Où comptez-vous aller? demanda ce dernier.
— Je prends de la hauteur ! C'est une technique de philosophe !
— Mais ça ne mène nulle part !
— Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude!"

   On retrouve tout ce qu'on apprécie dans cette série, à savoir le talent inimitable que possède l'auteur à jouer sur ces trois tableaux que sont l'Histoire, la fiction, et l'humour. Le contexte est toujours bien restitué et cette sympathique novella est prétexte à nous raconter (de façon romancée, certes, mais avec quelle plume!) la course à l'Académie du Sieur Voltaire. Ce siège, Voltaire en a toujours voulu, mais sa réputation et ses trop nombreuses querelles avec le gratin du monde littéraire de l'époque constituent des points faibles d'envergure. Points faibles que le vrai Voltaire a sans doute essayé de minimiser avec autant de verve que le Voltaire de F.Lenormand. Toujours est-il que le philosophe, comble de l'étonnement, fut effectivement élu à l'unanimité ; certaines répliques acides et piquantes à souhait en réaction à cet événement dans cette novella sont très inspirées des vrais écrits  qui circulèrent de l'époque concernant cette élection.

Une séance à l'Académie...

"Il serait honteux pour notre Académie que Voltaire en fut, il lui serait un jour honteux qu'il n'en ait pas été"

  Voltaire est prêt à aller hurler avec les loups afin de s'attirer la sympathie des académiciens – ou du moins, leur vote. Pour gagner à ce petit jeu des faux-semblants, mieux vaut compter sur l'influence de Claudine de Tencin, véritable salonnière au passé mouvementé (et au présent, disons, encore un peu secoué : il faut admettre qu'il y a du passage, dans son boudoir) connue pour avoir donné naissance au mathématicien et encyclopédiste d'Aeambert avant de l'abandonner. En quelques lignes, l'auteur restitue tout ce qui a fait le charisme et la réputation de cette femme : à travers son dialogue avec Voltaire et même si elle est tournée juste ce qu'il faut en ridicule, elle est aussi mise en avant en tant que véritable autodidacte. Le portrait reflète très fidèlement les parts d'ombre et de lumière de cette figure à la fois respectée et contestée.

Madame de Tencin, mère indigne et self made woman du temps jadis...

  Voilà pour l'Histoire. La fiction et l'humour interviennent dès que la course au fauteuil académique se voit doublée d'une chasse à l'assassin – et à la Tencin. L'auteur s'amuse de parallèles hilarants avec l'actualité médiatique ou l'époque moderne, que ce soit quand Voltaire prépare son élection à la façon d'une campagne politique d'aujourd'hui (distribuant des tracts à son effigie) ou quand on apprend au détour d'un paragraphe que la Pompadour s'est faite corrompre à coups de jolies robes gratuites. Des clins d’œil d'une impertinence désopilante du style de ceux qu'on avait adorés dans le premier opus de Au service secret de Marie-Antoinette.

"Il ne fallait pas céder au chantage, a fortiori à un chantage anonyme. Qu'il continue sans craindre les moucherons qui voletaient sur son chemin! Si ces insectes s'avisaient de lui nuire, on lui offrirait la protection de la Pompadour. On la connaissait bien, on lui avait prêté à mille pour cent. Toutes ces belles robes qu'elle s'était fait coudre sur mesure pour séduire Louis XV, c'était avec l'argent des banquiers, des agioteurs et des fermiers généraux qu'elle se les était achetées.
— Elle nous doit tout!
— Ah, ça, il faut faire attention quand on se fait offrir des costume, admit Voltaire."

  Les répliques, d'une subtilité et d'un humour érudit, s'enchainent avec une virtuosité délicieuse et les easter eggs abondent. Il en va ainsi des nombreux détournements humoristiques du prénom de Madame de Tencin, Claudine, sujet à s'amuser avec l’œuvre de Colette plusieurs siècles avant sa naissance. On n'est même plus surpris de voir la bonne de la salonnière baptisée du nom de la célèbre écrivaine, clin d’œil savoureux parmi tant d'autres.

"Ces lettres offraient un panorama complet de la vie de leur auteur : Claudine à l'école, Claudine à Paris, Claudine en ménage... Il n'en manquait qu'une pour conclure ses aventures récentes : Claudine s'en va."


 La cuisine du XVIIIème...

  L'ultime régal – dans tous les sens du terme – de ce tome, c'est de s'attarder sur la cuisine du XVIIIème siècle. L'auteur l'avait déjà fait dans Crimes et condiments, le quatrième tome de la série Voltaire mène l'enquête parue chez Lattès. On se réjouit de cette nouvelle incursion dans la gastronomie de l'Ancien Régime, l'occasion de citer de nombreuses recettes authentiques de l'époque, aux noms et à la composition aussi alléchants que surprenants.

"— Notre saucier réussit une excellente sauce "pauvre homme", je la recommande à Monsieur.
— Merci, je préfère la soupe à l'oseille."

 En bref : Un nouvel opus qui vaut largement ses prédécesseurs grâce au mélange justement dosé d'Histoire, de fiction, et d'humour. Le tout est relevé d'un sens inné du style et saupoudré d'anecdotes culinaires fascinantes. On ne s'en lasse pas!


Pour aller plus loin...



-Découvrez la série originale de F.Lenormand chez Lattès, Voltaire mène l'enquête : le tome 1 ICI, tome 2 ICI, le tome 3 ICI, le tome 4 ICI, et les autres à venir...

-Lisez les autres novellas des Enquêtes de Voltaire: à Londres ICI, à Dieppe ICI, à Rouen ICI...



 

2 commentaires:

  1. J'avais déjà repéré cette série chez toi ; là, j'ai bien envie de m'y mettre ! :-) Merci pour cette nouvelle participation, Pedro, et bon week-end. A bientôt !

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    1. J'aime beaucoup Voltaire (mais surtout sa grande amie la marquise du Châtelet). Les retrouver dans cette série de romans au style absolument parfait au regard de l'époque et de la personnalité des protagonistes est un délice à chaque fois! Je ne peux que recommander les livres de Frédéric Lenormand!

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