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lundi 11 janvier 2021

Peter Pan - un film de P. J. Hogan d'après J. M. Barrie.

 Peter Pan

Un film de P. J. Hogan, écrit par P. J. Hart et M. Goldenberg d'après Peter Pan de J. M. Barrie.

Avec : Jeremy Sumpter, Rachel Hurd-Wood, Jason Isaacs, Ludivine Sagnier, Olivia Williams...

Sortie originale : 25 décembre 2003
Sortie française : 4 février 2004
 
    Chaque soir, Wendy émerveille ses jeunes frères avec ses fantastiques récits épiques, jusqu'au jour où son père décrète qu'elle est désormais trop grande pour partager leur chambre... Ce que les adultes ignorent, c'est qu'un autre garçon, Peter Pan, se passionne lui aussi pour les histoires de Wendy. Il vient de loin pour les écouter. Sa soudaine apparition va marquer le début d'aventures aussi fabuleuses qu'exaltantes. A travers le ciel étoilé, Peter, les enfants et la minuscule fée Clochette prennent le chemin d'un endroit où le rêve est roi : le Pays Imaginaire. Là-bas, Wendy et ses frères découvrent les Garçons Perdus et leur repaire souterrain. Mais le danger rôde et l'infâme Capitaine Crochet est prêt à tout pour remporter le combat qui, depuis longtemps, l'oppose à Peter...

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    Après avoir évoqué le film Hook il y a peu, il était difficile de ne pas parler du plus récent Peter Pan. Tourné en 2002, ce film américain marque un tournant dans l'histoire des adaptations de l’œuvre de Barrie : il est la première transposition officielle depuis le long-métrage animé par Walt Disney en 1953 et aussi la première version dans laquelle Peter est interprété par un acteur masculin (jusque-là et si on excepte Hook qui est davantage un détournement, le rôle au théâtre ou au temps du cinéma muet était joué par des actrices adultes). Cette nouvelle adaptation fut bien évidemment rendue possible grâce à l'accord du Great Ormond hospital, qui détient les droits d'auteur depuis 1929. Lorsqu'il sort dans les salles en 2003, ce Peter Pan a une longueur d'avance sur le regain d'intérêt que le cinéma allait porter aux contes quelques années plus tard. Film familial par excellence annoncé pour les fêtes de Noël, ce long-métrage n'en était pas moins attendu au tournant.
 

    Il faut dire qu'entre la version la plus populaire de Disney et le Hook de Spielberg, le film de P.J.Hogan n'avait pas une place facile : la première fait souvent office de référence mais est dépossédée d'une grande partie de l'essence de l’œuvre originale, et la seconde, très proche de Barrie dans l'esprit, proposait en même temps une totale réinvention de l'histoire. Dans quelle direction orienter ce nouveau Peter Pan? Comme souvent pour les classiques multi-adaptés à l'écran, il semble que cette nouvelle adaptation porte en elle un peu de toutes les précédentes... C'est en tout cas ce à quoi on conclut après une analyse en profondeur du film. Les premières critiques visibles sur la toile reprochent souvent les trop nombreuses similitudes avec le dessin-animé Disney, ce qui serait mettre en boite le film beaucoup trop rapidement car ce Peter Pan se rapproche à plus d'un titre du matériau d'origine, et souvent avec réussite.
 

    Pour le démontrer, attardons-nous en premier lieu sur le personnage principal de l'histoire, le point fort de ce film. Campé par le jeune Australien Jeremy Sumpter (qui a bien grandi depuis), le Peter Pan de P.J.Hogan est – ouf – beaucoup plus complexe que son homologue animé, et peut-être même encore plus fidèle au personnage original que l'interprétation (forcément différente au vu du retournement de situation de Hook) de Robbin Williams. Physiquement, tout d'abord : on oublie les collants verts et le chapeau de Robin des Bois pour une tenue de feuilles et de lierre qui correspond totalement à la description de Barrie. Psychologiquement, ensuite : le traitement du personnage dans ce film prend les bons risques pour rester fidèle à l'esprit du livre et de la pièce de théâtre, quitte à "écorcher" un peu les aspects sympathiques du garçon tels qu'on croyait les connaitre. En effet, Peter est ici un vrai garnement au sens premier du terme ; jamais sérieux, turbulent et parfois même agaçant dans son rôle de petit chef égocentrique, il est donc beaucoup plus proche de l’œuvre originale que les précédentes interprétations. Comme dans le livre également, le scénario retient l'absence totale de mémoire du personnage, qui participe à lui donner une certaine densité. Jeremy Sumpter livre une prestation très intéressante et s'avère particulièrement crédible dans le rôle, pour lequel il s'est entrainé pendant plusieurs mois pour assurer lui même les cascades et les combats à l'escrime.
 

    Face à lui, le capitaine James Crochet, interprété par Jason Isaacs (qu'on avait l'habitude de voir avec les cheveux peroxydés en Lucius Malefoy dans la saga Harry Potter) mérite aussi qu'on lui consacre quelques lignes, car le traitement du personnage est beaucoup plus satisfaisant que dans les précédentes adaptations! Certes, on adorait rire avec le Crochet de Disney ou avec Dustin Hoffman mais sans même mentionner que le crochet est cette fois du bon côté (main droite, et non gauche), on a enfin un Crochet un peu plus sombre. Enfin, dans une certaine mesure car peut-être là encore de peur d'effrayer les plus jeunes, le scénario contrebalance les aspects les plus noirs du personnage par des scènes plus légères. Si cela peut être au service de la mythologie peterpanesque (le capitaine, découvrant que l'esprit de Peter est tout entier accaparé par Wendy, se sent délaissé dans cette relation à mort qui semblait tant monopoliser l'intérêt du jeune garçon jusque là : intéressant quand on connait l'étrange lien qui attache les deux personnages dans le roman), c'est malheureusement encore trop souvent pour le ridiculiser (les dernières secondes avant sa mort, pendant lesquelles il se débat au-dessus de la gueule ouverte du crocodile, par exemple, sont assez absurdes voire cartoonesques). Néanmoins, tout comme pour Jeremy Sumpter en Peter Pan, Jason Isaacs semble être LE choix le plus judicieux d'alors pour ce rôle.
 

    Concernant les autres personnages, admettons qu'ils sont beaucoup moins charismatiques : même Wendy, jouée par Rachel Hurd-Wood qui crèvera l'écran quelques années plus tard dans Le parfum, manque de relief et nous est rapidement un peu trop agaçante. On oublie assez vite Jean et Michael (mais comme dans le livre, après tout), Mouche nous est sympathique, mais sans arriver à la cheville de Bob Hoskins, et Lili la Tigresse, si elle est jouée par une vraie indienne, souffre malheureusement d'un manque de personnalité criant (ce qui est dommage car la seule réplique dont elle honore le film, en vraie langue iroquoise, laissait présager un vrai tempérament). Clochette, interprétée par la frenchie Ludivine Sagnier, n'est pas totalement convaincante non plus : elle évoque beaucoup la Clochette de Disney, mais sans son élégance froide. Ici très caricaturale, la fée Clochette du film est toute en grimaces et en grognements, comme pour ne pas faire trop d'ombre au couple Peter/Wendy (un sujet sur lequel ou reviendra tout à l'heure). 
 

    Les parents Darling sont, tout comme dans le livre, particulièrement mis en avant dans le film (alors qu'ils ne font qu'une brève apparition dans le dessin-animé). Cela ne fonctionne pas toujours très bien pour Mr Darling (également joué par Jason Isaccs, en clin d’œil aux versions théâtrales dans lesquelles Mr Darling et Crochet étaient interprétés par le même comédien) : si la personnalité très extrême de ce personnage passe sans problème dans un roman jeunesse, cela fonctionne évidemment moins bien à l'écran. En revanche, Olivia Williams est un véritable délice dans le rôle de Mrs Darling. Un regard, une voix, la façon dont la caméra s'attarde sur la douceur de son visage... tout nous renvoie à la chaleur maternelle du personnage dépeint par James Barrie.
 

    Le scénario recherche sincèrement à se rapprocher de l’œuvre originale tout en la rendant accessible à l'écran, un pari compliqué tant la magie du roman tient à son écriture imagée et à ses superbes métaphores, difficilement transposables. Néanmoins, le film parvient à intégrer l'image du baiser suspendu à la bouche de Mrs Darling, et à l'utiliser pour Wendy comme signe de son entrée à venir dans l'âge adulte ; dans la continuité, le scénario n'oublie pas la scène du dé à coudre et parvient à l'utiliser à bon escient à plusieurs reprises. Il est également intéressant de noter l'existence d'une fin alternative – ou en tout cas d'une scène finale coupée au montage – fidèle à la fin du livre : Peter revenant des années plus tard dans la chambre de Wendy pour y rencontrer sa fille, Jane. 
 
La fin malheureusement jamais utilisée pour conclure le film...
 
    On a évoqué précédemment que l'ombre de Disney planait encore très fortement sur ce film qui, pourtant, aurait pu choisir de s'en affranchir totalement : outre l'allure de la fée Clochette, on sent le regret de ne pouvoir utiliser le rocher du crâne (le rocher en question étant une invention de Disney et donc protégé par de solides droits d'auteur) dans la scène de sauvetage de Lili la Tigresse ; à la place et pour recréer une atmosphère similaire, P. J. Hogan et M. Goldenberg imaginent un fort sombre et poisseux en bord de mer... qui nous fait finalement beaucoup regretter l'absence de rocher du crâne (qui avait une résonance plus significative, relativement à l'imaginaire de la piraterie). Le retour à Londres évoque là aussi beaucoup Disney, avec l'envolée dans les airs du bateau de Crochet pour raccompagner les Darling chez eux...


    De façon générale, si la mise en scène évoque dans certains de ses plans (ou même dans son esthétique aux couleurs un peu trop saturées) le long-métrage animé de 1953, les dialogues, quant à eux, reprennent souvent au mot près ceux du texte de Barrie, un régal pour qui a lu le livre et craignait que cette version manque de profondeur. Cela n'empêche pas pour autant le réalisateur et son collègue scénariste de prendre certaines libertés, la plus importante étant dans la direction qu'emprunte la relation entre Peter et Wendy. A l'évidence, P. J. Hogan fait partie des grands frustrés de l'absence d'une idylle concrète entre les deux personnages! Sans totalement changer les dialogues entre eux mais en incrustant des scènes symboliquement fortes (la danse dans les bois, notamment) ou en supprimant certains autres éléments (Lili la Tigresse n'est désormais plus attirée par Peter, mais par John Darling, faisant par la même une concurrente de moins pour Wendy), ce film pousse un peu les limites très claires posées par Barrie dans le roman : alors que le Peter de papier n'a pas l'entendement suffisant pour comprendre les allusions de Wendy, on sent ici un vrai tiraillement entre sa vie d'éternelle petit garçon et l'infime mais concrète tentation de se laisser séduire par la jeune fille. Sacrilège? Oui et non. Si cela amène les deux tourtereaux à échanger un baiser (absent de l’œuvre initiale mais qui nous remémore l'orientation prise dans Hook) qui permet à Peter de retrouver une confiance suffisante pour vaincre Crochet, cette prise de liberté très risquée ne change pas le sens de l'histoire et les scénaristes s'empressent à la dernière minute de rejoindre le "cahier des charges" pensé par J. M. Barrie. Autre détail intéressant : l'intrigue s'amuse à faire de Wendy une figure forte qui n'hésite pas à prendre les armes (et qui se laisse séduire par la proposition de Crochet de rejoindre la piraterie... à moins que ce ne soit par Crochet tout court?).


    Malgré les éléments évoquant Disney ou les prises de libertés du scénario, le Peter Pan de P. J. Hogan propose une adaptation très intéressante qui fait plus d'une fois honneur à la pièce de théâtre et au roman. Certaines scènes parviennent à distiller ce qui fait toute la singularité de l’œuvre, notamment dans ce qui contribue à complexifier la nature du personnage, sujet de magie autant que de danger. A titre d'exemple, on peut évoquer la courte mais puissante scène du départ de Wendy au Pays Imaginaire : les paroles que Peter lui chuchote à l'oreille pour la convaincre de s'envoler et d'oublier les adultes tandis que la voix off de la narration accompagne la course des parents jusqu'à la chambre, espérant qu'ils arrivent à temps pour, peut-être, l'en empêcher. Le choix est laissé au jeune spectateur de mesurer les éventuels risques d'accompagner l'enfant qui ne grandit jamais...



En bref : Une bonne adaptation du Peter Pan de James M. Barrie, qui parvient en outre à restituer un peu de la complexité de l’œuvre originale. Si l'ombre de Disney plane encore un peu sur cette version, cela pourra permettre aux enfants qui ne connaissent que le dessin-animé de les accompagner vers le roman, auquel ce film peut être une belle introduction. Notons au passage un Peter Pan très convaincant en la personne du jeune Jeremy Sumpter, face à un capitaine Crochet un peu plus glaçant que ses prédécesseurs. Mine de rien, la barre sera haute pour la future version en live action de Disney...
 
 
Et pour aller plus loin...

- Lisez ou redécouvrez le roman original :
 
 

- Visionnez Hook, superbe réinterprétation par Steven Spielberg :
 
 

- Allez voir notre chronique de Peter Pan, le musical qui se joue tous les ans au théâtre Bobino :
 
 

2 commentaires:

  1. Il me paraît quand même davantage réussi que l'adaptation avec Hugh Jackman en Crochet (qui m'avait plu mais sans plus...). Doux week-end imaginaire ! ^_^

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    1. La version avec Hugh Jackman n'était pas à proprement parler une adaptation :) "Pan", sorti en 2015, était un préquel qui proposait d'imaginer les origines de Peter Pan avant l'histoire racontée par Barrie. Je n'ai pas tellement adhéré (tu penses bien que j'ai pourtant foncé au cinéma au premier jour de projection!) : outre l'époque, erronée (le film situe l'action pendant la Seconde Guerre mondiale... hum hum), le scénario "casse" une bonne partie des symboles constitutifs de la mythologie de Peter Pan, et ce même si certaines idées n'étaient pas mauvaises. Hugh Jackman ne joue pas Crochet mais un autre pirate qui se fera en quelques sortes destitué par le personnage amené à devenir le futur Capitaine Crochet. Les meilleurs éléments de ce films semblaient honteusement pompés sur une mini-série anglo-américaine de 2012 : "Neverland" (rien à voir avec le film de 2004, hein) / "Peter Pan et le pays imaginaire" en VF , et qui imaginait déjà un prequel au Peter Pan de Barrie, avec un scénario beaucoup plus accrocheur (c'est le sujet de mon prochain article) et un casting convainquant. :)
      Ah, et une autre façon de mesurer la réussite d'une adaptation peter-panesque : j'ai forcément les glandes lacrymales qui picotent devant un bon Peter Pan. ;)

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