samedi 18 octobre 2025

Nécropolis #1 : "La tour de l'aigle" - Fabrice Colin.

Editions Nathan, 2021.
 
 
 
    Violet, Robin, Astor et Lee-Anne sont Apprentis à l'Institut Saint-Ange. Cette école les forme à devenir les prochains Gardiens de Nécropolis, la cité où sont enterrés des milliers de morts qui n'ont pas trouvé le repos.
    Leur scolarité se passe sans accroche jusqu'au jour où une menace, bien plus terrible que les morts-vivants qu'ils ont l'habitude de combattre, s'abat sur eux... 
 
Suspense, aventure et magie dans un cadre gothique surprenant : une ville-cimetière !
 
  
 ***
 
 
    On l'a dit cet été : on s'est fait livrer toute une cargaison de romans de Fabrice Colin. L'avantage avec un auteur à la bibliographie aussi fournie que la sienne, c'est qu'on redécouvre sans arrêt des titres à côté desquels on était passé au moment de leur publication. Nécropolis est de ceux-là : avec son titre évocateur, son cimetière en couverture et la dimension gothique suggérée par le résumé, on peine à croire que ce livre nous ait échappé. Fort heureusement, il n'est jamais trop tard.
 

    Le royaume de Ravenor est l'objet d'une funeste malédiction : depuis plusieurs décennies, les morts sortent de leurs tombes, et c'est à un défilé sans fin de squelettes, zombies, spectres et esprits frappeurs plus ou moins bien intentionnés qu'on assiste au quotidien. Afin d'endiguer ce mal d'origine inconnue, on a prévu une cité bâtie en bord de mer et cernée d'un haut rempart et de tours de garde pour y acheminer toutes les sépultures : Nécropolis. Une ville-cimetière où ceux qui y vivent comme en quarantaine sont missionnés pour renvoyer à la poussière fantômes et morts-vivants. Pour ce faire, une école forme les futurs Gardiens, les professionnels chargés de cette très sérieuse fonction : l'institut Saint-Ange, gigantesque bâtisse gothique construite à flanc de falaise non loin de Port Mungo, où l'équipe pédagogique entraîne ses jeunes élèves à utiliser la Vertu, sorte de magie locale héritée des temps anciens, pour lutter contre les revenants. Parmi les apprentis, un quatuor composé de membres singuliers se démarque du lot : Robin, cadet d'une famille de Gardiens de génération en génération, Astor, jeune surdoué incollable sur l'Histoire de Nécropolis, Violet, la fille adoptive du directeur de l'institut, et Lee-Ann, protégée au caractère bien trempé de l'auguste famille Usher, les bienfaiteurs de Nécropolis. Ces quatre-là ne seront pas de trop pour affronter la menace qui plane sur la ville et à laquelle personne n'est préparé...
 

    Passée presque inaperçue à sa publication, Nécropolis n'en reste pas moins une très jolie pépite, une de ces lectures qu'on aurait adoré découvrir plus jeune. OVNI comme seul l'auteur sait en imaginer, ce premier tome nous propose une immersion dans un univers qu'on n'aurait pas forcément cru adapté à un jeune lectorat – mais ce serait oublier un fait pourtant évident : les enfants adorent se faire peur (c'est d'ailleurs toujours notre cas, en grand enfant que l'on est). Avec sa ville-cimetière et ses différentes catégories de morts venus fouler le sol des vivants, on pourrait craindre, aussi, que le texte sombre dans une abondance de macabre. Il n'en est rien : sans jamais se départir de l'atmosphère mystérieuse et inquiétante qui sied à ce type d'intrigue, Fabrice Colin sait suffisamment manier le fond et la forme pour rendre son univers accessible.
 

