Pages

vendredi 17 août 2018

Panique à Rouen (Une enquête de Voltaire) - Frédéric Lenormand

Createspace Publishing, 2017.

  1731. Contrarié par la censure parisienne, Voltaire s’en vient faire profiter de ses lumières la bonne ville de Rouen. Rouen ! Cité enchanteresse ! Ses vieilles églises ! Ses bords de Seine ! Son sympathique tribunal qui ne poursuit pas les philosophes ! Sa tarte au camembert ! Sans oublier ses imprimeries, où l’on peut fabriquer de beaux livres pour éclairer l’humanité ! Hélas, rien ne se passe comme prévu. Un assassin mystérieux se plaît à semer de cadavres la route de notre philosophe, que les magistrats de Rouen contraignent à enquêter en échange d’une permission d’imprimer.

  Voilà de retour notre San Antonio des Lumières, notre Hercule Poirot en pourpoint brodé, notre Attila de l’investigation après qui ni le crime ni l’intolérance ne repoussent. 
  Frédéric Lenormand nous offre une nouvelle enquête de Voltaire pleine de bonne humeur, de mots d’esprit et de crêpes flambées au calvados. 

*** 

  A peine avalé le tome 3 des Voltaire mène l'enquête il y a quelques semaines que je rempile avec un nouveau Lenormand! Avec Panique à Rouen, j'inaugure sa série "parallèle" des enquêtes du célèbre philosophe : ainsi que j'ai pu l'expliquer dans cet article, la saga Une enquête de Voltaire est éditée de manière indépendante et disponible seulement sur commande. Cette série de novellas (une novella est une intrigue au format court entre nouvelle et roman) est à envisager comme un spin off / prequel dans lequel on retrouve un Voltaire plus jeune qui n'a pas encore rencontré Emilie du Châtelet, mais qui résout déjà (malgré lui) des énigmes criminelles d'une ville à l'autre. 

 Précédentes couvertures de Panique à Rouen.

  Et cette fois direction Rouen! Voltaire a fui en catastrophe la capitale pour éviter la censure (et les forces de l'ordre), espérant trouver dans la belle ville normande l'accueil qu'il mérite et un imprimeur qui voudra bien se charger de son prochain chef-d’œuvre. Attendu à sa descente de bateau par son ami et correspondant Cideville, on met tout en œuvre pour satisfaire le caractériel et exigeant homme de lettres. Le grand poète trouve cependant à redire à beaucoup de choses, notamment à l'auberge de second choix, véritable hôtel de passe, dans lequel on l'a logé, lui, le grand philosophe. Mais par mesure de précaution, le célèbre auteur doit se contenter de l'anonymat, et, pour s'assurer ne pas être rattrapé par la police parisienne, endosse le rôle de Lord Wedgwood, le célèbre fondateur de la maison de porcelaine anglaise. Le faux amateur de vaisselle londonienne trouve rapidement un libraire peu scrupuleux (en tout cas assez peu pour ne pas se soucier des conséquences éventuelles à publier Voltaire) en la personne de Claude-François Jore, prêt à imprimer sa prose. Ne lui reste donc plus qu'à s'attirer les faveurs des hommes de pouvoir rouennais pour procéder à son commerce littéraire dans la légalité. Ou du moins la tranquillité. Pour cela, on le fait nounou de la progéniture du premier président du Parlement de Rouen : Mademoiselle Fraichoun de Pontcarré, ignoble jeune fille pourrie gâtée qui ne tarde pas à disparaître, kidnappée sous le nez et la perruque de Voltaire. Ni une ni deux, entre deux vers improvisés, notre amoureux des rimes doit jouer les enquêteurs.

Rouen au temps des Lumières...

"- J'ai du quitter Paris, expliqua Voltaire, car une personne qui me ressemblait était accusée de tenir des propos subversifs dans les salons. La police à pensé que c'était moi.
- Ciel! Qui était-ce?
- C'était moi."

  Une fois n'est pas coutume : même en spin off, on retrouve tout ce qui fait le charme d'un roman de Lenormand, l'audacieuse plasticité du verbe et des réparties en premier lieu. Pour cette série de novellas, l'auteur semble même se lâcher encore davantage et enchaîne piques et répliques avec toujours plus de panache et... d'anachronisme! Le ton de cette série étant résolument encore plus léger que l'originale, on s'y fait très vite et on s'en délecte jusqu'au bout. Aussi, lorsque Voltaire demande à son imprimeur Claude-François Jore si sa boutique est ouverte le lundi, on ne s'étonne même plus de le voir répondre "Non, je préfère passer le lundi au soleil", et on se contente d'exploser de rire.

" Macé de Pontcarré s'enquit de cette nouvelle œuvre que l'écrivain voulait offrir au grand public. L'auteur expliqua que la souplesse de son génie lui avait fait découvrir un genre nouveau.
- Le troisième sexe?
- Non. J'ai écrit une "biographie dramatique".
- Allons, je suis sûr que ce n'est pas si grave que ça." 


 Voltaire... euh, sorry, Lord Wedgwood.

  L'intrigue policière passe clairement au second plan - si ce n'est au troisième? - d'autant qu'elle nécessite un décor qui met déjà un certain temps à se dresser (la ville, les personnages, les situations... tout cela prend plusieurs chapitres avant l'enlèvement de l'agaçante demoiselle Fraichounette). Mais c'est l'occasion de parler Histoire : rencontrer des figures historiques véridiques ( Cideville, Pontcarré...) et, surtout, de découvrir la ville de Rouen en 1731, que F.Lenormand nous décrit et nous raconte avec de nombreuses précisions. Et comme toujours lorsqu'on constate à quel point l'auteur maîtrise son sujet, on est prêt à lui passer toutes les fantaisies.


"Le parlement venait d'interdire les feux de joie afin de limiter les risques d'incendie. A l'inverse, la Couronne ordonnait au peuple d'en allumer pour les réjouissances publiques, à la naissance des princes, ou pour les conquêtes militaires, c'est à dire tout le temps.
-Ah, encore un feu interdit obligatoire! dit Voltaire à la vue d'un feu de joie.
- C'est un peu comme vos livres, fit observer Formont.
- Ils finissent d'ailleurs souvent de la même façon." 
 

 Robert le Cornier de Cideville, magistrat et ami de Voltaire (à gauche)
 Pierre Camus de Pontcarré, premier président du parlement (à droite)

  Sans être cousue de fil blanc pour autant, la manœuvre criminelle, conformément au format de la novella, se résout assez rapidement. L'histoire n'en est pas moins agrémentée d'astuces et de ressorts polarisants des plus inventifs, à l'image de l'usage peu orthodoxe qu'il est fait d'automates musicaux dont on raffolait au temps des Lumières, et qui viennent pimenter comme il faut l'action.


"Il fallait procéder par ordre. Cet ordre débutait par une autopsie. Le policier haussa le sourcil.
- Une quoi?
Quand on lui parlait grec, c'était du chinois.
- Une autopsie. Cela sert à savoir de quoi les gens sont morts.
- Nous n'avons pas ici de ces curiosités parisiennes. On le voit bien de quoi il est mort : il a été tué!"


En bref : Plus concis que les tomes de la saga Voltaire mène l'enquête, cet opus de sa série dérivée n'en demeure pas moins un juteux moment de lecture. Si l'intrigue purement policière se résout assez rapidement, elle est agrémentée d'un écrin historique et humoristique qui justifie qu'on savoure ses 125 pages délicieusement impertinentes.


Et pour aller plus loin...


- Découvrez toute la série de novellas Une enquête de Voltaire (prochainement).


- Lisez la série Voltaire mène l'enquête, du même auteur...



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire