La liberté est une chose précieuse
Londres, 1850. L’Exposition universelle va bientôt ouvrir ses
portes dans le tout nouveau Crystal Palace, et les badauds se pressent
pour venir admirer cette merveille. Parmi eux, Iris, modeste employée
dans un magasin de poupées, à la beauté mâtinée de difformité, qui rêve
de devenir artiste peintre. Et puis il y a Silas, taxidermiste amateur
de macabre et de curiosités, désireux d’y exposer ses créatures. Ces
deux-là se croisent, et leurs destins en seront à jamais bouleversés.
Iris accepte bientôt de poser pour Louis Frost, un jeune peintre
préraphaélite. Avec lui, le champ des possibles s’élargit, et le modèle,
avide de liberté, découvre peu à peu l’art et l’amour. Mais c’est
compter sans Silas, qui rôde non loin de là, tapi dans l’ombre, et n’a
qu’une idée : faire sienne celle qui occupe toutes ses pensées, jusqu’à
l’obsession…
Campée dans un Londres à la Dickens, La Fabrique de poupées met en scène la détermination d’une femme à s’affranchir de sa condition. C’est aussi un conte cruel, raffiné et résolument moderne, au suspense maîtrisé, qui explore avec une précision chirurgicale les frontières entre l’amour, le désir et la possession.
Campée dans un Londres à la Dickens, La Fabrique de poupées met en scène la détermination d’une femme à s’affranchir de sa condition. C’est aussi un conte cruel, raffiné et résolument moderne, au suspense maîtrisé, qui explore avec une précision chirurgicale les frontières entre l’amour, le désir et la possession.
***
"Aussi loin qu'il se souvienne, sa mémoire a toujours englouti des pans entiers de son existence, demeurant aussi muette qu'un daguerréotype avant qu'il soit exposé aux vapeurs de mercure."
Don't judge a book by its cover, disent nos voisins anglais, et pourtant, il arrive que les apparences ne soient pas trompeuses. Difficile, en tout cas, de ne pas céder à l'appel de cette première de couverture splendide de minutie et de symbolique : La fabrique des poupées, premier roman de la Britannique Elizabeth Macneal, nous plonge dans son univers dès ce premier visuel très prometteur. Petit retour sur l'intrigue avant de vous donner notre avis...
Dans le Londres victorien de la moitié du XIXème siècle où se côtoient miséreux et artistes bohèmes, le Crystal Palace s'apprête à ouvrir ses portes pour la toute nouvelle exposition universelle. Iris, jeune rousse à la beauté sans pareil mais handicapée par une clavicule difforme, vit tant bien que mal de la condition à laquelle la société l'assigne. Issue d'un milieu très modeste, elle est contrainte de travailler avec sa jumelle Rose dans l'horrible boutique de poupées de porcelaines de l'antipathique Mrs Salters, pour envoyer leur maigre salaire à leurs parents. Rose, autrefois la plus jolie des deux mais aujourd'hui au cœur et au visage gangrenés par la petite vérole, n'a de cesse de reprocher en silence sa déchéance et son existence à sa sœur. Iris, elle, rêve d'autre chose. Elle rêve de plus. Chaque nuit, elle s'enferme dans la cave et s'exerce au dessin et à la peinture, dans le but d'exposer un jour aux côtés des grands maîtres. Le hasard, ou la Machine Infernale du destin, met sur sa route deux individus qui changeront sa vie à jamais : Silas, un taxidermiste passionné de cabinets de curiosités et fasciné par sa beauté, et Louis Frost, peintre préraphaélite qui rêve de faire d'Iris son modèle. Parce que poser pour un peintre, dans la bonne société victorienne, se rapporte presque à de la prostitution, Iris décide de monnayer ses séances de pose contre des cours de peinture, afin de se donner une chance de réussir un jour par elle-même... sans avoir que son image, objet de désir et de convoitise, la mettra dans un périlleux danger...
Après deux manuscrits refusés, Elizabeth Macneal rencontre aujourd'hui la consécration avec La fabrique des poupées, déjà best-seller dans de nombreux pays moins d'un an seulement après sa publication. C'est sa fascination pour la peinture préraphaélite qui lui a soufflé l'idée de ce roman, sa motivation première étant d'écrire un récit historique sur le personnage de Lizzie Siddal. Lizzie Siddal, issue d'un milieu très modeste, travaillait dans une chapellerie avant d'être repérée par le peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti, qui décida d'en faire sa muse. D'abord modèle, Lizzie Siddal fut entre autres représentée sous les traits d'Ophélie (le personnage d'Hamlet, dans ce qui est peut-être le tableau de plus célèbre du préraphaélisme), puis se fit connaître par ses propres œuvres picturales et poétiques. Partant d'une héroïne à la situation similaire, Elizabeth Macneal se prononce finalement pour une fiction afin de ne pas voir son imagination trop bridée par la réalité des faits historiques.
Lizzie Siddal en Ophélie...
Grand bien lui en a pris : le résultat est une petite merveille, fignolée avec soin, digne d'un cabinet de curiosités, qui dépasse de loin ce qu'on attendrait d'une première œuvre publiée. Parce que le cadre historique était son inspiration première, le contexte est restitué avec la minutie du spécialiste : c'est une chose de raconter le XIXème siècle avec style, c'en est une autre de le faire également avec réalisme. Qu'elle évoque les conditions sociales dans les bas quartiers, les codes qui régissent la vie d'une femme sous l'ère victorienne, où qu'elle pose tout simplement (si tant est que cela soit simple) l'ambiance des ruelles londoniennes, les bases solides et garantes d'une bonne fiction historique sont là.
