Blackwater III : The house, Avon books, 1983 - Editions Monsieur Toussaint Louverture (trad. de Y.Lacour avec H.Charrier), 2022.
Perdido, 1928. Alors que le clan Caskey se déchire dans la guerre intestine et sans
merci que se livrent Mary-Love et sa belle-fille, et que d'autres crises
- conjugales, économiques, existentielles - aux répercussions défiant
l'imagination se profilent, dans les recoins sombres de la maison
d'Elinor, la plus grande de la ville, les mauvais souvenirs rôdent et
tissent, implacables, leurs toiles mortelles.
Au-delà des
manipulations et des rebondissements, de l’amour et de la haine, Michael
McDowell (1950-1999), co-créateur des mythiques Beetlejuice et L’Étrange Noël de Monsieur Jack, et auteur d’une trentaine de livres, réussit avec Blackwater à bâtir une saga en six romans aussi addictive qu’une série Netflix,
baignée d’une atmosphère unique et fascinante digne de Stephen King. Découvrez le troisième épisode de Blackwater, une saga matriarcale teintée de surnaturel avec un soupçon d’horreur.
***
Nous continuons notre étrange mais fascinant séjour à Perdido, ville fictive de l'Alabama. Après les deux premiers tomes de Blackwater, nous nous immergeons donc à nouveau (et avec quel plaisir !) dans les eaux sombres de cette saga familiale, véritable succès de la littérature populaire américaine depuis près de quarante ans...
Nous y retrouvons les Caskey à la fin des années 1920. Alors que partout ailleurs, le krach boursier engendre des catastrophes financières, à Perdido, c'est tout juste si on en ressent les effets. Bien sûr, il y a quelques désagréments, mais la ville a bien d'autres préoccupations, notamment savoir qui de Mary-Love ou d'Elinor gagnera la guerre silencieuse que ces deux-là se livrent depuis presque dix ans. Les armes et les leviers du conflit changent, au fil du temps : ce sont désormais Miriam et Frances les instruments de cette bataille matriarcale. La première, fille aînée d'Oscar et d'Elinor, avait été laissée en gage à Mary-Love contre la liberté de quitter la maison Caskey et vivre enfin leur vie conjugale en toute liberté. La seconde, leur cadette, grandit auprès d'eux dans leur demeure de l'autre côté de la palissade. Jamais on avait vu sœurs plus différentes l'une de l'autre, plus étrangères l'une à l'autre, elles dont le seul point commun est de perpétuer une lutte entamée bien avant leur conception. A ce jeu-là, cependant, Elinor (et par extension, Frances), continue de remporter haut la main la partie...
Si les deux premiers opus étaient excellents à plus d'un titre, reconnaissons aujourd'hui qu'ils faisaient office de simple introduction. Le décor et les protagonistes désormais plantés, M.McDowell redouble de rythme et d'intensité avec ce troisième ouvrage. On avait déjà noté la dimension systémique de cette saga, dimension ici d'autant plus présente que le roman met en scène une nouvelle génération de Caskey qui poursuit à son corps défendant les conflits non résolus de ses aïeux. Vengeance et manipulation montent ainsi quelques crans de plus dans la déraison : ces deux fillettes, totalement instrumentalisées, illustrent à merveille l'orgueil des Caskey, mais aussi ce qui peut faire le pire de tout système familial. Quant aux autres Caskey, ils ne sont pas en reste et confirment à quel point, dans cette famille, un enfant a valeur de monnaie d'échange. En effet, pour protéger le jeune Danjo de l'influence néfaste de son père, Carl Strickland, et éloigner tout en même temps ce dernier de Perdido, James est prêt à payer pour adopter l'enfant. Rien de plus normal, n'est-ce pas ?
"A Perdido, on certifia n'avoir jamais connu de famille aussi disposée que les Caskey à abandonner et reprendre ses enfants, à s'échanger la progéniture comme s'il s'était agi d'un moule à tarte ou de n'importe quel plat à gâteau que l'un des foyers aurait en trop et dont l'autre aurait manqué."
Et quel meilleur écrin pour mettre en scène une famille, son histoire, ses peines et ses déchirements, que la maison ? En cela, ce troisième volume a bien trouvé son titre. Forte en symbolique, souvent associée au foyer et à la notion de protection, la maison est ici à double tranchant. La demeure d'Elinor, dernier rempart contre le mal du dehors (la haine de Mary-Love aussi bien que la violence de Carl Strickland), abriterait-elle aussi un mal du dedans ? Quelles horreurs insondables se dissimulent, tapies dans le double-fond de la penderie, à l'angle de la chambre d'amis ? Théâtre de bien des étrangetés depuis le premier tome, assimilable à une bouche qui recrache et qui dévore, il ne fait aucun doute que ce placard nous réserve encore de nombreuses (et terrifiantes) surprises...
"Et voilà qu'elle était face à la porte de la pièce tant redoutée, sans avoir pris conscience que ses pas l'y avaient menée. Doucement, elle tourna la poignée et jeta un œil à l'intérieur. Comme à son habitude, la chambre était sombre et fraîche. L'air paraissait stagner. Ça sentait le vieux – plus que dans aucune autre maison de Perdido. Pour la petite fille, ça sentait comme si des générations entières de Caskey étaient mortes là-dedans. Comme si, décennie après décennie, des femmes Caskey avaient accouché d'enfants mort-nés dans ce lit ; qu'une lignée ininterrompue de maris Caskey avaient assassiné leurs épouses adultères et les avaient cachées dans l'armoire ; comme si cent squelettes à la chair en putréfaction et aux haillons moisis avaient été entassés dans la petite penderie et s'entrechoquaient, parmi les plumes et les fourrures."
Avec La Maison, Michael McDowell confirme son talent de conteur, mais aussi d'alchimiste : lui qui n'avait jamais caché s'être inspiré de sa propre histoire familiale pour écrire Blackwater, il parvient à la transformer et à maintenir le profond réalisme de cette intrigue transgénérationnelle sans renier la tonalité horrifique de son cycle littéraire. Encore une fois, c'est l'équilibre entre ces deux dimensions qui force l'admiration. Car même si pour l'auteur, l'esprit de vengeance d'une famille fonctionne bien mieux dans un roman qu'il n'existe dans la réalité, il ne fait aucun doute que les manigances et la Vendetta à l’œuvre en ces pages peuvent être réelles à plus d'un titre...
"Grace leva soudain sa rame et l’abattit sur un serpent d’eau qui
glissait à côté du canot. Elles n’étaient pas en danger, mais la jeune
femme estimait que les créatures venimeuses, tout comme les célibataires
en quête de demande en mariage, méritaient d’être mis hors d’état de
nuire."
En bref : Après deux opus qui ont surtout servi à planter le décor et introduire son univers, M.McDowell redouble en rythme et en intensité dans ce troisième tome. Pas de doute, on est cette fois dans le vif du sujet : les conflits suintent et se propagent à la nouvelle génération de Caskey, tandis que dans la maison familiale, à la fois bouche nourricière et gueule dévorante, d'étranges manifestations se multiplient. Ce titre se clôture par ailleurs sur un événement majeur, lequel amènera un avant et un après dans l'histoire de Blackwater...
Et pour aller plus loin...
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