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lundi 3 juillet 2023

La Maison Poussière - Valérie Péronnet.

Éditions Marabout, 2022 - Éditions J'ai Lu, 2023.
 
  "Elle a allumé un feu dans le foyer. Ça nous a un peu emboucanées, le temps qu'il se réchauffe. Lui non plus, il n'avait pas joué depuis tellement longtemps. Elle est allée chercher sa tasse préférée et la vieille théière, qu'elle a posées sur le coin du poêle, puis elle s'est emmitouflée dans une grosse douillette descendue de sa chambre et elle est partie à ma découverte.
    "Lorsqu'une inconnue pousse la porte de la maison Poussière, nichée sur l'île de Montréal, la vieille bâtisse bleue s'interroge : qui vient ainsi perturber ses années d'abandon et de solitude ? La nouvelle venue gratte, ponce, repeint, s'affaire sans relâche à nettoyer les souvenirs d'autres vies que la sienne, comme si elle cherchait à oublier un douloureux passé. Alors que le silence s'épaissit sous la neige d'un hiver sans fin, les murs commencent à livrer leur histoire : celle de Dumontine et d'Émerencienne, deux sœurs ayant habité là autrefois et dont les vies enfouies pourraient réparer le cœur de la jeune femme, si tant est qu'elle tende l'oreille aux murmures de la maison...
 
***
 
     C'est le mois dernier que nous avons repéré La Maison Poussière, parmi la sélection des titres en lice pour le premier prix du club des lecteurs J'ai Lu. Six romans soumis à 77 lecteurs et 7 libraires qui se sont réunis tous les mois pour composer cette liste où figurent en bonne place Sophie Astrabie ou encore Eric de Kermel. Tout récemment, ce grand jury de passionnés et de mordus de livres a délibéré, décernant le premier prix à La maison Poussière, que nous venions alors tout juste de terminer. Et vous savez quoi ? C'est pleinement mérité.
 

    Non loin de Montréal se trouve une maison à l'abandon, toute de bleu peinte, construite au tout début du siècle dernier. Jamais elle n'aura aussi bien porté son nom de Maison Poussière, furieusement approprié, lorsqu'une jeune Française pousse sa porte un matin d'hiver. Sans un mot, la jeune femme se lance dans de grandes rénovations à la seule force de ses bras. Alors qu'elle s'acharne sur le bois de l'escalier ou sur les tapisseries, la Maison sort progressivement de son sommeil. Secouée, poncée, grattée, récurée, la demeure fait connaissance avec sa nouvelle propriétaire dans la violence, mais toujours dans un mutisme aussi froid que la neige et le givre qui s'installent au dehors. Puis, alors que la glace bloque portes et fenêtres et que l'électricité se coupe, le tête à tête entre la Maison bleue et son habitante invite à déverrouiller d'autres portes, celles-là plus intimes : la jeune femme se confie, la Maison écoute, soupire et craque, comme savent si bien le faire les anciennes bâtisses. Puis les murs convoquent leur mémoire pour raconter leur histoire à leur tour...


"Le vent a soufflé toute la nuit. Et les jours d'avant. Et puis, ce matin, plus rien. Par la fenêtre, à travers le double vitrage aux rebords tapissés de glace, je vois les stalactites goutter depuis le toit du perron et j'ai l'impression de goutter moi aussi, de me diluer lentement pour devenir flaque et glisser à travers les lames du plancher, jusqu'à la cour où la terre battue finira par m'absorber."

    C'est une maison bleue adossée à la colline, on y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clef... Ainsi pourrait-on entamer le résumé de ce très beau roman, avec lequel on a passé quelques heures de lecture comme dans un cocon. La maison est souvent un élément central en littérature, et plus encore des récits familiaux ; quelque fois, il lui arrive de prendre vie, même si c'est le plus souvent l'apanage de la littérature d'horreur – à l'image de Maison Hantée de Shirley Jackson ou du Blanc va aux sorcières, d'Helen Oyeyemi. Avec La Maison Poussière, Valérie Péronnet personnifie la figure de la maison et lui attribue les rôles d'écrin protecteur et de transmetteur de mémoire.
 

    Car ici, la maison partage la narration avec le personnage de sa nouvelle propriétaire, au fil d'un chapitre chacune. Au cours de cette alternance de voix, on les perçoit l'une et l'autre à travers leur œil respectif, se jaugeant puis se découvrant comme le feraient deux inconnues contraintes de cohabiter ensemble. Après la méfiance des débuts se tisse finalement un lien quasi organique entre la jeune femme et la vieille demeure, alors que les secrets de l'une, répondant aux vieux souvenirs de l'autre, se font écho et se répondent tandis qu'on ouvre les malles poussiéreuses et qu'on met à jour de vieilles photographies.
 

"Ensuite, ça lui donne un air doux, enveloppant, l'impression que je peux me blottir en elle et que rien ne peut m'atteindre. Comme si elle me prenait dans ses bras. Il me semble que c'est ce qu'elle fait, d'ailleurs, et il y avait un sacré bout de temps que ça ne m'était pas arrivé."

    Outre la narration délicieusement audacieuse, Valérie Péronnet cultive une prose d'une simplicité réconfortante : elle nous fait ressentir le froid du dehors et la douceur du foyer, le corps de cette propriétaire qui décide de se tuer à la tâche, de s'abimer la carcasse en la mettant à l'ouvrage de jour comme de nuit pour oublier (mais oublier quoi ?), ressentir physiquement tout ce qu'elle voudrait faire taire dans sa tête. Le fond et la forme se répondent dans La Maison Poussière : en même temps que la protagoniste se répare en rénovant la maison, le lecteur est lui-même touché par cette résilience qui accompagne progressivement le sentiment d'habitation du lieu comme du livre.
 

    A plus d'un titre, La Maison Poussière nous a ainsi fait penser à cette citation de Catherine Clément dans Maison Mère : "Alors, qu’est-ce qu’une maison ? L’endroit où l’on revient. Je n’y ai pas manqué une seule fois. La maison m’oblige (...). Les toits parlent. Une maison, c’est toujours une mémoire (...). Ça s’emporte, une maison, sous forme de photo pliée dans le portefeuille, comme celles des enfants et celles des parents. Cela ne se raconte pas. On ne peut pas en parler. C’est elle qui parle."
 

"Les humains ne se méfient jamais assez de leur maison. Ils disent "Les murs on des oreilles", et puis ils oublient et nous livrent leurs secrets, y compris les plus intimes, sans réaliser qu'on est là. Qu'on les entend, qu'on les voit, qu'on les respire et même qu'on les aide un peu, parfois."

En bref : Il existe des livres dans lesquels on s'installe comme dans des maisons, qui font naître et entretiennent le sentiment d'habitation. La Maison Poussière est de ceux-là. Coup de cœur à bien des égards, ce titre au style aussi simple que sensible a pleinement mérité son premier prix du club des lecteurs, décerné récemment. La mémoire de ses murs résonnera encore longtemps en vous après avoir refermé ses pages, dans lesquelles on se love comme dans un duvet. Cette maison offre paix et consolation.

2 commentaires:

  1. Celui-là, je le note avec empressement ! :-)

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    1. Tu peux ! C'est un régal, une lecture qui fait prendre la mesure du temps. J'ai interviewé l'autrice hier, elle est passionnante. ;-) Je publierai bientôt l'entretien dans un prochain article :-)

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