lundi 27 avril 2020

Son espionne royale et la partie de chasse (L'espionne royale mène l'enquête #3) - Rhys Bowen.

Royal flush (Royan spyness #3), Berkley, 2009 - Editions Robert Laffont, coll. La bête noire (trad. de B.Longre), 2020.

  Londres, 1932. Les affaires de Georgie sont loin d’être au beau fixe. Afin de se faire un peu d’argent, elle a alors l’idée du siècle (selon elle) : tenir compagnie à des gentlemen de passage dans la capitale. Une pièce de théâtre, un bon dîner, un brin de conversation et le tour est joué ! Sauf que son premier client attend visiblement une conclusion bien différente à cette soirée...
Pour éviter un scandale, Georgie est renvoyée fissa en Écosse. Mais il ne s’agit pas seulement d’une punition. En effet, Scotland Yard lui confie une tâche de la plus haute importance : surveiller la partie de chasse royale qui se tient au château de Balmoral. Quelqu’un vise les héritiers du trône britannique, et qui d’autre que Georgie, avec son flair légendaire, pourrait démasquer le coupable ?  
 
Sa troisième mission : protéger la famille royale.



***

  Après la sortie simultanée du tome 1 et du tome 2 l'an dernier, voici qu'arrivent en même temps le troisième et quatrième volumes de cette pétillante série policière so British et vintage en diable. Quel plaisir de retrouver Georgie, 34ème dans la liste des prétendants au trône d'Angleterre, aristocrate désargentée et détective improvisée à ses heures perdues. Ce sont les années 30, le prince de Galles fricote avec Wallis Simpson (au grand dam de la reine), les complots communistes et nazis se multiplient, et Georgie a créé (anonymement) une entreprise de ménages à domicile pour subvenir à ses besoins! Enjoy!



"— Tu aurais dû lui sauter dessus à la première occasion, répliqua Belinda. Un homme comme Darcy ne va pas attendre pendant des lustres.
— J'en suis consciente. C'est à cause de l'éducation que j'ai reçue au château de Rannoch et tous mes ancêtres. Je ne cesse de penser à Robert Bruce de Rannoch, qui a tenu bon lors de la bataille de Culloden et qui s'est défendu jusqu'à être taillé en pièces.
— J'ai du mal à comprendre le rapport entre cette histoire et ta virginité, ma chérie."

  Pour ce troisième opus, Lady Georgie est de nouveau dans la panade : sa société de ménages n'est pas florissante et elle en a assez de ne se nourrir que de thé et de toasts, aussi décide-t-elle de fonder une nouvelle entreprise. Après avoir remplacé au pied levé son amie Belinda à un dîner avec un vieil américain, Goergie passe une petite annonce dans la presse pour proposer de tenir compagnie – le temps d'un repas et contre rétribution – avec des hommes qui aimeraient fréquenter la haute société. L'innocente jeune fille n'envisageait pas de passer pour une escort girl et son idée tourne rapidement au vinaigre ; tirée d'affaire de justesse par le séduisant Darcy O'Mara, Scotland Yard la contacte comme par hasard le lendemain pour lui demander de quitter la ville quelques temps afin d'éviter un scandale. Voilà donc Georgie dans le Flying Scotman, direction : le château de Rannoch! Pendant son voyage en train, elle est accostée par un éminent membre des services secrets britanniques : une garden party est annoncée à Balmoral, non loin du château de Rannoch, et plusieurs des membres de l'aristocratie déjà sur place ont réchappé de peu à des tentatives de meurtre. Même Binky, le frère ainé de Georgie, est alité à la suite d'un accident suspect... La jeune femme est missionnée pour faire la lumière sur cette affaire. Une fois à destination, elle découvre la demeure familiale envahie par des Américains : le cercle de Balmoral refusant de loger Wallis Simpson, la maîtresse du prince et tout son cercle d'amis ont été envoyés à Rannoch où Fig, la belle-sœur de Georgie, est au bord de la crise de nerfs. Entre le monstre du loch voisin, des apparitions fantomatiques nocturnes, le haggis au petit déjeuner et les réveils en fanfare au son de la cornemuse, Georgie mettra à jour un sombre secret précieusement gardé par l'aristocratie...
" Au bord d'un loch, 18 août 1932, temps frais et vivifiant (ce qui signifie, en termes écossais, qu'un vent mugissant souffle par rafales)."


  Après les deux précédentes enquêtes qui prenaient essentiellement pour décor le tumulte londonien et qui amusaient le lecteur des déboires financiers de Lady Gorgiana, on apprécie de suivre cette jeune et pétillante héroïne dans le dépaysement de son Ecosse natale : le château (fictif mais tellement authentique) de Rannoch et la (réelle) demeure de Balmoral deviennent les décors de choix de cette nouvelle aventure. Sur fond de carte postale écossaise, on se régale littéralement de la restitution du quotidien de l'aristocratie en ce début de XXème siècle : l'étiquette toute britannique, les us et coutumes de la haute société, les parties de chasse à travers la campagne... Rhys Bowen met en scène un univers sur lequel elle s'est minutieusement documentée et dans lequel elle glisse sa propre fantaisie : une audacieux mélange d'Agatha Christie, d'une chronique à la Nancy Mitford, et d'un roman d'Helen Fielding!



Le château de Balmoral dans les années 30.

"Je chutai dans le vide. Tout en dégringolant, je tentai de m'agripper à la paroi, mais mes doigts lâchèrent prise. Je vis la roche défiler devant moi à toute allure, et des mots se formèrent dans mon esprit : "Je vais mourir. La barbe!" Et, pour une raison mystérieuse, j'étais agacée à l'idée d'être encore vierge."


