The woman in the Orient-Express, Lake Union Publishing, 2016 - Editions l'Archipel (trad. de P.Vigneron), 2020.
Octobre 1928. Son divorce lui a laissé un
goût amer. Partout, Agatha Christie croit voir le fantôme d’Archie, son
ex-mari. Jusque dans les couloirs de l’Orient-Express, où elle vient de
prendre place sous une fausse identité. Elle se sait pourtant privilégiée. Le
Meurtre de Roger Ackroyd l’a rendue célèbre et rien ne l’oblige à
rester en Angleterre pour écrire son dixième roman. Elle a trente-huit ans. À bord de ce train
mythique qui doit la mener à Istanbul, elle fait la connaissance de
deux femmes, Nancy et Katharine. Elles aussi cachent leur passé. La première fuit un mari violent. La
seconde part rejoindre son futur époux sur un site de recherches
archéologiques. Et c’est à Ur, en Mésopotamie, qu’un drame se noue… aux
répercussions inattendues.
Inspiré d’un épisode méconnu de la vie
d’Agatha Christie, La Dame de l’Orient-Express explore l’amitié féminine
forgée par les épreuves partagées et le pouvoir des secrets.
***
Agatha Christie reste encore, au XXIème siècle, une référence. En tant qu'auteure, en tant que femme. Ses romans continuent d'être adaptés à l'écran (au cinéma avec le récent Crime de l'Orient-Express ou encore l'excellent Crooked House, à la télévision avec les délirants et inventifs Petits meurtres d'Agatha Christie) et l'écrivaine Sophie Hannah a même repris officiellement le personnage d'Hercule Poirot afin de donner une suite aux ouvrages de son aînée. La vie de la romancière, aussi, a rapidement été une source d'imagination pour la fiction, notamment sa mystérieuse disparition en 1926. De ce fait divers sont nés le très romancé mais palpitant film Agatha (1979), le récent téléfilm Agatha and the truth of murder (2018) ainsi que de nombreux romans tel que (le décevant) Agatha, es-tu là? (2017). Dans La Dame de l'Orient-Express, Lindsay Ashford évoque à plusieurs reprises cet incident mais se penche plus particulièrement sur un autre événement de la vie de la Grande Dame du Crime : son voyage à bord de l'Orient-Express en 1928, au lendemain de son divorce et à la veille d'un grand tournant dans sa vie personnelle et professionnelle.
Le roman commence pendant l'été 1963. Agatha Christie, devenue une vieille dame, se repose dans le jardin de sa propriété lorsqu'un inconnu d'une trentaine d'années se présente à elle. Dans sa main, une photo sépia, sur le cœur, des questions sans réponse. Ce jeune homme est, sans le savoir, intimement rattaché au passé de la romancière. Pour lui, l'écrivaine se souvient : en octobre 1928, elle montait à bord de l'Orient-Express pour fuir les journalistes, ravis d'étaler son divorce en long et en large dans la presse à scandale. Sous son nom de jeune fille, elle part donc à bord de ce train de luxe pour découvrir le Moyen-Orient et, peut-être, y trouver l'inspiration pour son prochain roman. A bord, elle rencontre deux femmes : la première, Katharine, est une Anglaise voluptueuse et magnétique qui part rejoindre un chantier de fouilles archéologiques ; la seconde, Nancy, gracile et fragile, vient d'échapper de justesse à une tentative de suicide. L'une met Agatha particulièrement mal à l'aise de par son aisance et son aura, l'autre lui évoque la jeune maîtresse avec qui son ex-mari s'est enfui. Son ex-mari Archie, qu'elle voit partout et dont la voix occupe parfois son esprit quand ce ne sont pas celles de sa mère ou d'Hercule Poirot qui résonnent dans les méandres de son imagination. Dans ce train mythique puis de Ur à Bagdad, ces trois femmes d'apparences si différentes mais toutes aussi secrètes se dévoileront les unes aux autres...
La Dame de l'Orient-Express est le sixième roman (le premier publié en France) de Lindsay Ashford, titulaire d'un master de criminologie et initialement reporter pour la BBC et la presse écrite. Romancière traduite dans plus de dix langues, elle pose ici un regard intimiste sur la célèbre écrivaine de polars, dont elle fait un personnage de fiction peut-être plus proche de la femme réelle qu'on pourrait le croire. Cette approche, rarement utilisée pour parler d'Agatha Christie, rappelle qu'en plus d'avoir été une auteure de romans policiers à succès, elle était aussi une femme sensible et romanesque (souvenons-nous en effet qu'elle a écrit plusieurs histoires à l'eau de rose sous pseudonyme!).
L'écrin et les nombreux décors reconstitués par l'auteure sont parfaitement évoqués : des compartiments de l'Orient-Express (dont le chic et la modernité auraient cependant mérité d'être davantage restitués) aux ruelles et chantiers archéologiques de Bagdad, ce voyage que l'on pourrait suivre sur une carte au fil des chapitres successifs déborde d'un exotisme hyper réaliste, presque palpable. Les détails, d'une grande méticulosité, traduisent d'évidentes recherches mais font aussi de nombreux clins d’œil aux romans que ce périple a très probablement suggéré à Agatha Christie. Moult éléments évoqueront ainsi au lecteur Le crime de l'Orient-Express, Meurtre en Mésopotamie, ou encore Rendez-vous à Bagdad. L.Ashford nous entraine avec délice dans l'atmosphère du Moyen-Orient, nous inondant de précisions culinaires, culturelles ou historiques qui donnent une vraie richesse à ce livre.
Agatha sur un chantier archéologique en 1928.
Si de nombreux éléments sont véridiques, l'auteure procèdes à quelques ajouts et modifications pour les besoins de son roman. Aussi, si elle restitue à merveille la personnalité haute en couleurs et mystérieuse de la véridique Katharine Wooley (qu'Agatha a véritablement rencontrée à l'occasion de ce voyage en 1928), elle anticipe de deux ans la rencontre de la romancière avec son second mari Max Mallowan. Le personnage de Nancy est une totale invention de Lindsay Ashford, une trahison qui sert des effets dramatique puisque, de par son histoire personnelle, cette jeune épouse en fuite participera à faire le ciment qui unira ces trois femmes que tout semblait initialement opposer.
Le livre n'est cependant pas exempt de petites faiblesses. La plus handicapante pour la lecture est qu'on met un long moment avant de voir où l'auteure veut nous emmener et de quel genre se réclame son roman. Le temps de présenter les personnages, de les faire se rencontrer, de multiplier les secrets de chacun et de passer d'un décor à l'autre, on attend de voir arriver l'élément déclencheur du scénario, spéculant si on tient là une fiction policière ou un huit-clos psychologique féminin. Finalement, une fois le livre refermé, on réalise que ce n'était ni l'un ni l'autre. L'auteure nous fait suivre les destins croisés de trois femmes de tempéraments très différents, qu'elle veut nous révéler peu à peu extraordinaires de combativité chacune à leur manière, mais fort est de constater qu'il manque à tout ça un noyau dur, une trame tangible. Le texte français (est-ce aussi le cas du texte en version originale? On ne saurait le dire puisqu'on n'a eu entre les mains que cette traduction) souffre de quelques formules très relatives et d'anachronismes qui peuvent casser le réalisme des dialogues, là où les descriptions du Moyen-Orient et l'atmosphère générale sont pourtant impeccables.
Agatha et son second mari, l'archéologue Max Mallowan.
"Il n'est pas facile de croire en quelque chose quand tout votre univers s'effondre. L'essentiel, c'est de continuer à croire en soi."
En bref: Une évocation hyper réaliste de l'Orient-Express et du Moyen Orient des années 20 pour un hommage intimiste et romancé à Agatha Christie, que l'auteure tient à restituer dans sa dimension de femme avant celle de la romancière. Les libertés prises par l'auteure n'entachent en rien la qualité du roman (après tout, elle ne prétend pas servir une biographie mais bien une fiction librement inspirée du réel) mais on peut lui reprocher le manque de fil rouge ou d'une intrigue centrale qui aurait donné véritablement corps à son intrigue. La Dame de l'Orient-Express reste un agréable moment de lecture, très exotique, à la rencontre de trois figures féminines qu'on a grand plaisir à découvrir.
Un grand merci à L&P Conseils et aux éditions de l'Archipel pour cette découverte.
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