The Pale Blue Eye, Harper Collins, 2006 - Editions Le Cherche Midi, coll. Néo (trad. de J.L. Piningre), 2007. Editions Pocket, 2008 - Editions Le Cherche Midi, 2023.
1830. Gus Landor est un vétéran en retraite de la police de New York.
Personnage complexe, usé par les années de service et les tragédies
personnelles, il répond à l'appel des autorités de l'académie militaire
de West Point lorsque la dépouille d'un élève-officier est retrouvée
atrocement profanée. Pour mener son enquête, Landor prend pour assistant
un cadet de l'école, sombre et tourmenté, nommé Edgar Allan Poe. C'est
le début d'un terrible voyage au cœur des ténèbres pour les deux hommes
qui, lancés sur la piste d'un tueur machiavélique, devront affronter
leurs propres démons alors que l'académie entière est prête à basculer
dans la folie. Tandis que les cadavres s'accumulent, Landor et Poe
pénètrent les arcanes mystérieux de West Point, entre sociétés secrètes
et sacrifices rituels, jusqu'à une conclusion aussi stupéfiante
qu'imprévisible.
Louis Bayard nous propose un thriller gothique et érudit, d'une intensité rare. Multipliant les énigmes, les fausses pistes et les trompe-l'œil, il construit une intrigue qui prend racine dans la vie et les œuvres d'Edgar Allan Poe, au suspense constant et au final éblouissant. Un œil bleu pâle a été adapté pour Netflix avec dans les rôles principaux Charlotte Gainsbourg, Christian Bale et Robert Duvall.
Louis Bayard nous propose un thriller gothique et érudit, d'une intensité rare. Multipliant les énigmes, les fausses pistes et les trompe-l'œil, il construit une intrigue qui prend racine dans la vie et les œuvres d'Edgar Allan Poe, au suspense constant et au final éblouissant. Un œil bleu pâle a été adapté pour Netflix avec dans les rôles principaux Charlotte Gainsbourg, Christian Bale et Robert Duvall.
"
Un œil bleu pâle est une poupée russe : roman policier, gothique,
sanglant, mais aussi, pour qui veut, jeu littéraire et logique abouti. "
Philippe Lançon, Libération
Philippe Lançon, Libération
***
Repéré à l'occasion de sa première édition française, Un œil bleu pâle était inscrit sur notre wish list depuis 2008. A l'époque, les consonances francophones du nom de l'auteur nous avaient laissé imaginer une nationalité française, mais il n'en est rien : Louis Bayard, né au Nouveau-Mexique, est tout ce qu'il y a de plus américain. Il nous aura fallu 17 ans avant de nous plonger dans la lecture de ce qui reste à ce jour son grand best-seller, sa récente adaptation sur Netflix (2023) ayant remis un coup de projecteur sur le roman original.
L'intrigue nous donne à lire le journal d'Augustus "Gus" Landor, ancien inspecteur de la police de New York en retraite anticipée en Virginie, où il habite un petit cottage en pleine forêt. Un matin d'Automne 1830, l'académie militaire de West Point sollicite ses services : on a retrouvé un cadet pendu pendant la nuit, le corps ayant été atrocement mutilé dans un second temps. En effet, à la faveur de l'obscurité et de l'inattention du jeune étudiant chargé de surveiller le cadavre, quelqu'un sera revenu lui arracher le cœur. Pour Sylvanus Thayer, surintendant de l'académie, ce ne peut être là que l'oeuvre d'un fou – fou qu'il faut arrêter au plus vite. L'école étant sur la sellette, cet incident pourrait précipiter sa fermeture par le gouvernement et Thayer a donc besoin d'un enquêteur discret afin de résoudre le crime avant que l'information ne remonte aux oreilles de personnes plus haut placées. Landor, fin observateur du monde au regard acéré, y voit une occasion de sortir de sa retraite le temps que durera l'affaire. Alors qu'il entame ses investigations, il est accosté par un cadet, un jeune homme parmi les plus étranges qui lui ait été donné de rencontrer : celui-ci, répondant au nom d'Edgar Allan Poe, lui glisse à l'oreille que le meurtrier ne peut être qu'un poète. De rencontres fortuites en dialogues à bâtons rompus avec ce garçon au teint pâle et à la silhouette dégingandée, Landor entrevoit chez Poe une perspicacité qui peut lui être utile et lui offre un emploi : il sera son assistant en secret, sa taupe au sein de l'académie.
Faire d'une personnalité historique un détective amateur, c'est un schéma littéraire aujourd'hui usé jusqu'à la corde, même s'il a souvent donné lieu à de bons livres. Après Voltaire et Oscar Wilde, après les sœurs Brontë et Jane Austen, après Rose Bertin et Houdini, c'est cette fois un jeune Edgar Poe qui mène l'enquête. Pour ce faire, Louis Bayard se base sur un épisode véridique des jeunes années du futur poète : son (bref) séjour à l'académie militaire de West Point, en Virginie. A cette époque, Edgar a perdu ses parents depuis longtemps et entretient des relations compliquées avec son père adoptif, John Allan : les ambitions littéraires de l'aspirant écrivain ne plaisent guère à son tuteur, qui a cependant consenti, après plusieurs projets étudiants ou professionnels aussi anarchiques qu'inaboutis, à financer son cursus à West Point. Les archives et la petite histoire racontent que le cadet Poe s'y démarque par de très bons résultats dans les matières académiques, mais aussi par son insubordination latente. C'est dans ce court chapitre de la vie d'Edgar Poe que Louis Bayard glisse un crime fictionnel, lequel va catalyser les aspirations artistiques et esthétiques du futur auteur du Corbeau.
Le jeune Edgar A. Poe
On ne regrette pas du tout la découverte de ce joli pavé, même si on comprendra celles et ceux que le style aurait rebutés : il y est volontairement tortueux et certaines longueurs poussent parfois à une lecture en diagonale. Pour autant, l'écriture d'Un œil bleu pâle est l'une des grandes réussites de ce roman ; la capacité de l'auteur (mais aussi du traducteur, qui a fait un travail exceptionnel) à donner corps au personnage de Landor à travers une narration à la fois complexe, réaliste et immersive est un véritable tour de force. Dans cette catégorie de récits à la première personne, la plume reste trop souvent convenue ; ici, la voix de l'auteur s'efface complètement derrière celle du narrateur. Dans les hésitations, dans les circonvolutions de la pensée et du langage, dans les corrections apportées après coup à un dialogue, comme si la mémoire revenait soudainement à Landor (ou, peut-être, comme s'il s'amusait aux dépens du lecteur), le style force l'admiration. On pourrait tout à fait croire à la retranscription du journal tenu par un réel enquêteur du XIXe siècle à la retraite, un "vieux de la vieille" à qui l'expérience a donné une intuition presque surnaturelle.
Cadets de l'académie de West Point, fin du XIXe siècle.
Non content du travail sur cette première narration, l'auteur alterne les extraits du journal de Landor avec les rapports que lui transmet Poe, où il rend compte de ses recherches au sein de l'académie. Là encore, la voix du personnage s'impose, et avec elle, tout l'univers poétique de l'Edgar Allan Poe en devenir. La langue y est plus sophistiquée et le narrateur y recherche le terme exact pour restituer soit ce qu'il a vu, soit ce qu'il en pense. En toute pertinence au regard du personnage, le verbe occupe une place de premier plan, et les sujets abordés dérivent naturellement vers les centres d'intérêt de Poe : une esthétique mélancolique et morbide, Louis Bayard prenant garde à ne jamais tomber dans les clichés qu'on associe bien trop souvent au célèbre auteur des Contes Macabres.
Parce que ces voix restituent avec talent la psychologie des protagonistes, c'est là l'autre point fort de ce livre : les personnages. Les portraits sont dressés sans concession, l'auteur ne cherche pas à les enjoliver et nous les présente avec tous leurs défauts et toutes leurs manies, dessinant les contours de personnalités profondes et charismatiques. Landor et Poe sont évidemment en tête de liste (Louis Bayard mettant en scène une relation très émouvante et toute en pudeur, presque filiale, entre le vieux détective et son apprenti), mais leurs regards croisés permettent d'appréhender des personnages secondaires tout aussi complexes au filtre de leurs subjectivités respectives, brouillant ainsi les pistes dans l'avis que le lecteur cherche à s'en faire.
Le vrai surintendant Thayer, qui devient ici un personnage de roman.
Du côté de l'intrigue, en revanche, on a émis de nombreuses réserves tout au long de notre lecture. Les indices aiguillent rapidement l'enquête vers une histoire un peu facile de culte satanique, un ressort scénaristique très stéréotypé et, surtout, loin de la subtilité que l'auteur avait placée dans l'écriture et dans ses personnages. La solution du mystère, ensuite, semblait se laisser deviner dès le milieu du roman. On s'est donc convaincu qu'Un œil bleu pâle ne méritait peut-être pas son statut de best-seller et ses excellentes critiques, jusqu'à ce que les dernières pages viennent balayer nos objections et qu'on se range à l'avis général : ce livre est une réussite totale. Plus que ses quelques clins d’œil à l'oeuvre de Poe (on comprend petit à petit que le personnage de Landor lui inspirera celui du détective Auguste Dupin, easter egg parmi d'autres références habilement placées), ce thriller historique convainc par le talent de l'auteur à piéger le lecteur dans l'ultime phase du roman.
West Point et son atmosphère glaciale...
En bref : Thriller historique gothique et mélancolique comme l'est la poésie de Poe, Un œil bleu pâle se démarque des polars sanglants en costume d'époque par l'authenticité stupéfiante de sa narration et la complexité ambivalente de ses personnages. Puzzle machiavélique sans faille, l'intrigue achève de nous convaincre par son twist final, certainement l'un des meilleurs du genre. Un sombre délice.