  Si, comme dans les tomes précédents, le premier tiers du livre sert essentiellement à poser le décor avant que ne survienne un meurtre, on est désormais habitué à ce qui semble être un code propre à ces romans. Cette plongée progressive mais toujours pleine de style dans l'histoire permet à l'auteure de rappeler les bases de la série, de poser celles nécessaires à l'intrigue policière à venir, et à dépeindre le décor sociologique évoqué ci-dessus. Cette première partie est de mieux en mieux amenée par la romancière, qui l'utilise à profit pour distiller l'ambiance du roman. On se laisse porter avec délice dans l'atmosphère rétro et guindée des parties de campagne anglaises, du tea time réglementaire, et des codes désuets de l'aristocratie en trépignant d'impatience à l'attente du crime...



Le couple royal et leur petite-fille, Elizabeth, dans les années 30.

"Fig n'aurait pas approuvé des démonstrations d'affection aussi indécentes. Ses parents et elle se bornaient à échanger des poignées de main. C'était à se demander comment le petit Podge avait été conçu – Je me figurais qu'elle s'était contentée de fermer les yeux et de penser à l'Angleterre, ainsi qu'on me l'avait conseillé."

  L'humour reste évidemment très présent : ce contexte est toujours un excellent prétexte à la parodie ou aux détournements jubilatoires. Mais après avoir donné dans le cocasse sans retenue dans les deux précédents opus, Rhys Bowen l'utilise ici avec davantage de parcimonie. La légèreté est toujours de mise mais, beaucoup plus nuancée, elle permet à l'auteure de consacrer tout son talent à la complexité de l'intrigue criminelle, fort bien réussie (par ailleurs la plus aboutie des trois premiers tomes)!



 Partie de chasse vintage!

En bref : Tea time et meurtre à Balmoral! Un troisième tome qui, sans se départir de la légèreté propre à cette série, fait la part belle à l'intrigue policière, finement construite. Le scénario gagne en densité et l'esprit enlevé reste de la partie ; on a déjà hâte de découvrir le tome suivant.





Pour aller plus loin...

Gourmandise littéraire : Méga-Sandwich du Diner.



  Dans le livre Un été avec Louise (The Chaperone), Laura Moriarty raconte de façon romancée l'été 1922 que passent la jeune Louise Brooks (star du cinéma muet en devenir) et son chaperon à New York. L'adolescente, alors en passe d'être une future célébrité, quitte son Kansas natal pour suivre la saison d'été de la prestigieuse école de danse de Denishawn. Sa famille a tout prévu pour subvenir à ses besoins le temps de cette session prometteuse : la tempétueuse jeune fille et son chaperon, Cora Carlisle, une mère de famille trop sérieuse, sont logées dans un très sympathique petit appartement new-yorkais situé en face d'un diner typiquement américain. L'une et l'autre traversent donc régulièrement la rue pour se rafraîchir d'un verre de lait, déjeuner d'un sandwich ou se régaler d'une crème glacée.

  Devenues rapidement des habituées, Cora et Louise se lient d'amitié avec Floyd, le jeune serveur, toujours prêt à rendre service et qui espère réussir à séduire l'adolescente. Mais Louise, insaisissable et plus dangereuse qu'on ne pourrait le croire, se sert de lui pour se faire inviter dans un speakeasy... confus, Floyd la ramène ivre en pleine nuit à Cora tout en se confondant en excuses. Sous prétexte d'acheter un sandwich, Cora se présente au diner le lendemain pour évoquer l'événement avec le jeune homme...


"— Vous n'auriez pas dû l'inciter à s'éclipser en douce pour vous rejoindre. (Elle croisa son regard et observa ses longs cils, les taches de rousseur discrètes sur son nez.) Mais merci de l'avoir ramenée à la maison.
  Il était surpris. C'était là tout ce que Cora pouvait induire de son expression, de la façon dont il la dévisageait en plissant le front. La sonnette de la cuisine retentit et il se retourna pour réceptionner la commande sur le passe-plat. Cora se replongea dans la lecture du menu et son regard s'attarda sur la description détaillée du méga-sandwich : de fines tranches de rosbif. Du fromage suisse. Un mélange spécial d'herbes et d'épices. Du pain frais."

L.Moriarty, Un été avec Louise (The chaperone), Pocket, 2014.


Louise et Floyd au comptoir du diner dans le film adapté du roman de L.Moriarty.

    Les diners américains ont été très popularisés à travers les fictions cinématographiques et télévisées américaines des années 50 et 60 si bien que leur esthétique et leur ambiance sont devenues synonymes de la culture vintage de l'outre-Atlantique : banquettes colorées, tables en formica, sol en damier, comptoir en chrome rutilant et jukebox en fond sonore. On ignore que les diner existaient déjà dans les années 1920 et que leur création remonte bien avant cela encore. Leur origine date des années 1850, quand un jeune typographe de Rhode Island du nom de Walter Scott (rien à voir avec le poète écossais) décide de distribuer des repas aux journaliste qui travaillent de nuit pour arrondir ses fins de mois. Il aménage ainsi une roulotte en cantine itinérante et traverse la ville à la recherche de clients. A sa suite, cette astuce se propage comme une trainée de poudre à travers l'état jusqu'à devenir réglementaire et voir de nombreux vendeurs ouvrir leurs cantines. Dès lors, les diners deviennent des lieux de restauration fixes et gagnent en confort : on les agrémente d'un comptoir, de tables, de chaises, etc...

