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lundi 15 novembre 2021

Les Sorcières de Pendle - Stacey Halls.

The Familiars
, Zaffre, 2018 - Editions Michel Lafon (trad. de F.Gondrand), 2020 - Pocket, 2021.

    Lancashire, 1612. A 17 ans, la jeune châtelaine Fleetwood Shuttleworth a déjà par trois fois perdu un enfant à naître. Déterminé à donner un héritier à son époux, elle redoute amèrement l’issue de sa quatrième grossesse. Lorsqu'elle croise le chemin d’Alice Gray, une jeune sage-femme qui connaît parfaitement les plantes médicinales, Fleetwood voit en elle son dernier espoir.
    Mais quand s'ouvre un immense procès pour sorcellerie à Pendle, tous les regards se tournent vers Alice, accusée comme tant d'autres femmes érudites, solitaires ou gênantes. Fleetwood fera tout pour arracher, coûte que coûte, sa bienfaitrice à la potence...
 
 
***

    Sorti en poche cet automne après une publication remarquée l'an dernier en grand format, Les Sorcières de Pendle (The Familiars en V.O.), premier roman de la journaliste britannique Stacey Halls, semblait tout indiqué pour nos lectures d'Halloween. Il s'inspire d'un fait divers réel : l'affaire des sorcières de Pendle Hill, survenue dans la région du Lancashire en 1612...
 

    Ce procès, l'un des mieux documentés de la Grande-Bretagne et presque aussi célèbre que celui de Salem, a jugé une douzaine de personnes vivant dans la région de Pendle, accusées de meurtre par sorcellerie. L'affaire a de particulier qu'elle ne concernait que des voisins, principalement deux familles rivales qui avaient, depuis quelques générations déjà, créé leur commerce de charmes et de remèdes. Autre fait on ne peut plus étrange : c'est l'une des rares affaires de sorcellerie où les accusées ont revendiqué l'usage de la sorcellerie, et ce alors qu'elles ne pouvaient ignorer qu'un tel aveu précipiterait leur fin. Les femmes concernées ont, entre autres, reconnu avoir jeté des sorts aux membres du clan concurrent, mais aussi avoir communiqué avec des "familiers", des esprits du Malin sous forme animale... Les archives et écrits hérités du procès mettent en avant certains protagonistes en particulier, comme la vieille Demdyke et sa fille Elizabeth Device, ou encore Chattox et sa fille Anne Redfern. De toutes les personnes jugées au cours des assises, seule une dénommée Alice Gray est déclarée non coupable, sans que les textes nous disent pourquoi... il n'en fallait pas moins à Stacey Halls, fascinée par cette histoire, pour y trouver matière à un roman...
 
Gravure illustrant la Vieille Chattox et sa fille Anne Redfern...
 
    Les Sorcières de Pendle est donc le fruit de minutieuses recherches historiques, les blancs et les vides de la documentation existante permettant à la romancière de broder et de reconstituer en parallèle des faits une fiction qui laisse une place de choix aux femmes. Elle choisit comme narratrice Fleetwood Schuttleworth, toute jeune et véridique châtelaine du comté, fraichement mariée au seigneur de Gawthorpe et en attente d'un troisième enfant après deux fausses couches qui ont manqué de lui coûter la vie. Sous la plume de Stacey Halls, cette figure historique devient une héroïne fragile qui tente de s'imposer dans un monde de pouvoir, d'hommes, et, face à son jeune âge, d'adultes. L'évolution de ce personnage se fera au contact d'Alice Gray, dont l'écrivaine fait ici une sage-femme solitaire en marge de la société, et qui devient la première confidente et amie de la châtelaine malgré leur différence de classe sociale. Lorsqu'Alice se voit accusée de sorcellerie, Fleetwood met tout en œuvre pour sauver la jeune femme, quitte pour cela à s'opposer à son époux, lequel semble par ailleurs lui cacher bien des secrets...
 
 Véridique portrait de Fleetwood et de sa mère, évoqué plusieurs fois dans le roman.
 
    Stacey Halls parvient à restituer avec aisance et talent un contexte politico-historique foisonnant et mouvementé, qui met en relief l'absurdité des chasses aux sorcières. On découvre en effet les confusions (volontaires) entre sorcier(e)s et papistes, le but ultime du Roi étant alors de faire reculer le catholicisme persistant face à l'Anglicanisme instauré depuis Henry VIII. La chasse aux "sorcières" devient dès lors un enjeu pour n'importe quel homme du royaume cherchant à se démarquer ou briguant un poste important à la cour, pour peu qu'il soit sans scrupule. Face à cette injustice qui ne sert que les individus les mieux nés, la romancière soulève notre indignation en même temps que celle de son héroïne, que le lecteur est donc prêt à accompagner jusqu'à la fin.

Domaine de Gawthorpe.

    Car c'est peut-être dans sa façon de susciter des émotions qu'on retiendra ce livre. En effet, le style (mais est-ce le style original ou un effet de sa traduction?) souffre de quelques anachronismes dans les tournures de phrase, les dialogues ou parfois le vocabulaire, des approximations qui viennent par moment casser l'excellente reconstitution pourtant échafaudée par Stacey Halls. Cette dernière se rattrape dans la minutie qu'elle emploie à tresser des intrigues parallèles qui donnent du corps à son roman (les relations avec Roger, l'ami de la famille qu'on découvre progressivement obsédé par le pouvoir que lui donnera son implication dans les procès de Pendle, ou encore les secrets dissimulés par l'époux de Fleetwood), mais surtout, dans les vives émotions qui se dégagent des relations entre les personnages, particulièrement l'amitié entre la narratrice et Alice.
 
 Colline de Pendle.

    Comme en prend si bien conscience Fleetwood dans ce roman, on réalise que l'une et l'autre sont là pour se sauver mutuellement la vie et qu'en cela, leurs destins sont irrémédiablement liés : la première doit permettre à la seconde d'échapper à la potence pour qu'elle puisse l'aider à survivre à son accouchement. Tout au fil de son livre, Stacey Halls glisse quelques éléments étranges, notamment l'apparition récurrente d'une renarde qui semble douée de conscience, ou encore de rêves et de cauchemars qui permettent à l'auteure, sans jamais tomber dans le fantastique, de flirter avec l'inexpliqué par petites touches. Cela confère au livre une aura supplémentaire, donne de la densité aux personnages et à leur cheminement.

Statue de sorcière à Pendle.

En bref : Malgré quelques inégalités propres à un premier roman, Les Sorcières de Pendle est porté par des personnages forts, notamment la vive émotion qui se dégage de la relation entre les deux héroïnes. La romancière reconstitue une époque et ses soubresauts politiques et religieux avec minutie, montrant par là jusqu'où conduisent l'absurdité des hommes et leur quête de pouvoir.

 

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