Tout récemment, nous avons partagé avec vous notre avis sur Quand sonne l'heure, suite du roman Les enragés de Paris, tous deux publiés aux excellentes éditions Baker Street. Hommages au roman noir et déclaration d'amour à la France, ces deux livres nous font suivre Urby Brown, personnage de jazzman originaire de La Nouvelle-Orléans, dans le Montmartre des années 30 à l'Occupation. Nous avons eu la chance d'échanger par téléphone avec leur auteur Kirby Williams, qui a accepté de répondre à nos questions...
Pedro Pan Rabbit : Comment vous est venue
l'idée des Enragés de Paris et de Quand sonne l'heure ?
Kirby Williams : Tout a commencé avec un
film que j'ai dû voir vers 1975 : Lacombe Lucien, de
Louis Malle. Ce qui m'avait frappé dans ce film, c'est que le
personnage faisait partie de la Milice et qu'il y avait dans cette
Milice, un Noir. Je me suis demandé ce que pouvait bien faire un
Noir en France sous l'Occupation et surtout, au sein de la Milice !
Ensuite, la deuxième inspiration, c'est en voyant le film Le
pianiste de Polanski, vers 2003. J'ai été captivé par
l'histoire de ce personnage de musicien pendant la Seconde Guerre
mondiale. J'ai alors songé que ce serait intéressant de développer
une intrigue centrée sur un personnage de Noir américain musicien
pendant l'Occupation. Cela a été le point de départ. J'ai ensuite
pensé que le personnage pourrait être un musicien de jazz, puisque
cette musique avait alors été très appréciée en Europe. Mon
premier modèle de musicien de jazz très connu pendant
l'entre-deux-guerres était Amstrong ; j'ai commencé à lire
des biographies et des ouvrages qui lui étaient consacrés, et j'ai
ainsi découvert qu'il avait eu une enfance assez troublée et qu'il
avait passé quelques années dans une maison de redressement, et que
c'était là qu'il avait appris les rudiments de la musique. C'est
également à ce moment-là qu'il avait commencé à travailler avec
un chiffonnier juif de La Nouvelle-Orléans qui lui avait donné sa
première trompette. J'ai trouvé cette anecdote fascinante et de là
est né le personnage d'Urby. Une sorte de Louis Amstrong en France,
sous l'Occupation, qui aurait été un octavon fruit d'une liaison
entre un Français et une prostituée quarteron. Le tout en faisait
un protagoniste avec de nombreuses questions quant à son identité,
ce qui participait à épicer un peu l'histoire. C'est ainsi, en
assemblant des éléments de-ci, de-là, que les choses se sont
construites. Je me suis aussi appuyé
sur ma propre histoire. Mes parents étaient Texans, et mon père
était un des premiers Noirs américains à travailler à l'ONU à NY
en 1946 et il avait eu la possibilité de faire les allers-retours
pour rentrer en famille au Texas. J'avais un grand-oncle qui s'était
battu en France pendant la Première Guerre mondiale. Les Noirs
avaient en effet dû se battre sous commandement français à cause
de la ségrégation raciale : les soldats américains refusaient
qu'ils soient sous leur commandement. À son retour, il était fier
de porter son uniforme, mais il était très mal perçu par les
Blancs américains ; ils s'en prenaient à lui car ils ne voyaient
qu'un nègre en uniforme. Tandis qu'en France, mon oncle avait
toujours trouvé les Français formidables : ils considéraient
un Noir comme n'importe quel homme, sans faire de différence. « Les
Blancs en France ne sont pas comme ceux d'ici », disait-il.
Mes parents étaient Texans et mon père était un des premiers Noirs
américains à avoir obtenu un poste à l'ONU, à New York. Du fait
de son travail, j'ai toujours été bien intégré et je n'ai pas
subi beaucoup de racisme, mais les histoires de mon grand-oncle ont
cultivé très tôt ma curiosité de ces événements-là, de la
France, et de la vie des Noirs américains à cette époque.
PPR : Vous évoquez les
éléments de votre histoire familiale qui ont participé à élaborer
votre roman. Est-ce qu'il y a beaucoup de vous dans le personnage
d'Urby ?
KW : Je n'ai pas mis beaucoup
de ma personnalité dans celle d'Urby, mais plusieurs éléments de
sa vie renvoient à la mienne. Mon père avait la peau très foncée
alors que du côté de ma mère, ils étaient très métissés, avec
la peau plutôt claire, au point que deux filles de mon grand-père
se sont fait passer pour des Blanches quand elles sont allées vivre
dans le Middle West. Elles venaient au Texas pour les fêtes de
famille puis retournaient à leur vie de Blanches le reste du temps.
Cette question d'identité raciale m'intriguait, même si elle ne me
touchait pas directement. Ce sont aussi des lectures sur Alexandre
Dumas, le chevalier de Saint-George, Pouchkine qui sont venues
m'inspirer le personnage d'Urby... des personnages métis dont je me
demandais comment ils avaient vécu, dans leur époque, avec cette
question d'identité. Une question avec laquelle je n'ai pas eu à
vivre personnellement ; je n'ai donc pas eu les mêmes soucis
qu'Urby.
