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mardi 21 novembre 2017

Mémoire espionne du coeur - Frédéric Ferney (textes) et Jean-Pierre Cagnat (illustrations)

Editions Baker Street, 2017.

   Qui n’a pas rêvé de rencontrer un écrivain aimé, de lui parler ou de lui écrire, voire d’entrer dans sa confidence ? Frédéric Ferney, lui, pousse l’audace un peu plus loin, en allant à la rencontre d’auteurs disparus. Mais un écrivain qu’on aime, disparaît-il jamais ?

  Partant du principe que ces artistes – leur esprit, leur humour, leur univers – nous accompagnent en permanence, Ferney a conçu une série de rencontres imaginaires dans lesquelles il dialogue avec – ou fait dialoguer entre eux – de grandes figures des arts, des lettres et de l’histoire, de la Renaissance à nos jours.

  Cela donne, sous sa plume tempétueuse et passablement insolente, une correspondance au vitriol entre Baudelaire et Sainte-Beuve, des lettres décapantes entre Marguerite Duras et Marguerite Yourcenar, mais aussi des échanges affectueux, inattendus ou cocasses, entre Debussy et Toulouse-Lautrec, Jean Cocteau et Edith Piaf, Andy Warhol et Françoise Sagan, Fabrice Luchini et Céline…

Dans un carnaval d’inventivité tour à tour corrosif, songeur et tendre, Frédéric Ferney rend hommage à quelques génies qui ont illuminé nos vies, et qui continuent à cheminer, toujours aussi vivants, à nos côtés.

  Pour paraphraser Apollinaire : « Les jours s’en vont, ils demeurent. »

***

  Décidément, les éditions Baker Street aiment les pastiches et les exercices de style! Après une anthologie détournant habilement le personnage de Sherlock Holmes dans Le détective détraqué puis des recettes racontées dans les styles empruntés aux plus grands auteurs avec La Soupe de Kafka, voilà un recueil au contenu tout ce qu'il y a de plus inattendu.


"L'illusion comique,c'est ce qu'on appelle:une heroic fantasy,quelque part entre Games of Thrones et la Princesse Mononoke dont mon petit-neveu raffole.On oublie que ce classique fut d'abord un baroque,et qu'il n'a jamais cessé de l'être."

  Imaginez que vos artistes préférés, vos auteurs favoris, et pourquoi pas même quelques hommes politiques contemporains, se mettent soudain à échanger des lettres ou se prendre au jeu d'une joute verbale. Imaginez que ces deux peintres reconnus dont on a tant comparé le coup de pinceau (De Vinci et Raphaël) ou ces deux écrivains aux univers pourtant si éloignés l'un de l'autre entament soudain un dialogue (Oh, Oscar Wilde qui taille la bavette à Nathalie Sarraute!)... Que se raconteraient-ils? C'est ce que propose l'impétueux Frédéric Ferney dans cet ouvrage composé de dialogues imaginaires tous plus fantaisistes les uns que les autres. Mettant en confrontation Matisse et Picasso ou faisant philosopher Piaf et Cocteau, l'auteur réunit les plus Grands, tantôt ceux qu'on aurait adoré voir se rencontrer, tantôt ceux que nous n'aurions jamais imaginer un jour voir s'adresser la parole!


"-Quelle arrogance!Pour qui vous prenez-vous?
-Se prendre pour soi,ça m'a pris du temps."

  J'ai toujours dit que pour faire du bon pastiche, il fallait le faire avec intelligence : Frédéric Ferney vient confirmer que le savoir se fait le meilleur allié de l'humour. Avec un talent subtile et unique du détournement, il vient ressusciter les grandes personnalités des Arts et des Lettres pour en faire des personnages de fiction pris au propre piège de leur légende et de leur style, qu'il s'approprie avec brio. Évidemment, tout comme pour la Soupe de Kafka, il est difficile de connaître ou reconnaître tous les auteurs et artistes mis en scène et les styles propres à chacun (à moins de détenir un doctorat en Humanité ou Littérature, peut-être), mais alors, dans ce cas, Mémoire espionne du cœur vient éveiller la curiosité de les découvrir.


"...Je ne saurais trop recommander la valeur purgative, exorcisante, du pastiche."

  Jamais assommant même lorsqu'il calque l'écriture ampoulée d'un Proust, F.Ferney fait de la culture avec un grand C un immense terrain de jeu la légèreté côtoie l'érudition. Un très bel hommage au caractère immortel des artistes et des légendes humaines dans le fond comme dans la forme, des textes ciselés à la fois profonds et délicieusement insolents.

"On aura beau me prouver le contraire, mes figures de papier ont une existence, une épaisseur, une identité. Je les reconnais plus facilement dans la rue que ma banquière ou mon crémier (...) Pour moi le père Goriot est plus vivant que la reine d'Angleterre!"

En bref : Ces dialogues rêvés et correspondances imaginaires entre personnalités réelles sont la quintessence du pastiche et de l'exercice de style réunis. Frédéric Ferney livre un ouvrage au contenu inattendu mais qui s'avère être l'un des plus beaux hommages au monde des Arts et des Lettres et à ses représentants.

Un grand merci aux éditions Baker Street pour cette découverte.

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