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samedi 11 janvier 2020

Le visiteur de minuit - Marie-Aude Murail (texte) & Christel Espié (illustrations).


Dans J'aime Lire n°134, 1988 - Éditions Bayard jeunesse (illustrations de Peter Day), 1993, 2001 - Éditions Albin Michel Jeunesse (illustrations de C.Espié), 2018.

  A Londres, en cette fin de XIXe siècle, Jason Anderson possède tout ce dont un homme peut rêver : de l'or, de l'argent, et tant de bateaux qu'il ne prend même plus la peine de les compter... Pourtant, il n'est pas heureux. Béatrix, sa fille unique chérie, adorée, est atteinte d'une terrible maladie. Si elle n'en guérit pas avant ses dix ans, elle mourra.
   Jason se prend, alors à jalouser son misérable, jardinier, le vieux Mac Neil, qui n'a pas un sou vaillant, mais quinze enfants en parfaite santé. Une nuit, dans un rêve, le diable vient souffler à Jason une idée, vraiment... diabolique ! 

***

  On ne présente plus Marie-Aude Murail, grande auteure de littérature jeunesse française, dont l'impressionnante bibliographie a toujours rencontré un vif succès auprès des critiques. Éclectique et passionnée, cette écrivaine de talent n'est jamais là où on l'attend et s'illustre dans des genres toujours très différents avec une égale réussite. Et en parlant de s'illustrer, elle s'associe cette fois avec une artiste de renom, Christel Espié (à qui on doit la superbe mise en image du Fantôme de l'opéra édité chez Gautier Languereau en 2017, mais aussi plusieurs albums adaptés des Aventures de Sherlock Holmes), pour Le visiteur de minuit, en fait une réédition de l'un des premiers textes de l'auteure.


  Publié pour la première fois dans J'aime Lire dans les années 80 (en 1988 exactement) et alors illustré par Peter Day, Le visiteur de minuit est un court roman pour la jeunesse qui puise sa source dans les inspirations Dickensiennes dont Marie-Aude Murail s'avoue elle-même férue. Le texte, légèrement retravaillé, sortira en poche chez Bayard en 1993, réédité en 2001, avant de bénéficier de ce nouveau format d'album chez Albin Michel.


  L'histoire est restée la même : Dans le Londres glacial de la fin d'année 1854, le riche homme d'affaires Jason Anderson se désespère de voir son unique enfant mourante. La petite Béatrix est en effet atteinte d'une obscure maladie qui devrait avoir raison d'elle avant ses dix ans prévus pour le printemps. Le vieux McNeil, jardinier d'Anderson, lui, a eu la chance d'avoir quinze enfants tous bien portants, dont le petit dernier, Fergus, est du même âge que Béatrix. Le riche bourgeois jalouse son domestique au point de souhaiter avec un vif désir que "le diable l'emporte"... Il ne croit pas si bien dire ; or, en la matière, il faut toujours se méfier de ce que l'on souhaite, car à minuit ce soir là, le Diable se présente en personne à la porte d'Anderson pour accéder à sa requête : Béatrix vivra, à condition que le jeune Fergus vienne passer du temps auprès d'elle. Au fil des jours, la santé de la fillette s'améliorera tandis que celle du garçon se dégradera, le Diable échangeant ainsi leurs destins. A demi convaincu, croyant même le lendemain que cette visite n'était qu'un illusion, Anderson fait néanmoins venir le jeune garçon à son domicile pour tenir compagnie à sa fille, mettant en marche la terrible machine infernale...


  L'inspiration Dickensienne, évoquée plus haut, est évidente. De celui qu'elle nomme son "père spirituel", Marie-Aude Murail a capté la restitution du Londres du XIXème, partagé entre les différentes classes sociales, ainsi que cette atmosphère de conte hivernal très souvent associée à l'écrivain britannique. La présence du Diable et la notion de pacte satanique évoquent également les univers d'autres auteurs classiques de la même époque, tel qu'Oscar Wilde, Edgar Poe, voire  l'ambiance du mythe de Faust. Les thématiques des saisons (la fillette mourante en hiver, puis la guérison avec le renouveau du printemps) et de l'enfant alité renvoient aussi par moment à certains éléments du célèbre Jardin secret de F.H.Burnett. Au croisement de ces délicieuses références, l'intrigue de Marie-Aude Murail ne peut-être qu'un régal.


  Et pourtant, malgré les excellents avis qui parsèment la toile, oserais-je partager ma légère déception? Si les inspirations victoriennes sont excellentes, l'univers merveilleusement restitué, et le potentiel bien présent, le scénario n'aboutit, à mon sens, pas totalement. La conclusion est, certes, toute en douceur et clôt l'histoire d'une jolie manière, mais la tension dramatique, les conséquences du pacte diabolique (dont on découvre souvent qu'il est un jeu de dupe) et comment les personnages parviennent à s'en affranchir, tout ça est vitement expédié et les protagonistes semblent sortir de leur mauvaise passe grâce aux effets conjugués du temps et du hasard, ce qui donne l'impression d'un soufflé redescendu trop vite. Quelle dommage que Marie-Aude Murail n'ait pas étoffé quelque peu ces aspects de son texte pour cette superbe réédition!



  Car superbe elle reste : grâce aux images de Christelle Espié, habituée à illustrer des textes issus du patrimoine littéraire, Le visiteur de minuit se voit réapproprié un peu de cette âme classique qui tient lieu d'inspiration au texte. Véritables tableaux qui évoquent l'impressionnisme, les dessins de C.Espié sont d'une profondeur saisissante et d'une rare délicatesse. Les représentations féériques du Londres enneigé, particulièrement évocatrices, rivalisent de beauté avec le soin apporté aux visuels des tissus et des tapisseries, dont la thématique végétale prégnante rejoint la symbolique saisonnière évoquée plus haut.

De l'impressionnisme à Christel Espié...

En bref : Un conte d'hiver victorien qui puise autant chez Charles Dickens que chez Frances H. Burnett, avec un soupçon de gothique façon mythe de Faust. Ces inspirations posent les bases solides d'une intrigue prometteuse qui reste malheureusement un peu trop simpliste dans son déroulement, là où il y avait pourtant la promesse d'un traitement plus approfondi. La mise en images de cette toute nouvelle édition, assurée par la talentueuse Christel Espié, véritable héritière de l'impressionnisme, confère une dimension visuelle unique à cet album d'une grande beauté. 


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