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jeudi 30 septembre 2021

Chrétienne de Danemark, princesse des temps modernes - Catherine Rouyer-Durand & Pascale Debert.

Liralest / Le Pythagore éditions, 2021.

    Belle, intelligente, cultivée, altière, d'une naturelle autorité, fine diplomate, fidèle en amitié, la princesse de Danemark a marqué les esprits et laissé des traces de son passage à travers l'Europe. Mais aujourd'hui, qui connaît encore la belle jeune fille du fameux tableau d'Holbein exposé à la National Gallery de Londres ? C'est à cette femme d'action, prête à parcourir l'Europe pour défendre les causes qui lui tenaient à cœur, que nous voulons rendre hommage, en espérant que comme nous, vous adorerez cette princesse des Temps modernes.

    Chrétienne, fille de roi, naît en novembre 1521 à Nyborg au Danemark. Éduquée à la cour de Bruxelles par les plus grands savants de son temps, elle parle quatre langues. Duchesse de Milan à 13 ans, elle connaît les beautés de l'Italie et les horreurs de la guerre.Veuve pour la deuxième fois à 24 ans, la jeune duchesse de Lorraine et de Bar préfère garder son indépendance afin de mieux administrer les duchés de son fils, Charles III de Lorraine, dont on lui a confié la régence. Au cœur d'une Europe en pleine tourmente, elle met tout en œuvre pour préserver la neutralité de son pays. Chassée par le roi de France, elle vit son exil en Flandres. En 1558, elle participe activement aux pourparlers des traités du Cateau-Cambresis qui mettent fin à soixante-cinq années de guerres entre la France et l'Empire.
 
***
 
    De Pascale Debert, nous suivons assidument depuis plusieurs années le passionnant blog Histoires Galantes, page historique et acidulée qui nous fait revivre les riches heures de la cour de Lorraine et s'offre quelques doctes digressions sur le XVIIIème siècle ou sur le patrimoine (et matrimoine!) du Grand Est en général. Dans la continuité de ce blog on ne peut plus passionnant, Pascale Debert, a écrit plusieurs ouvrages dont nous avons pu vous parler au cours de ces dernières années : Petits Secrets des ducs de Lorraine au XVIIIème siècle, Emilie du Châtelet, philosophe des Lumières, ou encore Petits riens de Mme de Graffigny. La collection "Histoire Galantes" s'enrichit cette année d'un nouvel opus arrivé avec la rentrée littéraire : Chrétienne de Danemark, princesse des temps modernes. Le sujet principal n'est autre que l'une des plus charismatiques duchesses de Lorraine et de Bar, une auguste personne dont nous fêtons cette année le 500ème anniversaire. Pour la première fois depuis la création de sa collection Pascale Debert écrit cet ouvrage à quatre mains, en compagnie de Catherine Rouyer-Durand.
 

    Qui se souvient de Chrétienne de Danemark ? Également connue sous le prénom de Christine (mais à ne pas confondre avec Christine de Suède, qu'elle précède d'un siècle), cette princesse qui repose aujourd'hui dans un élégant tombeau noir et or à l'église des Cordeliers de Nancy a peut-être été oubliée des livres d'Histoire, mais ne démérite pas par son parcours on ne peut plus romanesque. Fille du roi du Danemark, mariée adolescente au duc de Milan, veuve, convoitée par Henri VIII, remariée à François Ier de Lorraine... outre un pedigree familial certain et une vie conjugale mouvementée, Chrétienne, au croisement des alliances politiques et maritales d'une Europe mouvementée, s'érige rapidement en souveraine forte et indépendante.
 

    L'ouvrage de Catherine Rouyer-Durand et Pascale Debert rappelle la personnalité incroyablement combative, déterminée et inventive de cette princesse qui a traversé une Europe en pleine mutation, et qui mérite largement sa place aux côtés de ces autres femmes incroyables que la Renaissance compte parmi ses rangs. Catherine de Medicis, Elizabeth Iere, et Mary Stuart n'ont qu'à bien se tenir : Chrétienne mérite d'être citée dans ces listes d'héroïnes historiques.

Chrétienne et son second époux François Ier de Lorraine.

    Il serait certainement bien trop ardu de relater la destinée incroyable de Chrétienne en un seul article ; les auteures elles-mêmes ont compris qu'un seul livre était déjà une entreprise difficile, nécessitant quelques notions de contexte pour que le lecteur s'y retrouve dans cet incroyable maillage historico-politico-aristocratique. En cela, ce nouvel opus de la collection "Histoires Galantes" est plus complexe que ses prédécesseurs mais P.Debert et C.Rouyer-Durand s'assurent d'abord de nous remettre en situation avant de nous lancer dans le vif du sujet. Le livre s'ouvre ainsi sur une photographie thématique particulièrement pertinente de l'Europe au XVIème siècle (ses mouvements politiques, ses courants artistiques et littéraires, ses découvertes et avancées scientifiques) avant de nous emporter dans un long déroulé chronologique.
 
 Portrait de Chrétienne par Hans Holbein le jeune.

    Toujours par souci de contextualisation, ce déroulé commence avant la naissance de Chrétienne, en abordant sa famille et ses parents, afin de poser le décor et les jalons qui serviront à mieux comprendre la suite de l'ouvrage. Ces préambules et précis historiques peuvent paraître un peu lourds de prime abord mais s'avèrent particulièrement utiles pour mieux cerner les tenants et aboutissants du parcours incroyable de Chrétienne. Une fois que celle-ci est entrée en scène, on suit avec un plaisir addictif l'histoire de sa vie passionnée et passionnante, digne d'une série historique façon Les Tudors ou encore The White Queen.
 
 Chrétienne par F.Clouet.

    Pour rendre le tout digeste à la lecture, les auteures n'oublient pas de repréciser régulièrement les liens de familles qui unissent les différentes personnalités évoquées, et glissent ça et là des petites notes d'humour anachroniques qui ont fait le succès du label "Histoires Galantes". Ainsi, outre la Grande Histoire richement documentée et restituée, on savoure les petits encarts "Life Style" et "Dress Code" qui rendent cet ouvrage passionnant instructif, accessible, et amusant à la fois. Le tout est évidemment mis en page par Pascale Debert, graphiste de formation, dans un visuel aéré et abondement illustré qui est l'un des grands atouts de cette série.


En bref : Un nouvel opus passionnant pour la collection "Histoires Galantes"! Ce dernier né ressuscite l'auguste figure de Chrétienne de Danemark, princesse charismatique oubliée au parcours fascinant dans une Europe en pleine mutation. Fidèlement aux codes de la collection, cet ouvrage, quoi que beaucoup plus technique et dense que les précédents, continue d'aborder l'Histoire sous un jour unique qu'on adore!

mercredi 29 septembre 2021

Le fils du pêcheur - Sacha Sperling.

Editions Robert Laffont, 2021.

    Au cours des dix dernières années, j'ai été amoureux deux fois. Elle s'appelait Mona, il s'appelait Léo. J'ai vécu avec elle à Paris, avec lui en Normandie. J'ai été en couple pendant sept ans avec elle, avec lui pendant sept mois. Je les ai aimés pareil. Je veux dire, aussi fort. En sept ans, j'ai pris dix kilos. J'ai voulu arrêter la drogue. J'ai essayé de faire un enfant. J'ai vu un homme mourir. Je me suis éloigné de mon père. J'ai vu les contours de mon visage disparaître. J'ai vu la femme que j'aimais se détruire. J'ai détruit le mec que j'aimais.
    J'écris ces phrases dans le vide. Je ne sais plus à qui je m'adresse. Peut-être aux deux êtres que j'aimais le plus et que j'ai brisés.
    On m'a tout donné et j'ai tout gâché. Il me reste le souvenir de ces deux passions.
    Il me reste l'histoire que je vais vous raconter.
 
***

    Pour parler de Sacha Sperling, il est difficile de ne pas commencer un article sans tomber dans le piège du "fils de". Comme son nom ne le dit pas, Sacha Sperling est en effet le fils de Diane Kurys et Alexandre Arcady. Enfant du cinéma qui a préféré se tourner vers l'écriture, le jeune homme est révélé en 2009 avec son premier livre, une auto-fiction intitulée Mes illusions donnent sur la cour, qui le projette sur la scène publique : petit prodige de l'écriture de 20 ans surnommé "le nouveau Françoise Sagan", S.Sperling séduit sans le vouloir avec un récit décomplexé qui reflète bien sa génération. A l'époque, nous sommes passés à côté de ses premières publications et de leur incroyable retentissement. C'était pour mieux le découvrir plus tard, grâce aux hasards d'internet et de sa page instagram qui a eu la bonne idée de s'inviter cet été dans notre fil d'actualité...
 

"Arrivé devant ma porte, je me retourne, il n'est plus là. Je me sens comme à la fin des vacances, comme un dimanche soir." 
 
    Le fils du pêcheur s'inscrit dans la continuité de ses deux premiers ouvrages : Mes illusions donnent sur la cour, évoqué plus haut, et J'ai perdu tout ce que j'aimais, qui retracent sa propre vie et ses expériences sous une forme littéraire qu'on imagine quelque peu romancée. Ou pas. Allez savoir... (là réside toute la délicieuse ambigüité de l'auto-ficiton, n'est-ce pas?). Cette suite de récits n'étant pas à proprement parler une trilogie, on peut les découvrir dans l'ordre qui nous sied, aussi est-il tout à fait envisageable de se lancer dans l'aventure avec ce dernier né sorti à l'occasion de la rentrée littéraire 2021...
 
"Nous ne nous aimions plus. Nous avions de la tendresse pour ce que nous avions été et une peur panique de ce que nous serions l'un sans l'autre. C'est comme ça que les histoires durent longtemps."

    Sacha y raconte donc Sacha, en pleine angoisse de la feuille blanche depuis plusieurs années, nourri, si ce n'est gavé, de drogue et d'alcool au point qu'on se demande comment il peut tenir debout. Parti se ressourcer (ou pour mieux fuir, peut-être?) dans sa maison d'enfance en Normandie (ancienne résidence de Serge Gainsbourg et Jane Birkin), Sacha rencontre Léo, le fils du voisin, un jeune homme de 20 ans aussi secret qu’incandescent. Au fil des journées sous le soleil de l'été, l'auteur ressuscite les fantômes d'une vie familiale complexe mais surtout celui de ses amours défuntes avec Mona au terme d'une idylle de sept ans, tandis qu'il s'éprend parallèlement de Léo. A la presque folie de la passion soudaine suit la presque normalité du quotidien à deux, avant que leur histoire ne s'enfonce dans les affres du doute...
 
"Léo serait moins beau s'il n'était pas si malheureux."

    Très rapidement, on comprend l'engouement suscité par cet auteur. Sa plume est incisive et profondément littéraire : Sacha Sperling écrit sans concession, sans rechercher les effets de style ; il écrit comme on court, comme on respire, comme on parle. Et pourtant, naturellement, quelque chose d'incroyable se passe dans la lecture. C'est violent (parfois), cru (souvent), mélancolique (beaucoup) et pourtant, rien n'est superfétatoire. Est-ce malaisant ? Par moment, oui, mais on ne connait pas d'histoire qui ait touché le monde en nous racontant les bisounours. Il y a dans l'écriture autant que dans l'engagement de cet auteur à écrire cet élan particulier aux écorchés vifs, ce petit quelque chose qui laisse aux figures de style utilisées un sentiment de sincérité poignant là où tant d'auteurs surchargent en poésie inutile. Les métaphores filées de la partie d'échecs pour raconter une dispute, ou du jeu de l'oie pour dire les hasards de la vie sont par exemple d'une évidence saisissante.
 
" — C'est pour ça que tu as recommencé à boire ? (...)
Est-ce que tous les couples finissent par avoir l'horrible sentiment de jouer une partie d'échecs contre Bobby Fisher ? Mona bouge le pion "alcool" en E3."

    Le récit, d'abord très lent, laisse le lecteur se familiariser avec la situation de Sacha, de se mettre progressivement en contexte. Puis, comme dans un jeu de miroirs, on suit en alternance les réminiscences de son histoire avec Mona et l'histoire naissante avec Léo. Les bouillonnements des débuts, la douceur des continuités, l'acidité des premières disputes, les drames, les traumatismes, les désillusions... Sur des temporalités différentes (sept ans pour la première, sept mois pour la deuxième), ces deux histoires d'amour suivent des chapitres et des péripéties, sinon totalement identiques, disons assez semblables dans leurs détours et surprises (bonnes ou mauvaises, souvent douloureuses). Elles laissent au milieu de ces intrigues croisées un personnage principal en plein questionnements, cherchant des réponses et se cherchant dans ce qui s'apparente peu à peu à une instrospection psychanalytique.
 
"Pour la première fois depuis longtemps, il semble fragile. Il ne sait pas où il va. Avec moi. Dans la vie. Ce soir.
Nous ne sommes pas deux hommes, nous sommes deux enfants mal finis qui cherchent en l'autre un impossible point de contact."

    Lorsque le rythme de l'intrigue s'accélère, on est surpris de sombrer, dans les derniers chapitres, dans une atmosphère qui semble s'éloigner de l'auto-fiction pour lorgner du côté du thriller psychologique. Ce virage déstabilise, interroge. Mais la question n'est peut-être pas tant de savoir ce qui est vrai ou pas, ni même de dire si c'est vraisemblable, mais plutôt de réfléchir à ce que cela vient dire de la quête du personnage et de son auteur.

"J'avais acheté un agenda noir en cuir grainé. Parfois, je feuilletais les pages au hasard. Mes yeux passaient sur toutes les dates qui n'avaient pas encore de sens. Tous ces rendez-vous qui n'existaient pas, ces souvenirs futurs. Les bons, les mauvais. Comme les rues d'une ville inconnue dont les devantures des magasins restent des énigmes."

En bref : Auto-fiction à l'écriture crue mais profondément talentueuse, Le fils du pêcheur est un récit complexe et déstabilisant sur la violence des passions amoureuses, sur le deuil des sentiments, et sur l'éclosion de soi-même. Sacha Sperling est à n'en pas douter un auteur majeur de sa génération.
 

 

lundi 27 septembre 2021

Le bal des folles - Un film de Mélanie Laurent d'après le roman de Victoria Mas.

 

Le bal des folles

 
Un film de Mélanie Laurent d'après le roman de Victoria Mas.
 
Avec : Lou de Laâge, Mélanie Laurent, Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot, Grégoire Bonnet...
 
Date de sortie internationale : le 17 septembre 2021 sur Amazon Prime
 
    L’histoire d’Eugénie, une jeune fille lumineuse et passionnée à la fin du 19è siècle. Eugénie a un don unique : elle entend et voit les morts. Quand sa famille découvre son secret, elle est emmenée par son père et son frère dans la clinique neurologique de La Salpêtrière sans possibilité d’échapper à son destin. Cette clinique, dirigée par l’éminent professeur Charcot, l’un des pionniers de la neurologie et de la psychiatrie, accueille des femmes diagnostiquées hystériques, folles, épileptiques et tout autre type de maladies physiques et mentales. Le chemin d’Eugénie va alors rencontrer celui de Geneviève, une infirmière de l’unité neurologique dont la vie passe sous ses yeux sans qu’elle ne la vive vraiment. Leur rencontre va changer leurs destins à jamais alors qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles » organisé tous les ans par le Professeur Charcot au sein de la clinique.
 
