Pages

mercredi 3 novembre 2021

Magic Lessons - Alice Hoffman.

Simon & Schuster, 2020.
 
    Depuis des siècles, les femmes de la famille Owens sont maudites : tout homme qui tombe amoureux d'une femme Owens meurt.
 
    Tour commence avec un bébé abandonné en pleine campagne anglaise enneigée, dans les années 1600. La douce Hannah Owens le prend sous son aile et, au fur et à mesure que l'enfant grandit, Hannah enseigne à la petite Maria les "Arts Invisibles". Maria a manifestement un don – un don qui pourrait bien causer sa perte.
    Quand Maria est abandonnée par l'homme qu'elle aime, elle invoque une malédiction qui hantera sa famille pour les siècles à venir. Parce que la magie a ses règles, et qu'elles doivent être respectées.
 
Un préquel au livre Les Ensorceleuses, le roman encensé par des millions de lecteurs.
 
***
 
    Il y a 25 ans, Alice Hoffman, romancière américaine déjà encensée par la critique, publiait son grand best-seller Practical Magic. Publié en France chez Flammarion sous le premier titre de Drôles de meurtres en famille, Practical Magic est passé à la postérité en 1998 grâce à l'adaptation cinématographique de Griffin Dunne avec Sandra Bullock et Nicole Kidman, connue en France sous le titre Les ensorceleuses. Devenu culte avec le temps, ce film a suscité un engouement inattendu et un intérêt inaltérable pour le roman d'origine, au point d'inciter Alice Hoffman à imaginer une nouvelle histoire. En 2017, alors que ses nombreux fans réclamaient une suite aux aventures des sœurs Owens, elle créait la surprise avec The Rules of Magic, préquel qui se concentrait sur la jeunesse des Tantes Jet et Frances, personnages secondaires adorés de tous. Surpassant presque Practical Magic, The Rules of Magic rencontrait un succès mérité et avait laissé penser à tous que la boule était désormais bouclée.
 
« Elles venaient d'une longue lignée de femmes dont le sang devenait noir dans la neige, qui pouvaient soigner ou blesser par les mots ou les plantes, qui savaient communiquer avec les oiseaux et les abeilles, capables de changer le temps, et qui étaient aussi craintes que respectées par leurs voisins. »

    Mais Alice Hoffman n'avait pas dit son dernier mot : l'an dernier, elle publiait un tout nouvel opus de la désormais bien nommée "Saga des Owens", toujours pas une suite mais de nouveau un préquel remontant cette fois aux origines de la famille. Magic Lessons raconte en effet l'histoire de Maria Owens, l'ancêtre évoquée à maintes reprises dans les précédents romans, jugée pour sorcellerie dans les années 1600 et responsable de la malédiction qui condamne les femmes Owens à voir périr les hommes qui auront la faiblesse de les aimer. Le film de 1998 s'ouvrait par ailleurs sur la scène de sa mise à mort, déjouée par un mystérieux coup du sort (!) : la corde censée la pendre se rompait, la laissant libre de poursuivre sa destinée et... la dynastie des Owens. Dans les précédents romans, on apprenait de Maria qu'elle avait été repoussée par le père de sa fille, un homme influent du Massachusetts qu'on découvrait plus tard être le chasseur de sorcières à l'origine de sa condamnation. Y avait-il encore matière à écrire sur Maria Owens ? Oui, et Alice Hoffman nous le prouve...
  
« Il est toujours plus facile de lire l'avenir d'autrui que le sien. Même quand vous gardiez les yeux grands ouverts, le monde pouvait vous surprendre. »
 
    L'histoire commence dans la campagne anglaise, au cœur de l'hiver : Hannah Owens, guérisseuse vivant à l'écart d'un monde qui malmène les femmes comme elle, découvre un bébé abandonné dans les bois. Très vite, il s'avère que la fillette, qu'elle baptise Maria, détient certaines prédispositions similaires aux siennes : les oiseaux se perchent sur son berceau, l'argent noircit entre ses doigts et elle flotte à la surface de l'eau sans avoir à nager ni à craindre la noyade. A l'ombre de la forêt, Hannah enseigne son savoir à Maria, qui consigne charmes, sorts et remèdes dans son propre grimoire. Lorsque Rebecca, une inconnue, se présente un soir à la porte d'Hannah pour défaire un sort amoureux qui aurait mal tourné, Maria comprend qu'elle est intimement liée à cette femme. A ses trousses, un lord froid et sanguinaire qui entraine la mort d'Hannah et la fuite de Maria. L'Angleterre devient en effet un territoire dangereux pour les personnes comme elle, aussi part-elle vers le Nouveau Monde en quête d'un ailleurs plus accueillant. D'abord réfugiée sur Curaçao, île des Antilles colonisée successivement par l'Espagne et les Pays-Bas, Maria devient domestique et poursuit son apprentissage auprès des praticiennes du Vaudou. Chez son maître, elle rencontre un jour un des invités de marque, John Hathorne, et se persuade qu'il est l'homme de sa vie, celui qu'elle a vu un jour apparaître dans un miroir d’obsidienne censé lui révéler l'avenir. Lorsqu'il abandonne Maria, enceinte, à la suite de quelques semaines de passion, cette dernière embarque pour le Massachusetts à la poursuite de l'homme qu'elle aime. Elle le retrouve à Salem, et apprend qu'il est un des juristes les plus investis dans la chasse aux sorcières qui sévit dans la contrée..
 
L’exécution de Maria Owens dans le film de 1998.

« Une femme solitaire qui savait lire et écrire était suspecte. Les mots avaient un pouvoir ; on ne faisait pas confiance aux livres. Ce que les hommes ne pouvaient comprendre, ils voulaient le brûler. »


    Brillant, bouleversant, émouvant... les superlatifs nous manquent pour qualifier ce roman. Alice Hoffman, conteuse hors pair du Magic Realism, reconstitue la vie de Maria Owens en élaborant autour des quelques éléments que nous tenions du film et des précédents romans de nouvelles pièces de puzzle qui s'imbriquent parfaitement entre elles. Reconnaissons-le : construire un préquel dont la trame n'était pas pensée à l'écriture du premier roman relevait déjà d'un véritable défi ; en imaginant ce second antépisode, la romancière affirme une fois encore son inégalable talent. La tension dramatique, les rouages du destin et la logique de l'intrigue sont bel et bien là, comme si cette histoire jamais contée attendait d'être retranscrite depuis des années.
 
Paysage de Salem par A.Bierstadt.

    « — Tu ne peux pas tomber amoureux de moi, expliqua Maria à Samuel.

    — Si tu insistes, je prétendrais que je ne le suis pas.
    Le beurre dans le plat posé sur la table avait déjà commencé à fondre, signe que quelqu'un dans cette maison était en train de tomber amoureux. »

    Ainsi, on découvre dans quelles circonstances Maria a rencontré et aimé celui qui causerait sa perte, on apprend pourquoi la corde qui devait la pendre s'est rompue le jour de son exécution, et on assiste, en clin d’œil aux flashbacks racontés dans Les Ensorceleuses, à l'édification de la grande maison des Owens sur Magnolia Street, à la lumière laissée allumée sous le porche pour guider les âmes égarées en quête d'un charme ou d'un remède. Les destins des Owens d'un livre à l'autre et des intrigues déjà lues se répondent dans un écho qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne. 
 
Femme arrêtée pour sorcellerie à Salem au XVIIème siècle.

« Certaines personnes devenaient fragiles à force d'avoir été malmenées, d'autres s'en sortaient plus fortes, et d'autres encore combinaient les deux et se révélaient dangereuses, même si la personne en question est une jeune fille qui vient tout juste de fêter ses douze ans. 


    Dans son précédent roman, Alice Hoffman avait mis en lien la révolution sexuelle et les mouvements féministes de 68 avec la jeunesse des Tantes Owens et l'avènement de leurs pouvoirs comme l'héritage de l'ancienne sorcellerie, l'affirmation de ces femmes indépendantes et différentes. Magic Lessons est l'occasion de retourner à la genèse de la sorcellerie dans la culture des Etats-Unis en recontextualisant le parcours de Maria dans l'affaire bien connue des Sorcières de Salem. Le scénario d'Alice Hoffman, qui s'enracine dans cette part de l'Histoire américaine et qui rappelle ces centaines de femmes malmenées par la société patriarcale dessine un propos évidemment pertinent, particulièrement en lien avec l'actualité. Le voyage de Maria, véritable odyssée, est également sujet à aborder l'intolérance religieuse, la colonisation et l'asservissement des peuples anciens aux fondements des États-Unis d'Amérique.
 

« Dans un monde fondé sur le meurtre, il y aurait toujours de la cruauté, et ce malgré la beauté du paysage et de l'océan. »


    Magic Lessons met en scène une femme de savoirs et de clairvoyance confrontée à l'intolérance de son époque et qui tente de trouver sa place dans le monde. Entre les voies toutes tracées prévues par le destin et celles qu'elle décidera d'emprunter, Maria rencontrera des personnages qui ne laisseront jamais le lecteur indifférent et qui donneront à méditer sur l'amour, l'humanité, et le sens que l'on choisit de donner à sa vie.

« Il y a des leçons à retenir. Boire du thé à la camomille pour apaiser un esprit tourmenté. Nourrir un rhume et affamer la fièvre. Lire autant de livres que vous le pourrez. Toujours choisir le courage. Ne jamais regarder une autre femme brûler. Savoir que l'amour est la seule et unique réponse. »

 
En bref : La petite et la grande Histoire se croisent et s'entrecroisent avec la fiction dans les pas de Maria Owens, à la rencontre de personnages dont l'humanité résonnera dans le cœur du lecteur longtemps après avoir refermé ce livre. Au fil du voyage et des remèdes issus des pages du grimoire de Maria, Alice Hoffman tisse dans Magic Lessons les origines de la famille Owens, dynastie de femmes fortes et combatives. Toujours juste, porté par une prose magnifique, ce roman se savoure en attendant la lecture de The book of Magic, quatrième et dernier roman de la saga, qui nous ramènera cette fois à notre époque pour y retrouver Gillian et Sally Owens...
 
 
 
Et pour aller plus loin...

- Découvrez Practical Magic / Les Ensorceleuses, l'incontournable best-seller ICI.
 
 
- Découvrez The Rules of Magic, l'ensorcelant premier préquel ICI.
 
 

2 commentaires:

  1. bonjour, comment vas tu? merci pour la découverte. ça me tente énormément. passe un bon jeudi et à bientôt!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Carfax, je recommande vivement ce cycle de romans ! J'essaie de motiver des éditeurs français à les publier en France car ils en valent très largement la peine! Bonne journée !

      Supprimer