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mardi 31 juillet 2012

Jane Eyre - Charlotte Brontë

Smith, Elder & Co, 1846 - multiples éditions et rééditions françaises depuis 1854.

Orpheline, Jane Eyre est recueillie à contrecœur par une tante qui la traite durement et dont les enfants rudoient leur cousine. Placée dans un orphelinat à l'âge de dix ans, elle y reste pendant huit ans malgré les conditions de vie nerveusement et physiquement difficiles. Véritable autodidacte, Jane dissimule derrière son physique disgracieux une vraie volonté de fer qui l'aide à braver tous les obstacles du quotidien : devenue institutrice, elle se lance à la conquête du monde, bien décidée à faire sa vie. Suite à une annonce passée dans la presse, Jane parvient à se faire embaucher comme préceptrice d'une riche famille anglaise résidant au manoir de Thornfield, perdu dans la campagne. Le maître des lieux, Edward Rochester, est un homme laid au caractère difficile mais dont le masque froid semble dissimuler une personnalité riche, un homme intelligent et passionné. Alors que Jane apprend chaque jour à le connaître un peu plus, un profond attachement se noue entre eux... mais dès que la nuit tombe sur Thornfield, le passé resurgit et d'étranges événements surviennent ; Rochester aurait-il quelque sombre secret à cacher?

***

  Qu'est-ce qui fait d'un roman un classique ? Son intemporalité ? L'écho qu'il provoque en chaque lecteur, quelque soit l'âge ou le genre ? Peut-être même la patine du temps qui passe et qui, comme pour un vin, confirme que tout se bonifie avec les années...? Il y a certainement un peu de tout cela qui, dans Jane Eyre, permet d'imposer le chef-d’œuvre de Charlotte Brontë au rang de grand classique. Autre point commun : on réalise que pour tout classique qui se respecte, la rencontre avec les lecteurs les marque toujours profondément. Penchez-vous sur la question, vous découvrirez que tous ceux qui on aimé Jane Eyre se souviennent en détails de leur découverte du roman, souvent relativement tôt dans l'enfance, et du retentissement qu'il a provoqué.


  Évidemment, chez books-tea-pie, on ne fait pas exception : si dans notre cas, l'entrée en matière se fit d'abord par quelques adaptations avant de découvrir le roman original, on garde un souvenir fort de cette rencontre avec Jane : une narration à la première personne captivante, la lande et la bruyère qu'on traverse avec elle à travers le brouillard épais de la campagne anglaise, les ruines d'un manoir qui connaîtra les flammes, et ce parfum de gothique unique, ensorcelant, qui nous donne envie de nous abandonner des heures durant à la lecture pour ne faire plus qu'un avec l'héroïne.

La version cinématographique de 1996 et la version télévisée de 1997,
deux adaptations qui ont marqué nos souvenirs!

  Car le paradoxe de cet ouvrage est de parvenir à faire éclipser le réel en nous immergeant totalement dans une histoire qui n'a pourtant rien de féérique ni, au départ, d'extraordinaire : une jeune fille maltraitée qui passe par les épreuves les plus lourdes et les deuils les plus difficiles avant d'obtenir un poste de préceptrice dans une grande maison où le destin va continuer de la malmener, tandis qu'elle garde la tête haute et reste résiliente. Présenté ainsi, Jane Eyre pourrait tout avoir du roman moralisateur, et pourtant, sous la plume de Charlotte Brontë, il en est tout autre. A travers cette fiction aux accents autobiographiques, la romancière glisse dans le personnage de Jane Eyre toute la ténacité qui la caractérise et la dote d'une force de vie incroyable. Plus qu'une héroïne digne, Jane Eyre, aussi narratrice de sa propre histoire, se présente à nous comme une philosophe dont les idéaux allaient secouer le XIXème siècle bien pensant. Rappelons, en effet, que le roman fut jugé parfois scandaleux par les critiques. Scandaleux? Oui, parce qu'il n'était alors pas concevable qu'une femme, qui plus est de classe moyenne, puisse exiger d'être reconnue comme étant indépendante. S'il n'y avait pas là à proprement parler l'expression d'un féminisme naissant tel qu'on l'entend aujourd'hui, on ne peut nier des revendications d'avant-garde qui font nécessairement écho au militantisme actuel. Jane se rebelle en fait contre toute forme d’oppression et d'injustice, forçant ainsi l'admiration du lecteur de toutes les époques.


   Ajoutez à cela une histoire d'amour contrariée (et probablement inspirée d'un amour à sens unique que l'auteure sublime à travers la fiction) mais jamais niaise et des éléments de gothique à la Byron, et vous obtiendrez l'un des plus grands romans d'apprentissage de la littérature anglaise, entre récit social, mystère et émotion. Le savant mélange des genres, lesquels se mêlent d'ailleurs sans aucune fausse note et sans décrédibiliser ni les personnages ni la trame de fond, participe de beaucoup à la qualité inoubliable de ce livre, véritable coup de cœur de notre bibliothèque.


En bref : Un roman phare des lettres anglaises, à mi chemin entre l'intrigue romantique et l'inspiration gothique. Un classique incontesté qui a pris et gardé une place de choix parmi les grands modèles et les grandes références littéraires, à juste titre.
 


Et pour aller plus loin...


vendredi 27 juillet 2012

White as Snow - Tanith Lee

Tor Book, 2000.


"Il était une fois un miroir..."

Ainsi commence cette sombre et inhabituelle relecture du conte de Blanche-Neige par l'auteure que tous les critiques se sont accordés à surnommer l' "Angela Carter de la fantasy" - Un roman grandiose basé sur une histoire connue de tous, qui se transforme ici en une tragédie noire et sensuelle, emprunte de mythes et de magie.
Arpazia est la reine qui se morfond dans le palais d'un grand seigneur de la guerre. Froide comme l'Hiver, elle brûle cependant d'une ardente passion pour le mystérieux chasseur qui voue un culte aux anciens dieux de la Forêt, croyances issues des temps anciens et désormais interdites pas la Loi. Coira, elle, est la princesse qui brille dans l'ombre de sa mère et la rage que cette dernière entretient à l'encontre de l'enfant. Ignorée de ses deux parents et à demi oubliée de la Cour de son père, Coira grandit et apprend seule à devenir femme... jusqu'à ce que le miroir parle, que le sang bouillonne, et que la Forêt la réclame.
Le mythe tragique de la déesse Demeter et de sa fille, Perséphone, enlevée par le roi du Monde Souterrain, est mêlée au conte de Blanche-Neige pour créer une puissante histoire de mère et de fille, et du lien qui les unit l'une à l'autre, pour le meilleur et pour le pire : le sang. Approchez, approchez ; installez-vous au coin du feu et venez écouter ce conte comme vous ne l'avez jamais entendu auparavant.

"...Il était une fois un miroir, et une jeune fille blanche comme la neige..."

***

    Après Mirror, Mirror de Gregory Maguire, Snow de Tracy Lynn, Fairest of all de Serena Valentino et l'album illustré par Benjamin Lacombe, terminons ici notre sélection de lectures sur le thème de Blanche-Neige. Lancée il y a de cela plusieurs années par la romancière, essayiste et femme de lettres américaine Terri Windling, la collection The fairy tale series éditée chez Tor Books se destine à la publication de réécritures de contes classiques par les meilleures plumes anglo-saxonnes. Passionnée de contes de fées depuis sa plus tendre enfance, Terri Windling veut faire découvrir avec cette série des versions nouvelles des écrits traditionnels, mais qui restitueront toute la violence et la complexité d'origine de ces histoires que tout le monde pense connaitre. Pour ce nouvel opus de sa collection, elle a sélectionné Tanith Lee, auteure de fantasy connue et reconnue pour ses précédentes réécritures de contes classiques, afin de réinventer l'histoire de Blanche-Neige. Tanith Lee a pour cela choisit une orientation toute particulière et s'attarde davantage que le conte original sur le personnage de la Reine, tout en opérant un audacieux melting-pot littéraire...

    L'histoire commence donc avec une jeune fille à la peau blanche comme la neige, aux cheveux noirs comme l'ébène, et aux lèvres rouges comme le sang. Mais ce n'est pas Blanche-Neige, ni son alter-ego réécrit. Il s'agit d'Arpazia, jeune princesse à la beauté fulgurante, qui a grandit dans l'ignorance de son père le roi, ce dernier lui reprochant la mort de la reine en couche. Véritable combattant, le seigneur est pris dans une guerre qu'il est certain de perdre et annonce son désir de tuer sa fille lui-même, plutôt que de la laisser entre les mains de l'adversaire victorieux. Terrifiée à cette idée, Arpazia s'enfuit mais tombe dans une embuscade des troupes ennemie et se voit offerte à leur chef, Draco, en guise de trophée. Ce dernier, décidé à en faire son épouse, la viole au cœur de la forêt enneigée avant de la conduire dans son palais. Une fois dans sa nouvelle demeure, la jeune Arpazia cache sa colère derrière le masque de la dignité et apaise sa rage dans la pratique des cultes anciens désormais interdits par la Loi. Elle-même dépositaire de ces croyances qu'elle tient de l'enseignement de son ancienne nourrice, elle est rapidement surnommée la sorcière à travers le royaume... et en effet, la reine n'est pas sans posséder quelques pouvoirs étranges puisqu'elle a en sa possession, offert en son temps par son père, un gigantesque miroir capable de tout voir et de tout montrer. Lorsqu'elle tombe enceinte et donne naissance à la princesse Coira -blanche comme la neige, rouge comme le sang et noire comme l'ébène- Arpazia voit l'enfant comme le symbole vivant de son union forcée avec Draco et exile la fillette dans une lointaine aile du palais, où elle grandit dans l'ignorance totale de sa mère... Mais au fur et à mesure que le temps passe, Arpazia, anciennement choisie comme souveraine des anciens cultes, voit les dieux de la forêt lui préférer Coira, sa copie conforme, mais en plus jeune. Jalouse, elle vend sa propre fille à une troupe de nains saltimbanques qui conduisent la jeune princesse dans leur repère : Elusion, une immense cité souterraine, gigantesque mine dirigée par un seigneur du nom de Hadz. Ce dernier, envouté par la beauté de Coira, décide de prendre la jeune fille pour épouse. Mais depuis son château, Arpazia prend brusquement conscience des liens -certes ambivalents mais tout de même bien réels- qui l'unissent à sa fille et part à sa recherche, partagée entre le désir maternel de l'aimer et la protéger, et celui de la tuer...

    Vous l'aurez compris, c'est là une version réellement très spéciale mais, croyez-le, autrement aussi intéressante que le conte que l'on connait. Plus que de réécrire l'histoire de Blanche-Neige, Tanith Lee opère un parallèle inattendu mais très audacieux entre le conte de Grimm et le mythe de Demeter et Perséphone! Si cela peut paraître insensé de prime abord, il faut reconnaître que c'est en fait extrêmement bien pensé :ce mythe antique est en fait une inspiration directe (ou une version plus ancienne, c'est selon), du conte de Grimm. Petit rappel pour l'occasion : Perséphone est d'une rare beauté, et sa mère Déméter l'élève en secret en Sicile. Un jour, elle est remarquée par le puissant Hades, qui souhaite en faire sa reine et kidnappe la jeune fille. Demeter part alors à la recherche de Perséphone et se rend jusqu'aux Enfers pour récupérer sa fille. Hades refuse de lui rendre Perséphone, d'autant plus qu'elle a mangé une grenade provenant du monde souterrain, ce qui suffit à la lier à tout jamais aux Enfers. L'affaire est portée devant Zeus, qui se prononce pour un compromis: la jeune fille passera six mois aux Enfers (les périodes automnale et hivernale) aux côtés de son époux en tant que reine puis, les six autres mois de l'année, elle retournera sur Terre en tant que Coré (un prénom qui n'est pas sans évoquer Coira) aider sa mère pour le printemps et l'été, partagée à tout jamais entre le monde des morts et celui des vivants.

    Je vous laisse imaginer comment se construit le roman de Tanith Lee, dont la trame suit globalement celle de ce mythe antique : le parallèle est passionnant à dresser en tant que lecteur et chercher les correspondances entre le livre et la légende de Perséphone devient un jeu addictif. Ainsi, l'auteure n'a choisit aucun nom au hasard et tous font référence de près ou de loin à ses sources d'inspiration antiques. Nous vous laisserons donc deviner, en référence à la légende gréco-romaine, quelle forme prendra la pomme empoisonnée dans cette version....

    Ce clin d’œil aux légendes antiques conduit l'auteure à placer son intrigue dans un contexte spatio-temporel certes incertain (comme tout conte qui se respecte) mais au carrefour de multiples cultures. L'époque à laquelle se déroule l'histoire rappelle tantôt le Moyen-Âge, tantôt l'Antiquité, tandis que les noms des localités (Belgra Demitu,  Korshlava...) évoquent une contrée d'Europe centrale ou d'Europe de l'Est, à la frontière entre l'Orient et l'Occident. Bien qu'il s'agisse d'une fiction fantastique, Tanith Lee invente pour son histoire un contexte politico-religieux digne d'un récit historique, mettant en scène des royaumes déchirés par la difficile transition du paganisme à la chrétienté. En ce qui concerne l'atmosphère de l'histoire, les descriptions riches et travaillées du roman instaurent une ambiance sombre, lourde, et étouffante : on évolue constamment entre les décors sauvages et glacés des forêts enneigées et l'intérieur suffocant des palais aux murs de pierres drapés de tentures épaisses et de fourrures. Visuellement, le tout semblait sortir d'un tableau préraphaélite! Coïncidence étrange tant on retrouve dans cette œuvre les sources d'inspiration chère à ce mouvement pictural, sans compter que c'était l'un des souhaits de Terri Windling elle-même concernant le visuel des couvertures!

 Perséphone, par le préraphaélite D.G. Rossetti.

En bref : White as snow est un petit bijou incontestable, inattendu mais réellement saisissant, tant par son intrigue que son écriture ainsi que pour la profonde réflexion qu'il propose sur l'ambivalence de la relation mère-fille. Le retour aux sources du conte original en puisant dans le mythe de Demeter et Persephone donne à cette réécriture une densité supplémentaire fascinante foisonnante.

jeudi 19 juillet 2012

Vu sur le net : "Famous Meals from Literature".

Sans être des "lectures gourmandes", certains romans ou œuvres littéraires célèbres contiennent des passages rendant hommage de fort belle manière à l'art culinaire, au point qu'un clin d’œil de l'un à l'autre fait toujours sens dans l'imaginaire collectif, quand le plat en question n'est pas carrément devenu un symbole indissociable du livre.
Une connaissance avec qui j'entretiens une passion commune pour certains titres de la littérature enfantine m'a récemment envoyé une fort belle-image (merci Serkanine! =D), très joli cliché issu d'un photo-shoot intitulé Famous Meals from literature (Célèbres plats de la littérature) par une créatrice nommée Dinah Fried. Cette appétissante et atypique série de photos représente cinq menus provenant de fictions écrites connues et reconnues.

Ayant fêté l'an dernier mes 20 ans sur le thème Mad Hatter's Tea Party, elle m'avait envoyé la photographie rendant hommage au thé du chapelier fou dans Alice au pays des Merveilles:


Mais le photo-shoot de D. Fried réserve bien d'autres surprises et nous régale les yeux d'autres mets fort alléchants! Au menu sur la pellicule ce soir, nous vous proposons le plat typique d'un American Dinner tout droit sorti de l'Attrape Coeur , que vous pourrez éventuellement compléter d'un menu marin très apprécié du Capitaine Achab dans Moby Dick, à moins que vous ne préfériez le frugal mais traditionnel petit-déjeuner d'Oliver Twist, ou le lunch esthétiquement suédois de Lisbeth Salender, héroïne de Millenium :

Source : site officiel de l’artiste ICI.

Moi qui adore retrouvé le plaisir gustatif de mes lectures lorsqu'elles mettent en scène l'art culinaire, mais qui suis aussi un passionné de photographie et aime à restituer les atmosphère et univers livresques sous formes d'images, je ne pouvais que tomber sous le charme de ces photographies!

Le travail de Dinah Fried donne des idées : on regrette qu'elle se soit arrêtée à cinq romans seulement, et on aurait presque envie de poursuivre sur cette lancée, par pure distraction =D Je me garde cette idée sous le coude, à l'occasion... ;-)

lundi 16 juillet 2012

Blanche-Neige - le conte original des frères Grimm illustré par Benjamin Lacombe

Éditions Milan jeunesse, 2010.

Le célèbre conte des Frères Grimm rejoint la collection des classiques Milan ! 
Une nouvelle adaptation du texte original des frères Grimm et des illustrations de Benjamin Lacombe pour redécouvrir ce grand classique de la littérature jeunesse.
« Miroir, miroir joli, qui est la plus belle dans tout le pays ?
Ô ma reine, vous êtes très belle mais Blanche Neige est mille fois plus belle que vous.»
À ces mots, la reine devint verte de jalousie. Désormais elle avait des haut-le-cœur dès qu’elle apercevait Blanche-Neige, tant elle la haïssait. Et l’envie et l’orgueil se développaient si fort dans son coeur qu’elle ne trouvait plus le repos, ni le jour ni la nuit. Elle devait trouver un moyen de la faire disparaître...

Un grand conte classique de la littérature.
Les images picturales et oniriques de Benjamin Lacombe donnent une force nouvelle à ce Blanche-Neige, entre symbolisme et réalisme. Chaque page est un tableau qui fascine et hypnotise le lecteur-spectateur.
Une traduction inédite du conte original allemand.
 
***


   Après Mirror Mirror de Gregory Maguire, Snow de Tracy Lynn, et Fairest of all de Serena Valentino, poursuivons nos  lectures sur le thème de Blanche-Neige avec cet album paru en 2010. Cette fois, il ne s'agit ni d'une nouvelle adaptation, ni d'une réécriture de l'histoire mais bien de la version originale des frères Grimm, à ce détail près que l'album en question est illustré par le désormais connu et reconnu Benjamin Lacombe. Entre poésie gothique à la Burton et onirisme suranné, son style bien particulier empreint de mélancolie et de volupté ne peut laisser indifférent ; le succès grandissant rencontré par chacun de ses nouveaux travaux montre bien que Benjamin Lacombe a su séduire le public grâce à la sublime étrangeté de son univers.

 La première Blanche-Neige illustrée par Benjamin Lacombe était une image unique (accompagnée d'une autre de la Méchante Reine) pour un amusant clin d’œil fait à ce conte dans l'album Grimoire de sorcières, paru aux éditions du Seuil en 2008. Ce très beau portrait avait ensuite été réutilisé pour divers articles de papeterie, dont un très joli carnet qui avait évidemment rejoint les étagères de notre bibliothèque...

Carnet reprenant les portraits de B.Lacombe pour Grimoire de sorcières.

    L'envie de mettre en images ce célèbre conte se faisait donc déjà ressentir dans l'univers pictural de l'artiste, mais il faudrait attendre deux ans pour qu'un album entier voit le jour. Avant de nous attarder sur les illustrations, évoquons le texte : trop de contes sont réédités dans des versions épurées, probablement dans une volonté exagérée (et bien souvent mal placée) d'accessibilité ou de ne pas choquer les jeunes lecteurs. Rappelons que l'aspect éducatif du conte merveilleux et son contenu caché, souvent psychanalytique, amènent à des éléments souvent noirs qui peuvent effectivement interroger le lectorat. Mais frissonner, mettre en question, impressionner... ce sont des choses dont on a cruellement besoin pour se construire en tant qu'enfant ; aussi, applaudissons les éditions Milan et leur décision de ne pas altérer le texte original, ici servi dans une traduction inédite.
 
    Viennent ensuite les superbes illustrations : l'univers presque dérangeant de l'artiste s'accorde parfaitement au récit d'origine et à sa complexité. Benjamin Lacombe nous offre au passage un style visuel quelque peu différent du portrait coloré de la Blanche-Neige de 2008. Les dessins sont essentiellement divisés en trois couleurs principales, à savoir les trois couleurs symboliques du contes et de l'héroïne : le blanc, le noir, et le rouge. Entre paysages enneigés relevés ça et là de détails écarlates et visages de porcelaine aux lèvres carmin, les illustrations de Benjamin Lacombe transportent dans un monde glacé fascinant.

 
    Certaines illustrations, habitées par la présence animale, se parent de couleurs fauves rassurantes et chaleureuses : le peuple de la forêt se présente ainsi comme "protecteur" de la princesse, à l'image du dessin où lapins et écureuils la couvrent entièrement alors qu'elle traverse le sous-bois. Ces scènes tranchent avec l'aspect froid des autres pages et l'ont ressent vivement la sécurité et la chaleur que l'artiste cherche à mettre en scène.
 

    La mise en image de Benjamin Lacombe est également doublée d'une dimension symbolique voire métaphorique forte. Les personnages ou les scènes illustrées donnent à voir des associations d'idées qui peuvent surprendre de prime abord mais qui apporte du sens par le truchement de l'imaginaire : la Reine, beauté froide et sublime en diable, se voit complétée de serpents qui ne sont pas sans évoquer la Gorgone Méduse. Plus loin, le corset de Blanche-Neige, serré à l'extrême par sa belle-mère, prend l'apparence d'un oiseau prisonnier d'une cage, restituant à merveille le sentiment d'emprisonnement et d'étouffement de la suffocation. La sorcière elle-même ne revêt pas le visage célèbre qu'on lui connait : à l'image de l'omniprésence mystique des corbeaux tout au long de l'album, elle troque ici son nez crochu et son menton en galoche contre un faciès de rapace des plus évocateurs...

 
En bref : Un ouvrage visuellement réussi qui a le mérite d'associer le texte original des frères Grimm et une mise en image à forte portée symbolique ; cet album, en cela, redonne toutes ses lettres de noblesse au conte. Le coup de crayon de Benjamin Lacombe, entre tradition, inspirations multiples, techniques novatrices et allégories intemporelles, restitue à cette histoire son aura à la fois terrifiante et merveilleuse.




mercredi 11 juillet 2012

Le temps n'est rien - Audrey Niffenegger

The Time Traveler's Wife, MacAdamCage Pub, 2003 - De toute éternité, Éditions France Loisirs, 2004 - Le temps n'est rien, Éditions Michel Lafon, 2005 - Éditions J'ai lu, 2008.

Quand ils se rencontrent pour la première fois, Claire connait déjà Henry tandis que lui n'a pas la moindre idée de qui elle est. Car le jeune homme est atteint d'une maladie génétique qui le fait voyager dans le temps sans qu'il ne puisse rien y faire : c'est une personne chrono-déficiente. Il peut disparaitre brusquement, pour se retrouver propulsé à une autre date (mais toujours dans la limite de sa propre existence : pas avant sa naissance et pas après sa mort), parfois face à l'enfant qu'il était ou à celui qu'il sera dans l'avenir.
C'est ainsi que pendant des années, le Henry du futur a rendu visite à la petite Claire : elle a 6 ans et lui 36 quand il lui apparait pour la première fois. Il revient la voir régulièrement, afin de la préparer à la vie qu'elle mènera, sans pour autant lui révéler quoi que ce soit qui puisse influencer ses choix quant au futur... Et le hasard de la vie finit par les mettre sur le même chemin.
Claire a donc 20 ans et Henry 28 quand elle le rencontre "pour de vrai". Elle le reconnait et lui raconte que, durant toute son enfance, elle a fréquenté son "futur lui". Tout deux envoutés par le caractère atypique de leur histoire, ils entament une relation puis se marient. Mais la maladie chrono-déficiente d'Henry complique leur vie de couple : son gène le propulse sans prévenir en d'autres époques et lieux, laissant Claire dans la perpétuelle attente de son retour...

Il arrive qu'un roman vous surprenne, vous réserve des plaisirs insoupçonnés, et vous envoûte, comme si son univers de papier vous happait tout entier. "Le temps n'est rien" produit cet effet-là. 

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" Niffenegger a créé une histoire d'amour absolue, éclairée par des dizaines de scènes finement observées. Ce livre a la saveur des richesses et des mystères de la vie. " 
(Publishers Weekly)

  Pour la première fois, ce n'est pas la couverture qui m'a fait acheter ce livre mais la bande-annonce de Hors du Temps, film qui en est adapté. J'avais en effet repéré plusieurs fois le dvd en magasin et la trame avait un "petit je-ne-sais-quoi", un "truc", une étincelle qui m'attirait énormément. Car à la façon d'autres thématiques romanesques qui me sont chères comme les énigmes artistiques ou les Lectures gourmandes, je suis un fervent adepte des histoires romantico-temporelles, où vie antérieures et amours passées ressurgissent de façon fantastique dans le présent, ou encore quand une histoire d'amour se joue miraculeusement de la chronologie réelle pour survivre au temps qui passe (eh oui, c'est mon côté guimauve, que voulez-vous...^_^'). Cet attrait pour ce genre d'intrigue m'est venu avec le thème des vies antérieures très présent dans La prochaine fois de Marc Levy, et j'apprécie de retrouver une atmosphère similaire dans d'autres roman ou films. Le trailer de Hors du temps m'évoquait justement deux autres films de ce style que j'avais adoré: Entre deux rives et Kate et Leopold.

Bande-annonce de Hors du temps, l'excellente adaptation du roman Le temps n'est rien.

  Lu il y a de cela environ un an, Le temps n'est rien mérite que je prenne le temps de lui dédier un article, tant il m'a chamboulé. Passé la surprise de la trame hors du commun, je me suis très vite fait à l'anomalie génétique d'Henry : présentée avec un réalisme troublant et une logique médicale déstabilisante, elle devient un élément du quotidien presque banal pour les protagonistes, ce qui nous amène à la considérer comme tel également en tant que lecteur. De plus, j'ai été captivé par le style de l'auteure, très prenant et à mille lieues de l'éventuelle mièvrerie que pourrait laisser entendre le postulat de départ. Audrey Niffenegger sait en effet poser les termes exacts et percutants pour exprimer chaque sentiment, chaque sensation ou ressenti, au point que j'en étais moi-même profondément secoué, ébranlé.

  Le profond réalisme apporté aux personnage et aux événements qu'ils traversent, au-delà de la dimension fantastique de l'intrigue, permet de se reconnaitre en eux et dans les réflexions suscitées par la fuite du temps, inévitable et bien souvent douloureuse. Ainsi, ce roman m'a semblé être plus qu'une simple fiction : il est une superbe métaphore sur le temps qui passe et le caractère fugace de toute chose, l'attente, ou encore le deuil. Ce livre subtil et viscéral d'une rare beauté met en scène, sous forme d'une fable fantastique, le quotidien douloureux de deux personnes qui ne parviennent pas à trouver le "bon timing" pour vivre leur amour, et qui sont pour cela obligées de faire avec ce décalage. Cette seconde lecture évidente touchera donc tout lecteur qui pourra se souvenir avoir vécu, au moins une fois, une histoire d'amour à la complexité similaire... 

 Quelques éditions étrangères aux couvertures appétissantes... =D (oui, je sais : "Moi et mes couvertures..." ^_^').

En bref : un roman dans lequel le fantastique passe au second plan, métaphore du temps qui passe et qui vient rouiller l'histoire vécue par les protagonistes du roman. Un récit à la prose tellement précise et efficace qu'il nous remue profondément, un chef-d’œuvre unique et atypique.

Et pour aller plus loin...

mardi 10 juillet 2012

Night School (#1) - C.J. Daugherty

Night School, Atom, 2012 - Éditions Robert Laffont, 2012.


 Qui croire quand tout le monde vous ment ?

Tout l’univers d’Allie Sheridan menace de s’effondrer. Elle déteste son lycée. Son grand frère a fugué. Et elle vient de se faire arrêter par la police pour vandalisme. Une fois de plus. C’en est trop pour ses parents qui décident de l’envoyer loin de Londres et de ses mauvaises fréquentations, dans un internat perdu dans la campagne et au règlement quasi militaire. Avec son architecture gothique et son personnel en livrée, l’école privée Cimmeria semble tout droit sortie d’une autre époque. On y travaille dur. Ni les ordinateurs ni les téléphones portables n’y sont autorisés. L’établissement est fréquenté par un curieux mélange de surdoués, de rebelles et de fils de millionnaires. Mais, contre toute attente, Allie s’y plaît. Elle se fait des amis et rencontre Carter, un garçon solitaire et ténébreux, aussi fascinant que difficile à apprivoiser…
Peu après son arrivée, cependant, des événements étranges commencent à se produire : Allie est attaquée dans le parc, des élèves inscrits à la très secrète et très fermée « Night School », dont les activités demeurent un mystère pour qui n’en fait pas partie, rentrent blessés de leurs activités. Pire, le soir du bal, une camarade est assassinée de façon horrible… Allie prend alors conscience qu’il se joue à Cimmeria des choses beaucoup plus obscures que ce qu’on veut bien lui révéler. Ses camarades, ses professeurs, et peut-être même ses parents, lui cachent d’inavouables secrets. Cernée par les mensonges et le danger, Allie devra rapidement choisir à qui se fier.


Poussez les portes de Cimmeria, complots et passions vous tendent les bras...


  J'ai entendu parler pour la première fois de ce roman lorsque Mya (du blog Mya's books - décidément, elle m'en aura fait découvrir, des bouquins =D ) a annoncé sa sortie à venir il y a de cela quelques mois. La couverture, quoi que finalement assez simple, avait quand même "de la gueule", ou du moins une certaine allure : un slogan accrocheur qui titille le potentiel lecteur, tandis que le contraste entre la police de caractère classique (voire "romantique") du titre et le style plutôt rock de la jeune fille aux cheveux écarlates retient l'attention. Du coup, je m'étais attardé sur le résumé pour en savoir plus et avais découvert une trame comme je les aime, à savoir une intrigue mystérieuse se déroulant dans un pensionnat!
Après ma lecture du premier opus de Hantée (qui se déroule justement dans un internat), souhaitant découvrir la nouvelle collection "R" des éditions Robert Laffont, mais surtout me délecter encore un peu d'une atmosphère "private boarding school" , j'oubliai toute bonne résolution financière et fonçai chez mon libraire pour m'offrir ce roman...

  C'est avec une anti-héroïne profondément rebelle que nous faisons connaissance dès les premières pages : depuis que son frère aîné a mystérieusement disparu, Alyson "Allie" Sheridan s'enfonce chaque jour un peu plus dans la délinquance. Entre fugues, actes délictueux et vandalisme au lycée, la jeune fille se fait continuellement remarquer par son comportement extrême, au point de se faire arrêter par les autorités! Ses parents, à bout de force, lui font quitter Londres et intégrer Cimmeria, un pensionnat privé qu'ils lui présentent comme un établissement pour "adolescents difficiles".
Perdue en pleine campagne anglaise, l'institution en question est une sublime bâtisse de briques rouges entièrement coupée du monde, un manoir gothique entouré de gigantesques dépendances. En effet, Cimmeria semble éloignée de toute forme de civilisation et la direction va jusqu'à interdire l'usage des portables et ordinateurs.
Régie par un règlement particulièrement stricte, l'école impose à ses étudiants un rythme draconien qui laisse craindre à Allie une bien triste scolarité. Et pourtant, contre toute attente, elle s'habitue peu à peu au fonctionnement certes classique mais au final pas si désagréable de l'établissement. Cependant, alors qu'elle commence à se faire à sa nouvelle vie, Cimmeria se dévoile sous un nouveau jour, bien loin de la parfaite pension anglaise. Alyson apprend tout d'abord l'existence de la "Night School", sorte de groupe d'étude privé interne à l'école, mais dont les membres et les agissements sont classés secrets. Puis se succèdent de sombres événements : d'étranges bruits se font entendre aux abords des bâtiments, les accidents sanglants se suivent, tout le monde (élèves et professeurs) semble avoir quelque chose à cacher, puis, comble de la situation, une élève meurt dans d'horribles circonstances!
A la fois intriguée et effrayée par la tournure des événements, Allie découvre vite qu'elle est bien plus concernée qu'elle l'imagine  par ce qui se trame à Cimmeria, de même que sa vie est intimement liée à l'école, que ce soit son Histoire passée ou... ses horreurs à venir...


 
Trailer officiel pour la sortie du livre.
(images intéressantes mais j'aurais préféré une autre musique ^^)

  Alors, qu'en dire? Tout d'abord, les points positifs : J'ai beaucoup apprécié le personnage d'Allie ; plus fouillée que la Rory de Hantée, Allie présente une personnalité fragile et complexe qui a titillé l'éducateur spécialisé en formation que je suis. En effet, la jeune fille a un comportement que l'on appelle "ordalique", c'est à dire qu'elle repousse sans cesse les limites de ses actes pour exprimer son malêtre et donner une sens à une existence qui n'a pour elle plus aucune saveur. Je tombe rarement sur ce genre de personnage dans les fictions que je lis et cela a suffit à donner, à mes yeux, une épaisseur à celle-ci, d'autant plus que l'auteure retranscrit ces symptômes et manifestations ordalique avec un réalisme tout à fait crédible (j'avais parfois l'impression de lire un de mes sujets d'épreuve éducative ou même une vraie situation d'accompagnement socio-éducatif =P).
  Je me suis également régalé de l'atmosphère et des ressorts plus "romanesques" de l'intrigue. L'ambiance de Cimmeria est très bien restituée et l'on imagine avec aisance ses briques rouges ainsi que son architecture gothique étouffante. Chapeau à C.J. Daugherty qui nous gratifie de superbes descriptions des intérieurs de l'école, nous permettant de visualiser sans peine son lourd mobilier ancien, ses tapisseries moyenâgeuses (dont certaines rappellent fortement La Dame à la Licorne) et... ses nombreux passages secrets! Ce décor massif une fois installé, l'auteure instaure peu à peu, avec une maîtrise surprenante du suspens pour un premier roman, la tension qui gagne peu à peu l'école et ses occupants.

"Au pied d'une colline boisée (...) se dressait un manoir gothique de briques rouge sombre (...). Son toit anguleux était une succession de saillies pointues, de pics et de tourelles, surmontées de sortes de dagues en fer forgé qui poignardaient le ciel."
(Chapitre 3).

  Les incidents -de plus en plus en plus sombres, pour notre plus grand plaisir!- se succèdent à un rythme tout d'abord lent (laissant penser à de banals accidents ou de simples coïncidences) puis de plus en plus saccadé, en même temps que les révélations aux nombreux questionnements qui naissent à chaque chapitre sont délivrées au goutte à goutte, et toujours partiellement! Cette habile distillation permet à C.J. Daugherty de tenir son lecteur en haleine sans pour autant le lasser, de le satisfaire sans trop lui en dire, pour que l'aura de mystère toujours persistante lui donne envie d'aller plus loin. Longtemps, elle laisse planer le doute quant au genre du livre (Fantastique ou thriller?), ce qui a d'ailleurs suffit à réveiller mes comportements de lecteur compulsif (me relever en pleine nuit pour poursuivre une lecture? Moiiii? Jamais de la vie, voyons... ^^).
  En parallèle de cette atmosphère globale, j'ai adoré les passages un peu plus clichés, mais qui font toujours leur petit effet (codes typiques de la série B du style: "les personnages se séparent au beau milieu d'une forêt effrayante alors qu'ils savent très bien que c'est LA dernière chose à faire pour rester en vie") et dont on ne se lasse pas! Mais heureusement, l'auteure sait également faire preuve d'une certaine finesse dans son écriture, et j'ai beaucoup apprécié le parallèle qu'elle nous amène à faire entre ce qui se trame à Cimmeria et les thèmes étudiés en littérature (notamment les codes baroques : le caractère inévitable du destin, l'absence de libre-arbitre et l'idée que nous ne serions que des pantins entre les mains d'une puissance supérieure).

"En vérité très exacte
Et non point par métaphore,
Nous sommes des marionnettes
Dont le Ciel est le montreur :
Sur le théâtre du Temps
Nous faisons trois petits tours,
Puis tombons tour à tour
Dans la boîte du Néant"
Omar Khayyâm, cité au chapitre 20. 


Si l'édition française reprend la couverture originale britannique, les éditions américaine, néerlandaise, et allemande se sont permises quelques réalisations originales!

  Du côté des points négatifs, j'avoue avoir été très déçu par les personnages et intrigues secondaires : Si Allie est réussie (ainsi qu'Isabelle, la très classe directrice de l'école), on ne peut pas en dire autant de ses camarades, que j'ai trouvé d'une affligeante banalité. Tout dans leurs faits et gestes m'est apparu prévisible et stéréotypé ; heureusement que ce manque de relief est compensé par les points positifs évoqués précédemment, sans quoi j'aurais certainement pu décrocher rapidement, tant cela joue sur la maturité du livre et sa crédibilité. Idem pour l'intrigue sentimentale et le classique triangle amoureux, qui m'a maintes fois fait lever les yeux aux ciels tellement cela pouvait frôler le ridicule par moment...

 La couverture serbe, bien imaginée même si l'aspect très "Lizbeth Salender" d'Allie avec son physique avant/après peut surprendre!

 Couvertures des éditions estoniennes, turque et israélienne.

  Au final, malgré quelques loupés dans les éléments secondaires de son intrigue, C.J. Daugherty s'en sort plutôt bien avec ce premier roman. Grâce à une excellente maîtrise du suspens et des atmosphères, elle parvient à accrocher le lecteur et à s'assurer de sa fidélité pour le tome suivant. Je le conseille à toute personne qui aime les intrigues mystérieuses ayant pour cadre de l'action un pensionnat : ceux qui ont adoré enfants Les disparu de St Agil ou, adolescent, la mini-série L'Internat, diffusée sur M6 il y a de cela trois ans. Night School m'a en effet beaucoup rappelé cette saga très divertissante!

mardi 3 juillet 2012

Chapeau Melon et Bottes de Cuir : "l'article de la mort" - Patrick MacNee & Peter Leslie.

Deadline
, Hodder and Stoughton, 1965 - Titan Books, 1994 - Huitième Art Éditions, 1995.



    Quelqu'un a modifié le texte des discours officiels publiés dans les éditions européennes des journaux britanniques : les gouvernements sont ainsi amenés à rappeler leurs ambassadeurs et les manifestations anti-anglaises éclatent un peu partout à l'étranger.
John Steed et Emma Peel sont chargés d'enquêter incognito dans les salles de rédaction du périodique "Le Courrier", à Fleet Street. Leur mission : mettre au jour et démanteler la "Confrérie", une bande de néo-fasciste qui ne recule devant rien, pas même l'assassinat, pour renverser le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté et prendre le pouvoir.



***


    Tout récemment, nous avons consacré un article à Chapeau Melon et Bottes de Cuir (The Avenger), l'une de nos séries favorites (si ce n'est LA série favorite). Véritable phénomène de société, cette production anglaise des swinging sixties a, comme toute série à succès très tôt dans l'histoire du petit écran, entraîné à sa suite une foule incalculable de novélisations ou adaptations. Or, dans le cas de The Avengers, il s'avère que l'un des premières transpositions sous forme de roman fut assurée par... Patrick MacNee lui-même, soit l'acteur principal au chapeau melon. S'il est aidé à l'écriture par l'auteur Peter Leslie, on se réjouit de voir le comédien participer à cet ouvrage. En effet, qui mieux que lui pouvait retranscrire l'atmosphère unique de cette série ? Personne, quand on sait que MacNee a progressivement façonné son propre rôle tantôt en s'inspirant de sa personnalité, tantôt en la parodiant...

    Imaginée en 1965, l'intrigue a été écrite en pleine saison 4, tournant qui introduisait la divine Emma Peel (interprétée par Diana Rigg) aux côtés de l'agent spécial John Steed. C'est donc tout naturellement que ce roman met en scène cet iconique duo, dans une intrigue typique des épisodes de cette saison. Chaque scénario avait la particularité de nous plonger dans un nouvel univers (tantôt une enquête dans le monde du cirque, puis une aventure dans le milieu de la bourse, ou encore dans le secteur de la météorologie quand ce n'était pas la robotique ou l'astronomie, etc...) et d'en exploiter tous les ressorts et l'imagerie pour servir autant les rebondissements que l'extravagance des décors ou la psychologie des protagonistes. Ce premier des deux livres co-écrits par Patrick MacNee nous immerge quant à lui dans l'univers du journalisme et se déroule en grande partie dans le quartier londonien de Fleet Street, qui a longtemps été le siège de la presse anglaise...



    Le roman s'ouvre sur une catastrophe diplomatique : depuis quelques temps déjà, les éditions publiées à l'étranger des grands périodiques britanniques font scandale : les articles rapportant les discours des hommes politiques anglais ont été modifiés et les propos qu'ils auraient tenus sont bien peu sympathiques pour les voisins européens de la Grande-Bretagne. Conformément à l'esprit si particulièrement décalé de la série, les discours truqués en question sont surtout à se tordre de rire : quand les textes ne critiquent pas les piètres talents de cuisinière des épouses françaises, c'est par exemple pour se moquer des fautes de goût vestimentaire des célibataires hollandais! Mais ce qui pourrait être pris au premier degré fait polémique dans le monde politique, au point de mettre en froid les divers représentants des pays concernés comme s'il s'agissait de véritables affaires d'Etat!


  Comme traditionnellement dans la série, Steed et Emma Peel s'infiltrent ensuite dans l' "univers" mis à l'honneur, toujours en gardant leur véritable identité mais en s'inventant la profession et la vie qui leur permettent de mieux se fondre dans le décor pour mener l'enquête. Comme on peut s'en douter, ils se font passer cette fois pour des journalistes... mais là où d'autres fictions en auraient fait des reporters de premier plan, les codes de The Avengers détournent de nouveau ceux des grands récits d'espionnage et notre héros masculin se voit embauché à la rubrique des potins mondains (!) tandis que sa divine partenaire -certes très féminine mais avant tout femme d'action- s'infiltre chez les crêpeuses de chignons de la rubrique "mode et beauté". Le tout apporte donc son lot de quiproquos et de passages tordants.


  Mais parce que Chapeau Melon et Bottes de Cuir sait doser les atmosphères, ce ton humoristique alterne aussi avec des scènes intenses dignes d'un film d'espionnage. Sous-couvert d'une trame de prime abord très légère, L'article de la mort révèle au lecteur une intrigue politique exceptionnellement ingénieuse et inattendue. En effet, à l'image des meilleurs épisodes de la série, le milieu apparemment inoffensif où se déroule l'enquête (un petit théâtre des plus ridicules ou encore un standard téléphonique Ô combien banal) s'avère n'être qu'un écran de fumée, l'arbre qui cache la forêt et dissimule une affaire bien plus importante (une secte dangereuse, un groupe d'anarchistes meurtriers ou pourquoi pas des créateurs de robots assassins...). Patrick MacNee réussit donc à s'approprier ce même mélange des genres et à surprendre le lecteur en sortant de son chapeau (melon) un complot politique machiavélique et extrêmement bien pensé. De plus, on le sent extrêmement bien documenté sur le milieu du journalisme et la création d'un quotidien. Plongés dans cet univers délicieusement rétro de machines à écrire, de téléscripteurs et de visionneuses à archives, vous entendrez presque le cliquetis des ongles manucurés sur les claviers et les sonneries stridentes des téléphones à cadran! Un régal! 
 
"Mrs Peel, on a besoin de nous!"

  Les grands amoureux de la série télévisée prendront plaisir à retrouver tous les éléments clefs de la mythologie des Avengers, qui relèvent parfois du détail mais permettent vraiment de retrouver le parfum d'un épisode original : la séquence légendaire du "On a besoin de nous" (véritable gimmick de l'ère Emma Peel), l'alternance entre scènes d'action puis scènes d'appartements (nos héros retournant déguster un copieux repas -miraculeusement confectionné et servis comme par magie dans leur salon- après une course-poursuite ou une fusillade mortelle), les jeux de mots savoureux, les joutes verbales pleines de piquant et surtout, la relation ambiguë entre les deux protagonistes ou encore l'omniprésence du champagne, symbole de la série qui semble pimenter une scène par la simple évocation de son pétillant.


  En bref : Un livre qui a rempli toutes ses promesses. Patrick MacNee a restitué à merveille l'atmosphère de la série, au point qu'on visualise sans peine cette aventure aussi bien qu'on se plongerait dans un vieil épisode du feuilleton. Les images mentales abondent et les voix des comédiens résonnent dans la tête du lecteur, tandis qu'on croit même entendre les mélodies iconiques de la série !

Pour aller plus loin:

dimanche 1 juillet 2012

Hantée, tome 1: Les Ombres de la Ville - Maureen Johnson.

 Shades of London, Book 1: The Name of the Star, Putnam Juvenile, 2011 - Éditions Michel Lafon, 2012.


À Londres, un assassin hante les rues, réveillant la légende de Jack l’Éventreur. Malgré l'omniprésence des caméras, le tueur est indétectable et les dates anniversaires des meurtres originaux sont marquées des découvertes de nouveaux corps. Le modus operandi du meurtrier est similaire et les victimes portent les mêmes noms que les prostituées sauvagement massacrées plus d'un siècle auparavant. 
Aurora "Rory" Deveaux, jeune native de la Louisiane arrivée depuis peu sur le campus, se rend compte qu’elle est la seule capable de voir l'assassin pourtant invisible aux yeux du plus grand nombre. Accompagnée d’un groupe de mystérieux individus eux aussi en mesure d'apercevoir le tueur, elle plonge au plus profond des brumes de la cité pour l'arrêter. À moins que son don ne fasse d’elle la prochaine victime… 

...Entrez dans le monde de l’invisible... 

***

  Fasciné depuis toujours par le mythe de Jack l’Éventreur et le Londres victorien et son atmosphère sombre et brumeuse, on a été attiré par ce roman dès que sa parution a été annoncée. Notre curiosité piquée par la très jolie couverture (un fog épais, les contours flous de bâtisses géorgiennes émergeant de la grisaille, une jeune femme à la beauté fragile et évanescente, et de délicieuses enluminures... autant dire que c'était prometteur) et par le synopsis, on s'est très vite laissé tenter et ce malgré les critiques parfois mitigées lues sur le net.

 Photographie originale de Rebecca Parker pour la couverture du roman.

    Aurora (mais appelons-là Rory, puisqu'elle insiste) débarque de sa Louisiane natale pour suivre ses études dans le pensionnat de Wexford, lycée situé à Londres, en plein cœur de Whitechapel. Or, ce quartier n'est pas des plus fréquentables en cette période de rentrée scolaire puisqu'il est le terrain de jeu d'un copycat, un tueur en série s'évertuant à copier les meurtres perpétués par Jack l’Éventreur à l'Automne 1888. L'affaire fait les choux gras de la presse et fascine autant qu'elle affole la population et les touristes, d'autant plus que les vidéos de surveillance ne dévoilent pas le visage de l'assassin... ni même son corps, son ombre ou ne serait-ce qu'une vague silhouette. En effet, les bandes des caméras montrent les victimes sauvagement attaquées par une force... invisible ! Aurora, pour sa part, suit ces nouvelles d'une oreille relativement distraite : peinant à s'adapter aux mœurs britanniques, elle essaye surtout de prendre le rythme de sa nouvelle vie malgré un choc des cultures des plus déstabilisants. Heureusement, elle se lie rapidement d'amitié avec Jazza, sa camarade de chambre, et Jerôme, au charme duquel elle n'est pas insensible. Ce dernier, d'ailleurs, est fasciné par les meurtres du Nouvel Éventreur et entraîne ses deux amies à la chasse aux scoops sur le criminel. Mais ce qui n'est au départ qu'une petite distraction sans conséquence devient très vite un jeu dangereux, car lorsque le petit groupe croise la route du tueur, Rory réalise qu'elle est la seule en mesure de le voir, l'entendre et lui parler. Comment se fait-il qu'il reste invisible aux yeux des autres? Qui est-il? Un fantôme, l'esprit assoiffé de sang du premier Jack l’Éventreur? Si c'est le cas, pourquoi Rory dispose-t-elle soudain de la faculté de communiquer avec un défunt ? Alors que les événements se précipitent dans les rues sombres de Whitechapel, le don de Rory attise la colère de l'assassin et fait d'elle une cible de choix...

Trailer pour la sortie en VO du livre.

    Visuellement attrayant, ce premier opus, Les ombres de la ville, joue la carte de l'esthétisme : le livre s'ouvre en effet sur une superbe carte de Londres illustrée et chaque nouveau chapitre est décoré d'enluminures et d'une police de caractère aux accents gothiques. Les amoureux, comme nous, des intrigues à énigmes dans un décor de pensionnat à l'ancienne (un attrait sûrement né avec notre lecture, enfant, des Disparus de Saint Agil, de Pierre Very) seront servis : l'arrivée de Rory dans cette école aux accents old school immerge les lecteurs dans une atmosphère aussi angoissante qu'enthousiasmante. On a adoré l'ambiance de l'établissement et on s'est laissé aller à imaginer, au fil des descriptions de l'autrice, cette sublime bâtisse de l'époque victorienne : ses hauts murs de vieilles briques, ses couloirs de bois lambrissé, son réfectoire aménagé sous la nef d'une ancienne chapelle, ou encore sa bibliothèque pleine d'ouvrages épais et poussiéreux. D'ailleurs, bien que le pensionnat de Wexford n'existe pas réellement, Maureen Johnson s'est inspirée d'un bâtiment véritablement situé dans le quartier de Whitechapel pour l'imaginer. La romancière restitue avec réalisme le quotidien des étudiants et la fourmilière de ce pensionnat aux murs séculaires... 
 
 
Le bâtiment qui a inspiré l'auteure pour imaginer le lycée de Wexford. 
Selon Maureen Johnson, la chambre de Rory et Jazza se situerait derrière les trois fenêtres côte à côte du premier étage.

    Dans ce contexte très confiné, presque à huis clos, Maureen Johnson plante peu à peu le décor. Alors qu'elle pose progressivement les différents éléments nécessaires à l'intrigue, on suit la lente adaptation de Rory et ses habitudes d'Américaine face aux coutumes britanniques (le choc des cultures amenant à quelques scènes assez drôles). Parallèlement, à l'extérieur du campus, les meurtres se multiplient et leur  impact médiatique "force" les portes de Wexford jusqu'à faire brusquement irruption dans la vie des lycéens. Une fois l'héroïne pleinement confrontée au meurtrier et à son caractère surnaturel, l'intrigue s'éloigne quelque peu du pensionnat, et donc tout à la fois de l'univers"private boarding school" qu'on aime tant. Fort heureusement, chaque excursion londonienne est l'occasion de nous faire découvrir la ville de façon détournée, et particulièrement ses lieux clefs de l'histoire de l'éventreur ou des sites souterrains aussi fascinants qu'inquiétant...

"L'air londonien avait une odeur étonnamment pure et fraîche, voire un peu métallique. Le ciel était d'un gris dense, uniforme."


Le pub The Ten Bells, le marché de Spitafield, ou encore la station de métro abandonnée de King William Street...
autant de lieux traversés par ce roman, qui donne une furieuse envie de vacances londoniennes...
 
    Dès lors, le parfum victorien qui planait depuis le début du roman disparait également : l'intrigue s'écarte en effet de la figure de Jack l'éventreur et nous emmène à la rencontre d'une unité rattachée aux services secrets et à la Société pour la recherche psychique, ambiance plus moderne aussi bien dans les décors que dans les thèmes abordés. La transition pourrait presque paraître un peu trop soudaine, mais Maureen Johnson parvient à faire tenir le tout grâce une mythologie intéressante et à des idées ingénieuses. Si on regrette un peu que le roman prenne ses distances avec le mythe de Jack l'éventreur, on s'est entre temps trop attaché aux personnages pour se prétendre déçu. Grâce à un très habile mélange de frisson et d'humour (en partie assuré par Rory et son décalage constant avec le paysage so british), le tout peut par moment évoquer une version délocalisée de Buffy, avec ce mélange d'univers adolescent lycéen qui se confronte aux forces occultes d'un cadre urbain aux accents gothiques. Ce sentiment est renforcé par la petite équipe de protagonistes qui se forme, très scooby gang.



    Le final laisse planer de brûlantes questions quant à l'avenir de Rory, suffisamment intrigantes pour nous donner envie de poursuivre cette trilogie. On attend donc le second opus avec impatience, en souhaitant qu'il exploitera encore plus ce que celui-ci contenait déjà de très bon (les références à la Société pour la recherche psychique, fondée en 1882 et ayant réellement existé, donnent envie d'en savoir plus ; on espère qu'il en sera davantage question dans l'opus suivant).
 
"Plutôt que de décrire un fantôme comme un mort autorisé à communiquer avec les vivants, définissons-le comme la manifestation d'une énergie personnelle persistante."
(Fred Myers, Actes de la Société pour la Recherche Psychique, volume 6, 1889.)  




Couvertures des éditions grecque,  Tchèque, et russe.

En bref : Londres, un pensionnat au cœurs des brumes de Whitechapel et... le retour de Jack l'éventreur. Si le mythe de l'iconique tueur en série sert surtout à appâter les lecteurs, ce premier opus de Hantée se révèle très prometteur. Face aux spectres qui se promènent en ville, Rory affronte avec humour et ironie des forces occultes dans une Angleterre chargée d'Histoire. On s'attache aux personnages et on frissonne plus d'une fois au cours du livre. Vivement la prochaine rentrée à Wexford !


Et pour aller plus loin...