samedi 29 mai 2021

Bal tragique à Windsor (Sa Majesté mène l'enquête # 1) - S.J.Bennett.

The Windsor Knot
, Zaffre, 2020 - Éditions Presses de la Cité (trad. de M.Gaboriaud), 2021.

    Windsor, printemps 2016. La reine Elizabeth II s’apprête à célébrer ses 90 ans et attend avec impatience la visite du couple Obama. Mais au lendemain d’une soirée dansante au château, un pianiste russe est découvert pendu dans le placard de sa chambre, quasiment nu. Shocking! Lorsque les enquêteurs commencent à soupçonner son personnel d’être impliqué dans cette sordide affaire, Sa Majesté, persuadée qu’ils font fausse route, décide de prendre les choses en main. Mais être reine a ses inconvénients, et notamment celui de ne pas passer inaperçue. C’est donc Rozie, sa secrétaire particulière adjointe, qui va l’aider à démêler ce sac de nœuds… God save the Queen du cosy crime !
 
Retrouvez Elizabeth II dans une nouvelle série de cosy crimes : «Sa Majesté mène l’enquête». Quand Miss Marple rencontre The Crown !
 
*
 
 "Elle n’arrivait pas à savoir si elle était plus navrée pour le château ou pour l’homme. C’était bien plus tragique pour le jeune homme, évidemment. Mais elle connaissait mieux le château."
 
     Difficile de se renouveler, dans cette mode du cosy mystery qui envahit nos bibliothèques : depuis qu'Agatha Raisin a débarqué en France en 2017, nous avons eu droit à toute une armada d'apprenties détectives célibataires et retraitées de boites de com' ou de publicité qui emménagent dans des petites bourgades anglaises pour tomber sur des cadavres à la pelle, entre l'heure du thé et celle du gin tonic. Nous restons fidèles à M.C.Beaton pour les franches rigolades que nous offrent ses livres, mais on ne peut nier que l'intrigue policière reste souvent très lisse, aussi les cosy mysteries qui n'ont pas au moins un héros charismatique nous sont-ils souvent tombés des mains. Voir arriver une nouvelle tête dans la grande famille des "polars douillets" (non, cosy mystery sonne résolument mieux en VO) attise toujours notre curiosité, aussi était-il difficile de résister à cette nouvelle série de romans mettant en scène Her Majesty Elizabeth herself !
 
 
"Dans deux jours, elle devrait repartir pour Londres avec la moitié de la Maison Royale afin de préparer la cérémonie d'ouverture du Parlement. La vie suivait son cours. ON faisait ce qu' ON pouvait. Mais pour l'heure, la seule chose qui s'imposait était un bon petit verre de gin."

    Il faut dire que le concept présente de nombreux écueils : contrairement à un récit totalement fictif ou même à la série Son espionne royale, mettant en scène les Windsor mais dont l'héroïne reste une pure invention de l'auteure, S.J.Bennett entreprend ici de s'attaquer à une personnalité de taille, encore en vie. Le risque était d'autant plus grand que le genre du cosy mystery et le synopsis de ce premier tome laissaient craindre que Sa Gracieuse Majesté soit tournée en ridicule, ou tout du moins pastichée. L'exercice se fait aisément et même très souvent avec des personnalités historiques décédées mais, là, transformer une reine encore bien vivante, et avec une telle aura, en apprentie enquêtrice, il fallait oser.
 

    Et alors, le verdict ? L'auteure parvient à éviter tous les pièges et s'en tire avec élégance et brio ! Malgré les craintes qu'on pouvait avoir, ce premier opus de Sa Majesté mène l'enquête s'avère, derrière le voile de la fiction, un hommage sincère à Elizabeth II, pour qui S.J.Bennett a semble-t-il un immense respect. Celle qui a failli devenir elle-même secrétaire adjointe de Sa Majesté a réussi à doser très justement polar, humour et sources véridiques pour que l'image de la souveraine soit préservée, sans jamais que cela soit au détriment de l'intrigue. La reine y est décrite comme sage, posée et pleine de malice, mais surtout plus perspicace que l'imagine son entourage et débordante d'un humour flegmatique so british. Le portrait qu'en fait S.J.Bennett pour les besoins de son roman n'est probablement pas si éloigné de la réalité...
 
"— Il n'a pas réfléchi aux conséquences. La dernière chose que souhaite un homme, c'est bien d'être retrouvé dans un palais royal avec les bijoux de famille à l'air.
 — Philip !
 — Mais c'est vrai. Pas étonnant que tout le monde évite de parler de cette histoire. Enfin, c'est également pour épargner vos nerfs fragiles.
La reine lui lança un regard réprobateur.
 — Les gens ont la mémoire courte. J'ai survécu à une guerre mondiale, à Sarah Ferguson et à votre service dans la marine
—  Et malgré ça, ils imaginent que vous avez besoin de respirer des sels à la moindre allusion un peu olé olé. Tout ce qu’ils voient, c’est une petite mamie avec un chapeau."
 
    En parlant de réalité, on peut aussi applaudir le réalisme du scénario, qui tient pour beaucoup à la reconstitution de la vie et des tâches quotidiennes de la famille royale. Probablement minutieusement documentée, l'auteure cherche à retranscrire avec authenticité l'engrenage des journées à Windsor et c'est certainement là l'un des meilleurs atouts du roman. Un autre risque était en effet qu'imaginer Sa Majesté en enquêtrice impose des choix scénaristiques totalement irréalistes au regard de ses fonctions, mais S.J.Bennet détourne audacieusement les codes des polars classiques en faisant d'Elizabeth II une Armchair detective. L'armchair detective, ou le "détective en fauteuil", c'est le concept du limier qui résout les crimes depuis son sofa; les meilleurs exemples du genre sont bien évidemment Miss Silver et Miss Marple, cette dernière faisant souvent appel à ses neveux ou à ses demoiselles de compagnie pour mener les recherches sur le terrain, tandis qu'elle centralise les informations, tire les ficelles et résout le mystère depuis son cottage.
 

    Or, ce n'est ni plus ni moins que ce concept que S.J.Bennett transpose à l'échelle de Windsor, rendant les événements presque crédibles aux yeux du lecteurs. Épaulée par Rozie, une toute jeune secrétaire particulière qui ne tarde pas à comprendre que la reine résout des affaires criminelles depuis son salon depuis des décennies grâce à l'aide de ses assistantes successives, Elizabeth II active son réseau personnel pour faire la lumière sur une affaire de meurtre complètement incongrue, qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer les mystères de chambre close. Loin d'une reposante promenade à la campagne, Bal tragique à Windsor parvient même à flirter avec style avec le roman d'espionnage. Un régal.
 
 
"Elle pria pour sa famille, proche et éloignée, et dit merci pour la génération suivante, qui prenait un si bon départ. Cela dit, si Harry pouvait se trouver une épouse décente, ce serait encore mieux"
 
En bref : Fin et enlevé, ce nouveau cosy mystery très risqué dans son concept s'avère une excellente surprise et un très bel hommage à Sa Majesté Elizabeth II, dont le portrait élégant et perspicace dressé par l'auteure inspire le respect. S.J.Bennett relève le défi de doser légèreté, intrigue politique, et éléments réels avec brio, transposant pertinemment le modèle du armchair detective dans l'univers des Windsor. Une nouvelle catégorie est née : le throne detective, et c'est délicieux... avec un nuage de lait, of course!


Avec un grand merci à Babelio et aux Presses de la Cité pour cette lecture! 
 
 

2 commentaires:

  1. Quand j'ai vu cette couverture en librairie, colorée comme Agatha Raisin et les Détectives du Yorkshire, avec du gâteau, du château, the Queen et un cheval...je ne suis pas étonnée qu'il te soit tombé entre les mains.

    En ce qui concerne l'irrévérence envers un haut personnage encore vivant, il ne faut pas oublier que les Britanniques manient l'humour comme un scalpel. En 1992 (ça remonte!) j'ai lu de l'excellente Sue Townsend : La Reine et moi, fiction dans laquelle les Républicains sont au gouvernement et la famille royale déchue. Les royals doivent donc vivre de minima sociaux dans des counsil houses. La Reine se retrouve au pays de Ken Loach, là où il faut mettre des pièces de monnaie dans le compteur à gaz pour avoir du chauffage, fait la queue à la CAF pour toucher son minimum vieillesse, et essaie de joindre les deux bouts tandis que Phillip traîne en peignoir et Charles se réinvente en rebelle. Il faut dire que les années 90 sont rudes pour les pauvres en Angleterre (merci pour le cadeau, Maggie Thatcher).

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  2. Pffff, mais comment voulez-vous que je résiste à tous vos billets tentateurs ??!! :-) Ca semble croustillant ! (et bravo pour la très belle couverture - je viens juste d'Insta ^_^)

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