*** 

    Il était quasi certain que cette bouleversante histoire, portée par l'écriture cinématographique de Victoria Mas, ne tarderait pas à intéresser les réalisateurs. En fait de réalisateur, c'est même une réalisatrice qui a rapidement posé une option pour en filmer l'adaptation : Mélanie Laurent. Au départ en réflexion pour tourner un long-métrage sur les chasses aux sorcières au Moyen-Âge, Mélanie Laurent a découvert avec le roman de Victoria Mas un propos similaire à travers l'histoire de ces femmes enfermées et malmenées parce que dérangeantes, libres, ou en avance sur leur temps. Le choix d'une sortie sur Amazon Prime plutôt que dans les salles de cinéma a été quelque peu décrié par les spectateurs, accusant Mélanie Laurent, personnalité très engagée, d'hypocrisie. Profitons de cet article pour remettre les choses au point et expliquer le pourquoi d'une telle décision : initialement financé par des maisons de production françaises et destiné aux salles obscures, Le bal des folles a vu son tournage perturbé par la situation sanitaire et par le soudain retrait de tous ses financeurs. La proposition de production par Amazon, arrivée à point nommé, a permis de finir le tournage et de mener ce projet à bien. Comme aime à le souligner Mélanie Laurent elle-même, cette opportunité permettra au film d'être visible dans le monde entier, une diffusion à grande échelle relativement rare pour un film français.

 
    De ce projet mené en pleine crise covid, peu de choses ont filtré, si ce ne sont quelques clichés des acteurs dans les décors de Charente-Maritime, où un ancien hôpital a servi à reconstituer la Salpêtrière. Au printemps dernier, Amazon Prime a diffusé sur la toile la première bande-annonce, un chef d’œuvre de montage et de rythme à elle seule, portée par une musique électro anachronique, mais captivante. On avait très hâte de voir ce que cette adaptation allait donner... 
 
 
    Le scénario, co-écrit par Mélanie Laurent et son comparse de toujours Christophe Deslandes, propose une adaptation très fidèle au roman de Victoria Mas. Leur vision de l'histoire s'offre le luxe de quelques ajouts et intrigues secondaires, parfois tout juste survolées, mais qui mettent encore un peu plus en exergue l'injustice de la société patriarcale du XIXème siècle ainsi que le carcan de la bourgeoisie. En donnant plus de profondeur à la relation que l'héroïne entretient avec son frère et en faisant de lui un jeune homme fragile et secrètement homosexuel, le film montre en peu de scènes l'oppression d'une caste pour laquelle les apparences et la réputation priment plus que tout. Le scénario dépeint une Eugénie frondeuse qui, contrairement au roman où elle s'invite aux débats politiques (mais profondément creux) du Paris masculin, se réfugie sans chaperon dans les cafés de Montmartre pour fumer et lire ce qui lui plait, telle l'intellectuelle libre et bohème qu'elle est réellement, derrière voilette et corset.
 
 
    Parmi les partis pris du film, une décision surprenante mais particulièrement intéressante est de ne pas montrer les fantômes qu'Eugénie est en capacité de voir. À cette possibilité très classique de mettre en scène un don de double vue au cinéma, Mélanie Laurent préfère manifester les apparitions par de soudaines et ponctuelles crises de son héroïne, entre tétanie et angoisse, laissant le spectateur dans la même situation que n'importe quel observateur de la scène. Nous sommes, comme le père et le frère d'Eugénie, soumis au choix suivant : va-t-on la croire, ou va-t-on nous aussi opter pour la folie ?
 
 
    Le personnage prend corps sous les traits angéliques et mystérieux de Lou de Laâge, qui donne toute sa profondeur et sa ténacité à Eugénie ; elle l'incarne à merveille, dans le moindre regard, le moindre geste. Il en va ainsi de tout le casting, dont les membres semblent taillés sur mesure pour interpréter les personnages du roman. Mélanie Laurent, tantôt derrière, tantôt devant la caméra, campe une Geneviève peut-être plus jeune que l'infirmière qu'on imaginait dans le livre, mais elle est, comme toujours, furieusement convaincante. Un parallèle se dessine rapidement entre les deux jeunes femmes que, pourtant, initialement, tout oppose ; Mélanie Laurent le montre à travers les scènes de solitude, lorsqu'elles lisent en tirant lentement sur une cigarette. Leur gestuelle se confond presque, indiquant par ce mimétisme des âmes parallèles malgré leurs différences.
 

    L'une des plus belles surprises du casting est son caractère inclusif : alors en repérage pour les rôles, Mélanie Laurent a reçu des dizaines de vidéos d'actrices en situation de handicap ou touchées par la maladie qui ont voulu participer au film pour rendre hommage à ces femmes de la Salpêtrière. La réalisatrice a eu l'occasion de raconter dans plusieurs interviews la beauté de cette rencontre, qu'on ressent dans la sororité qui transparait à l'écran.
 

    Car Mélanie Laurent filme ses actrices comme personne : la caméra les épouse totalement, filme l'enchevêtrement des corps gracieux et disgracieux avec un respect rare, faisant de toutes les scènes prenant place à la Salpêtrière autant d'hommages à ces femmes. Certains passages sont, à ce titre, impressionnants de maîtrise : la scène de la toilette commune, d'une infinie pudeur malgré la nudité omniprésente, la chanson improvisée d'une des aliénées pendant la messe de Noël, en plein cœur de la chapelle... Autant d'instants de grâce bouleversants.


En bref : Une adaptation bouleversante du roman de Victoria Mas, à la beauté saisissante de sobriété. Mélanie Laurent signe là l'un de ses plus beaux films, une déclaration d'amour aux femmes libres portée par des actrices en état de grâce. Magnifique d'un bout à l'autre.


lundi 20 septembre 2021

Un été en chapeau melon...

 Pause estivale sur la plage pour Steed et Mrs Peel
 
    Dans sept jours, le déluge. Ainsi était nommé l'un des épisodes de notre série fétiche Chapeau Melon et Bottes de Cuir, dont on fête cette année les 60 ans, et qui voyait s'abattre sur l'Angleterre des pluies torrentielles au point d'en devenir meurtrières. C'est un peu le résumé de notre été : un déluge de plusieurs semaines d'affilée. Mais le flegme de nos héros étant une source d'inspiration des plus merveilleuses, nous nous sommes armés de notre parapluie afin de profiter de ces vacances malgré tout...
 

    Outre le visionnage des saisons 4 et 5 en compagnie de la subtile et féline Emma Peel, nous avons eu un programme bien rempli : un mystère à résoudre, des châteaux, des projets professionnels qui aboutissent, de nombreux livres qui ont rejoint la bibliothèque, et aussi BEAUCOUP de tea times ! Alors, prêts pour le récap ?
 
Escapades :
 

    Comme tous les ans depuis déjà quelques années, la saison a commencé avec le désormais traditionnel stage de théâtre estival. Notre bien aimé professeur ayant déménagé pour l'ouest breton en cours d'année, c'est à demeure que nous sommes allés jouer la comédie, un peu à la façon d'une résidence artistique comme en rêveraient certainement les meilleurs professionnels. Dans une splendide bâtisse perdue en pleine campagne bretonne, nous avons alterné ("superposé" serait plus juste, notre éminent professeur étant un amoureux des mises en abyme) jeu de rôle et théâtre masqué. Au centre de ces réjouissantes fantaisies : une enquête ésotérique tortueuse et fascinante digne d'un Dan Brown, dont on espère voir un jour naître un roman, tant il serait dommage qu'elle reste à l'état de divertissement éphémère. Il parait que le projet serait déjà dans les tuyaux... Notre semaine, comme dans une parenthèse enchantée, se déroula entre investigations, création, et lectures à voix haute en nocturne, le tout arrosé de cidre et clôturé par un tea time dans de la belle porcelaine... 



    De retour des terres bretonnes, nous avons retrouvé notre collègue chroniqueuse de la page Jane Austen lost in France en pays lunévillois, sur les traces de Stanislas, Voltaire, et Emilie du Châtelet (on jure qu'on ne lui a pas mis le couteau sous la gorge, au contraire : elle a tout bonnement été victime du virus émilien elle aussi). L'occasion de jouer les guides le long de l'allée des soupirs, dans les rues de la vieille ville à la recherche de la "maison du marchand", ou encore dans l'église St Jacques pour saluer Emilie, qui repose sous une simple dalle de marbre noir (piétinée à notre plus grande horreur par de nombreux visiteurs...).
 


 
    Il était donc nécessaire de compléter cette visite d'une escapade à Cirey : quelques semaines plus tard, nous nous sommes donnés rendez-vous au château de la Divine Émilie (admettez qu'il eût été criminel de ne pas faire un détour par son adorable demeure).
 

    L'été au Terrier a également été marqué par la venue de Pouchky/Ficelle for Ever, qui honorait pour la première fois l'endroit de sa visite. Au programme : beaucoup de vieilles pierres, avec des promenades sur les traces de Diderot dans les rues et musées de Langres, ainsi que dans un parc romantique du XIXème au allures de cité troglodyte. La chaleur aidant, on aurait pu se croire dans des vestiges antiques qu'aurait décrit Agatha Christie dans un de ces romans mettant en scène Hercule Poirot au Moyen-Orient... A moins bien sûr qu'on ne se soit perdu à Hanging Rock...
 

      


   Enfin, nous avons clôturé cette belle saison estivale par le premier événement de la rentrée littéraire : le salon du Livre sur la Place à Nancy, en compagnie de notre amie de Jane Austen lost in France (décidément, on aura trouvé des occasions de se voir). Cette journée bien trop courte nous a permis de rentrer dans le superbe opéra de Nancy pour assister à une conférence de Jonathan Coe himself, de saluer l'auteur Sacha Sperling et l'écrivaine et blogueuse historique Pascale Debert, ainsi que de déjeuner à l'Excelsior, écrin Art-Nouveau aux voutes et arabesques enchanteresses.







 
Bricoles et fariboles :
 

    Mis en appétit par ces nombreuses visites historiques, nous avons pu reprendre notre grand projet d'écriture où nous l'avions arrêté en cours d'année (entre l'écriture plaisir et les révisions pour les partiels, il avait fallu faire un choix...). Nous ne comptons plus les heures à griffonner, raturer, taper, réécrire, revérifier la documentation, chercher, rechercher encore... le tout arrosé de plusieurs tasses de thé, évidemment.
 
 
    Du côté des bricolages, mais professionnels : nous avions pu aborder au cours des derniers articles saisonniers le projet sur lequel nous avions travaillé avec la classe de nos petits monstres préférés, dans la lignée du Culottées de Pénélope Bagieu et du J'aimerais te parler d'elles de Sophie Carquain. Nous avons terminé avec eux l'écriture et la création : l'album, mis en page pendant l'été, a vu le jour tout récemment et accompagne une exposition qui rencontre actuellement un grand succès (la suite au prochain numéro ;-) )!

 
    Ah, et on a aussi fait quelques dédicaces illustrées, notamment du livre Voltaire, l'enfance rebelle, dont nous avons mis en image la couverture au printemps dernier (et de notre BD de Fantômette, aussi).
 


 
Great News!
 

     Il y a deux ans, nous avions participé au concours littéraire du Prix Zadig de la nouvelle policière. Après être passé à un cheveu de la publication, nous avons décidé de retenter l'expérience cette année. Le premier tri des textes reçus par le jury a permis de retenir 43 nouvelles validéss, dont... la nôtre ! En lice pour la suite de l'aventure, nous attendons donc le 1er octobre afin de voir si nous ferons partie des 24 manuscrits retenus. Ce petit jeu va nous mener ainsi jusqu'en novembre, du moins si on tient jusqu'au bout...
 
 
Achats, cadeaux & acquisitions :
 

    Autant dire que ce fut l'été de la fièvre acheteuse et des cadeaux : impossible de ne pas résister aux livres qui faisaient de l’œil depuis les étagères des librairies, et encore moins de refuser ceux qu'on nous a offerts (ce serait très impoli, n'est-il pas ?). Le Salon du Livre sur la Place nous a permis, comme nous le disions plus haut, de voir Pascale Debert et de lui faire dédicacer son dernier ouvrage sur Chrétienne de Danemark ; nous en avons profité pour acheter son troisième opus de la collection "Histoires Galantes", consacré à la première jeune noble guillotinnée à l'aube de la révolution française, que nous ne comptions pas encore sur nos étagères. Le plus grand des hasards a fait que Sacha Sperling, auteur que nous avons tout récemment découvert par instagram (!) et qui suscitait furieusement notre curiosité, se trouvait aussi au salon : l'occasion d'acheter et de faire dédicacer deux de ses romans (son tout premier et son tout dernier).
 
