mercredi 17 août 2016

Nous avons toujours vécu au château - Shirley Jackson

We have always lived in the Castle, Viking Press, 1962 - Nous avons toujours habité le château (trad. de Françoise Maleval), C.Bourgeois, 1971 - Editions 10/18, 1990, 2012 - Editions Pocket, 1999 - Nous avons toujours vécu au château (trad. de J.P.Gratias), Editions Rivages, 2012.

"Je m'appelle Mary Katherine Blackwood. J'ai dix-huit ans, et je vis avec ma soeur, Constance. J'ai souvent pensé qu'avec un peu de chance, j'aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l'index est aussi long que le majeur, mais j'ai dû me contenter de ce que j'avais. Je n'aime pas me laver, je n'aime pas les chiens, et je n'aime pas le bruit. J'aime bien ma soeur Constance, et Richard Plantegenêt, et l'amanite phalloïde, le champignon qu'on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés."

Ainsi commence le chef-d'oeuvre de la romancière Shirley Jackson (1915-1965), également auteur de la célèbre nouvelle "La Loterie" et du roman Maison hantée, porté à l'écran par Robert Wise (La Maison du diable).

***

    Voilà longtemps déjà qu'on entend parler de ce roman, auquel nos lectures n'ont de cesse de faire référence. Nul doute qu'il nous fallait opérer un petit détour par ce classique de Shirley Jackson (1916-1965), autrice adulée par Stephen King (il tenait son roman The Haunting og Hill House comme LE roman de maison hantée par excellence) et Neil Gaiman (qui cite ce livre comme étant son favori). Cette nouvelle traduction était l'occasion de découvrir cet immanquable de la littérature gothique américaine.


    L'intrigue nous plonge dans la campagne américaine des années 1950. A l'écart d'un petit village isolé, aux habitants très "comme il faut", se tient l'imposant manoir des Blackwood, vestige d'une noblesse d'un autre âge. La bâtisse est encore habitée par les derniers membres de l'illustre famille : Mary Katherine (surnommée Merricat), la narratrice âgée de 18 ans, sa sœur aînée Constance, et leur vieil oncle Julian. Tous les trois sont les seuls rescapés d'un ultime repas à l'arsenic, qui a emporté tout le reste de la famille six ans plus tôt.
  Ce fait-divers dramatique aura coûté aux Blackwood leurs dernières parcelles de reconnaissance sociale : déjà peu appréciés parce que descendants d'une caste privilégiée, il ne manquait plus que cette sombre affaire pour se faire carrément détester. Aussi, les trois survivants vivent-ils plutôt reclus, sauf pour les courses hebdomadaires en ville.  L'occasion pour les  villageois d'afficher sans honte leur animosité à l'égard des Blackwood : sobriquets, chuchotements, moqueries... Mais à Blackwood Hall, l'étrange Merricat fait fi des racontars et entretient un quotidien empreint d'une étrange fantaisie, se complaisant dans une asociabilité baignée d'imaginaire. Jusqu'au jour où un lointain cousin frappe à la porte, animé d'intentions particulières. En lui ouvrant, Constance ne se doute pas, contrairement à Mary Katherine, qu'elle fait entrer le loup dans la bergerie. A partir de cet instant, les tensions qui planent depuis le décès de la famille six ans plus tôt vont s'intensifier jusqu'à leur explosion...

 
 "We have always lived in the castle",
mise en scène gourmande par le photographe Charles Roux.

    Véritable chef d’œuvre du gothique contemporain, Nous avons toujours vécu au château mérite sa popularité. La puissance de ce livre tient d'abord à sa narration, unique, par la jeune Mary Katherine. Bien qu'âgée de 18 ans, elle évolue dans un univers teinté de bizarrerie, où la pensée magique propre aux enfants est reine, le mot d'ordre d'un quotidien fantaisiste fait de paris avec le hasard. Qui, petit, n'a jamais considéré la route jusqu'à l'épicerie comme un jeu de l'oie ? Qui n'a jamais prédit de l'augure d'une journée sur ce qu'il adviendrait ou non le temps de compter jusqu'à trois ? Ou encore, qui n'a jamais fait d'un objet tout à fait banal un talisman porteur de chance? Voilà le monde de Mary Katherine, filtre par lequel le lecteur entre dans l'histoire, dont l'atmosphère frôle alors le fantastique sans jamais y sombrer


    Le ton, ironique, et le style, magnétique, instaurent très vite une ambiance macabre mêlée de chimères enfantines. En ressassant sempiternellement la mort (accidentelle?) de la famille à l'arsenic, appuyée du regard en coin des villageois et des rumeurs criminelles qui circulent encore six ans plus tard, Shirley Jackson créé un climat de folie morbide fascinante qui, par petites touches insidieuses disséminées au fil du quotidien domestique des Blackwood, monte crescendo au point de devenir totalement anxiogène.


    La qualité de ce roman n'est pas seulement liée au ton résolument gothique et à sa tension dramatique réussie. Shirley Jackson va beaucoup plus loin et nous sert une véritable réflexion, fine et tranchante sur la nature humaine. Car la fin, où explose l'animosité croissante des habitants de village contre les Blackwood au point de prendre la forme d'une chasse aux sorcières, vient questionner le potentiel de la haine dont nous sommes capables. A travers Nous avons toujours vécu au château, la romancière partage également ses propres phobies (elle finit sa vie agoraphobe) ainsi que la photographie d'une famille vivant sous cloche avec ses propres fantômes, et dont l'enfant devient le symptôme .

"Merricat, veux-tu du thé?"

En bref : Un conte gothique macabre et angoissant, au style impeccable et à la narration troublante. Un classique entre héritage et modernité qui mérite d'être redécouvert ; on le referme avec le sentiment d'être encore un peu à Blackwood Hall...
 

5 commentaires:

  1. Olala que ça donne envie ! Je suis bien contente de l'avoir dans ma PAL et je le mets dans ma pile d'Halloween qui commence à être bien garnie. :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis sûr que tu aimeras, et ce sera parfait pour ta pile d'Halloween ;)

      Supprimer
  2. Wow, tous les Farmiga jouent-ils dans des séries ou des films horrifiques?
    Je ne connaissais pas du tout ce classique. La deuxième couverture de Pinguin me fait frissonner comme devant la scène finale des Autres.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est amusant ça : beaucoup d'internaute qui ont commenté cette couverture sur pinterest ou sur goodreads ont fait le même rapprochement avec "Les Autres" ;)

      Supprimer
  3. J'aimerais bien découvrir ce roman. J'ai lu "Hantise" mais c'était à une époque où je ne tenais pas de blog et mes souvenirs de lecture se sont évaporés avec le temps, c'est dommage. :(

    RépondreSupprimer