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Kirby Williams, jeune diplômé
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PPR : Lorsqu'on termine Les
enragés de Paris, rien ne semble indiquer qu'un second tome va
suivre. L'aviez-vous prévu ? Aviez-vous déjà projeté des
éléments sur cette suite dès l'écriture du premier tome ? Ou
est-ce que l'envie d'écrire un nouveau roman sur Urby s'est
présentée plus tard ?
KW : L'idée s'est présentée
plus tard. J'avais l'impression d'avoir d'autres choses à raconter.
Les enragés de Paris se déroule sur une période très
courte, quelque chose comme 5 semaines, avec un peu de loufoquerie.
De plus, à la fin, Urby, n'a pas les réponses à toutes les
questions qu'il se pose quant à son identité : son père de
cœur reste Stanley, mais son père de sang est le comte
d'Urbé-Lebrun. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à
résoudre. Après un laps de temps de deux ans, je me suis penché
sur l'idée et j'ai commencé à travailler sur ces éléments, j'ai
essayé de les démêler et de voir s'il y avait matière à
poursuivre. C'est ainsi qu'est né Quand sonne l'heure.
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Kirby Williams, dans ses jeunes années à Paris
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PPR : Donc les éléments
nouveaux qu'on apprend sur Urby dans le second titre n'étaient pas
réellement prévus et sont apparus au fur et à mesure ?
KW : Oui, plutôt. Même si,
évidemment, je devais avoir tout ça quelque part derrière la tête,
mais ça a émergé et ça s'est développé en écrivant. Je ne pars
jamais avec un schéma préétabli. C'est au fur et à mesure que
j'écris que je développe des choses et ça continue petit à petit.
PPR : En lisant le premier
opus, on pense évidemment au roman noir américain, mais il y a ce
rythme, très rapide, et cet enchaînement de péripéties parfois
loufoques comme vous le dîtes vous-mêmes. Nous avions beaucoup
pensé au roman-feuilleton français ; s'agit-il d'une de vos
autres inspirations ?
KW : Pas tellement le
roman-feuilleton français, mais j'ai été très inspiré par les
comédies de Boulevard françaises. Un chapeau de paille d'Italie,
par exemple, ou les œuvres de Feydeau, Labiche, etc... Cela
m'inspirait dans cette idée du « qui va tuer qui, qui kidnappe
qui... ? », pour ajouter du rocambolesque dans l'aventure.
PPR : Cette inspiration-là
semble moins présente dans le second livre. Les éléments
historiques font qu'on est plus en tension et il y a beaucoup plus de
mélancolie ; est-ce que vous l'avez senti dans l'écriture,
était-ce volontaire, ou est-ce que cela s'est imposé ?
KW : Oui, c'est tout à fait
ça. Urby lui-même en est conscient. Il y avait à cette époque des
mouvements dans l'air du temps qui faisaient que le climat était de
plus en plus chargé. Il y a une expression chez les Noirs
américains, quand ils sont dans une situation critique et qu'ils
sentent qu'on va en avoir après eux, qui dit « On sent la
brise ». Et Urby, là, il commence à « sentir la
brise » aussi. Ce n'est pas uniquement dû aux agissements
des Français d'extrême droite ou à la montée du nazisme, mais
aussi à ce qui se passe aux États-Unis. Il y a, en même temps
qu'en Europe, une montée du fascisme à l'américaine. Urby est un
homme impulsif, mais il peut ressentir ça. Il faut dire qu'il a
aussi cet ami, ce colonel allemand qui est un grand amoureux de Jazz
et un ami de Stanley, et qui refile à Urby et Stanley des
renseignements sur ce qui se trame (d'ailleurs, ce personnage est
inspiré d'une personnalité historique, un officier basé à Paris
sous l'Occupation, surnommé « Dr Jazz », qui a justement
protégé des musiciens de jazz à Montmartre comme Jango Reinhardt,
mais ça c'est une autre histoire). Mais pour ce qui d'Urby, il sent
le vent tourner. Quant à Stanley, il vieillit, il sent venir des
signes de faiblesse. Son père spirituel faiblit tandis que son père
réel devient de plus en plus fort. Et puis il y a sa compagne,
d'origine juive alors que l'antisémitisme ne cesse de grandir. Urby
semble détaché dans sa façon de raconter les événements, car il
a le cool du jazzman, mais il est en même temps profondément
touché. Cela crée une sorte de mélancolie. Une sorte de blues.
PPR : Quand on termine le
second livre, on se doute qu'il n'y aura pas de suite possible, mais
quels sont vos futurs projets d'écriture ?
KW : Eh bien il y a une
possibilité qu'Urby revienne... Sait-on jamais ? L'idée
commence à se développer, à prendre sa propre vie. Nous verrons
cela !
***
Nous terminerons donc sur cette possibilité pleine de promesses ! Nous remercions infiniment Kirby d'avoir accepté cet entretien et d'avoir pris le temps de répondre à nos question avec autant de chaleur et de sympathie. Aucun doute que nous programmerons un nouvel entretien si un troisième ouvrage vient à paraître...