Le bal des folles
Avec : Lou de Laâge, Mélanie Laurent, Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot, Grégoire Bonnet...
Date de sortie internationale : le 17 septembre 2021 sur Amazon Prime
L’histoire d’Eugénie, une jeune fille lumineuse et passionnée à la fin
du 19è siècle. Eugénie a un don unique : elle entend et voit les morts.
Quand sa famille découvre son secret, elle est emmenée par son père et
son frère dans la clinique neurologique de La Salpêtrière sans
possibilité d’échapper à son destin. Cette clinique, dirigée par
l’éminent professeur Charcot, l’un des pionniers de la neurologie et de
la psychiatrie, accueille des femmes diagnostiquées hystériques, folles,
épileptiques et tout autre type de maladies physiques et mentales. Le
chemin d’Eugénie va alors rencontrer celui de Geneviève, une infirmière
de l’unité neurologique dont la vie passe sous ses yeux sans qu’elle ne
la vive vraiment. Leur rencontre va changer leurs destins à jamais alors
qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles » organisé
tous les ans par le Professeur Charcot au sein de la clinique.
***
Il
était quasi certain que cette bouleversante histoire, portée par
l'écriture cinématographique de Victoria Mas, ne tarderait pas à
intéresser les réalisateurs. En fait de réalisateur, c'est même
une réalisatrice qui a rapidement posé une option pour en filmer
l'adaptation : Mélanie Laurent. Au départ en réflexion pour
tourner un long-métrage sur les chasses aux sorcières au Moyen-Âge,
Mélanie Laurent a découvert avec le roman de Victoria Mas un propos
similaire à travers l'histoire de ces femmes enfermées et malmenées
parce que dérangeantes, libres, ou en avance sur leur temps. Le
choix d'une sortie sur Amazon Prime plutôt que dans les salles de
cinéma a été quelque peu décrié par les spectateurs, accusant
Mélanie Laurent, personnalité très engagée, d'hypocrisie.
Profitons de cet article pour remettre les choses au point et
expliquer le pourquoi d'une telle décision : initialement financé
par des maisons de production françaises et destiné aux salles
obscures, Le bal des folles a vu son tournage perturbé par la
situation sanitaire et par le soudain retrait de tous ses financeurs.
La proposition de production par Amazon, arrivée à point nommé, a
permis de finir le tournage et de mener ce projet à bien.
Comme aime à le souligner Mélanie Laurent elle-même, cette
opportunité permettra au film d'être visible dans le monde entier,
une diffusion à grande échelle relativement rare pour un film
français.
De ce
projet mené en pleine crise covid, peu de choses ont filtré, si ce
ne sont quelques clichés des acteurs dans les décors de
Charente-Maritime, où un ancien hôpital a servi à reconstituer la
Salpêtrière. Au printemps dernier, Amazon Prime a diffusé sur la
toile la première bande-annonce, un chef d’œuvre de montage et de
rythme à elle seule, portée par une musique électro anachronique,
mais captivante. On avait très hâte de voir ce que cette adaptation
allait donner...
Le
scénario, co-écrit par Mélanie Laurent et son comparse de toujours
Christophe Deslandes, propose une adaptation très fidèle au roman
de Victoria Mas. Leur vision de l'histoire s'offre le luxe de
quelques ajouts et intrigues secondaires, parfois tout juste
survolées, mais qui mettent encore un peu plus en exergue
l'injustice de la société patriarcale du XIXème siècle ainsi que
le carcan de la bourgeoisie. En donnant plus de profondeur à la
relation que l'héroïne entretient avec son frère et en faisant de
lui un jeune homme fragile et secrètement homosexuel, le film montre
en peu de scènes l'oppression d'une caste pour laquelle les
apparences et la réputation priment plus que tout. Le scénario
dépeint une Eugénie frondeuse qui, contrairement au roman où elle
s'invite aux débats politiques (mais profondément creux) du Paris
masculin, se réfugie sans chaperon dans les cafés de Montmartre
pour fumer et lire ce qui lui plait, telle l'intellectuelle libre et
bohème qu'elle est réellement, derrière voilette et corset.
Parmi
les partis pris du film, une décision surprenante mais
particulièrement intéressante est de ne pas montrer les fantômes
qu'Eugénie est en capacité de voir. À cette possibilité très
classique de mettre en scène un don de double vue au cinéma,
Mélanie Laurent préfère manifester les apparitions par de
soudaines et ponctuelles crises de son héroïne, entre tétanie et
angoisse, laissant le spectateur dans la même situation que
n'importe quel observateur de la scène. Nous sommes, comme le père
et le frère d'Eugénie, soumis au choix suivant : va-t-on la croire,
ou va-t-on nous aussi opter pour la folie ?
Le
personnage prend corps sous les traits angéliques et mystérieux de
Lou de Laâge, qui donne toute sa profondeur et sa ténacité à
Eugénie ; elle l'incarne à merveille, dans le moindre regard, le
moindre geste. Il en va ainsi de tout le casting, dont les membres
semblent taillés sur mesure pour interpréter les personnages du
roman. Mélanie Laurent, tantôt derrière, tantôt devant la caméra,
campe une Geneviève peut-être plus jeune que l'infirmière qu'on
imaginait dans le livre, mais elle est, comme toujours, furieusement
convaincante. Un parallèle se dessine rapidement entre les deux
jeunes femmes que, pourtant, initialement, tout oppose ; Mélanie
Laurent le montre à travers les scènes de solitude, lorsqu'elles
lisent en tirant lentement sur une cigarette. Leur gestuelle se
confond presque, indiquant par ce mimétisme des âmes parallèles
malgré leurs différences.
L'une
des plus belles surprises du casting est son caractère inclusif :
alors en repérage pour les rôles, Mélanie Laurent a reçu des
dizaines de vidéos d'actrices en situation de handicap ou touchées
par la maladie qui ont voulu participer au film pour rendre hommage à
ces femmes de la Salpêtrière. La réalisatrice a eu l'occasion de
raconter dans plusieurs interviews la beauté de cette rencontre,
qu'on ressent dans la sororité qui transparait à l'écran.
Car
Mélanie Laurent filme ses actrices comme personne : la caméra les
épouse totalement, filme l'enchevêtrement des corps gracieux et
disgracieux avec un respect rare, faisant de toutes les scènes
prenant place à la Salpêtrière autant d'hommages à ces femmes.
Certains passages sont, à ce titre, impressionnants de maîtrise :
la scène de la toilette commune, d'une infinie pudeur malgré la
nudité omniprésente, la chanson improvisée d'une des aliénées pendant la messe
de Noël, en plein cœur de la chapelle... Autant d'instants de grâce
bouleversants.
En bref : Une adaptation
bouleversante du roman de Victoria Mas, à la beauté saisissante de
sobriété. Mélanie Laurent signe là l'un de ses plus beaux films,
une déclaration d'amour aux femmes libres portée par des actrices
en état de grâce. Magnifique d'un bout à l'autre.
La bande annonce est alléchante et la photographie de qualité. En plus on pense aux pathétiques pavillons des aliénées à la Salpétrière...mais comme je ne m'abonnerai pas Prime, je passe mon tour.
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