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jeudi 11 octobre 2018

La Maison Hantée - Shirley Jackson.

The Haunting of Hill House, Viking, 1959 - Maison hantée (trad. de M.Mols), Librairie des Champs-Elysées - Hantise, Pocket, 1999 - La Maison Hantée (trad. revue par F.Duvigneau), Rivages.

  Construite par un riche industriel au XIXe siècle, Hill House est une monstruosité architecturale, labyrinthique et ténébreuse, qui n'est plus habitée par ses propriétaires. On la dit hantée. Fasciné par les phénomènes paranormaux, le docteur Montague veut mener une enquête et sélectionne des sujets susceptibles de réagir au surnaturel. C'est ainsi qu'Eleanor arrive à Hill House avec ses compagnons. L'expérience peut commencer, mais derrière les murs biscornus, les fantômes de la maison veillent et les cauchemars se profilent...
   Née il y a exactement cent ans, Shirley Jackson est considérée comme la reine du roman gothique moderne. On lui doit également le formidable "Nous avons toujours vécu au château", publié en Rivages/Noir.


«Les histoires de Shirley Jackson sont parmi les plus terrifiantes qu'on ait jamais écrites.» (Donna Tartt)

***

  Le challenge Halloween rend aujourd'hui hommage à une grande auteure, qui a su illustrer son talent autant dans la littérature classique que dans la littérature d'horreur : Shirley Jackson. Après son glaçant Nous avons toujours vécu au château présenté il y a deux ans, attardons-nous aujourd'hui sur son autre chef-d’œuvre : La Maison hantée. Écrit en 1959, il fut adapté une première fois à l'écran sous le titre La Maison du Diable dans les années 60, puis une seconde fois en 1999 sous le titre Hantise. A la veille de la diffusion sur Netflix de la mini-série The Haunting of Hill House, qui marquera la troisième transposition du livre à l'écran, La Maison hantée est donc plus que jamais the book to read.

 La maison du diable, 1963.

  Hill House est une vaste demeure à l'architecture aussi complexe et vertigineuse qu'un trompe-l’œil, construite dans les collines par un riche industriel du nom de Hugh Crain à la fin du XIXème siècle. L'histoire de cette maison et la fin tragique de ses occupants ont donné à l'endroit une sinistre réputation, dont celle d'être hanté... d'ailleurs, tous ses propriétaires successifs ne l'ont-ils pas quitté à la suite d'événements inexpliqués? Les derniers en date se sont empressés de la mettre en location avant de fuir pour Paris... Mais voilà qu'un scientifique, le Dr Montague, propose de leur louer dans le cadre d'une expérience de parapsychologie : son but est de prouver l'existence de phénomènes paranormaux en invitant à résider à Hill House des personnes dotées de prédispositions occultes et étudier les événements qui se produiront alors. Le rejoignent alors sous le toit de Hill House l'extravagante Théodora, artiste new-yorkaise libérée et indépendante, la fragile Eleonore, qui après des années de maltraitance par une mère démente espère trouver dans cette aventure une forme de liberté, et Luke Sanderson, neveu des actuels propriétaires que ces derniers imposent au Dr Montague comme gage du sérieux de son entreprise. Tour à tour, les occupants temporaires seront accueillis par les domestiques qui s'occupent du manoir : un vieux couple froid et distant qui ne sera présent qu'aux heures de journée pour toujours quitter Hill House avant la nuit. Une fois les portes de l'imposante demeure refermées derrière les trois invités, l'expérience commence dans une bonne humeur de surface, laquelle ne tarde pas à être ébranlée par une force étrange qui s'éveille quelques nuits plus tard...


" Aucun oeil humain n'est capable d'isoler l'élément précis qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison."

  Que ceux qui s'attendent à une bonne vieille histoire de fantômes pleine de clichés - pardon, nous dirons  plutôt : honorant les codes habituels du genre - passent leur chemin... ou tentent leur chance, avec la possibilité de se laisser agréablement surprendre. En effet, loin d'une nouvelle à la Henry James ou d'un pastiche à la John Harwood, Shirley Jackson parvient à moderniser le concept de la maison hantée en le réinscrivant dans l'époque contemporaine avec tous les questionnements et la narration que cela induit.



" Hill House est réputée pour être "autoritaire" de ses invités. Elle semble répugner à laisser partir ses invités."

  Aussi, il ne faut pas espérer des apparitions spectrales et autres manifestations d'horreur dès les premiers chapitres : Shirley Jackson, qui préfère l'atmosphère aux rebondissements, prend d'abord le temps de planter de décor et s'attarde sur les portraits des protagonistes, beaucoup plus développés que dans une histoire de fantômes traditionnelle. Très vite, le personnage d'Eleonore "Nell" se distingue des autres : c'est avec elle qu'on entre dans le domaine de Hill House, c'est par elle qu'on rencontre les autres invités, et ce sont ses pensées, rêves et doutes que l'on partage. Ainsi que sa profonde fragilité. Malgré cela, tout comme elle, on cherche à faire confiance à Luke, toujours si sûr de lui, à Theodora, modèle de liberté et de joie incarnée, et au Dr Montague, la figure paternelle de cette troupe hétérogène de vrais-faux vacanciers. On se convainc (et presque, on s'en rassure) qu'il n'y aura finalement aucun événements étranges à Hill House, et on baisse la garde.


" La peur est l'abandon de la logique, la renonciation volontaire aux schémas de la pensée traditionnelle. Soit nous la combattons, soit nous nous y soumettons, mais il n'y a pas de position médiane."

  Et c'est précisément là que la maison s'éveille. Rien de trop spectaculaire cependant, quoi que bien assez pour nous faire fuir : une force qui traverse le couloir et cogne avec insistance contre les portes des chambres, s'acharne sur les poignées, ou vous fait perdre dans les corridors tortueux de la bâtisse lorsque vous cherchez à vous enfuir. Inutile de sortir les chaines et de multiplier les chimères spectrales : on serait effrayé à moins, et ça, Shirley Jackson l'a très bien compris et joue sur cette corde sensible. Car après cette nuit, si la maison redevient accueillante sous le soleil du matin et si nos personnages se laissent aller à leurs habituelles conversations de bagatelles, se contant fleurette ou se promenant le long du ruisseau comme des enfants jouant à cache-cache, quelque chose de malsain se glisse bel et bien entre eux. 



" Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps une existence saine dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles elles-mêmes, au dire de certains, ne feraient que rêver."

  Car c'est dans ce creux, cet écart, entre la situation vécue et l'apparent badinage auquel se prêtent les personnage que s'insinue ce malaise propre à susciter le doute voire le dégout qui va les lier jusqu'au terme du roman. Dès lors, on comprend que si on lit bel et bien une histoire de revenants ( l'arrivée de l'épouse de Dr Montague, personnage de medium ridicule de stéréotypes, le rappelle d'ailleurs en se moquant très légèrement du genre et surtout des fausses croyances sur le monde des esprits), l'auteure s'attarde davantage sur l'effet que cela produit sur ses personnages, tels des souris soumises à une expérience dans un vivarium. Attraction et répulsion, peur, folie, le propos de Shirley Jackson, à l'évidence, c'est celui de la psychologie


" Quant à Hill House, seule et maladive, elle se dressait à flanc de colline, abritant en son sein les ténèbres éternelles. Les murs de brique et les planchers resteraient droits à tout jamais, un profond silence continuerait de régner entre les portes soigneusement closes. Ce qui déambulait ici, scellé dans le bois et la pierre, errait en solitaire."

En bref : Sournois et surprenant, ce roman confirme le talent de Shirley Jackson, qui réinvente ici l'histoire de la maison hantée en plein milieu du XXème siècle. Porté davantage sur la terreur que sur l'horreur, La maison hantée s'attache à instaurer une atmosphère malaisante qui repose sur la psychologie des personnages et les effets causés par les événements inexpliqués plutôt que les événements eux-mêmes. Roman favori de Stephen King, La maison hantée a beaucoup inspiré son œuvre et reste aujourd'hui encore une référence.

10 commentaires:

  1. ouah toute une reussite ce livre...cette maison hantee est fascinante en plus...vous nous donnez vraiment envie de le lire...

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  2. Je découvre cet auteur avec ton billet et je suis happée !
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    Syl.

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  3. Je crois bien que je l'ai et j'en suis ravie car tu m'as donné très envie de le lire. J'ai hâte de voir la série netflix ! En ce qui me concerne, je viens de regarder les 4 premières saisons de Bates Motel et je crois que je vais commander le roman "Psychose", du coup. Je suis complètement obsédée par cette histoire et même s'il n'y a pas de fantôme, ça me semble très bien pour Halloween. Est-ce que tu l'as lu ?

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    1. J'ai très peur de l'adaptation par netflix, qui semble loin du roman et surtout loin de toute subtilité... Mais je regarderai quand même pour voir de quoi il retourne! J'adore Hitchcock et ses nombreux univers, dont Psychose, bien sûr! Bates Motel est une excellente série 😃. J'ai lu le roman d'origine il y a quelques années, mais comme tous les romans adaptéspar Hitchcock, l'oeuvre de base est toujours très différente. Dans le cas présent,le personnage de Norman est loin du garçon filiforme et asocial à la séduction discrète. Mais j'avais adorer comparer livre et film.😀

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  4. Merci pour ce billet ! je l'ajoute aux liens du mien portant sur le film de 1999. Bon week-end, Pedro !

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    1. Merci pour le relais, Fondant! Il faut que je revoie ce film, je l'avais beaucoup aimé !

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  5. J'ai lu le même roman que toi pour cet hommage à Shirley Jackson. Une excellente surprise, car je ne m'attendais pas à cet univers que j'ai trouvé audacieux et surprenant. J'ai beaucoup aimé cette narration déroutante centrée autour de Nell. Hier j'ai vu l'adaptation des années 60, "La Maison du Diable", je préparerai un billet dessus prochainement. Et Mr Lou m'a aussi parlé de l'adaptation Netflix que je suis curieuse de voir. Je ne m'attends pas à ce qu'ils jouent autant sur les personnalités ambigües, mais qui sait ?

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    1. Je n'ai pas encore vu le film de 1963, je suis impatient de voir ton avis car je suis très curieux et il parait qu'il est très bon! Je suis un peu moins voir très peu enthousiaste pour la série netflix. Je vais essayer de jeter un oeil ce soir mais quand j'aurais eu le temps de publier mon article culinaire... J'ai vu une petite analyse sur Télérama qui disait que le réalisateur avait piocher 15 pour cent de "Shining", 15 de "oui-ja, les origines" (un des films du même réalisateur ", 30 pour cent de l'exorciste, et 40 pour cent de "la maison du diable" justement pour la tension psychologique... Cela devrait me rassurer mais la trame de Netflix est centrée sur la famille Crain qui a grandit dans la maison hantée de leur père (Hugh Crain) depuis la mort suspecte de leur mère. Un petit coté prequel? Bon, d'accord, mais tout se passe à notre époque. Hum. Quant aux premières images, elles sont loin de l'ambiance du roman. Je crois que même la version ciné de 99 (que je n'avais pas trouvé si mal, par ailleurs), sera plus du Shirley Jackson que ce qui nous attend sur netflix. Snif. :(

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  6. Mes souvenirs sont trop anciens, impossibles à dépoussiérer pour en tirer quelque chose mais tout ça me donne envie de me replonger dans l’œuvre de Shirley Jackson. Ma petite présentation est une sorte de post-it pour redécouvrir ses romans ainsi que les différentes adaptations. La seule chose dont je me souviens, c'est que le film "Hantise" n'était pas très effrayant. J'imagine que tout se jouait au niveau de l'ambiance. Je pense l'apprécier davantage maintenant qu'à l'époque, où j'attendais davantage de sensations fortes.

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    1. J'étais très jeune quand j'ai vu "Hantise" et cela avait suffit à m'effrayer. J'avais surtout apprécié, du haut de mon âge, les impressionnants décors et l'histoire servant de fond, qui me semblaient alors beaucoup travaillés et réfléchis que dans la majorité des films d' horreur que j'avais pu entrevoir.
      J'ai aimé ce roman mais je le place un cran en dessous du très malsain mais fascinant "Nous avons toujours vécu au chateau", un petit trésor !

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