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mercredi 10 janvier 2018

Interview au débo-thé d'Arnaud Bachelin : rencontre entre un lapin et un renard...



  Il y a quelques jours, je vous parlais du passionnant L'heure de véri-thé, publié chez Baker Street : ouvrage qui nous présente à la fois l'Histoire et les multiples facettes du thé, par Arnaud Bachelin, spécialiste de cette boisson qui tient son propre salon à Paris.
  Alors en séjour à la capitale, une rencontre avec l'éditrice de Baker Street, Cynthia Liebow, a été l'occasion d'improviser une interview avec Arnaud Bachelin, que nous sommes allés retrouver dans son antre en fin de journée. Nous voilà donc gagnant le 5 rue de Condé, dans le sixième arrondissement de Paris : alors que les terrasses des restaurants se remplissent, la boutique d'Arnaud Bachelin, Thé-ritoires, arrive à la fin de son service journalier et s'apprête à s'ouvrir à un tea-time privé pour notre interview.


  Arnaud nous accueille dans son salon, qui semble soudain à des milliers de lieues de l'agitation parisienne : pavés et tommettes à l'ancienne, comptoir gardant précieusement l'accès à une gigantesque étagère garnie de jarres et autres boites, mobilier dépareillé patiné, fauteuils et banquettes en cuir ou en tartan, sans oublier, au beau milieu des théières anciennes et autres samovars vintage, un arbre féérique qui semble s'échapper du sol et vouloir traverser le plafond. Saison des fêtes oblige, il doit partager l'espace avec un imposant sapin qui est pour l'occasion orné de tasses en porcelaine. Le temps s'est arrêté -à moins que nous l'ayons remonté?- et il se pourrait que nous soyons tombés comme par magie dans le salon du 221b Baker Street ou même dans la caverne de Monsieur Tumnus, le faune so british des Chroniques de Narnia.

 crédit photo : Thé-ritoires

  Arnaud nous invite à prendre place aux côtés de quelques renards de bois ou de laine arborant fièrement nœud papillon, symbole et alter-ego animalier de notre hôte qui nous sert presque aussitôt thé fumant et scones (faits maison, s'il vous plait!) à la clotted cream et gelée de bergamote. Il se joint à nous, prêt à répondre à mes quelques questions... Attention, c'est parti!

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Pedro Pan Rabbit : La petite bio en quatrième de couverture du livre vous présente comme un "archéologue et spécialiste du thé", mais quel est votre parcours exactement, votre histoire et le chemin effectué jusqu'à aujourd'hui?

Arnaud Bachelin : A la base, je suis universitaire ; j'ai rédigé une thèse en archéologie pré-historique avec une spécialisation en paléobotanique. Mon métier consiste à parler de la place de la plante dans la civilisation et plus précisément au cours du Néolithique. Une fois chargé de cours, je me suis très vite ennuyé : j'ai toujours été habitué à avoir des journées bien remplies : J'ai grandi dans le Morvan, une région qui parait rude mais qui est en réalité très méconnue, aux côté d'un grand-père féru de botanique et de jardinage ; lorsque j'avais 15 ans, j'avais déjà rejoins plusieurs sociétés savantes locales et je passais des heures à étudier les archives. 
  J'ai donc envisagé une nouvelle voie autours de la plante, d'abord en cherchant à me spécialiser dans les herbiers du XVIIIème siècle ou alors en devenant le nouveau spécialiste du territoire local, mais c'était justement la carrière dans laquelle mon grand-père s'était illustré et on peut difficilement construire sa vie autour de cette profession aujourd'hui, c'était une autre époque.
  J'ai donc décidé de travailler dans le thé, que j'aime et bois depuis l'enfance. A l'époque, j'étais en Angleterre et une amie m'a invité à postuler en ligne dans ce secteur pour ce qu'elle appelait " le job de mes rêves", alors que je n'avais aucune formation. "C'est le monde anglophone, tout est possible" a-t-elle prétexté, et elle avait raison : pris deux jours à l'essai, je suis devenu acheteur au bout d'un mois... puis me suis là aussi très vite ennuyé. Encore sur motivation de mon entourage, j'ai postulé auprès d'une autre maison de thé que j'adule et y suis entré quelques temps plus tard en tant que responsable de comptoir. Le désir d'évoluer m'a par la suite amené à prendre un poste qui s'était libéré aux achats, où je n'ai eu qu'une seule semaine pour me former sur la simple observation. Puis j'ai eu la chance de me voir céder une collection complète, créée pour moi, pour que je ne m'ennuie pas.

crédit photo : Thé-ritoires

PPR : L'idée était de vous offrir une opportunité de vous retrouver davantage dans votre métier?

AB: Oui, et créer également, mais je ne voulais pas tant faire des mélanges que découvrir des nouveaux produits surprenants et originaux. C'était les prémices de Thé-ritoires : j'avais la liberté de choisir mes propres produits et leur quantité. C'est dans ce contexte que j'ai commencé à m'intéresser à l'Histoire du thé, de la plante : en tant qu'universitaire, je peux passer tout mon temps dans les livres pour lire et étudier absolument tout. Cela m'a donné l'idée d'évoluer encore et de transmettre ces savoirs en organisant mes premiers ateliers : réunir quelques personnes une fois par semaine autour d'un thé et enseigner son Histoire. J'ai très vite eu une liste d'attente.

PPR: Mais vous êtes bien revenu en France ensuite?

AB: J'ai travaillé quatre ans en Angleterre, puis on a voulu que je forme d'autres personnes pour animer les ateliers. Il se trouve que les clients venaient surtout me voir plutôt que l'enseigne pour laquelle je travaillais. J'étais arrivé à un tournant dans cette maison : lorsqu'une opportunité s'est présentée, j'ai choisi de revenir travailler en France, dans une autre grande maison à Paris. Le changement a été radical : même à Londres qui est une grande ville, je vivais à Richmond Park, un petit coin de campagne où j'avais mes habitudes, alors que je n'ai jamais vraiment été amoureux de Paris. La transition a été très difficile. Sept ou huit mois plus tard, je suis parti pour l’Italie sur un coup de tête, sans savoir pour combien de temps et pour y faire quoi... le hasard m'a fait rencontrer dans le salon de thé de Rome, une femme qui se disait parisienne et qui, après avoir eu connaissance de mon parcours, m'a proposé de la rappeler une fois de retour à Paris. Quelques temps plus tard, par son intermédiaire, j'obtenais une place dans le salon de thé du groupe pour lequel elle travaillait, et qui avait selon elle besoin d'être dynamisé. Je m'y suis de suite investi, j'ai fait des propositions, changé la carte des thés et très vite, j'y ai organisé des ateliers. Mais tout comme à Londres, les personnes venaient pour mon travail plutôt que pour le salon qui m'employait, ce qui a de nouveau posé quelques problèmes. La seule et unique solution qui se présentait était d'ouvrir ma propre maison : ainsi est né Thé-ritoires.

 Avec le Lapin d'Alice accroché au mur, je ne pouvais que prendre une photo!

PPR: Et ensuite, comment êtes-vous arrivé à l'écriture d'un livre?

AB : L'idée s'est présentée d'elle-même : j'écris et j'aime écrire depuis mes dix ans. J'ai de nombreux carnets que j'ai entièrement noircis, souvent avec des choses inutiles ou qui ne serviront peut-être jamais à rien, mais aussi parce que mon grand-père m'imposait alors d'écrire absolument 25 lignes par jour.

PPR: Sur n'importe quel sujet? 

AB: Oui, du moment que j'écrivais mes 25 lignes. Cela n'a jamais été personnel ou de l'ordre du journal intime, mais plutôt des observations, des historiettes. Ou même des débuts : j'ai toujours été plus doué pour les débuts et les fins que pour les milieux. Pour en revenir au livre, je me suis très vite rendu compte que ceux déjà existant sur le thé ne répondaient pas aux questions que je me posais. Je me suis dit qu'il me faudrait donc écrire celui qui le ferait. Cela m'a amené à effectuer de nombreuses recherches, creuser encore plus loin que je ne l'avais déjà fait. Je ne voulais pas d'un énième guide pratique sur le sujet, et j'ai eu la chance que les éditions Baker Street et moi soyons d'accord sur la démarche littéraire de ce livre.

Cynthia Liebow: En fait, le projet du livre s'est concrétisé parce qu'un ami commun, très anglophile et très sensible aux atmosphères, m'a parlé d'Arnaud -qu'il m'a présenté en tant qu'archéologue du thé- et de son salon, de son parcours. Je me suis immédiatement demandée s'il ne voudrait pas écrire un livre sur son sujet de prédilection... le temps a un peu passé et j'ai pris contact avec lui, nous nous sommes rencontrés : le projet du livre était lancé.

AB: A la suite de cela, l'écriture a été facile parce que j'ai été, comme je l'ai dit précédemment, élevé dans cette dynamique là et aussi parce que j'ai eu la chance d'aller à l'université et d'apprendre à synthétiser ; s'il fallait rassembler toutes les archives étudiées ou utilisées pour ce livre, il y aurait l'équivalent d'une armoire!

PPR: Oui, c'est pour cela qu'il n'y a pas de bibliographie en fin d'ouvrage?

AB: En effet, j'ai constitué une bibliographie que j'ai conservée, mais elle fait 42 pages en format A4, soit peut-être la moitié du livre si on l'y avait ajoutée. Une fois, une habituée du salon m'a demandé où elle pouvait retrouver telle ou telle référence, ce que je renseigne toujours avec plaisir. On trouve beaucoup de carnets de prêtres parmi mes sources, particulièrement les carnets du Père Huc. Cet homme a voyagé en Chine, Hongrie et Mongolie et a tenu dans ses carnets d'aventure des observations et comparaisons des différents thés qu'on y trouvait. Pour les autres sources, on trouve absolument de tout : vieilles plaquettes, anciennes publicités, sachets de thé et même des cartes postales.


PPR: Cela rejoint l'aspect transversal, très complet du livre : il évoque et touche à de nombreux milieux ou questionnements politiques, économiques, sociaux, et en même temps se lit comme un roman. Certains passages sont très romanesques, n'est-ce pas?

AB: Oui, on passe de grands économistes à des personnes plus légères, on aborde les révoltes des  suffragettes puis l'expansion de la porcelaine. Et oui, quand je me penche sur certains chapitres, je me dis que l'on peut en faire des romans indépendants tant toutes ces histoires sont dignes de grands dessins-animés d'aventure.

PPR: Et au-delà du contenu qui s'avère donc si romanesque, avez vous conscience que votre livre est loin du simple documentaire lambda et qu'il se démarque par un vrai style, une vraie plume?

AB: J'essaye toujours de ne pas écrire comme j'ai tendance à écrire spontanément, à réfréner mon écriture, celle que j'utilise dans les lettres que j'ai toujours l'habitude d'écrire à la main et d'envoyer par la poste. J'ai accepté de m'ouvrir à cette part de moi dans la rédaction du livre sur encouragement de Cynthia afin d'en faire comme le prolongement d'un de mes ateliers ou d'une discussion. Ceci dit, je ne me considère pas vraiment comme écrivain, aussi parce que je suis souvent très insatisfait de mon travail du moment qu'il ne correspond pas exactement à ce que j'imaginais : j'ai une exigence personnelle très rigoureuse.

PPR : Et ce livre, en êtes-vous satisfait?

AB: Je suis en tout cas très touché des retours. Ce n'est pas seulement le fait d'avoir écrit un livre et de le voir dans les librairies, mais surtout de rencontrer des personnes qui l'ont lu et apprécié. 


***

  Je remercie vivement Cynthia Liebow, éditrice à Baker Street, pour l'organisation de cette rencontre, et Arnaud Bachelin pour son accueil très chaleureux et le temps qu'il a bien voulu nous accorder. J'ai découvert un homme passionné par son sujet et par le désir de transmission, amoureux du territoire et de la plante originelle autant que des mots et des belles lettres.

  Il est certain que je repasserai très prochainement au 5 rue de Condé. Je vous encourage vivement à y faire un arrêt, vous y offrir une parenthèse coupée du monde et de la réalité parisienne le temps d'un thé et de quelques scones dans l'univers réconfortant de Thé-ritoires.


... A ce titre, n'oubliez pas, ce jeudi 11 janvier à 18h30, la séance de dédicaces et de dégustation organisée pour la galette des rois au salon d'Arnaud! 



  

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