Elephant Man
Une pièce écrite et mise en scène par Antoine Chalard d'après la vie de Joseph Merrick
Au théâtre du Lucernaire (Paris), du 15 janvier au 1er mars 2020
Avec : Clémentine Yelnik, Antoine Chalard, et Florent Malburet.
Londres, 1884. L'engouement de la population pour les monstres, les
freaks, est à son apogée. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute
Joseph Merrick, alias Elephant Man, exhibé comme une bête dans les
foires pour ses difformités incroyables. Sa rencontre avec le docteur
Treves, éminent professeur, lui redonne la force de vivre, bouleverse
les certitudes du spécialiste et change le regard de toute la haute
société.
Un regard nouveau sur l'histoire haletante, déchirante et incroyablement belle de Joseph Merrick, un hymne à l'amour et à l'amitié, éloge de la fragile beauté de notre humanité.
Un regard nouveau sur l'histoire haletante, déchirante et incroyablement belle de Joseph Merrick, un hymne à l'amour et à l'amitié, éloge de la fragile beauté de notre humanité.
***
Les férus d'Angleterre victorienne ne peuvent que s'enthousiasmer d'une telle pièce sur les scènes françaises. Elephant Man, c'est bien évidemment l'histoire de Joseph "John" Merrick, un jeune homme atteint d'une impressionnante difformité, d'abord exhibé dans les foires avant d'être recueilli dans un hôpital où il marquera à la fois l'histoire des sciences et celle de la culture. Ce fait réel est aujourd'hui majoritairement connu grâce au film Elephant Man de David Lynch tourné en 1980 d'après les mémoires de Frederick Treves, le médecin qui l'avait pris sous son aile. En 1977, la même histoire avait inspiré au dramaturge Bernard Pomerance une pièce au titre éponyme qui remporta un grand succès et fut adaptée en téléfilm en 1982. Cette nouvelle pièce écrite et mise en scène par Antoine Chalard est une version scénique francophone de l'histoire de John Merrick. Repérée au festival d'Avignon en 2018, elle est aujourd'hui jouée à Paris et vaut très largement le détour...
Le film de Lynch.
Les spectateurs s'installent face à une scène plongée dans la pénombre, vide d'éléments de décor. Seule une toile de tissus clair est tendue au fond du plateau. En bruit de fond : le vent, la pluie et l'eau qui s’écoule des gouttières ; avant même le début de la pièce, on s'imagine déjà dans les rues des bas-fonds de Londres. Une musique s'élève – Cold song de Purcell – tandis qu'une silhouette de femme vêtue de noir et coiffée d'un haut de forme invite les visiteurs à s'approcher. Voix éraillée qui se veut hypnotique, gestuelle théâtrale d'automate façon pantomime, c'est Mrs Kendal, la montreuse de monstres de la parade, qui présente le clou de sa collection de freaks : Elephant Man...
Trailer de la pièce.
Et voilà comment en une musique, une silhouette et une scène épurée plongée dans la pénombre, Antoine Chalard pose les bases esthétiques de son spectacle dont la mise en scène sobre se veut essentielle. A part quelques éléments (un fauteuil, une tablette, une maquette et un phonographe), le décor est d'une simplicité magnifique qui joue des contrastes entre l'avant-scène, sombre, et l'arrière-scène, où le rideau de toile claire permet les entrées et sorties des personnages en même temps qu'il est utilisé pour des jeux d'ombres. Ce petit artifice, à la fois simpliste et pourtant tellement visuel, apporte une dimension poétique qui sied à merveille à l'histoire de Joseph Merrick. On pense nécessairement au cinématographe d'antan où aux théâtres d'ombres.
La sobriété est aussi présente dans la distribution, puisque trois comédiens seulement se partagent les rôles des six différents personnages. Antoine Chalard, l'auteur et metteur en scène, interprète le rôle principal avec émotion et un masque très bien conçu, création de la scénographe et conceptrice de marionnettes moldave Galina Molotov. Florent Malburet met son charisme et sa voix au service du personnage du Dr Treves et, dans une moindre mesure, du directeur de l'hôpital. Ce duo est complété par l'excellente prestation de Clémentine Yelnik qui donne corps à trois rôles totalement différents sans jamais qu'on les confonde tant elle les incarne à la perfection : la vénale Mrs Kendal, la stricte mais bienveillante infirmière en chef de l'hôpital, et la comédienne qui devient amie avec Joseph Merrick.
Le scénario nous évoque bien évidemment la trame du film de Lynch mais aussi la pièce de Pomerance, deux versions antérieures qui font aujourd'hui office de références sur le personnage. Antoine Chalard apporte également sa touche personnelle, sa patte, à cette version : par la sobriété poétique de la mise en scène évoquée plus haut mais aussi par des dialogues subtilement écrits. Le texte met en avant l'intelligence et l'humour du personnage principal et fait résonner la modernité de cette histoire aux nombreux thèmes très actuels en venant questionner les vrais visages de la beauté et de la monstruosité, l'intolérance et la violence des êtres humains.
Si vous êtes sur Paris ce weekend, réservez vite pour la dernière au théâtre du Lucernaire, ce dimanche 1er mars 2020 à 17 heures. On espère qu'Elephant Man connaîtra des prolongations ou une reprise. Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de voir la pièce, le texte ainsi que le dvd de la captation vidéo sont disponibles au catalogue des éditions l'Harmattan.
En bref : Une vision onirique et profondément émouvante de l'histoire de Joseph Merrick ; la beauté des dialogues et la sobriété de la mise en scène mettent en évidence la modernité du propos. Entre ombres et lumières, grâce à quelques mélodies évocatrices et à l'impeccable jeu des acteurs, l'Elephant Man d'Antoine Chalard devient une pièce essentielle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire