jeudi 31 décembre 2020

Seconde étoile à droite et tout droit jusqu'au matin : Joyeuses Fêtes depuis la chambre des enfants Darling...

 

    Rappelés à l'ordre par Tic-Toc le crocodile, nous voilà juste à temps pour honorer notre tradition annuelle des "vœux d'entre-deux fêtes", à l'occasion desquels nous mettons à l'honneur le Seul et Unique, l'Éternel Enfant, j'ai nommé... Peter Pan! Aussi, comme promis à l'occasion de notre article introductif, nous vous donnons rendez-vous dans la nursery des Darling...

    Pour cela, rien de plus simple : rejoignez-nous à Londres, dans le quartier de Bloomsbury. Oui, on sait : les frontières sont fermées pour raisons sanitaires, mais nous avons la poussière de fée! Donc, nous disions : rejoignez-nous à Londres, dans le quartier de Bloomsbury. Là, cherchez le n° 14 : les parents sont partis, ne restent que Nana, la bonne d'enfants (oui, elle aboie à votre arrivée, rien de plus normal : c'est un chien!) et Liza, la domestique occupée à préparer les Christmas puddings à la cuisine. Car oui, contrairement à ce que nous pensions nous rappeler, cette aventure se déroule bien pendant les fêtes (ce qui explique toute cette neige au-dehors, brrr...).
 

"Liza était de méchante humeur. Elle était à la cuisine en train de préparer les puddings de Noël, et les inquiétudes insensées de Nana l'en avaient dérangée."

    Montez vite l'escalier avant de vous faire repérer puis, au tout dernier étage, entrez dans la chambre d'enfants, la nursery! Ah, cette chambre, qui n'en a pas rêvé? Qui n'a pas souhaité y pénétrer, ne serait-ce qu'une fois? Admirez sa tapisserie vintage, tout droit sortie de l'époque edwardienne, le nécessaire à couture de Wendy, et – Attention! – les nombreux jouets de John et Michael éparpillés sur le sol...

 "La chaleur du feu était douce, la nursery seulement éclairée par trois veilleuses..."

    Même si les parents sont sortis pour une soirée mondaine à quelques numéros de là, leur présence est palpable dans cette pièce : les veilleuses sont les yeux qu'une mère laisse derrière elle pour veiller sur ses enfants, et les portraits de Mr et Mrs Darling sont là, protecteurs...

 
 "Mme Darling était une belle dame à l'âme romantique avec une bouche si gentiment moqueuse. Son âme romantique était pareille à ces boîtes gigognes qui viennent de l'Orient mystérieux et qui, autant que vous en ouvriez, en contiennent encore une autre. Et sa bouche gentiment moqueuse portait un baiser que Wendy ne pouvait jamais cueillir bien qu'il fut là, bien en vue, au coin droit des lèvres."
 
"M. Darling se flattait auprès de Wendy de ce que sa mère non seulement l'aimait mais aussi le respectait. C'était un de ces profonds personnages qui savent à propos des titres boursiers et des actions."
 
    Mais si cette présence suffisait à protéger les enfants Darling, il n'y aurait pas d'histoire. Car que pouvons-nous voir, flottant sur le mur de la chambre? L'ombre du garnement volant! Certainement attrapée par Nana lors de la dernière visite de Peter Pan, l'ombre du garçon est restée dans la nursery. Il ne fait à présent aucun doute qu'il va revenir la chercher...
 

"Mme Darling revint à la nursery et trouva Nana avec, dans la gueule, quelque chose qui se révéla être l'ombre du garçon. Au moment où il sautait, Nana avait refermé la fenêtre rapidement, trop tard pour l'attraper mais l'ombre n'avait pas eu le temps de sortir ; la fenêtre, en claquant, l'avait arrachée." 
 

     Signe avant-coureur de son arrivée prochaine, voilà que vient d'entrer par la fenêtre une petite lueur laissant derrière elle comme de la poussière d'étoile... Clochette, bien sûr!

 
"Il y avait une autre lueur dans la chambre désormais, un millier de fois plus brillante que les veilleuses et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle avait inspecté tous les tiroirs de la pièce à la recherche de l'ombre de Peter (...). Ce n'était pas une lumière en fait, mais une lueur résultant de vifs éclats intermittents. Quand elle demeura immobile un petit moment, il fut possible de voir que c'était une fée, pas plus longue que la main – mais elle n'avait pas encore fini de grandir. C'était une fille appelée Clochette, élégamment vêtue d'une robe faite d'une feuille sèche qui mettait en évidence sa silhouette."

    A ses pieds, Clochette éclaire de sa lueur pailletée tout ce qui fait le charme de cet endroit : toupies, bobines de fil et dés à coudre (à moins que ce ne soient des baisers?) jonchent le parquet, comme autant de preuves de ce conte résolument bienvenu en cette période, d'une magie dont on a bien besoin avant de sauter à pieds joints dans la nouvelle année qui approche...
 

 "Heureusement, elle savait déjà ce qu'elle allait faire.
— Il faut la coudre, dit-elle, sur un ton peut-être un petit peu trop protecteur.
— C'est quoi, coudre? demanda-t-il.
— Tu es terriblement ignorant!
— Non, pas du tout!
    Mais elle était enchantée de cette ignorance.
— Je vais te la coudre, mon petit homme, dit-elle bien qu'il fut aussi grand qu'elle.
    Elle prit son nécessaire  de couture et se mit en devoir de coudre l'ombre au pied de Peter.
— Je te préviens que ça te fera un petit peu mal, l'avertit-elle.
— Oh! Je ne pleurerai pas, dit Peter qui s'était déjà convaincu qu'il n'avait jamais pleuré de sa vie.
    Il serra les dents et ne pleura pas. Bientôt son ombre se comporta normalement. Elle était juste un peu froissée." 
 

 "Elle dit qu'elle voulait aussi bien lui donner un baiser s'il voulait, mais Peter, ne sachant pas de quoi elle voulait parler, tendit la main ouverte pour le recevoir.
— Tu sais quand même ce qu'est un baiser, demanda-t-elle, éberluée.
— Je le verrai bien quand tu me l'auras donné, répliqua-t-il avec raideur.
    Pour ne pas le blesser, elle mit un dé dans la main.
— Et maintenant, dit-il, tu veux que je te donne un baiser?
    Elle répondit de manière un peu formelle :
— S'il te plait.
    Puis, sans faire de façon, elle lui tendit la joue. Mais comme il se contenta de lui déposer un de ses boutons fait d'un gland dans la main, elle se redressa et déclara qu'elle porterait ce baiser autour du coup, pendu à sa chaîne."
 
 
    Mais surtout, il y a cette fenêtre. Cette fenêtre ouverte sur des centaines de perspectives à venir, cette fenêtre qui doit toujours, TOUJOURS, restée ouverte pour le retour des enfants et des jours heureux...
 

"— Et ferme cette fenêtre, je sens un courant d'air.
— Ô George, ne me demande jamais de faire ça. La fenêtre doit toujours rester ouverte pour eux. Toujours! Toujours!"

    Alors, au pied de cette fenêtre, presque somnolant sur la jolie banquette matelassée, nous aussi dans l'attente du retour des jours heureux, nous aimerions vous souhaiter...
 

Un Très Joyeux Noël
(avec quelques jours de retard)
et 
Une Belle et Heureuse Année!
(avec quelques petites heures d'avance)


    Même notre sapin s'est habillé aux couleurs du Pays Imaginaire : orné de baisers et de feuilles mortes dorées, on y trouve même un Peter Pan volant entre les branches, des boutons, et une montre, probablement recrachée un beau jour par un certain crocodile...



"C'était un charmant garçon vêtu de feuilles mortes collées par la sève qui suinte des arbres mais ce qui était le plus ravissant chez lui, c'était qu'il avait encore toutes ses dents de lait."
 

    Maintenant que nous avons fait le tour de l'endroit, que diriez-vous d'une aventure? Pour une fois, nous prendrons le thé plus tard : Mr et Mmrs Darling ne vont pas tarder à rentrer, c'est LE moment où jamais pour... s'envoler! Saisissez-vous de Clochette et, avec ou sans son accord (le fée est tellement lunatique, elle risquerait de refuser si nous lui demandons son avis...), saupoudrons-nous généreusement de poussière d'atmosphère...

    Et maintenant, prenez votre inspiration et concentrez-vous sur des pensées heureuses – on en manque tellement, cette année, c'est probablement la partie la plus difficile de cette entreprise! Ça y est, vous les avez? Alors... C'est parti!
 

    Direction : seconde étoile à droite et tout droit jusqu'au matin! Puisque le temps n'a plus prise au Pays Imaginaire, nous poursuivrons certainement nos lectures thématiques jusqu'à la fin du mois, afin de faire durer le plaisir. En attendant, la fenêtre restera évidemment ouverte...
 

A très vite, les amis!
 
***


mercredi 30 décembre 2020

Hook, ou la revanche du capitaine Crochet - Un film de S.Spielberg d'après l'univers de J.M.Barrie.

Hook

ou la revanche du capitaine Crochet

(Hook)

Un film de Steven Spielberg ; scénario de J.V.Hart d'après l’œuvre de J.M.Barrie
 
Avec : Robin Williams, Dustin Hoffman, Julia Robert, Maggie Smith, Bob Hoskins...

Sortie originale le 11 décembre 1991
Sortie française le 1er avril 1992

    Peter Banning alias Peter Pan est devenu un brillant avocat d'affaires qui a tout oublié de ses merveilleuses aventures. Mais le terrible capitaine Crochet, lui, n'a pas oublié. Pour enfin, régler leur compte, il enlève une nuit Jack et Maggie, les enfants de Peter. C'est en compagnie de Clochette que Peter s'envole a nouveau pour le Pays Imaginaire
 
***
 
    Impossible d'évoquer Peter Pan et ses adaptations sans faire un détour par l'audacieux Hook, trésor du cinéma familial comme seules savaient en produire les années 90, avec un Steven Spielberg qui montre avec cette libre réinterprétation de James Matthew Barrie qu'il transforme tout ce qu'il touche en or. Hook fait partie de ces films qui, après un succès critique mitigé, sont devenus de vrais succès populaires au point d'être désormais érigés en grands et immanquables classiques.
 

    L'histoire se déroule dans les années 90, justement : Peter Banning, ancien orphelin recueilli par une famille anglaise, vit désormais aux Etats-Unis avec son épouse Moira et ses enfants Jack et Maggie. Avocat débordé et trop sérieux, il consent à mettre son travail en pause pour  pour passer les fêtes de Noël à Londres chez la grand-mère de son épouse : Wendy Darling. Grand-mère Wendy est une vraie personnalité : présidente du Great Ormond Hospital et fondatrice d'une association d'accueil d'orphelins, c'est elle qui a recueilli Peter lorsqu'il était enfant et lui a trouvé des parents adoptifs. C'est aussi elle LA Wendy de Peter Pan. Rien d'étonnant à cela : James Barrie, l'auteur, était le voisin des Darling au début du siècle et il avait imaginé cette histoire pour sa famille. Alors que les enfants Banning baignent dans l'univers littéraire et merveilleux qui occupe encore la maison de Wendy, Peter a résolument des difficultés à se détacher de son travail, mettant sa vie familiale en péril. Mais en revenant d'une soirée caritative pour le Great Osmond Hospital, Moira, Peter et Wendy découvrent la maison vandalisée et les enfants kidnappés. Sur le lieu du crime, un message est adressé à Peter par le capitaine James Crochet,  : il le somme de revenir au Pays Imaginaire pour récupérer ses enfants et offrir sa revanche au pirate. Certainement un fou furieux qui a développé une démence autour du passé littéraire de la famille... Ou pas. Grand-mère Wendy révèle la vérité à Peter : il l'a oublié mais il est bel et bien le vrai Peter Pan, et il doit retourner au Pays Imaginaire pour défier une fois encore son pire ennemi...
 

    Hook est un projet de longue date lorsque Spielberg le concrétise au début des années 90. Grand admirateur de l’œuvre de Barrie, il a longtemps réfléchi à ce film avant de préparer une première mouture en partenariat avec Disney dans les années 80, Hook se voulant alors une suite directe du long-métrage animé de 1953. Désaccord artistique ou problème de calendrier, le film n'aboutit pas et Spielberg attend une dizaine d'année avant de se consacrer de nouveau au projet, lequel prend forme avec un excellent scénario de James V. Hart. James V. Hart, talentueux auteur et scénariste, se fera remarquer l'année suivante avec son script du génialissime Dracula de Francis Ford Coppola et dix ans plus tard avec la mini-série Jack et le Haricot Magique, fantastique détournement du conte original. Inventeur de génie avec une prédilection pour la réécriture, il publiera en 2005 Les terribles aventures du futur Capitaine Crochet, biographie fictive qui imagine la jeunesse du futur pirate (preuve qu'il a été lui aussi longuement marqué par l'univers de James M. Barrie). 
 
Maggie Smith, splendide Wendy devenue grand-mère...

    Et autant le dire : James V. Hart et Steven Spielberg forment certainement le duo gagnant du film. Le projet, terriblement casse-figure, devient entre leurs mains une pépite qui a touché toute une génération, au point d'avoir autant marqué la culture populaire que le film animé de 1953. Il est par ailleurs intéressant de s'interroger quant à l'univers de référence de ce Hook : est-il finalement une suite à l’œuvre de Barrie ou une continuité non-officielle à l'adaptation de Disney? Difficile à dire, le doute est laissé, probablement pour qu'il puisse être considéré comme un peu des deux à la fois et rester largement accessible. Notons cependant l'héritage colossal laissé par Disney à travers quelques éléments non-négligeables : le capitaine Crochet lui-même est résolument plus proche du personnage du dessin-animé que du diabolique pirate originel. Comme chez Disney, il porte son crochet du mauvais côté, et comme chez Disney, il est davantage un dandy charismatique mais caricatural (parfois cartoonesque) plutôt qu'un ennemi véritablement sanguinaire. Avouons cependant que face à la place occupée par Disney dans l'imaginaire collectif, il aurait peut-être paru incohérent (et inapproprié, au vu du public familial visé), de mettre en scène un Crochet trop féroce.
 

    Cependant, le véritable tour de force de ce film, c'est peut-être qu'en dépit de Crochet et tout en racontant un total détournement du principe de base (Peter Pan, l'enfant qui ne grandit pas, a finalement grandi! C'est presque un sacrilège, quand on y pense...), Hook s'avère être particulièrement fidèle à l'esprit de James M. Barrie, au point de restituer un peu de la fougue et de la mélancolie de l’œuvre initiale. Le pitch du film puise sa substance dans la fin du roman, ainsi que les flashbacks nous le montrent : après que Wendy ait grandi, Peter a continué à venir régulièrement la voir à la fenêtre de sa chambre, jusqu'à rencontrer ses descendantes... pour tomber amoureux de l'une d'elles, au point de vouloir quitter le Pays Imaginaire (là commence la réinterprétation, vous l'avez compris). Le scénario s'amuse également à glisser ça et là des clins d’œil à de nombreux éléments du livre, dont certains occultés par le dessin-animé de 1953 (la confusion entre les baisers et les dés à coudre, la maison construite pour Wendy, l'arrivée de Peter Pan au Pays Imaginaire, ou encore les repas "imaginaires" des garçons perdus). Chez Wendy, la caméra s'attarde même quelques instants sur le chapeau haut-de-forme de John et l'ours en peluche de Michael, déposés bien en vue sur un guéridon du salon. Mais plus que par des easter eggs, c'est en se réappropriant l'essence même du roman de Barrie pour mieux en faire un hymne à la vie que le film fonctionne, sans dénaturer sa symbolique pour autant ; ainsi l'atteste la dernière réplique, "Vivre sera une formidablement belle aventure", qui détourne habilement l'une des citations phares du livre.


    La nostalgie dont use le film est l'autre point fort de cette production, nostalgie décuplée par l'audacieuse et ingénieuse mise en abîme du scénario : dans Hook, Peter est à la fois un individu réel et un personnage de fiction, et James M. Barrie est nommé plus d'une fois (la famille Banning assiste même à une représentation de la pièce pour la fête de l'école de Maggie). J.V.Hart s'amuse à ce titre d'une analogie entre la famille des Llewelyn-Davies (source d'inspiration de la famille Darling pour qui James Barrie avait écrit Peter Pan) et la famille Darling, dont il fait ici de "vraies" personnes durablement marquées par l'aura littéraire du livre (un peu comme la Alice Liddle à l'origine d'Alice au pays des merveilles). Le Great Ormond Hospital – hôpital pour enfants auquel Barrie a cédé les droits de Peter Pan – devient un élément du scénario, et on voit même la statue de Peter Pan de Kesington Gardens. Ce tour de passe-passe particulièrement bien pensé donne une dimension quasi-réelle et particulièrement forte à l'histoire qui se déroule sous nos yeux : comme Moira qui s'extasie, émerveillée, de retourner à la maison des Darling, on se surprend nous aussi à vouloir y faire une excursion pour gravir l'escalier jusqu'à LA fameuse chambre d'enfant pour s'asseoir devant LA fameuse fenêtre.
 

    La casting est évidemment pour beaucoup dans la réussite du film : qui mieux que Robin Williams pouvait interpréter un Peter Pan devenu adulte? Maggie Smith (bien avant de devenir professeur à Poudlard ou comtesse à Downton Abbey) campe une Wendy éblouissante de douceur et de mystère, qui parvient très bien à jouer les reliquats de sentiments amoureux pour un Peter désormais bien plus jeune, sans jamais être ridicule (Ah, ce dialogue où elle lui déclare qu'elle attendait qu'il vienne l'enlever le jour de son mariage pour la faire renoncer à ses vœux!). Dustin Hoffman, même s'il joue un Capitaine Crochet très inspiré par Disney, le fait avec panache et Bob Hoskins aura tellement marqué le public dans le rôle de Mouche qu'il endossera de nouveau son costume 20 ans plus tard pour un préquel à la télévision. L'une des vraies surprises du film reste cependant Julia Roberts qui casse ici son personnage d'héroïne glamour en interprétant la fée Clochette dans une version pétillante et délicieusement fantaisiste. Du côté des caméos, de nombreuses personnalités (reconnues ou en devenir) font une apparition dans le film : Phil Collins en inspecteur de police, Glenn Close en pirate barbu (si, si), Gwyneth Paltrow en Wendy jeune, et même George Lucas et Carrie Fisher jouant un couple enlacé sur un pont de Londres.
 

    Si l'esthétique n'a pas toujours bien vieilli (l'idée de faire évoluer l'univers des garçons perdus et leur repère avec le temps est plutôt bonne, mais ces looks années 90 sont vraiment dépassés), il reste quelques très bons décors : la maison des Darling (le loquet de la fenêtre en forme de crochet, on adore!) ou encore le Jolly Roger rutilant et le port auquel il est amarré, aux allures de ville côtière grouillante d'artisans et de commerçants (avec le crocodile empaillé transformé en horloge : du génie!), donnent l'impression de se promener dans un véritable parc d'attraction!
 

En bref : Devenu un classique, Hook parvient à détourner l’œuvre de Barrie pour mieux lui rendre hommage, le tout en conservant l'essence même du roman. En jouant la carte de la nostalgie et en s'amusant des limites entre réalité et fiction via une ingénieuse mise en abîme, ce film a réussi à toucher durablement les inconditionnels de Peter Pan. Un régal à visionner pendant les fêtes!


Et pour aller plus loin...

dimanche 27 décembre 2020

Peter Pan - James Matthew Barrie.

Peter Pan and Wendy
, Hodder & Stoughton, 1911 - Multiples éditions et traductions française depuis 1947 - Le livre de poche jeunesse (trad. de M.Laporte), 2009, 2014.

    Wendy, John et Michael n'auraient jamais imaginé qu'ils pouvaient voler. Ni qu'ils s'en iraient au Pays Imaginaire, affronter les Indiens et les Pirates du redoutable Capitaine Crochet. Seulement, un beau soir, Peter Pan a fait irruption dans leur vie bien tranquille. Et pour visiter le Pays Imaginaire, rien n'est plus simple : il suffit de bien connaître Peter Pan, et de posséder quelques grains de poussière des fées.
 
    James Matthew Barrie a créé, en 1904, pour le théâtre, le personnage de Peter Pan, le garçon qui ne voulait pas grandir. Depuis, Peter Pan n'a toujours pas grandi mais le monde entier le connaît.

***

    Tout le monde connait Peter Pan. Ou tout le monde pense le connaître. En effet, Disney, en a offert une adaptation animée inoubliable de malice en 1953, laquelle a durablement marqué les esprits, au point de faire parfois oublier le Peter Pan original de Barrie. Le "vrai" Peter Pan est-il si différent? Disons qu'il est plus complexe, et que l’œuvre entière, si elle est tout autant fantaisiste, est aussi doublée d'une dimension profondément mélancolique, densité évidemment absente du long-métrage animé mais qui fait pourtant tout l'intérêt de l'histoire.
 

"Mourir sera une terriblement belle aventure."

    L'auteur, James Barrie, est un dramaturge de la fin du XIXème siècle dont l'enfance a été marquée par le traumatisme : son frère ainé, David, mort jeune, a plongé sa famille dans un deuil inconsolable qui a durablement touché le futur écrivain au point de transparaitre de façon déguisée dans chacune de ses œuvres. C'est déjà le cas pour la première apparition de son Peter Pan dans Peter Pan dans les Jardins de Kensington (1902), où le futur héros de l'auteur, alors bébé, fugue du monde des adultes et quitte sa dureté pour rencontrer les fées qui, à Kensignton Gardens, l'emmèneront au Pays Imaginaire. Cette fuite en avant dans l'univers des songes pour mieux draper du pouvoir de la métaphore les affres de l'existence (surtout la mort) reviendra avec la création de la pièce Peter Pan, ou l'enfant qui ne voulait pas grandir (1904), imaginée pour (ou inspirée par?) les enfants de la famille Llewelyn-Davies, avec qui James Barrie avait créé une forte amitié (des événements qui seront repris plus tard dans le certes très idéalisé mais aussi très beau film Neverland). Une autre famille profondément marquée par le deuil, mais ceci est une autre histoire.
 
 
"— Mais qui est-il, ma chérie?
— C'est Peter Pan, tu sais bien, maman.
D'abord, Mme Darling ne sut pas mais après s'être remémorée sa propre enfance, elle finit par se rappeler un Peter Pan dont on disait qu'il vivait avec les fées. On racontait de curieuses histoires sur son compte, par exemple, que quand les enfants mouraient, il les accompagnait pendant une partie du chemin pour leur éviter d'avoir peur."
 
    Peter Pan, devenu un roman sous le titre original de Peter Pan & Wendy en 1911; est à redécouvrir dans son texte intégral original pour qui ne l'a pas encore fait. C'est la meilleure façon de cerner ce qu'est un grand classique dans le sens le plus profond du terme, car tous les éléments nécessaires sont réunis : la magie, la poésie, la surprenante psychologie des personnages malgré le lectorat jeunesse visé, et la forte symbolique. Bien plus complexe qu'il ne semble l'être, Peter Pan incarne en fait l'enfant triste par excellence, qui, pour oublier sa propre tristesse, décide de lui faire revêtir le masque de l'éternelle insouciance. Double spirituel de l'auteur (qui a aussi créé en James Crochet un autre double, mais nous y reviendrons plus tard), Peter Pan représente la jeunesse dans ce qu'elle a de plus vif, étrange, et insaisissable. A ce titre, James Barrie a su capturer ce qui fait la flamme de l'enfance : la limite entre le rêve et la réalité n'existe pas, chaque frustration est vécue comme la pire des douleurs, et même la mort n'est pas si grave, puisqu'elle est simulée. On vit comme on joue à faire semblant, on meurt comme on joue aux cowboys pirates et aux indiens. Comme un tout petit, Peter n'a pas de mémoire et peut oublier son entourage le plus proche dès que ceux qui le composent n'apparaissent plus à sa vue ; stratagème conscient ou non, il fait partie intégrante de sa nature : en oubliant, Peter ne peut se laisser marquer psychologiquement par quoi que ce soit, ses émotions n'en sont jamais altérées et il reste, comme le dit si bien Barrie, "gai, innocent, et sans cœur".
 
 

"La différence entre Peter et les autres garçons dans un pareil moment, c'était que les autres savaient que c'était pour de faux tandis que chez lui, réalité et pour de faux étaient exactement la même chose. Cela gênait parfois les garçons, quand ils devaient feindre de manger leur dîner, par exemple. S'ils s'arrêtaient de faire semblant, il leur tapait sur les doigts."
 
    Peter Pan n'est pas seulement un habitant du Pays Imaginaire : il est le Pays Imaginaire. Sa présence, ses allées et venues conditionnent le fonctionnement de l'île, que James Barrie décrit comme la "carte mentale" qui se cache dans l'imaginaire de chaque enfant, dont elle devient la projection.  On y trouve d'autres orphelins qui ne veulent pas grandir (s'ils grandissent, Peter les tue... mais, on fait bien semblant, n'est-ce pas? On ne sait plus, cela parait tellement enfantin!), les fameux "garçons perdus", que leurs nurses ont laissés tomber des landaus et ont oubliés (ne serait-ils pas déjà morts, finalement?), et que l'on retrouve au Neverland sous la forme d'éternels garnements ralliés à la cause de Peter.
 

"Tu veux une aventure juste maintenant, demanda-t-il à John d'un ton désinvolte, ou tu préfères prendre le thé avant?"
 
    Face à Peter, impossible de ne pas évoquer Crochet. Baptisé James, comme l'auteur lui-même, Crochet semble être à Peter ce que le jour est à la nuit, et vice versa. James Crochet serait-il une projection adulte de ce qu'aurait pu devenir Peter ? Rien n'est moins sûr. En tout cas, il représente tout ce que l'éternel enfant déteste : l'âge adulte, la vieillesse et la mort. Mort qui prend la forme du symbolique tic-tac du crocodile qui, rappelons-le, court sans cesse après Crochet. La dualité du pirate et de l'enfant qui ne grandit pas les lie autant qu'elle les oppose, devenant dès lors la clef de voute du Pays Imaginaire. Leur combat semble sans fin, assurant un équilibre à l'île, si bien qu'une fois le capitaine vaincu, Peter se trouve à jouer les deux rôles à la fois, comme pour assurer une sorte de continuum : il investit son bateau, porte sa redingote rouge et tient son index recroquevillé comme un crochet...
 
La lutte contre Crochet dans une adaptation cinématographique de 1924.
 
" L'opinion qui prévalait était que Peter demeurait honnête pour l'heure, histoire de ne pas éveiller les soupçons de Wendy mais qu'il pourrait y avoir du changement dès que son nouveau costume serait prêt, costume que, avec beaucoup  de mauvaise volonté, elle était en train de lui coudre à partir des pires vêtements de Crochet. Il s'est ensuite murmuré parmi les garçons que, le premier soir qu'il porta ce costume, il demeura longtemps assis dans la cabine, le fume-cigare de Crochet à la bouche et les doigts d'une main tous repliés sauf l'index qu'il tenait courbé et qu'il tendait de façon agressive, comme un crochet."
 
    Wendy se prête un temps à ce "faire semblant", jouant la mère des enfants perdus et de Peter, telle qu'on s'en souvient même dans les versions les plus simplifiées de l'histoire. On comprend néanmoins très bien, par de nombreux passages d'une prose délicieuse, qu'elle joue autant à la maman qu'à la jeune fille qui rêve d'être courtisée par Peter, et qui aimerait furieusement que là s'arrête le jeu. Wendy y croit jusqu'au bout, essayant d'interroger le garnement sur ses sentiments ou insinuant qu'il aurait une demande à faire à ses parents lorsqu'il ramène les enfant Darling dans leur maison de Bloomsbury. Mais Peter reste Peter, face à une Wendy qui a bien décidé de grandir. C'est pourquoi il continue de revenir, aussi longtemps qu'il s'en souvient, à la fenêtre de la nursery des Darling, pour rencontrer les nombreuses descendantes de Wendy après elle et leur proposer à leur tour d'être sa maman, le temps d'une excursion au Pays Imaginaire (une fin qui insufflera de nombreuses excellentes idées au scénario du film Hook de Spielberg puis plus tard au Peter Pan 2 de Disney).
 
 
"Mme Darling était une belle dame à l'âme romantique avec une bouche si gentiment moqueuse. Son âme romantique était pareille à ces boîtes gigognes qui viennent de l'Orient mystérieux et qui, autant que vous en ouvriez, en contiennent encore une autre. Et sa bouche gentiment moqueuse portait un baiser que Wendy ne pouvait jamais cueillir bien qu'il fut là, bien en vue, au coin droit des lèvres."
 
    On pourrait en écrire des lignes et des lignes, détailler chaque personnage (la mère des enfants Darling, superbement décrite et racontée, la fée Clochette qui appelle à ce que tous les enfants du monde frappent dans leurs mains pour la ramener à la vie), chaque lieu (le repère souterrain des enfants perdus, la chambre d'enfants des Darling où commence l'histoire), chaque étrange symbole de ce conte (l'ombre de Peter, élément fascinants parmi tant d'autres), mais nous conclurons sur la plume magnifique de l'auteur. Le traducteur Michel Laporte, également auteur de romans jeunesse, rend justement honneur à l'écriture de James Barrie : une langue d'une poésie et d'une virtuosité absolument envoutantes où le lecteur est régulièrement pris à partie dans un jeu de dialogues qui rappelle la version théâtrale de l'histoire. Un style facétieux et mélancolique à la fois qui apporte la touche suprême à cette œuvre de haute volée.
 

"Mme Darling entendit parler de Peter pour la première fois alors qu'elle rangeait l'esprit de ses enfants. C'est l'habitude, pour toutes les bonnes mères, une fois que leurs enfants sont endormis, de fouiller dans leur esprit et de préparer tout pour le matin, en remettant à sa place chacun des nombreux éléments qui ont été dérangés pendant la journée. Si vous restiez éveillés (mais bien sûr c'est impossible) vous pourriez voir votre propre mère le faire, et vous trouveriez passionnant de l'observer. C'est comme ranger les tiroirs. Vous la verriez à genoux, je suppose, penchée avec enthousiasme sur une de vos pensées, se demander où vous avez bien pu pêcher une idée pareille, et faire des découvertes, certaines agréables et d'autres moins, appuyant ceci contre sa joue comme si c'était aussi doux qu'un chaton et plaçant précipitamment cela hors de sa vue. En vous éveillant, le matin, la méchanceté et les idées mauvaises avec lesquelles vous êtes allé au lit se trouvent bien pliées et rangées au fond de votre esprit tandis que, sur le devant, sont disposées vos meilleures pensées, bien défroissées, prêtes à être portées."
 
En bref : Véritable coup de cœur, le Peter Pan de James Barrie est un suprême chef d’œuvre de la littérature de jeunesse qui mérite d'être redécouvert dans son texte intégral pour en apprécier toute la qualité. Tant dans la poésie du style que dans la psychologie des personnages, dans la symbolique de l'histoire que la mélancolie dissimulée dans sa seconde lecture, ce roman reste, plus d'un siècle après sa publication, infiniment précieux.   
 
 
 Et pour aller plus loin...
 

mardi 22 décembre 2020

Un hiver sans fin - Kiran Millwood Hargrave.

The way past winter
, Chicken House, 2018 - Éditions Michel Lafon (trad. de P.Mothe), 2020.

    Enfermées dans un pays au cœur d'un hiver éternel, Mila et ses sœurs se réveillent un beau matin pour découvrir que leur frère Oskar a été enlevé par de mystérieux voyageurs. Bien décidée à le retrouver, Mila va vite découvrir que tous les garçons du village ont disparu. Tous, sauf un : Rune, le mage. Mila et Rune partent alors pour un long voyage à la recherche des enfants perdus. Ensemble, ils traverseront les plus hautes montagnes peuplées de loups et les plus terrifiantes régions du Nord, où le froid règne en maître.

" C'était un hiver dont on fait des légendes.
Un hiver qui était venu et qui n'était jamais reparti. "
 
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    Avant que vous le demandiez : non, ce n'est pas Anna de la Reine des Neiges de Disney sur la couverture. Maintenant que le doute est levé, retournons à nos moutons : ce roman est le troisième traduit en Français de la jeune auteure et poétesse anglaise Kiran Millwood Hargrave, encensée pour son livre jeunesse La fille d'encre et d'étoiles, publié en 2016, et plus récemment pour son roman adulte Les graciées, sorti en août dernier. Avec Un hiver sans fin, cette passionnée de fables d'antan et de contes à l'ancienne revient à la littérature jeunesse.
 

    L'histoire se déroule à une époque non définie, dans un pays probablement slave ou nordique que le printemps a quitté depuis cinq ans. Cinq ans également que leurs parents ont quitté Mila, son frère Oskar et sœurs Sanna et Pipa. Dans la petite maison où ils habitent désormais seuls, chacun tente d'aider pour que tous puissent vivre malgré ces tristes conditions. Sanna et Oskar, les aînés, assurent leur rôles de parents de substitution, mais cela ne fait pas oublier la mort en couche de leur mère et la disparition de leur père dans la forêt. Une nuit, une étrange chevauchée se présente à la porte de la fratrie : le chef et sa troupe cherchent un lieu ou dormir. Mila remarque très vite que quelque chose d'anormal se trame, sentiment confirmé dès le lendemain lorsqu'elle découvre qu'Oskar a disparu. Gagnant la localité la plus proche pour le retrouver, les sœurs découvrent que tous les jeunes garçon du village se sont envolés également, apparemment avec la mystérieuse trouve de cavaliers. Mila est la seule à se persuader qu'ils ne sont pas partis de leur plein gré mais qu'on les a enlevés, d'une façon ou d'une autre. Seul un garçon n'a pas disparu : Rune, le mage du village, fils de la défunte guérisseuse. A la fois craint et respecté, mais tout juste toléré par les habitants, le jeune garçon n'en est pas moins certain que Mila a raison et semble même en savoir plus que n'importe qui sur le sujet. Tous les deux ne tardent pas à faire alliance pour partir à la recherche d'Oskar. Mais la route sera semée d'embûches car celui qui l'a enlevé n'a rien d'humain...
 
 
"Il est des choses en ce monde que l'on ne doit pas regarder qu'avec les yeux, entendre qu'avec les oreilles, toucher qu'avec les doigts."

    Quel régal de lecture en cette saison hivernale ! On n'avait pas retrouvé pareil plaisir depuis Sophie et la princesse des Loups, il y a maintenant plusieurs années de cela ! Kiran Millwood Hargrave imagine ici un univers qui n'est pas sans évoqué les pays du Nord ou les contrées slaves (c'est en tout cas l'ambiance que suggèrent les prénoms des personnages et les noms de localités), l'histoire elle-même rappelant fortement les contes russes traditionnels avec leur lot de symboles et d'esprits animaux totémiques. Autre conte auquel il est difficile de ne pas songer : La Reine des Neiges, version originale d'Andersen, dans lequel la petite Gerda se lance dans un long voyage pour retrouver son frère Kay, kidnappé par la Reine des Neige, hiver personnifié sous la forme d'une femme aux pouvoirs infinis. L'histoire d'Andersen a par ailleurs été adaptées plusieurs fois par le cinéma russe et la thématique du cycle des saisons, très présente dans Un hiver sans fin, est un choix scénaristique commun à plusieurs adaptations probablement connues de l'auteure. Il y a là à n'en pas douter une source d'inspiration évidente pour Kiran Millwood Hargrave.
 

    Partant de là, son livre aurait plus être un banal copié/collé un peu revisité du conte d'Andersen, mais ce serait mal connaître les talents de conteuse de la romancière : en allant piocher dans de multiples mythologies (notamment la légendaire île de Thulé, qui devient ici la destination du voyage) et grâce à sons sens inné du style et de la métaphore, Kiran Millwood Hargrave nous emporte dans une aventure halletante, mystérieuse et onirique. Ses personnages, profondément attachants, nous font refermer le livre avec regret : on aimerait passer plus de temps avec eux et s'offrir une promenade à traineau, tiré par les deux adorables chiens de Mila. Un conte initiatique et fantastique parfait pour la saison.
 

En bref : En s'inspirant notamment des mythologies slave et nordique, dans une atmosphère de conte qui n'est pas sans évoquer la Reine des Neiges d'Andersen, Kiran Millwood Hargrave nous offre une aventure fantastique et initiatique portée par des personnages forts et furieusement attachants. Une pépite en cette saison, véritable coup de cœur à lire au coin du feu.

Grand merci aux éditions Michel Lafon!