Le Crystal Palace de la grande exposition universelle de 1851.
Dans l’effervescence de l'exposition universelle imminente, Elizabeth Macneal restitue avec talent la naissance du mouvement préraphaélite. Pour ce faire, elle imagine un personnage de peintre fictif du nom de Louis Frost (peut-être partiellement inspiré de l'artiste William Edward Frost, dont les œuvres ont pu occasionnellement être associées au préraphaélisme), membre de la FPR (Fraternité Préraphaélite), qui intronise le lecteur dans ce milieu unique. On y côtoie ainsi des peintres réels tels que Millais ou Rossetti, on croise Lizzie Siddal au cours d'un dîner, et on capture çà et là des bribes d'événements ou anecdotes liées à l'existence de ce mouvement pictural. L'auteure, en passionnée du sujet, montre à travers sa fiction l'étendue des connaissances qu'elle a accumulée sur la chronologie ou les codes de l'art préraphaélite.
Autre élément capital de ces œuvres, central, même : la place de la femme. C'est là un focus que le préraphaélisme partage avec le roman d'E.Macneal, en dehors de la stricte évocation des codes du mouvement. Figures symboliques avant d'être des personnes, les modèles fétiches étaient le plus souvent des femmes rousses idéalisées, que l'histoire du préraphaélisme a rendu célèbre dans le rapport ambivalent qu'elles entretenaient parfois avec les peintres – à moins que ce ne soit l'inverse – et ce alors que nombre d'entre elles ambitionnaient avant tout d'exister en tant qu'artiste. La fascination que représente la femme chez les préraphaélite, l'obsession qu'elle vient cristalliser, Iris en est aussi le symbole : tour à tour objet des projections de Louis et de Silas, c'est une jeune femme qui se bat pour ce qu'elle souhaite devenir, et non plus rester une image que l'on désir posséder..
Dépassant ainsi la simple restitution historique, l'auteure développe une métaphore forte, laquelle se dessine à travers le destin de personnages émouvants, charismatiques et subtilement construits, même dans l'issue la plus sombre à laquelle l'un d'entre eux se destine. A ces portraits tout en nuances s'ajoute une maîtrise quasi parfaite de la structure narrative (quasi-parfaite car on ne peut nier que le dernier tiers du livre souffre de quelques atermoiements), dont le déroulé vient surprendre plus d'une fois le lecteur. L'écriture très visuelle d'E.Macneal, idéale pour un roman évoluant dans le milieu de la peinture, et sa distillation impeccable de la tension dramatique confèrent à La fabrique des poupées un souffle romanesque dans le sens le plus noble du terme, au croisement de plusieurs genres littéraires.
En bref : A la fois fiction historique, roman sur l'Art et même thriller psychologique, La fabrique des poupées est un premier roman brillant au croisement des influences littéraires. Écriture, construction narrative et personnages touchent à la même réussite dans ce conte victorien sur le désir et l'ambition qui joue des contrastes entre ombre et lumière. Un petit bijou dont on ne s'étonne pas que la télévision anglaise ait déjà acquis les droits à l'adaptation...
William Edward Frost
"Un vrai peintre perçoit le monde comme un tableau, une série d'angles et de formes, une succession de mouvements susceptibles d'être figés et capturés sur la toile."
Autre élément capital de ces œuvres, central, même : la place de la femme. C'est là un focus que le préraphaélisme partage avec le roman d'E.Macneal, en dehors de la stricte évocation des codes du mouvement. Figures symboliques avant d'être des personnes, les modèles fétiches étaient le plus souvent des femmes rousses idéalisées, que l'histoire du préraphaélisme a rendu célèbre dans le rapport ambivalent qu'elles entretenaient parfois avec les peintres – à moins que ce ne soit l'inverse – et ce alors que nombre d'entre elles ambitionnaient avant tout d'exister en tant qu'artiste. La fascination que représente la femme chez les préraphaélite, l'obsession qu'elle vient cristalliser, Iris en est aussi le symbole : tour à tour objet des projections de Louis et de Silas, c'est une jeune femme qui se bat pour ce qu'elle souhaite devenir, et non plus rester une image que l'on désir posséder..
Dépassant ainsi la simple restitution historique, l'auteure développe une métaphore forte, laquelle se dessine à travers le destin de personnages émouvants, charismatiques et subtilement construits, même dans l'issue la plus sombre à laquelle l'un d'entre eux se destine. A ces portraits tout en nuances s'ajoute une maîtrise quasi parfaite de la structure narrative (quasi-parfaite car on ne peut nier que le dernier tiers du livre souffre de quelques atermoiements), dont le déroulé vient surprendre plus d'une fois le lecteur. L'écriture très visuelle d'E.Macneal, idéale pour un roman évoluant dans le milieu de la peinture, et sa distillation impeccable de la tension dramatique confèrent à La fabrique des poupées un souffle romanesque dans le sens le plus noble du terme, au croisement de plusieurs genres littéraires.
En bref : A la fois fiction historique, roman sur l'Art et même thriller psychologique, La fabrique des poupées est un premier roman brillant au croisement des influences littéraires. Écriture, construction narrative et personnages touchent à la même réussite dans ce conte victorien sur le désir et l'ambition qui joue des contrastes entre ombre et lumière. Un petit bijou dont on ne s'étonne pas que la télévision anglaise ait déjà acquis les droits à l'adaptation...
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Presses de la Cité pour cette lecture.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire