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samedi 25 février 2012

Que le spectacle commence! - Ann Featherstone


Walking in Pimlico, John Murray, 2009 - Editions 10/18, 2011.


Dans le monde du spectacle les apparences sont reines et les secrets mortels.
Et s'il y a bien un rôle que l'amuseur public Corney Sage aurait préféré ne pas endosser c'est être témoin du meurtre de la jeune actrice Bessie Spooner! Le Constellation Concert Rooms devra se passer de ses services, il préfère prendre la fuite.
Mais sous ses nombreux déguisements, l'assassin rôde et se rapproche...





Après avoir parlé de mon penchant pour les énigmes sur le thème de l'art, voici un autre de mes petits plaisirs: les thrillers d'inspiration victorienne! Le XIXème siècle anglais comme cadre temporel d'un roman fait partie de mes critères de sélection, et encore plus s'il s'agit d'un roman policier ou d'un thriller (sûrement de vieux restes de mes lectures holmesiennes...). Le synopsis de ce livre était particulièrement alléchant (de même que cette superbe couverture!), mêlant ces thèmes qui me sont chers au monde du spectacle et promettant un cocktail à mi-chemin entre Moulin Rouge! et une histoire à la Jack l'éventreur.

J'eu cependant quelques difficultés à me plonger dedans, et ce en raison de la narration très particulière du premier chapître. Raconté par un homme de scène issu des quartier populaires anglais, il est écrit comme l'on parlait dans les bas-fonds londonien de l'époque: un jargon des rues traduit en français à grands renforts de mots "mâchés" et abrégés, le tout étant un dialecte familier vite agaçant. Une fois habitué, je me suis cependant laissé porter par cette intrigue d'une grande qualité narrative et scénaristique, dont la réussite doit beaucoup à la reconstitution du monde du spectacle et de l'univers forain sous l'ère victorienne. L'auteur connait son sujet: avant de se lancer dans la fiction, elle y avait déjà consacré plusieurs thèses et met ici ses connaissances au service de son roman, ce qui ne le rend que meilleur.

Victorian scene, Richard Hook, 1975.

Mention spéciale pour la construction narrative du récit: le meurtrier, adepte du déguisement et du travestissement, adopte quantité de fausses identités auxquelles peuvent correspondre autant de nouveaux narrateurs (ou narratrices) survenant dans l'histoire, et cela sans qu'on le réalise immédiatement! Ann Featherstone prend donc un malin plaisir à nous manipuler constamment et à se jouer du lecteur.

Affiche pour un cirque de rue sous l'Ere Victorienne.

Bien que je garde de cette lecture un bon souvenir pour l'audace de la narration et l'atmosphère du roman, je lui reproche une certaine lourdeur: les incessants changements de narrateurs dynamisent le récit un temps, mais finissent par lasser (il m'arrivait souvent de "mesurer" l'épaisseur de pages qu'il me restait à lire). J'ai également été quelque peu déçu par le dénouement, beaucoup trop lapidaire à mon goût et qui donne l'impression que l'auteur elle-même, épuisée par son récit, a soudain décidé de le clore en un tour de main pour reprendre son souffle...

Now you see him; now you don't!

vendredi 24 février 2012

Le premier jour - Marc Levy


Editions Robert Laffont, 2009 - Pocket, 2010.

Un étrange objet trouvé dans un volcan éteint va révolutionner tout ce que l'on croit savoir de la naissance du monde. Il est astrophysicien, elle est archéologue. Ensemble, ils vont vivre une aventure qui va changer le cours de leur vie et de la nôtre.







Il fut un temps où je ne jurais que par cet auteur. Je devais être en quatrième et je faisais alors la transition entre littérature jeunesse et littérature adulte lorsque je découvris Et si c'était vrai... avant d'enchaîner avec ses autres romans. J'avoue sans honte avoir passé de très bons moments même si, les ayant tous dévoré d'une traite, j'étais ensuite passé à tout autre chose (j'avais eu ma dose, en quelques sortes). J'appris ensuite que Marc Levy n'était en fait guère apprécié dans le paysage littéraire français et que ses écrits, très critiqués, étaient relégués au rang de "romans de gare". Certe l'écriture est simple et les histoires toutes en légèreté, mais on est quand même loin des romans d'Harlequin ! J'ai toujours trouvé cette critique très poussée car, aussi loin que je m'en souvienne, Marc Levy n'a jamais prétendu écrire de la grande littérature mais de simples divertissements accessibles au plus grand nombre.

Et c'est justement de divertissement que j'avais besoin ces derniers temps: éprouvé par le rythme de ma formation en alternance et par l'investissement qu'elle demande, je réalisai dernièrement que j'avais grand besoin d'un peu de légèreté, histoire de décoller un peu. Après 7 ans d'abstinence, je décidai de ré-essayer un roman de Marc Levy, ce dernier ayant au moins le mérite de se réinventer et de ne pas se répéter (alors que certains auteurs dans la même veine se rabâchent tellement que je confonds tous leurs romans). Je portai donc mon choix sur Le premier jour, dont le résumé avait piqué ma curiosité... m'évoquant presque un roman à la Barjavel!
Le site de Stonehenge, dont les secret restent encore à découvrir...

Je ressors de cette lecture très satisfait, le livre ayant rempli sa mission: pendant ma semaine de lecture, j'y ai réellement trouvé la légèreté dont j'avais besoin en ce moment, en plus d'une histoire qui, je l'avoue, m'a surpris plus d'une fois! En effet, le ton est très différent de ce que j'ai pu lire de lui jusqu'ici et Marc Levy nous entraine dans une vraie aventure, menée tambour battant par une archéologue et un astrophysicien désireux de percer les secrets de l'origine de l'homme et de l'univers. Ce roman fait à ce titre de nombreuses parenthèses culturelles, historiques, mais aussi philosophiques, montrant par là que l'auteur s'est bien documenté, ce qui apporte beaucoup d'épaisseur au roman. Les recherches effectuées par les principaux personnages les mènent peu à peu au coeur d'un complot concernant toutes les grandes nations de ce monde, avides de découvrir les secrets de l'univers. Des sites archéologiques célèbres (Stonehenge) aux artefacts mystérieuses (le disque de Nébra), Marc Levy nous fait voyager d'un pays à un autre à un rythme effréné.

Le disque de Nebra, datant d'environ 1600 ans avant J.C.

En bref, une lecture fluide, propre à la détente mais non moins intéressante et surprenante! Au point qu'il me tarde de lire la suite, La première nuit.

jeudi 23 février 2012

Malédiction du sang - Celia Rees


Blood sinister, Scholastic, 1996 - Editions Seuil Jeunesse, 2011.


Ellen est une jeune fille de 16 ans atteinte d'une grave infection du sang contre laquelle aucun remède n'a encore été découvert. Suivie par des médecins de Londres, elle part s'installer dans la maison de sa grand-mère en plein coeur de la capitale le temps que dureront les nouveaux examens médicaux. Physiquement affaiblie par la maladie qui la tue à petit feu, Ellen tue le temps en contemplant la vue du gigantesque cimetière depuis sa fenêtre ou en fouillant parmi les trésor que recèle le grenier. Elle y découvre alors, rangés dans une vieille malle, les journaux intimes d'une aïeule.
Cette ancêtre, également baptisée Ellen, n'est pas inconnue de la jeune fille puisqu'elle jouit dans la famille ainsi dans l'Histoire de la médecine d'une certaine renommée, célèbre pour avoir été la première femme médecin en pleine Ere Victorienne. Se plongeant dans la lecture des carnets, l'adolescente découvre peu à peu la vie de son aïeule: Orpheline de mère, elle vivait avec son père au sein même de l'asile d'aliéné dont il était le médecin-chef. Un jour, ce dernier accueillit dans son établissement un noble venu d'Europe de l'Est pour se faire soigner une étrange maladie du sang. Présenté à Ellen comme invité très spécial, le compte ne tarde pas à se rapprocher de la jeune fille, envoutée par le charme fascinant de son nouvel ami. Mais ce dernier laisse très vite entrevoir une sombre personnalité...Au fil des pages des journaux intimes de son ancêtre, l'Ellen du présent voit toutes ses certitudes s'effondrer, le récit qu'elle lit sombrant dans une atmosphère fantastique impossible. Alors qu'elle ne sait si elle doit croire à l'histoire terrifiante qu'elle découvre, le passé resurgit en pleine époque moderne et Ellen devient la proie d'un sombre individu...

Voilà donc le livre avec lequel je me lançais dans le petit challenge personnel évoqué en précédent post. Le choix de ce titre n'est pas un hasard; en apparence, on s'accordera à dire qu"il a tout du dernier né de la bit-lit: titre évocateur, couverture noire, blanche et rouge, etc... Croisé maintes fois au détour de mes promenades en librairie, un détail (et pas des moindres) avait cependant piqué ma curiosité: l'auteur. Celia Rees, connue et reconnue pour ses écrits de qualité, fut primée de nombreuses fois pour ses ouvrages, dont certains sont d'ailleurs considéré comme des classiques! Je pense par exemple au célèbre Journal d'une Sorcière, désormais au programme des collèges anglophones. Je me suis donc dis qu'elle ne pouvait pas avoir écrit un navet et je tentais l'expérience.Ajouter une image
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Celia Rees
La préface et les informations relatives à la publication du livre indiquent que, loin d'être le dernier de la Bit-Lit, ce roman a en fait été écrit il y a plus de dix ans, bien avant l'avalanche de Twilight et de ses clones. Publié pour la première fois à l'étranger en 1996, ce roman n'avait jamais été traduit en France, mais on peut supposé que sa récente sortie dans l'hexagone s'explique par le succès rencontré par les vampires dans la littérature jeunesse actuelle. Il est effectivement fort probable que cela ait incité les éditeur à ressortir ce roman de derrière les fagots pour surfer sur la vague d'un thème qui marche.

Couverture de la première édition originale de 1996... on est de loin des codes esthétiques de la bit-lit actuelle!

Cependant, contrairement aux romans de la saga Fascination et à ses congénères dans la même veine (Ahah, le jeu de mot qui fait mouche!) destinés à un lectorat adulescent, Celia Rees destine son livre à un public plus jeune (celui-là même qu'elle vise habituellement avec ses autres livres, à savoir les 12 à 15 ans). Cela nous épargne les fioritures inutiles, les effets de style redondant, les métaphores qui tombent à plat, mais surtout les looooongs discours romantico-niais. Pas de jeune fille en fleur naïve et renfermée, pas de grand palichon glacial aux dents longues et trop séduisants pour être vrais. Le style est fluide, simple mais pas simpliste, agréable à la lecture.

Le cimetière de Highgate, à Londres... le décor parfait pour une histoire de Vampire!

L'intrigue elle-même se lit avec un certain plaisir, alternant entre le quotidien de l'Ellen du présent et celui de son ancêtre via son journal intime. Plus proche de l'univers de Bram Stoker que de celui de Stephenie Meyer, Celia Rees confie elle-même en préface avoir entrepris l'écriture de ce roman après avoir vu le film Dracula de Francis Ford Coppola. Il est d'ailleurs amusant, au fil de la lecture, de tomber ça et là sur des passages qui rappellent fortement certaines scènes du films (la description que le comte fait du paysage de sa terre natale ou encore la scène de l'absinthe). Cependant, j'ai parfois trouvé que l'auteur restait trop "en surface" dans son histoire: la plongée dans le XIXème siècle est très convenue et manque de détail pour rendre toute l'atmosphère de l'époque et ainsi amener plus de piquant et d'épaisseur au récit. Dans le même esprit, Celia Rees ne nomme pas le cimetière dont il est question dans le roman (alors qu'il a une place importante dans l'intrigue): elle le présente juste comme le "plus grand cimetière de Londres". J'aurais tendance à croire qu'il s'agit du cimetière de Highgate, célèbre pour ses histoires de vampires et de revenants, d'autant plus que tout semble l'indiquer...mais pourquoi ne pas le préciser?

La superbe scène de l'absinthe dans le sublime Dracula de Coppola.

Malgré ces petites déceptions, ce livre reste une agréable surprise et je le recommande fortement aux jeunes lecteurs et lectrices qui veulent s'offrir une bonne histoire de chasse aux vampires à l'ancienne!


Quelques couvertures au fil des rééditions.

mardi 21 février 2012

La Bit-Lit : et si c'était bien?

Bit-Lit! L'amour des vampires, une étude du phénomène parue aux éditions des Moutons électriques.

Depuis quelques années, on la voit partout. Inutile de donner des exemples car le plus souvent, les couvertures parlent d'elles-mêmes: du rouge, du noir, du blanc, parfois quelques fleurs, parfois du sang... Si l'on se réfère à la brève présentation qu'en fait wikipédia, il s'agit d'un sous-genre littéraire de la fantasy urbaine (cette dernière étant également un sous genre à la rencontre du fantastique et de la fantasy, mettant en scène des personnages et créatures issus d'un univers merveilleux mais évoluant dans le monde réel). Le terme, contraction de bitten (mordre) et de literature (littérature), a été créé par les éditions Milady mais est surtout populaire depuis le succès rencontré par la célèbre saga Fascination (Twilight) de Stepheny Meyer.

A sa sortie en France en 2005, ce livre s'était montré très discret et ne bénéficiait pas de la publicité qu'on lui connait aujourd'hui. A l'époque, il ne se distinguait pas des autres publications de jeunesse qui restaient toutes dans l'ombre d'Harry Potter et n'était connu que d'un cercle de lecteurs très fermé. Le grand fan d'histoire de vampires que j'étais avait flashé sur la couverture : encore aujourd'hui, je reconnais que les éditeurs avaient proposé quelque chose d'alléchant. Mais ce n'est qu'en 2007 que je sautais le pas et, je l'avoue, non sans plaisir! J'avais trouvé l'histoire originale, inattendue, et le style m'avait à l'époque beaucoup plu. La popularité discrète renforçait mon appréciation du livre ; en effet, je n'ai jamais trop aimé lorsqu'un roman ou un film devient trop célèbre. Cela avait été le cas avec Harry Potter, dont je frôlais l'indigestion à force de le voir et d'en entendre parler partout, vu et revu à toutes les sauces.

Malheureusement, Fascination connu un sort identique avec son adaptation au cinéma. La version française conservant le titre original, tout le monde se mit désormais à parler de Twilight, mot qui revenait bien trop souvent dans la bouche de jeunes filles en fleurs, et dont le comportement tournait à l'hystérie à la simple évocation d'Edward Cullen (ou devrais-je dire d' Edwwwwwwwaaaaaaaaaaaaaaaaaard!). Cette vague de folie grandissante décrédibilisa à mes yeux la saga et toute forme de littérature approchante.

Je ne m'étendrai pas sur les nombreuses publications honteusement pompées -du synopsis aux couvertures en passant par les titres- sur Fascination et qui surchargèrent ensuite les rayons des libraires. Toujours est-il qu'avec le recul, en abordant le sujet sur un forum de littérature jeunesse, une question fut amenée sur le tapis: Si parmi cette avalanche de romans fantastico-romantico-niais dissimulés derrière de (trop) jolies couvertures ne se trouvait pas quelques perles qui mériteraient d'être lues? Je me promis donc d'essayer, de temps à autres, de mettre le nez dans un des spécimen du genre (parce qu'il ne faut pas mourir idiot et qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis! haha). Peu de temps après m'être lancé ce petit défi, l'occasion se présentait de concrétiser l'expérience...

(suite au prochain post!).

dimanche 19 février 2012

La malédiction d'Old Haven - Fabrice Colin.

Editions Wiz Albin Michel, 2007 - Le Livre de Poche, 2009

    1723; l'Amérique des treize Colonies est sous le joug de l'Empereur, catholique mystique qui, aidé de sa Sainte Inquisition, fait la chasse aux puritains, aux hérétiques, et bien sûr aux sorcières. En ces temps mouvementés, la flamboyante Mary Campbel, jeune orpheline de 17 ans, quitte le couvent de Gotham où elle a toujours vécu et part s'installer dans une petite ville côtière du nom d'Old Haven, qui suscite chez elle un étrange sentiment de déjà-vu.
    Et pour cause, c'est ici que fut brulée vive Lizbeth Wickford, grand-mère maternelle de Mary... Légataire de dons exceptionnels dont elle ne soupçonnait pas l'existence, la jeune fille devra fuir Old Haven, l'Incquisition à ses trousses. Héroïne malgré elle d'un périple haletant, Mary se voit guidée dans sa quête par une amulette héritée de son aïeule, la mystérieuse peinture d'un navire en pleine tempête, et par un chat mécanique des plus attachants.
    Au cours d'un voyage initiatique à la rencontre de ses origines, elle deviendra l'enjeu majeur du conflit opposant l'Empereur à des légions de créatures diaboliques...

***

    Longtemps, ce titre nous a fait de l’œil en librairie, jusqu'à ce qu'un article lu au hasard de la blogosphère nous pousse à l'acquisition. De Fabrice Colin, nous avons (évidemment) déjà lu quelques ouvrages dans notre prime pas si lointaine jeunesse : auteur de l'imaginaire quasi-iconique de la littérature francophone, sa plume connue et reconnue méritait sans aucun doute qu'on redécouvre son talent. Lu l'été dernier pendant de nombreuses heures de temps suspendu, La malédiction d'Old Haven fut à coup sûr LA claque de nos lectures estivales 2011, LE coup de cœur qui mérite la théière d'or du blog à ce jour. Imaginez un savant (et savoureux) mélange de Journal d'une sorcière (de Celia Rees), du Seigneur des anneaux (de Tolkien), de Pirates des Caraïbes (!), le tout relevé d'une atmosphère légèrement burtonienne. Impossible ? Mais impossible n'est pas Fabrice Colin...

Le tableau de Mary?...

       Cet étrange mélange des genres aurait très certainement suscité notre propre méfiance si on nous avait présentés les choses ainsi, n'étant pas grand admirateur de fantasy, à laquelle on préfère la subtilité du fantastique. Mais Fabrice Colin, en véritable magicien des mots et du phrasé, nous offre un roman époustouflant dont le style dépasse largement ce qu'on peut trouver dans le genre, nous permettant de faire corps avec ses personnages et son intrigue. C'est d'ailleurs probablement l'une des forces incroyables de cet auteur : peu importe le registre et le caractère impossible des péripéties, les protagonistes y sont comme faits de chairs et de sentiments, et leur densité permet une identification qui nous porte sur... plus de 600 pages. 
 
New-York City -source d'inspiration réelle à la ville de Gotham- au XVIIIème siècle.
 
    Car jamais les personnages d'une fiction de fantasy auront à ce point ému le lecteur, tous autant qu'ils sont : on se reconnait en eux, on vit avec eux. On frissonne et on pleure avec eux. Cette impression de réalisme vient sans doute des nombreuses nuances que Fabrice Colin leur apporte : loin du schéma manichéen des bons contre les méchants que la littérature de jeunesse impose parfois à ses lecteurs, l'auteur a ici façonné des héros et anti-héros aux personnalités complexes, justes reflets de la nature humaine. Dans son roman comme dans la réalité, rien n'est vraiment tout blanc ou tout noir.
 
Les machines volantes de Léonard de Vinci, telles qu'on en croise dans le ciel d'Old Haven...
 
    Ces 600 pages qui passent presque trop rapidement sont qui plus est égrainées d'enthousiasmantes références littéraires et historiques venant ponctuer ce récit d'une audacieuse originalité. L'auteur puise en effet dans l’œuvre de ses prédécesseurs et dans le passé des terres américaines un terreau fertile, lequel alimente son texte tout en permettant un audacieux jeu de clin d'oeil. Jeu auquel le lecteur passionné se prêtera avec un plaisir assumé. Du décor de Gotham (surnom donné à la ville de New-York par Washington Irvong, célèbre auteur de la Légende de Sleepy Hollow) aux célèbres sorcières de Salem, des machines de Léonard de Vinci aux automates comme échappés d'une aventure steampunk (dont F.Colin est l'un des grands représentants), du Nécronomicon (mythologique ouvrage de démonologie) inventé par le romancier de l'horreur Lovrecraft en passant par Jack O'Lantern himself (qu'on croirait échappé d'un roman de L.F.Baum), La mélediction d'Old Haven foisonne et fourmille d'hommages à l'Imaginaire.

  Exemplaire du Necronomicon créé par un admirateur de Lovecraft.
 
En bref : Derrière ce qui pourrait passer pour un banal roman de fantasy jeunesse comme il en existe tant, se cache en réalité une intrigue originale d'une belle audace littéraire, entre héritage et réinvention. La malédiction d'Old Haven nous porte sur 600 pages de péripérites virevoltantes et passionnées mais, surtout, brille par son style et par ses protagonistes étonnamment humains. Une pépite.
Couverture de l'édition grand format parue chez Albin Michel en 2007, ainsi que les très belles couvertures des éditions espagnole et autrichienne.

mercredi 1 février 2012

Les Monstres de Templeton - Lauren Groff


The Monsters of Templeton, Hyperion, 2008 - Editions Plon, 2008 - Editions 10/18, 2010 - Editions Point, 2019.

« Le jour où je revins à Templeton, en pleine disgrâce, le cadavre d'un monstre mesurant près de seize mètres émergea à la surface du lac Glimmerglass. »
   Ainsi s'ouvre Les Monstres de Templeton, un roman qui balaie deux siècles d'histoire : celle d'une jeune fille à la recherche de son père, et celle d'un village, ancrée dans l'Amérique profonde, au milieu des légendes et des secrets de famille. À la suite d'une déconvenue amoureuse, Willie Upton frappe à la porte de la vieille demeure où vit encore sa mère, Vivienne, ancienne hippie devenue baptiste fervente sur le tard… Au lieu du réconfort qu'elle vient y chercher, Willie trouve un village sens dessus dessous, chamboulé par l'apparition d'un animal démesuré, et découvre un terrible mensonge : son père existe bel et bien, elle n'est pas le fruit hasardeux des amours libres de sa mère, mais bien la fille d'un homme connu et reconnu dans Templeton.
   Lancée dans une enquête à rebondissements pour retrouver son père, elle part sur la trace de ses ancêtres et reconstitue la fabuleuse généalogie qui mène à son histoire. A la fois saga familiale, quête identitaire et roman fantastique, Les Monstres de Templeton se révèle être surtout une fable captivante sur la part obscur du passé et le retour des choses cachées…

***

  Applaudi par la critique dans le monde entier, ce premier roman d'un genre nouveau est une véritable pépite, tant dans sa construction que dans les thèmes qu'il exploite. L'intrigue nous emmène à la rencontre de la jeune (et un peu paumée, il faut bien l'admettre) Willie Upton, de retour dans son village natale de Templeton, perdu dans l'Amérique profonde. C'est avec un lourd secret sur les épaules et au sortir d'un échec amoureux que l'étudiante rentre au bercail, retrouver la mère qui l'a élevée seule pour lui confier ce qui la tourmente tant. Sa mère, ancienne hippie qui lui a toujours raconté l'avoir conçue à la suite d'une nuit d'amour libre comme on en vivait au temps du flower power. Sa mère, qui descendrait du fondateur de la ville de Templeton, cité chargée d'histoire et de légendes, et d'une longue lignée de personnalités charismatiques. Quand Willie confie à sa mère le secret qui lui pèse tant, cette dernière lui en révèle un autre : son père n'était pas un inconnu rencontré à l'occasion d'une soirée hippie mais un homme de la ville. Autre indice : il descend lui aussi des fondateurs de Templeton. Si elle veut découvrir qui il est, Willie devra chercher sa résilience en fouillant dans le passé de la bourgade grâce aux archives familiales et historiques à sa disposition. Alors qu'elle entame ses recherches et fait remonter à la surface des secrets de famille depuis bien trop longtemps enfouis, une créature marine que tout le monde assimile au monstre Glimmey (sorte de Nessie local), échoue sur la plage du lac Glimmerglass... 


"Quand j'étais petite et vulnérable, les livres constituaient ma carapace. Si au beau milieu d'un livre quelque chose me rappelait mes blessures, elles paraissaient alors moins douloureuses. Ma vie matérielle était de peu d'importance; ce qui comptait, c'était cette existence éblouissante dans ma tête. Revenir aux livres était comme rentrer chez moi."

  Ce roman abondamment et joliment illustré alterne les passages au présent avec les témoignages du passé (c'est à dire les documents que découvre l'héroïne au cours de ses recherches), lesquels sont mis en images par des photographies ou gravures représentant ses ancêtres et les personnages liés à la fondation de Templeton. Si l'ensemble témoigne d'un certain romanesque dans l'intrigue qui se dessine au fur et à mesure que le lecteur reconstitue avec la protagoniste son arbre généalogique, on ne peut nier les nombreux aspects tangibles du roman. L'aspect "images d'archive" et les nombreux liens avec l'histoire américaine (immigration, colonisation, lutte des minorités...) viennent renforcer le réalisme puissant du livre, donnant presque corps à ses personnages.


  Parallèlement, cet aspect quasi documentaire est tempéré par une écriture très littéraire et particulièrement évocatrice ainsi que par quelques éléments inexpliqués qui viennent apporter un peu de sel à l'intrigue. Parmi ceux-là, la présence du monstre du lac devient un symbole particulièrement fort. Sorte de légende urbaine locale, le monstre du lac Glimmerglass émerge de l'eau un beau matin après des siècles de légendes et faits-divers à son propos. Créature des abysses et d'un autre âge que l'auteure insère là avec tout le contexte scientifique qu'on peut imaginer, le monstre Glimmey n'en reste pas loin une superbe métaphore qui accompagne la quête de l'héroïne...


  Pour autant, il faut savoir que de Glimmey à Templeton, tout est vrai. Enfin, presque. Templeton est directement inspirée de la véritable ville de Cooperstown, dans l'état de New-York, où a grandi Lauren Groff. La première motivation de l'écrivaine était de rédiger un ouvrage documentaire sur la fondation de la ville, riche en légendes (dont le monstre Glimmey du véridique lac de Glimmerglass) et en anecdotes, avant que son manuscrit ne prît finalement la forme d'une fiction. Aussi décida-t-elle de rebaptiser la ville Templeton, nom alternatif de Cooperstown donné par le célèbre auteur James Fenimore Cooper (Le dernier des Mohicans) dans certains de ses écrits. Dès lors, la romancière s'amusa à recouper des éléments historiques véritables du passé de la cité à certaines légendes locales (dont la plupart de J.F.Cooper lui-même, dont l'ombre plane sur ce livre d'un bout à l'autre) pour enrichir la trame de son récit.

Gravure ancienne de Cooperstown.

  Et autant le dire : ça fonctionne ! Par son héroïne attachante et sa galerie foisonnante d'ancêtres, Les monstres de Templeton est un page turner avec lequel on remonte le temps jusqu'à la révélation finale. Dense et riche, ce roman est à la fois habité par une âme romanesque et un véritable souffle historique, en même temps qu'il porte une profonde réflexion sur les secrets de famille qui, à l'image du monstre du roman, finissent toujours par refaire surface.

"Nous avons besoin d'une horde d'aïeux derrière nous pour tenir debout. Plus le futur est effrayant, plus il semble compliqué, plus nous avons besoin de prendre appui sur notre passé."

En bref : Puisant dans la fondation de l'Amérique et ses légendes, recoupant patrimoine historique et patrimoine littéraire, Lauren Groff nous sert un roman dense et foisonnant où la généalogie de l'héroïne devient sa quête de vérité. Parsemé de dizaines de croquis, gravures, et autres portraits familiaux qui nous font traverser les siècles avec délice, ce livre possède une dimension presque vivante, réelle, qui ne peut qu'émouvoir le lecteur et le captiver jusqu'à la révélation finale.