Illustration publicitaire pour un diner dans les années 20.

  Dans les années 20, la révolution sociale, culturelle et industrielle qui suit la Grande Guerre gagne les milieux de la restauration. L'industrialisation alimentaire et l'apparition de la restauration rapide profitent aux diners qui gagnent en chic, tout en continuant de proposer une alimentation à moindre coût (essentiellement des sandwiches). Leur style s'inspire de l'esthétique Art Déco et leur aménagement copie celui des wagons-restaurants des trains de luxe. L'American Diner, qu'on associe donc tellement dans l'imaginaire collectif aux années 50 et 60, avait déjà sa place dans dans la culture populaire des années 1920, ce qui explique que Laura Moriarty en fasse un décor de choix dans The chaperone.



Ingrédients (pour un sandwich):

- Deux larges tranches de pain de seigle moelleux
- Deux tranches de rosbif froid
- Deux fines tranches d' Appenzeller (fromage suisse à pâte mi-dure)
- Un brin de cerfeuil
- Une gousse d'ail
- Aneth

A vos tabliers!

- Emincer le plus finement possible la gousse d'ail ou la passer au presse-ail. Réserver.
- Sur une première tranche de pain, disposer une tranche de fromage puis une tranche de rosbif.
- Saupoudrez d'ail et d'aneth avant de couvrir de la seconde tranche de rosbif et de la seconde tranche de fromage.
- Disposer le brin de cerfeuil frais, refermer avec la seconde tranche de pain.
- A manger froid ou passé sous le grill du four.



Cora Carlisle vous recommande ce déjeuner sur le pouce avec un grand verre de lait frais!

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dimanche 19 avril 2020

The Chaperone - Un film de Michael Engler d'après le roman de Laura Moriarty.


The chaperone


Un film de Michael Engler écrit par Julian Fellowes d'après Un été avec Louise (The chaperone) de Laura Moriarty.

Avec Elizabeth McGovern, Haley Lu Richardson, Victoria Hill, Géza Röhring, Blythe Danner, Campbell Scott, Miranda Otto...

Sortie américaine : 29 mars 2019


  Avant de devenir la légende des années 1920, Louise Brooks a commencé comme danseuse. A l'âge de quinze ans, elle est envoyée à New York pour étudier la danse. Sa mère insiste pour qu'elle ait un chaperon. Tandis que la première commence sa carrière artistique, la seconde retourne se confronter à son passé... 

***


  Il y a quelques semaines, nous avons partagé avec vous notre lecture du très fort Un été avec Louise (The chaperone en VO) de Laura Moriarty, qui raconte de façon romancée le périple new-yorkais de Cora Carlisle, mère de famille comme il faut, engagée comme chaperon pour la jeune et future star de cinéma Louise Brooks. Le roman, best-seller du New York Times dès sa sortie, a rapidement été repéré pour une éventuelle adaptation. Ce projet de transposition à l'écran, on le doit à l'actrice Elizabeth McGovern (inoubliable Cora Crawley, comtesse de Grantham, dans Downton Abbey) qui, tombée amoureuse du livre et du personnage principal, demanda en 2013 à Julian Fellowes (le célèbre créateur de Downton Abbey) d'en écrire le scénario. Il faut cependant attendre 2017 pour que le tournage débute, une fois trouvé le réalisateur approprié pour diriger le film ; sans surprise, c'est le cinéaste Michael Engler, comparse de Julian Fellowes (il a notamment réalisé plusieurs épisodes ainsi que le film de Downton Abbey – encore!), qui accepte de relever le défi.

Bande-annonce du film.

  On ne pouvait donc envisager équipe plus prometteuse pour ce film. Elizabeth McGovern, également productrice, hérita comme prévu du rôle de Cora Carlisle (renommée Norma pour éviter toute confusion avec son personnage de Downton Abbey) qui lui tenait tant à cœur. Bien que vingt ans séparent l'interprète de son rôle (dans le roman, Cora a 36 ans, un âge déjà avancé et synonyme d'expérience il y a encore un siècle), Elizabeth McGovern sert une prestation convaincante de la mère de famille accomplie et mille fois plus crédible que ne l'aurait été une comédienne plus jeune. Face à elle, la juvénile Haley Lu Richardson campe Louise Brooks, un rôle on ne peut plus difficile en raison de l'aura iconique de la célèbre star. D'autant que si H.L.Richardson présente quelques similitudes physiques avec la véritable Loulou, elle livre surtout une prestation confondante de réalisme et son jeu d'actrice excelle dans toutes les nombreuses nuances du personnage. Les moues, la gestuelles, les œillades et les efforts chorégraphiques témoignent d'un travail conséquent au regard du jeune âge de la comédienne, qui confia s'être préparée de façon très intense en seulement trois semaines avant le début du tournage.

Haley Lu Richardson, bouleversante Louise Brooks.

  Le scénario de Fellowes est une très belle adaptation du roman de Laura Moriarty. S'il choisit de raconter l'histoire par un long flash back (lequel démarre en 1942 après une scène d'introduction que tous les lecteurs du livre identifieront), il ouvre les événements de 1922 sur une scène réinventée pour l'occasion mais qui s'avère une excellente idée pour poser les bases de l'intrigue et les personnages : un spectacle de danse organisé à Wichita en l'honneur de la jeune Louise Brooks, qui vient d'être acceptée à l'école new-yorkaise de Denishawn. Ce passage imaginé par Fellowes est un judicieux stratagème pour amener en peu de temps tous les éléments nécessaires et atteste de ses talents incontestables de scénariste : sa façon de rejouer les scènes fortes du roman ou d'enchainer passages clefs et dialogues percutants témoignent d'un réel sens dramatique (dans le sens stylistique du terme). Il en va ainsi de la relation entre Louise et Norma : si l'adaptation conserve les nombreuses tensions qui l'habitent, Fellowes met en exergue les instants de complicité qui émergent ça et là au fil de l'histoire (le spectacle de Jazz et la promenade qui suit, la déchirante discussion lorsque Louise revient ivre d'un speakeasy, le dialogue à la veille de quitter New York ou encore celui, bouleversant, qui les réunit en 1942) afin de montrer comment ils influencent, au-delà de leurs nombreuses différences, le destin de ces deux femmes qu'on pourrait croire si opposées. Fellowes s'amuse à ce titre à enchaîner les confrontations entre les deux femmes (souvent relatives à des questions d'éthique ou de valeur morale) avec les passages montrant que Norma, jusqu'ici si inflexible, s'inspire finalement des stratégies peu recommandables de sa jeune protégée pour arriver à ses fins dans la quête de sa famille naturelle.


  Fellowes prend donc peu de libertés avec le roman original. Cependant, parmi les ajouts intéressants (et loin de trahir le livre de Laura Moriarty), on citera les scènes de danse qui se tiennent à l'école de Denishawn. En plus de mettre en avant une symbiose totale entre le scénario et la mise en scène lorsqu'il s'agit d'offrir au spectateur des "pauses" esthétiques qui maintiennent l'émotion en suspens (la chorégraphie, simple mais tellement intense, qui suit la rencontre entre Norma et sa mère), ces passages offrent l'opportunité de découvrir davantage le couple véridique de Ruth Saint Denis et Ted Shawn, qui dirigeaient réellement l'école de Denishawn à cette époque. Les quelques dialogues qui les mettent en scène témoignent assurément de sérieuses recherches sur ce duo iconique de la danse moderne, bien au-delà des informations glissées dans le roman initial. La seule "trahison" que l'on peut reprocher à Julian Fellowes est, pour les besoins de son scénario, d'amener dès le début du film Norma à confier qu'elle a été adoptée petite, un aveu qui ne ressemble pas du tout à la psychologie du personnage et aux mœurs de l'époque.


 Miranda Otto et Robert Fairchild campent le couple de danseurs St Denis-Shawn.

  Michael Enlger filme cette histoire de façon très classique mais avec une authenticité qui nous rappelle à chaque plan Downton Abbey. Bien que les sujets soient différents, le contexte social, opposé, et que le décor n'ait rien à voir avec l'Angleterre, on est plongé dans le New York de 1922 avec ce même délice qu'on éprouve à suivre sa caméra dans le château de Highclere. A l'évidence, l'équipe Fellowes/Engler est un duo gagnant.


En bref : Le créateur et le réalisateur de Downton Abbey adaptent avec brio le roman de Laura Moriarty. Le scénario, porté par la "patte" inimitable de Julian Fellowes, rend un hommage juste au livre original et à l'iconique Louise Brooks. Le casting ne démérite pas non plus avec, en tête de file, une Elizabeth McGovern bouleversante et la jeune Haley Lu Richardson, qui campe avec talent les nombreux visages de la célèbre star. Un petit bijou encore inédit en France qui aurait pourtant mérité une sortie ou une diffusion dans l'hexagone...

mardi 14 avril 2020

Gourmandise littéraire : Fig Newtons




  Dans le roman Un été avec Louise (The chaperone), Laura Moriarty imagine l'été des 15 ans de la future star Louise Brooks, sélectionnée pour rejoindre la célèbre école de danse new-yorkaise de Denishawn. Nous sommes au début des années 20 et il n'est alors pas concevable qu'une adolescente quitte seule son Kansas natal pour aller séjourner en ville, aussi est-elle pour cela accompagnée de Cora Carlisle, une mère de famille accomplie tout ce qu'il y a de plus respectable. Entre la jeune fille en fleur et la femme d'âge mûr, c'est le choc des cultures. Un affrontement que New York saura apaiser? Peut-être. Peut-être pas. La "Grosse Pomme" est pour l'une et l'autre une occasion unique : pour la première, celle de devenir une star, et pour la seconde, en fait confiée à un orphelinat new-yorkais lorsqu'elle était petite, celle de retrouver ses vrais parents.

  Tandis que Louise passe ses journées en répétition de danse, Cora se rend régulièrement à l'orphelinat religieux où elle a vécu ses premières années, essayant en vain de convaincre les sœurs de la laisser accéder à son dossier. Elle a cependant la chance d'y rencontrer le charmant Joseph Schmidt, homme à tout faire de l'institution, avec qui elle se lie d'amitié. Un jour, à l'occasion d'une promenade, il lui explique l'origine des odeurs de pâtisserie qui flottent dans le quartier et qui ont marqué Cora dès sa première visite...




" — D'où vient cette odeur sucrée ? demanda-t-elle en retenant son chapeau de crainte que la brise ne l'emporte. (Elle trouvait agréable de marcher au côté d'un homme qui avait la même taille qu'elle et ne l'obligeait pas en permanence à lever les yeux.) On dirait toujours que des gâteaux sortent du four, par ici.
— C'est la biscuiterie. Vous connaissez les biscuits Nabisco ? Vous mangez des Fig Newtons ? Ils sont fabriqués ici.
  Elle ne put que rire. Les Fig Newtons ! Combien de paquets en avait-elle acheté, au fil des années, pour les garçons ou pour Alan ? Elle en servait lorsqu'elle recevait à goûter et elle-même en avait mangé un certain nombre sans se douter une seule seconde qu'ils avaient été fabriqués si près du New York Home for Friendless Girls qu'on pouvait les sentir. La rue où elle habitait au Kansas, avec ses vastes pelouses ombragées, semblait tellement aux antipodes de ce quartier aux allures de Babel surpeuplée qu'on les supposait séparés par une frontière étanche, et pourtant, non – pendant des années, à l'insu de Cora, des fournées entières de biscuits l'avaient franchie."

L.Moriarty, Un été avec Louise (The Chaperone), chapitre 13, Pocket, 2014.



  Les Fig Newtons sont une version des roulés aux figues ou sablés aux figues produite par la marque américaine Nabisco, à qui l'on doit également les célèbres Oréos. A l'origine, les biscuits fourrés aux figues sont probablement de ces pâtisseries héritées de la cuisine orientale, où l'on trouve également des variantes à base de dattes. La recette vient à s'industrialiser à la fin du XIXème siècle, lorsque l'industriel alimentaire Charles Roser invente puis fait breveter une machine capable de cuire des biscuits évidés et de les remplir simultanément de confiture de fruit. 

  La Kennedy Biscuit Company, qui deviendra quelques temps plus tard l'entreprise Nabisco lorsqu'elle fusionnera avec la New York Biscuit Company, achètera à C.Roser sa machine afin d'industrialiser et vendre à grande échelle des biscuits fourrés. Cette gamme, baptisée les "Newtons" en clin d’œil à la ville éponyme du Massachusetts, est devenue célèbre pour sa version garnie aux figues.

  De nombreuses biscuiteries concurrentes de par le monde copièrent la recette et la méthode de fabrication, pour le plus grand plaisir des consommateurs. En France, si nous connaissons peu les Fig Newtons qui restent un produits typiquement américain, nous connaissons en revanche son proche cousin hexagonal : le Figolu, produit depuis les années 50 par la célèbre marque LU. Inutile, ceci dit, de posséder la machine de Charles Roser pour fabriquer soi-même ces sablés fourrés à la figue...


Ingrédients (pour 10 à 12 biscuits environ):

- Pour la purée de figues:
 - 200g de figues sèches moelleuses
 - 30g de sucre en poudre
 - 5 cuillères à soupe d'eau

- Pour la pâte sablée:
 - 60g de farine de blé
 - 40g de farine d’épeautre
 - 30g de sucre en poudre
 - 1 pincée de sel
 - 30g d'amande en poudre
 - 80g de beurre ramolli
 - 1 jaune d'œuf 



A vos tabliers!

- Commencer par la pâte sablée : mélanger le beurre ramolli et le sucre jusqu'à obtenir un mélange homogène. A part, mélanger les farine, la poudre d'amande et le sel. Mêler ensemble les deux préparations puis ajouter un jaune d'œuf pour lier la pâte (si elle est encore trop friable, ajouter un peu d'eau).
- Former une boule et la réserver pendant deux heures au réfrigérateur.
- Pendant ce temps, préparer la purée de figues : mettre à chauffer l'eau et le sucre dans une casserole. Retirer les tiges et pédoncules durs des figues puis les couper en quartier avant de les mettre dans la casserole une fois que l'eau boue et que le sucre a fondu.
- Laisser cuire à feu doux, à couvert pendant 20 minutes en remuant de temps en temps, de sorte que les figues caramélisent légèrement. 
- Une fois la cuisson terminée, passer les figues caramélisées au mixer pour les réduire en purée. La meilleure solution est ensuite de mettre cette purée de figue à chauffer au bain-marie afin qu'elle ne durcisse pas en attendant de façonner les biscuits.
- Lorsque la pâte a reposé suffisamment longtemps, la sortir du réfrigérateur et l'étaler en deux bandes égales d'environ dix centimètre de large chacune. Etaler la pâte de figue au milieu de chaque bande puis rabattre dessus la pâte en faisant se chevaucher les bords pour bien les souder.
- Couper des portions d'environ six centimètres puis les placer sur une plaque couverte de papier cuisson avant de mettre au four préchauffé à 180°C pour 20 minutes. Une fois la cuisson achevée, laisser refroidir sur une grille avant de vous régaler...



Un petit morceau de New York à croquer...


 

lundi 13 avril 2020

Les soeurs Mitford enquêtent #1 : L'assassin du train - Jessica Fellowes.

The Mitford Murders, Sphere, Little, Brown Book Group, 2017 - Editions du Masque (trad. de V.Rosier), 2018 - Le livre de Poche, 1919.

  1919. Louisa Cannon rêve d'échapper à sa vie misérable à Londres, mais surtout à son oncle, un homme dangereux. Par miracle, on lui propose un emploi de domestique au service de la famille Mitford qui vit à Asthall Manor, dans la campagne de l'Oxfordshire. Là, elle devient bonne d'enfants, chaperon et confidente des soeurs Mitford, en particulier de Nancy, l'aînée, une jeune fille pétillante à l'esprit romanesque. Mais voilà qu'un crime odieux est commis : une infirmière, Florence Nightingale Shore, est assassinée en plein jour à bord d'un train. Louisa et Nancy se retrouvent bientôt embarquées dans cette sombre affaire. S'inspirant d'un fait réel (le meurtre de Florence Nightingale Shore encore non élucidé à ce jour), ce roman captivant nous emmène dans l'Angleterre de l'entre-deux-guerres, des milieux défavorisés aux fastes de la High Society, à travers les déboires de Louisa, jeune servante d'origine modeste, et la soif d'aventure de Nancy, jeune aristocrate effrontée, toutes deux devenues complices et bien décidées à trouver l'assassin du train...

***

  Existe-t-il famille plus romanesque que les Mitford? Sa fratrie extravagante fut parmi les plus célèbres du XXème siècle. De Nancy, l'aînée et célèbre romancière, à la cadette Deborah qui deviendra duchesse du Devonshire, les six filles Mitford illustrèrent chacune les différentes facettes voire même pour certaines les aspects les plus extrêmes de leur temps : artiste, défenseuse de la cause animale, communiste, résistante, ou même fasciste pour l'une d'elles. Il y avait là matière à écrire un roman très prometteur et ça, l'éditeur anglais le savait lorsqu'il a suggéré à Jessica Fellowes l'idée d'une fiction policière mettant en scène les célèbres (et parfois scandaleuses) sœurs Mitford.


  Comme son nom l'indique, Jessica Fellowes est la nièce de Julian Fellowes, le créateur de Downton Abbey, la série télévisée qui traite des rapports maîtres-valets au début du XXème siècle, à laquelle Jessica a par ailleurs consacré plusieurs ouvrages. L'assassin du train, premier opus de la série des Mitford murders, est aussi le premier roman de l'auteure. En effet, même s'il est ancré dans une certaine véracité historique (à part le personnage fictif de Louisa Cannon, toute la maisonnée Mitford, domestiques y compris, est bien réelle, et le meurtre de Florence Nightingale Shore est également un événement véridique), il s'agit bel et bien là d'une fiction : jamais Nancy Mitford ou sa famille ne fut en lien avec cette affaire et le crime est resté à ce jour non résolu.

Les journaux évoquent le meurtre de Florence Nightingale Shore...

  Ce roman n'en respire pas moins l'illusion du réel tant il traduit bien l'époque racontée. L'action s'étalant de 1919 à 1921, Jessica Fellowes y restitue avec talent le trouble ambivalent d'une Angleterre nouvelle qui, au sortir de la Grande guerre, tente d'aller de l'avant mais reste profondément traumatisée par la violence des conflits.  A la façon de son oncle, la romancière reconstitue avec passion la vie d'une grande maisonnée anglaise ainsi que les rapports entre maîtres et domestiques. Son écriture, que l'on devine très documentée, relate le quotidien animé des Mitford dans leur grand manoir de campagne et les personnalités hautes en couleurs des différents membres de la famille, mais aussi des employés de maison avec qui on adorerait se régaler d'un thé ou d'un chocolat dans la chaleur de l'office. 

La famille Mitford au début des années 20
(derrière, à gauche : Nancy, l'aînée)

  Les relations moins hiérarchiques qui se tissent dans le cadre de la nursery permettent à Jessica Fellowes de justifier l'amitié entre Louisa, la nouvelle bonne d'enfant âgée de 19 ans, et l'aînée des Mitford, Nancy, âgée de 16 ans. Parce que cette dernière, dans la fleur de l'âge, se soucie peu des convenances et est surtout enchantée d'avoir avec elle une jeune fille de sa génération, toutes deux se rapprochent malgré la différence de classes sociales qui se rappelle parfois à elles. Nancy est dépeinte avec toute la fantaisie qui caractérisait la véritable Nancy Mitford, même si son jeune âge et son enthousiasme semblent se prêter davantage à l'héroïne d'un polar pour  la jeunesse que pour adulte.

 Nancy Mitford

  La dimension polar, justement, parlons-en : elle passe après la dimension sociologique. Non que cela soit voulu, comme c'est le cas dans la série Son espionne royale (l'humour en plus) mais probablement parce que l'auteure, dont il s'agit des débuts dans l'écriture de fiction, maîtrise moins bien les ressorts de la littérature policière policière que les éléments socio-historiques. Souffrants dès lors de quelques longueurs et de retournements de situation un peu classiques, l'enquête n'en reste pas moins agréable à suivre et s'offre même un final particulièrement palpitant au cours de la soirée d'anniversaire de Nancy.

Le manoir d'Asthall, résidence des Mitford et décor du roman.

En bref : Un premier tome qui parvient à mêler Histoire et polar pour le plaisir du lecteur. L'intrigue policière est certes un peu convenue mais la reconstitution de l'Angleterre d'après-guerre et des rapports entre classes est réussie. Jessica Fellowes, si elle ne s'impose pas nouvelle Reine du Crime, s'affirme en tout cas comme la digne descendante de son oncle et on a déjà hâte de voir comment les sœurs de Nancy seront mises à l'honneur dans les prochains tomes...

samedi 4 avril 2020

Miss Fisher et le tombeau des larmes - Un film de Tony Tilse d'après K.Greenwood.



Miss Fisher et le tombeau des larmes

(Miss Fisher and the crypt of tears)


Un film de Tony Tilse
d'après le personnage créé par K.Greenwood et la série télévisée de D.Cox et F.Eagger.

Avec : Essie Davis, Nathan Page, Rupert Penry-Jones, Daniel Lapaine, Miriam Margolyes...

Sortie originale : 27 février 2020
Première diffusion francophone : 6 avril 2020


  Après avoir libéré une jeune bédouine injustement emprisonnée à Jérusalem, Phryne Fisher découvre un mystère vieux d'une décennie mêlant émeraudes inestimables, malédictions anciennes et étrange disparition d'une tribu oubliée... 

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  Voilà donc le film tant attendu qui vient la clore la série télévisée adaptée des romans de K.Greenwood. Cinq ans après la fin de la série et trois ans après le lancement du projet, le long-métrage Miss Fisher and the crypt of tears (devenu pour les francophones Miss Fisher et le tombeau des larmes) voit enfin le jour, partiellement financé par les fans grâce à deux campagnes successives de crowdfunding. Petit retour sur le synopsis avant de vous donner notre avis...


  L'intrigue débute dans les ruelles de Jérusalem où Phryne tente d'échapper aux forces de police palestiniennes. Son objectif ? Faire s'échapper Shirin Abbas, jeune femme injustement emprisonnée pour propagande anti-britannique en essayant de faire la lumière sur le massacre de sa tribu lorsqu'elle était enfant. L'audacieuse détective est bien évidemment sur place dans le cadre d'une affaire puisque c'est à la demande du Cheikh Kahlil, oncle de Shirin et associé de ses amis londoniens les Lofthouse, que Phryne met tout en œuvre pour la libérer. Malheureusement, dans une course-poursuite mortelle pour fuir la Palestine, Miss Fisher, si elle parvient à envoyer Shirin en sécurité à Londres, disparait et est présumée morte. Elle laisse derrière elle de nombreuses personnes dans un deuil inconsolable, dont l'inspecteur Jack Robinson qui se déplace jusqu'en Angleterre pour une cérémonie funèbre en l'honneur de la défunte. Cérémonie interrompue par Phryne elle-même, en fait bien vivante, qui arrive sur la pelouse du manoir Lofthouse à bord de son avion ! L'intrépide aventurière n'avait pas dit son dernier mot et avait promis à Shirin de découvrir qui avait mis à mort sa tribu : elle compte bien tenir parole. Jack, à la fois profondément ému de retrouver sa partenaire mais aussi terriblement en colère de la voir se mettre sans cesse en danger, ne tardera pas à rejoindre Miss Fisher pour reformer leur imbattable duo. Des entrepôts d'antiquités des bas-fonds de Londres au désert du Moyen-Orient, le policier et la détective remonteront la piste de la destruction de la tribu de Shirin jusqu'à une très ancienne légende palestinienne basée sur une oasis mythique, une crypte séculaire, et une émeraude sacrée au centre de toutes les convoitises...


  Le moins que l'on puisse dire, c'est que le film a tout du grand spectacle. En s'écartant du genre du polar des romans et de la série pour puiser davantage dans la veine du film d'aventure, la co-productrice de la série, du film et scénariste Deb Cox explore une nouvelle dimension de l'univers de Miss Fisher. Le scénario puise pour cela dans des sources clefs tels que les films Indiana Jones ou A la poursuite du diamant vert, sans pour autant oublier les éléments historiques (l'histoire de la Palestine mandataire au sortir de la Première Guerre mondiale) ou encore les intrigues les plus orientalisantes d'Agatha Christie pour le soupçon de whodunit qui persiste en parallèle de la trame très épique du film. Cette petite prise de distance avec le matériau d'origine vise plusieurs objectifs : tout d'abord, explorer le tempérament d'aventurière de Miss Fisher, souvent évoqué mais jamais démontré ailleurs qu'à travers ses enquêtes (on sait qu'elle était ambulancière pendant la Première Guerre mondiale, qu'elle a fait l’ascension du Kilimandjaro, et qu'elle a participé à des missions avec la RAAF au début des années 20) ; ensuite, faire de Miss Fisher and the crypt of tears un film à part entière qui ait son existence propre et ne soit pas seulement la continuité d'un programme déjà existant. Il s'agit évidemment là d'un stratagème pour tenter de rassembler aussi bien les fans de la première heure que les néophytes.


  ... Et reconnaissons que cela fonctionne! Ce sont en tout cas les retours faits des avant-premières et premières en Australie, mais aussi notre avis à la fin du visionnage. L'intrigue s'éloignant très rapidement de Melbourne, on regrette de quitter trop rapidement nos personnages secondaires favoris, voire de ne même pas croiser certains des protagonistes phares de la série (Hugh et Dot, Bert et Cec, sans oublier le Dr McMillan et le flegmatique Mr Butler – la raison première étant aussi que tous les acteurs avaient désormais des engagements sur d'autres tournages) mais cette déception est compensée par les nombreuses autres portes sur lesquelles ouvre le passage au grand-écran et qui justifient de découvrir ce film. A ce titre, le déplacement de l'intrigue au Moyen-Orient permet un dépaysement, un émerveillement et une aura romanesque qu'il n'aurait jamais été possible de mettre en scène dans la série ; l'équipe du film explore toutes les possibilités qu'offre l'univers de Miss Fisher, et ça fait mouche! En cela, Miss Fisher et le tombeau des larmes s'amuse même avec les codes les plus emblématiques du film d'aventure en les recoupant avec ceux propres à la série d'origine, quitte à jouer pour cela la carte du jusqu'auboutisme (les courses-poursuites sont spectaculaires à souhait, Miss Fisher change trois fois de tenues – toutes aussi glamours qu’inappropriées au climat – en 10 minutes de scènes d'action sans interruption, et le titre apparait à l'écran en lettres fluo d'un kitch totalement assumé). Too much, vous avez dit? Pourtant, ça marche et on adore!

 La (trop brève) apparition de Hugh et Dottie.

  On retrouve avec un plaisir inaltérable Essie Davis, toujours aussi merveilleuse dans le rôle de Phryne Fisher. On réalise une fois encore avec quel talent elle a donné vie à l'héroïne de Kerry Greenwood à l'écran, quelque part entre Louise Brooks (pour le style, bien sûr, mais aussi dans la gestuelle et les jeux de regard), James Bond (pour le flegme et l'assurance) et Sherlock Holmes (pour la perspicacité). Son duo avec le plus réservé mais non moins charismatique inspecteur Robinson, toujours aussi bien interprété par Nathan Page, continue d'être un des éléments majeurs de l'histoire : même après le happy end de la série en fin de saison 3, les choses ne sont toujours pas claires entre eux et l’ambiguïté de leur relation continue d'apporter un piment savoureux. Le reste du casting se compose de Miriam Margolyes, seule rescapée de la série dans le rôle de Tante Prudence, accompagnée de nouvelles têtes dont le très british Rupert Penry-Jones (MI5, Vita & Virginia) et Daniel Lapaine (qu'on avait pas revu depuis son rôle du prince Wendell dans Le dixième royaume) dans les rôles des frères Lofthouse.




  L'atmosphère visuelle du film a été très travaillée et, comme pour l'égyptomanie très présente en fin de première saison, l'ambiance orientale s'accorde à merveille à l'iconographie des années 1920 en plus d'offrir des ressorts scénaristiques appréciables. Les décors naturels (en vérité filmés au Maroc) sont de toute beauté et apportent un exotisme quasi mythologique, aussi regrette-t-on juste de parfois deviner quelle scène a été tournée en studio. Le film peut parfois souffrir en cela d'effets spéciaux et de moyens propres à la télévision mais ici utilisés avec (un poil) moins de réussite pour le grand écran ; le téléspectateur à l’œil aguerri pourra parfois tiquer face à quelques petits défauts visuels même s'ils restent minimes (la scène d'action sur le toit d'un train lancé à vive allure, aussi réussie soit-elle par certains côtés, peut respirer un peu trop le montage numérique par d'autres...). On regrette aussi que les scènes sensées se déroulées à Londres aient en fait été filmées en Australie : si cela ne se remarque pas pour les scènes d'intérieur ou même certaines scènes d'extérieur bien montées (la scène de badinage entre Phryne et Jack avec en toile de fond le Tower Bridge fait superbement illusion), le décor du Manoir de Werribee, fleuron de la culture architecturale australienne qu'on essaie de nous vendre comme un manoir anglais, cela passe un peu moins bien pour les connaisseurs.



  Les costumes créés par Marion Boyce pour la série étaient de vraies chefs-d’œuvre de couture. Pour le film, elle cède la place à Margot Wilson (avec qui elle avait travaillé en 2015 aux costumes du film Haute Couture, d'après le roman de R.Ham) qui créé une gamme de tenues presque aussi impressionnante que sa prédécesseuse. Presque, oui. Car si les robes de Phryne en mettent en effet plein la vue au premier coup d’œil et si leur création relève d'un certain tour de force (la costumière a du redoubler d'ingéniosité pour créer des vêtements à la fois élégants et pratiques pour les scènes d'action), il y manque la subtilité de la "patte" de Marion Boyce. Il en reste cependant de très belles créations, à l'image de la robe de bal portée par Essie Davis, sa tenue d'aventurière pour explorer le désert, de même que les nombreux costumes orientaux qui respirent l'authenticité.



  N'oublions pas d'évoquer la musique, très présente. On retrouve aux commandes de la bande originale le compositeur Greg J. Walker, qui avait déjà écrit les thèmes de la série. Pour Miss Fisher and the crypt of tears, il adapte la mélodie du générique sur un style mi-jazz, mi-oriental, la déclinant en version instrumentale et en version chantée (utilisée pour le générique de fin). Le reste des musiques composées pour ce long-métrage reflète véritablement l'esprit romanesque recherché, qu'il s'agisse des envolées lyriques et exotiques qui accompagnent les passages dans le désert (on pense alors aux bandes originales de La momie ou de Belphégor) qu'aux musiques énergiques et épiques des scènes d'action ( lesquelles évoquent celles de la saga Indiana Jones). Le résultat est chamarré et entrainant à la fois.


  Miss Fisher and the crypt of tears a en tout cas trouvé son public outre-Atlantique, réunissant pour l'occasion les puristes et les non-initiés. Face aux nombreuses critiques positives et à la demande du public, les créatrice Deb Cox et Fiona Eagger pensent à une suite (rappelons que le projet lancé en 2017 était celui d'une trilogie de films) pour laquelle elles aimeraient explorer d'autres contrées. La Chine se situe tout en haut de leur liste, un choix à n'en pas douter sujet à de futures aventures hautes en couleurs (sans parler de l'aspect pratique : rappelons que la Chine a terminé il y a de cela quelques mois son propre remake de la série Miss Fisher enquête, ce qui laisse à penser que des partenariats financiers et certaines facilités sont possibles). On ne manquera pas de vous tenir informés...


En bref : Une continuité épique et pleine de surprises de la série. Miss Fisher et le tombeau des larmes s'écarte du genre policier pour explorer, à l'occasion du passage au grand écran, le genre du film d'aventure, qui s'accorde à merveille à l'univers de base. Il en résulte un film enthousiasmant et saturé d'élégance qui allie avec style le meilleur de la série et de nouveaux éléments pour conquérir à la fois les fans de la première heure et un nouveau public. Les quelques petits défauts ne gâchent en aucune manière le plaisir qu'on a de retrouver Essie Davis dans ce rôle qui a fait son succès et à se laisser happer par le romanesque de l'histoire. 


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