 
   Le hasard, toujours (ou serait-ce le destin ?), nous a remis sur le chemin de notre bien aimée Mary Shelley, dont le fantôme persiste à nous poursuivre à travers le temps et les lieux. Nous avons déniché cette édition en fac similé de Frankenstein récemment parue chez les marchands de journaux, mais, surtout, une boite à livres perchée sur les hauteurs d'un petit village dissimulait un exemplaire du Médecin de Lord Byron, roman sur le séjour des Shelley à la villa Diodati qui semblait n'attendre que nous... Si ça ne c'est pas un signe...


    Le château de Lunéville s'est rapidement transformé en lieu de perdition, via cet espace de tentations diverses et variées qu'est... la boutique ! Fort heureusement, nous avons réussi à nous en tenir à quelques flyers (gratuits mais très enrichissants) et un petit livre récemment paru sur l'histoire du château, qui a rejoint notre collection d'ouvrages sur Émilie, ses contemporains, et les lieux qu'elle a fréquentés. Si notre sac est revenu chargé ce jour-là, c'est surtout en raison des nombreux cadeaux offerts par Jane Austen lost in France, qui nous gâte décidément beaucoup trop : un intégral de Viviane Moore, le récent et déjà célèbre Libraire de Wingtown, une biographie des sœurs Brontë, ainsi que de nombreux paquets de thé Mariage Frères. Ayant décidé de poursuivre le circuit des châteaux d’Émilie et Voltaire, Jane Austen lost in France est allée jusqu'à Ferney, d'où elle nous a rapporté ces nombreux goodies voltairiens (la boutique et ses tentations, encore et toujours...).



 
 
    Enfin, notre adore cousinette, alias The British Countess, a commandé auprès d'une artiste ce marque-page à notre effigie (avec un côté creepy en diable, façon Edgard Poe, isn't ?), dans un noir et blanc totalement raccord avec la toute dernière théière à avoir rejoint notre collection...
 
 
 
 
 Popote et casseroles :
 

    Cela ne surprendra pas les habitués du blog : les fourneaux ont beaucoup chauffé cet été. A l'instar de Steed et Mrs Peel, nous ne refusons pas un encas entre deux enquêtes, ou quelques toasts pour accompagner un thé de Ceylan. Moins british mais de saison, ce sont les légumes du soleil que nous avons mis à l'honneur en cuisine au cours des deux derniers mois. Nous avons concocté la plus grosse des ratatouilles qu'il eût été donné de voir au Terrier et de nombreuses salades grecques...
 

    Toujours dans les légumes d'été, les courgettes récupérées dans différents jardins familiaux se sont transformées en gratin (recette top secrète de Grand-Mère Rabbit) et en courgettes farcies au fromage aux fines herbes (un plat qu'on avait testé il y a foooort longtemps et dont une première version doit exister sur ce même blog, mais dans nos vieilles archives). Pour rester dans les légumes farcis, une impressionnante récolte d'aubergines a été l'occasion, là aussi, de refaire une recette pas cuisinée depuis plusieurs années : les aubergines à la bonifacienne.



    Enfin, n'oublions pas d'évoquer les nombreux tea times qui ont sucré notre été : belle porcelaine, théières par centaines, tea cake aux graines de carvi (la recette de Jane Eyre) et... des scones! Après la (décevante) recette de Pippa Middleton (oui, son livre de cuisine est vraiment trop beau pour que toutes les recettes soient vraiment satisfaisantes, on le sait, mais on ne résiste pas à ce genre d'ouvrage si bien illustré), nous avons testé la recette hallucinante d'une mamie australienne qui, semble-t-il, a conquis le monde entier (à juste titre). Le tout servi avec de la gelée groseilles/framboises du jardin, que demander de plus ?

 
***
 
    Mais le thé n'est pas le seul breuvage qu'affectionnent nos héros favoris. Comme pour clôturer chaque épisode, nous vous proposons de finir cet article et cet été avec panache, en faisant sauter le bouchon de champagne :


Cheers !