Pages

jeudi 9 mars 2017

Blood family - Anne Fine

Doubleday, 2013 - Éditions L'école des Loisirs (trad. de D.Kugler), 2015.


  Il revient de loin, Edward. Jusqu'à l'âge de sept ans, il a vécu enfermé dans un appartement avec sa mère, sous l'emprise d'un homme alcoolique et violent. Lorsqu'il est délivré de son bourreau, il peut enfin découvrir le monde qui l'entoure. Mais est-il libre pour de bon?
  Recueilli par les services sociaux, puis ballotté de famille d'accueil en famille d'adoption, Edward se construit en tentant d'oublier son passé. Mais au fil des années ce passé le suit pas à pas et ne cesse de se rappeler à lui. La force, le courage et la volonté lui suffiront-ils pour lui échapper?



***

  Anne Fine, c'est cette grande auteure britannique , principalement connue en France pour sa série du Chat assassin et le très célèbre Mrs Doubtfire. Après le très angoissant, inattendu, et réussi  Passage du diable dévoré l'an dernier, ce roman également inscrit dans une veine très sombre avait de quoi titiller ma curiosité. Le synopsis laissait d'ailleurs un sentiment de "déjà lu", évoquant fortement celui du Passage du diable! Anne Fine se plagiant elle-même? Non, impossible, il devait forcément y avoir autre chose à découvrir derrière ce résumé très succinct.



  Et effectivement : exit le contexte rétro et l'atmosphère mi-hitchockienne, mi-fantastique (on s'amusera cependant d'un clin d’œil plus qu'appuyé au Passage du diable, pour ceux qui avaient noté la similitude des synopsis). Ici, l'histoire n'a nul besoin d'effet de style ou d'ambiance, le glauque est celui d'une réalité tout ce qu'il y a de plus vraie, Anne Fine abordant cette fois le placement d'un enfant retiré à sa famille maltraitante. En temps normal, j'évite à tout prix ce que j'ai l'habitude d'appeler les "lectures ou films d'éduc" : étant de la profession et ayant moi-même eu une expérience d'assistant socio-éducatif dans un service d'Aide Sociale à l'Enfance, j'ai vite le nervomètre qui grimpe devant ce type de récit, qui accumule régulièrement les clichés. Mais là, j'avoue, le nom d'Anne Fine m'a incité à passer outre mes codes habituels.



  Et j'ai bien fait, car ce roman est une pépite! Anne Fine s'attaque à un sujet d'autant plus complexe qu'il se trouve au croisement de nombreux autres ( réalité sociale, famille, psychologie, adolescence, et même les addictions ) tout en parvenant à éviter les écueils classiques (et autant dire que je la guettais au tournant). Alors certes, on pourrait lui reprocher de raconter une famille dont l'horreur touche à tous les extrêmes quand la réalité des situations de maltraitance s'exprime souvent de façon plus sournoise, mais l'image a le mérite de parler à tout le monde, surtout qu'elle traite le tout avec grande pertinence. Son regard, d'un grand réalisme, s'écarte progressivement de la situation initiale pour raconter au fil de plusieurs narrateurs l'évolution du jeune garçon au fil de son placement. La voisine curieuse qui a prévenu les travailleurs sociaux, l'éducateur chargé de placer l'enfant, la famille d'accueil, la psychologue, la sœur adoptive, l'institutrice, et évidemment Eddie lui-même. Du personnage secondaire simplement de passage aux protagoniste récurents, cette polyphonie permet une pluralité des points de vue qui évite de tomber dans des raisonnements trop étroits.



  Plus encore, Anne Fine vient aborder avec finesse la question du déterminisme biologique (mais si, vous savez, même Zola en parlait déjà!), une donnée qui entre en compte dans la parcours de ces jeunes sauvés in extremis de situations familiales pathogènes : quel héritage psychologique recevront-ils de ces parents violents? Le mal se transmet-il, ressurgit-il d'une génération à l'autre? Pourquoi cette impression d'un destin auquel on ne peut échapper? Le thème, d'autant plus risqué qu'on est en littérature jeunesse, est traité avec sagacité et profondeur, sans tomber dans les clichés vains comme on aurait pu le craindre.

En bref : Anne Fine montre ici l'étendue de son talent en abordant le parcours d'un enfant à vif, hanté par une histoire familiale violente. Perspicace et fin, son roman parvient à aborder le passage à l'âge adulte via l'épineuse question de l'héritage psychologique, et traite du placement de l'enfant en évitant les écueils propres au sujet. Aussi intéressant pour les plus jeunes que pour les lecteurs adultes, ce roman coup de poing est une réussite dans le genre.

Et pour aller plus loin...



Découvrez l'excellent Passage du diable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire