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jeudi 17 juin 2021

Au service secret de Marie-Antoinette, tome 2 : Pas de répit pour la reine - Frédéric Lenormand.


Éditions de La Martinière, 2019.

    C'est la guerre des farines : le peuple a faim ! Louis XVI s'en moque et continue de s'affairer à ses passe-temps : la serrurerie et l'horlogerie. À Marie-Antoinette de remonter ses manches ! Mettre la main sur un mystérieux trésor inca tomberait à pic pour acheter du pain à ses sujets. Mais gare à la malédiction qui frappe tous ceux qui s'approchent de l'or !

La grande organisatrice :
Marie-Antoinette s'ennuie dans son nouveau rôle de reine. Elle décide de s'occuper des affaires du royaume et s'entoure d'agents secrets... peu communs. Son coiffeur et sa modiste !
Détective amateur n°1 :
La modiste de la Reine, Rose Bertin, ne supporte plus ce gros lourdaud de Léonard. Par ailleurs, un séduisant fabricant de corsets lui fait de l'œil... Mais ne serait-il pas mêlé à leur enquête ?
Détective amateur n°2 :
Léonard, coiffeur officiel de la reine, profiterait bien tranquillement de ses privilèges. Mais ni Rose Bertin ni la mission confiée par sa Majesté (retrouver un trésor inca !) ne lui en laissent le temps !
 
***
 
    D'une reine à l'autre : après avoir récemment chroniqué les début de la reine d'Angleterre dans le genre du cosy mystery avec Bal tragique à Windsor, nous reprenons maintenant (avec un retard considérable) la série Au service secret de Marie-Antoinette, du prolifique et talentueux Frédéric Lenormand. Après un premier tome qui voyait Marie-Antoinette ouvrir ses propres services secrets et embaucher les véridiques Léonard et Rose Bertin (ni plus ni moins que son coiffeur et sa modiste) en tant qu'agents, nous retrouvons ce trio haut en couleurs dans la suite de leurs enquêtes de haut vol.

Les véridiques Léonard et Rose

"Pierre Autier, le cadet de Léonard, était une version moins fantasque de son frère aîné – avec moins de rubans, des galons moins brillants, une toison moins savamment ébouriffée. En un mot, il n'avait pas l'air d'une réclame vivante pour leur commerce."
 
    L'intrigue nous plonge au printemps 1775, en pleine guerre des farines : le coût exorbitant des céréales et du pain affame le peuple, qui ne craint pas de manifester son mécontentement à travers révoltes et émeutes dans tout le royaume. A Versailles, pendant que les pauvres de France et de Navarre meurent de faim, on continue de dépenser des milles et des cents dans des coiffes hors de prix et dans des robes à la dernière mode pour la Reine et son cercle de courtisanes ; autant dire que Léonard et Rose Bertin ne sont pas, eux, dans une situation précaire. Pour autant, malgré tout le mal que le peuple pense du train de vie dispendieux de la souveraine, cette dernière s'inquiète des affaires du royaume (et, surtout, de leur mauvaise gestion pas son époux et ses hommes politiques). Aussi, lorsque Rose et Léonard se retrouvent par le plus grand des hasard sur la piste d'un trésor inca légendaire, Sa Majesté croit voir la lumière au bout du tunnel : si le butin était retrouvé, il pourrait bien résoudre tous les soucis financiers que rencontre le Royaume. Qu'à cela ne tienne : nos deux espions tout en poudre et en dentelles sont envoyés à la recherche de l'or étranger, passé de main en main depuis sa prétendue découverte dans le Nouveau Monde. Cependant, le trésor en question aurait depuis acquis la réputation d'être... maudit. Et pour cause : ceux qui l'ont vu de près ou de loin ont tous été retrouvés morts! Voilà qui n'est pas pour rassurer les deux enquêteurs du dimanche, déjà bien occupés par leurs petits tracas personnels : Léonard est contraint de prendre des cours de chirurgie pour mériter sa certification de coiffeur barbier, tandis que Rose se voit conter fleurette pas un corsetier des plus séduisants...
 
Marie-Antoinette en 1775
 
"Rose eut l’idée d’offrir à la loterie quelques invendus de l’hiver dernier. Elle pourrait aussi composer un pouf « À l’orphelin » : un bonnet décoré d’angelots en carton.
- Faites donc plutôt un pouf « À la farine », lui conseilla Léonard, c’est le thème de la semaine.
Avec un petit moulin et un petit âne qui apporte les sacs de blé.
- Bonne idée. Vous poserez pour le petit âne."
 
    Crêpage de chignon. Ainsi commence, au sens propre comme au sens figuré, ce second tome des enquêtes de Rose et Léonard, contraints de travailler ensemble pour le bon plaisir de ces dames de la cour, et ce bien qu'ils se détestent cordialement. Déjà dans le premier opus, l'auteur nous avait enchantés des insultes désuètes, réparties cinglantes et autres noms d'oiseaux charmants que s'échangeaient le coiffeur et la modiste entre deux coups de ciseaux (à cheveux ou à couture) ; on est d'autant plus ravi de se retrouver en terrain familier dès les premières pages que cet incipit ouvre rapidement sur quelques événements mystérieux annonçant l'intrigue policière. Certainement désireux de diversifier les thématiques et décors de ses ouvrages, l'auteur axe donc ce second titre sur la recherche d'un trésor inca, lequel amène le scénario à puiser dans l'histoire des colonies de la Nouvelle France et apporte ainsi une pointe d'exotisme inattendue.
 
" —Je vais devoir fouiller chez cette boutiquière, poursuivit l'aîné. Je suis sur la piste d'un trésor inca.
    Pierre le dévisagea avec consternation.
— Tu sais, Léonard, quand tu manies le fer à friser, il ne faut pas l'approcher trop près de sa tête : il parait que ça fait fondre le cerveau, à force."
 

"En plus des problèmes politiques, le château de Versailles connaissait ces jours-là un gros problème de serrures. Très fier de celles qu'il fabriquait, Louis XVI en faisait installer sur toutes les portes. Malheureusement, la plupart se bloquaient, en général en position fermée, si bien qu'il n'y avait plus moyen d'entrer ou de sortir."

    Mais outre cette petite touche dépaysante à souhait, c'est aussi l'occasion pour Frédéric Lenormand de démontrer une fois encore son talent à user des anecdotes de l'Histoire (petite et grande) pour mieux servir ses fictions. Qu'il s'agisse du passé colonial du Royaume de France ou des grands événements du règne de Louis XVI, on s'amuse de cette composition aussi érudite que fantaisiste que nous brode le romancier, lequel ne manque pas au passage de redorer un peu l'image de Marie-Antoinette, trop longtemps reléguée au rang de "potiche autrichienne sur une commode française", pour citer un passage fort bien imagé du premier tome.
 
Illustration de la Guerre des farines
 
"Léonard se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de persévérer dans la chirurgie. Voilà qui était une profession d’avenir ! Saigner les gens au bras était plus facile que de choucrouter les marquises et ça ne prenait que cinq minutes. En prime, il aurait peut-être eu un jour la chance de diriger l’autopsie de la modiste.
- Bon sang, vous vous dépêchez, palantin ? lui lança-t-elle.
Il la regarda retirer de leur voiture ses innombrables cartons à chapeau et ses paniers d’échantillons. La perspective d’avoir un jour à élucider la cause de son décès était certainement ce qui le motivait le plus pour continuer d’enquêter avec elle. Un jour, c’est sûr, on lui ordonnerait de chercher l’assassin de Rose Bertin. Et il savait d’avance qui serait le coupable. Ce serait lui."
 
    Frédéric Lenormand nous rappelle ainsi que, oui, les barbiers se devaient effectivement d'avoir un double diplôme de chirurgien : une obligation qui n'est pas sans agacer notre délicat Léonard mais qui sera sujette à des scènes cocasses comme on les aime autant qu'à donner au coiffeur les compétences en médecine légale nécessaires à la résolution de l'enquête. Comme toujours dans ses romans, l'auteur ne laisse en effet rien au hasard : en dépit de l'enchevêtrement joyeusement nébuleux que semble raconter son intrigue à multiples tiroirs, tout finit par prendre sens et se révéler judicieux, l'humour en plus. En effet, les petites touches de son humour anachronique coutumier sont là pour rappeler qu'on reste bel et bien dans du pastiche : écrit pendant la révolte des gilets jaunes, se titre s'amuse des points communs entre la crise bien actuelle et la révolte des farines, non sans pertinence!

"Rose lui avait préparé une robe de mai aux couleurs de la saison – de nuance "crème fouettée" avec des passementeries fuchsia.
— Ça se porte très bien avec un gilet jaune, précisa la modiste."

En bref : Un second tome exotique qui nous entraine avec Rose et Léonard à la poursuite d'un trésor incas maudit. L'occasion pour Frédéric Lenormand de mêler le passé colonial du Royaume de France à son habituel patchwork d'Histoire, de fiction et d'humour avec le talent qu'on lui connait. Le ton décalé, pourtant omniprésent, ne tombe jamais dans la farce et témoigne de la haute maîtrise du pastiche par l'auteur, dont il est probablement l'un des meilleurs représentants.