    D'autant que ce premier tome joue principalement le rôle d'exposition : il faut planter le décor nécessaire à la compréhension de l'histoire, transmettre au lecteur tous les codes – du vocabulaire technique propre à Nécropolis à la mythologie qui régit son fonctionnement. On se régale ainsi au passage des clins d’œil littéraires ou folkloriques, notamment les références à Edgar Poe qui donnent à cette saga des allures de Mercredi avant la lettre (et en bien mieux écrit). Probablement contraint à un nombre de signes prédéfini (relativement à la tranche d'âge visée), l'auteur se voir obligé de concentrer un maximum d'informations dans un minimum de pages et utilise tous les subterfuges possibles (un examen de connaissances à l'institut Saint-Ange permet par exemple, à travers les copies rendues par les élèves, d'avoir un compte-rendu détaillé de l'Histoire de la cité). Ce tome 1 est donc principalement informatif, même si des scènes d'action ou quelques révélations s'intercalent pertinemment ici ou là afin de maintenir éveillée l'attention du lecteur. L'auteur parvient ainsi à nous tenir en haleine jusqu'à la fin en cliffhanger, attisant notre curiosité quant à la suite de la saga.
 

     Mais plus encore qu'une simple bonne idée d'intrigue, Nécropolis, c'est aussi une écriture ciselée et des personnages attachants. Le style de Fabrice Colin y est reconnaissable, sans que l'on soit cependant en capacité de dire à quoi cela tient : une sensibilité particulière, une certaine poésie dans les descriptions, quelque chose qui saisit et retranscrit au plus juste ce qui fait le sel du réel et qui donne à tous ses écrits de fantasy un petit supplément d'âme. Dans cette même idée, ses personnages ont toujours quelque chose de vrai et dépassent leur existence de papier pour chuchoter à l'oreille du lecteur. Il s'agit certainement du fruit de l'expérience, mais nous, on préfère y voir un très joli sortilège.
 

En bref : Un premier tome qui vise principalement à poser le décor, mais qui n'en reste pas moins excellent. Fidèle à lui-même, l'auteur parvient ici à donner vie et sens à un univers de fantasy gothique où s'entrecroisent clins d’œil littéraires et idées de génie. On pourrait penser à un savant mélange d'Harry Potter et Ghostbusters, mais ce serait réduire le travail de  Fabrice Colin à un cocktail de références mainstream alors qu'il est bien plus que cela...


 

dimanche 12 octobre 2025

Créatures de chairs couturées : dans les archives du Terrier.

 

    Ouvrons le challenge comme il se doit : tous les ans, nous consacrons notre premier billet non pas à une nouvelle chronique à proprement parler, mais à une rétrospective des précédents articles dans le thème de l'année. Comme nous avons, depuis quelque temps déjà, beaucoup moins de disponibilités pour lire et partager nos lectures, ce patchwork d'ouvrages "déjà lus" (et, parfois, de films déjà vus) nous permet de vous faire patienter jusqu'aux nouveautés de la saison ! Or, en parlant de patchwork, il se trouve que Mary Shelley, ses créatures de chairs couturées et autres monstres dans la même veine sont des habitués du Terrier et de notre bibliothèque...
 
 
Les nombreuses vies de Mary Shelley :
 
 
 
 
    Ni tout à fait biographie, ni tout à fait essai, ce livre passionnant sur la célèbre autrice aborde autant sa vie que les questionnements éthiques de son œuvre, sans omettre la lecture psychanalytique des parcours croisés de ses parents avec son propre destin. Une lecture passionnante.  
 
 
 
 
Film catalogué bien trop vite, Mary Shelley allie parfaitement éléments classiques et modernité, rendant ainsi un hommage à cette grande figure littéraire tout en faisant d'elle un personnage universel et intemporel. Éminemment féministe, ce biopic parvient à être romanesque sans jamais être mélodramatique. Le jeu poignant d'Elle Fanning, à travers les épreuves que traverse son rôle et les opinions qu'il défend, permet de rappeler le caractère vif et engagé de cette auteure et d'en faire, encore aujourd'hui, un modèle digne d'inspiration.  
 
 
 
 
     Un roman fort et émouvant sur la figure de Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme en Angleterre et mère de la future Mary Shelley. En choisissant comme point d'ancrage les onze jours qui deviendront l'unique point de jonction entre la mère et la fille, Samantha Silva nous embarque dans un voyage passionnant dans le tumultueux siècle des Lumières, aux quatre coins de l'Europe, des salons des philosophes britanniques aux rues mouvementées du Paris révolutionnaire.
 
 
 
 
     Roman qui raconte de façon déformée l'épisode de la villa Diodati, La villa des mystères, "roman gothique dans le roman gothique", est un récit addictif et diabolique qui transforme l'un des plus grands faits divers de la littérature en parodie mordante, crue, et en même temps réussie. On passe de l'hilarité au frisson sans demi-mesure ; un vrai plaisir coupable.
 
 
 
 
 
    Mary, auteure de Frankenstein est un magnifique album pour la jeunesse. Objet de transmission qui a pour objectif de raconter l'histoire de Mary Shelley aux plus jeunes, cet album évite les écueils posés par la réelle histoire de la célèbre romancière en n'omettant pas de raconter les événements difficiles de sa vie, mais sans jamais tomber dans le pathos. Également porté par de superbes illustrations, Mary, auteure de Frankenstein est une ode à l'imagination, esthétique et envoutante.
 
 
 
 
     Dans la lignée de Mary, auteure de Frankenstein, un autre album qui s'attache à raconter aux plus jeunes la vie de la romancière Mary Shelley et la genèse de son célèbre chef-d’œuvre. S'il est moins riche en détails et en finesse, il n'en reste pas moins une autre façon très intéressante et également très esthétique de rapporter le parcours de cette femme extraordinaire.
 
 
 
 
    Inspirée par la mathématicienne Ada Lovelace, fille délaissée de Lord Byron, Lili Goth est une fable fantasmagorique dans un univers gothique au croisement d'Edward Gorey et de Lewis Carroll. Furieusement british, cette série déborde de clins d’œil culturels, littéraires et historiques et on y croise une romancière au nom très évocateur de Mary Shelleyzautres.
 
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Récits monstrueux :


 
 
    Roman biographique inspiré de la vie de la future Mme Tussaud, Petite est bien plus gothique et shelleyien qu'on pourrait le croire. Histoire d'abandon et de (re)création à travers les personnages de cire, ce roman du très burtonien Edward Carey est une fantasmagorie historique quelque part entre art et anatomie. Une pépite.

 
 
 
    Une famille de monstres mis au banc de la société par les gens bien-pensants, parce que leurs particularités, réelles ou symboliques, ne cochent pas les cases de la prétendue normalité. Très belle et émouvante évocation de la différence sous toutes ses formes (et aussi de tous les visages de la monstruosité), L'étonnante famille Appenzell, probablement l'un des chefs-d’œuvre de l'artiste Benjamin Lacombe n'aurait peut-être pas déplu à Mary Shelley...
 
 

 
     Hommage aux romans feuilletons d'antan, Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec débordent aussi de monstres, créatures en tous genres et savants fous. La tempétueuse héroïne de Tardi ne manque d'ailleurs pas une occasion d'évoquer Mary Shelley, comme c'est le cas dans le tome 3 du célèbre cycle de bandes-dessinées...
 
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Créatures et coutures :


 
    Apparue dans les colonnes du New Yorker quelque temps après la sortie au cinéma du Frankenstein de 1931, l'étrange famille de Chas Addams n'est pas sans évoquer l'atmosphère des bons vieux films d'horreur en noir et blanc. Par ailleurs, Max (Lurch en VO), le majordome des Addams, semble être un évident clin d’œil au monstre joué à l'écran par Boris Karloff. 
  
 
 
 
    Dans la continuité de la version papier de La famille Addams, nous nous devons d'évoquer son adaptation par Tim Burton sous la forme de la série Mercredi. Le réalisateur, très influencé par les films d'horreur à l'ancienne et amateur des créatures couturées à la Frankenstein, glisse partout des monstres abondamment suturés. Ici, même La Chose semble rafistolée de morceaux épars et Lurch est bien évidemment toujours fidèle à lui-même. Si Mercredi est très loin d'être la série du siècle, elle se laisse regarder sans déplaisir.
 
 
 
 
    Moins shelleyien que burtonien, La mécanique du cœur de Mathias Malzieu ne raconte pas moins l'histoire d'un enfant mort-né à qui on offre une seconde vie en lui greffant une horloge à la place du cœur. Si le clin d’œil à la créature de Frankenstein n'est pas des plus évidents, il reste qu'on devine quand même quelque chose d'un héritage... 
 
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    Voilà pour ce petit retour en arrière de nos précédents articles in the mood of Shelley. On revient très prochainement pour partager avec vous nos nouvelles lectures. Au programme : Frankenstein (évidemment!), la saga Nécropolis, la série Penny Dreadful, et bien d'autres... 
 
 
 

dimanche 5 octobre 2025

Bienvenue à la villa Dioati - ouverture du Challenge Halloween.


 
 
    Nous sommes en 1816, quelque part près de Genève. Au bord du lac Léman se tient, cachée derrière les haies et les broussailles, une villa haute de deux étages à la façade blanche et aux volets verts. Habituellement, elle dégage une agréable impression de réconfort et laisse imaginer aux passants un foyer chaleureux. Mais voici venue l'année du mécontentement : l'éruption d'un volcan situé à Tambora a provoqué un dérèglement climatique à l'échelle de toute la planète et voilà des mois qu'il pleut des trombes d'eau. Le ciel, noir et bas, est semblable à une nuit perpétuelle et semble refuser le lever du soleil.
 

    Derrière les vitres de la bâtisse, cinq occupants arpentent ses salons et ses couloirs, désespérant de voir revenir la lumière et la tiédeur du jour. Cinq augustes personnages. Celui qui a loué la demeure n'est autre que lord Byron, le sulfureux poète qui a dû fuir sa patrie dans un parfum de scandale. À ses côtés, son médecin attitré et souffre-douleur favori, le Dr John William Polidori - on raconte de ce dernier qu'il se meurt secrètement d'amour pour son célèbre patient. Leurs invités sont tous aussi célèbres, ou en passe de le devenir : Percy Shelley, étoile montante de la poésie (personnage non moins scandaleux que son confrère : il vient de fuir l'Angleterre, abandonnant sa femme, enceinte jusqu'au cou) ; sa maîtresse, Mary Wollstonecraft Godwin, fille de deux éminents penseurs des Lumières britanniques, et la demi-sœur de cette dernière, Claire Clairmont – dont le ventre, dit-on, a commencé à s'arrondir des œuvres de Byron.
 

    Vedettes de leur siècle, on parle de ces cinq-là partout dans les correspondances et les cancans, le petit groupe s'entourant sans cesse d'un nuage de scandale, entre fugues, adultères, alcool, opium, et publications impies. On se plait d'ailleurs à raconter que pour passer le temps dans cette gigantesque maison, tous se seraient livrés à des passe-temps que la décence nous interdit de rapporter. À moins que la rumeur n'ait inventé tout cela, la vérité étant beaucoup moins croustillante. Quoi de moins immoral (et donc, de moins palpitant), en effet, qu'un concours d'écriture ?
 
    Car après avoir lu l'intégral des Fantasmagories, puis s'être fait frissonner à l'évocation des légendaires résurrections du savant Erasmus Darwin ou de la méthode du Galvanisme qui ranimerait des matières mortes grâce au courant électrique, le petit groupe se lance un défi. Un défi d'écriture : engendrer l'histoire la plus effrayante jamais contée.
 

    Lorsque la jeune Mary Godwin s'enferme dans sa chambre ce soir-là, elle s'endort sous les yeux vides d'une jument : celle peinte sur la toile Le cauchemar de Füssli, où un horrible succube compresse la poitrine d'une jeune dormeuse qui semble s'abandonner à l'horreur. L'auteur du tableau n'est autre qu'un ancien amant de sa défunte mère, celle dont la modernité et la liberté avaient éclairé le XVIIIe siècle. Celle, aussi, que le désespoir avait poussée à la tentative de suicide.
 
    Lorsque Mary souffle sa bougie ce soir-là, c'est l'esprit hanté par le fantôme de sa mère et assailli d'images soufflées par les expériences contre nature d'Erasmus Darwin. Sa nuit sera agitée : rêve, vision ou visitation, elle assistera à la naissance d'un monstre. Non, pas d'un monstre : d'une créature, façonnée comme le golem dans la glaise par les mains de l'homme, constituée ici de fragments de corps profanés. Un patchwork humain qui, sous la force du courant électrique, s'anime et se dresse devant son créateur.
 

    Au réveil, Mary se jette sur sa plume et la plonge dans l'encre aussi noire que le ciel zébré çà et là d'éclairs aveuglants. Le texte qu'elle s'apprête à écrire sera l'un des rares enfants qui lui survivront, "hideuse progéniture", comme il lui plaira de la nommer, qui révolutionnera la littérature.
    Et dont on se souviendra 200 ans plus tard.
 
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    Pour ce Challenge Halloween 2025 aux côtés de nos géniales organisatrices Lou et Hilde, nous vous invitons à poser vos bagages près du lac Léman pour un séjour à la villa Diodati. Rendons hommage à l'imagination de Mary Shelley et à son cercle d'amis ; réunissons-nous autour du feu pour partager nos meilleures histoires de goules et de vampires.
 
    Car il n'y a rien de mieux, parfois, qu'une bonne histoire de fantômes... 
 
 
 

jeudi 2 octobre 2025

Les journaux (pas si intimes) de Marion 4 : L'amour, ça rend idiot !

Poulpe Fiction, 2025.
 
 
    Catastrophe ! La meilleure amie de Marion est amoureuse d'un bellâtre nommé Bruno. Marion est consternée, mais quand Nina lui demande de l'aide pour répondre aux messages qu'il lui envoie, elle ne peut pas refuser. Après tout, elle a toujours aimé écrire ! Petit à petit, elle se prend au jeu et se charge de cette correspondance avec de plus en plus d'enthousiasme. Finalement, il est bien sympathique, ce Bruno... Mais qu'arrivera-t-il si Nina n'approuve pas ce qu'elle a écrit ? Et surtout, qu'arrivera-t-il si Marion se met à penser un peu trop souvent au crush de sa meilleure amie ?  
 
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    Déjà le retour de Marion Mirabelle, la peste débordante d'imagination qu'on adore détester ! Marion, c'est un peu cette copine drôle et insupportable à la fois, douée autant pour les mauvais coups que pour les coups de génie. Après un double journal intime destiné à mettre sa mère en déroute, une correspondance enjolivée avec un collégien étranger, et un atelier d'écriture qui l'avait forcée à s'inventer des aventures aussi rocambolesques qu'impossibles, Marion revient dans un quatrième opus pour jouer les conseillères conjugales
 

    Marion le crie haut et fort : l'amour, c'est nul. C'est en tout cas tout ce que lui inspire le cas désespéré de Nina, l'une de ses meilleures amies. Celle-ci en pince depuis quelque temps pour Bruno, LE charismatique joueur de foot du collège. La situation était déjà ridicule, mais quand Nina manque de s'évanouir au moindre texto du jeune garçon et que répondre à "Salut, ça va ?" devient un casse-tête sans fin où semble se jouer l'avenir de l'humanité, Marion décide de prendre les choses en main. Au départ, ce n'est que pour abréger les interminables tergiversations de sa camarade face à son écran de téléphone, puis, devant les supplications de son amie en mal d'inspiration, c'est pour lui venir en aide que Marion accepte de répondre à sa place. Mais quand les centres d'intérêt de Bruno s'avèrent plus proches des siens qu'elle ne l'aurait cru, Marion s’interroge : ne trouve-t-elle pas le garçon soudainement moins agaçant ? Subitement plus intéressant, peut-être ? Ne serait-elle pas finalement un tantinet jalouse de sa meilleure amie ? Aucun doute possible : Marion s'est encore une fois mise dans un beau pétrin !
 

    On admire sincèrement la capacité de l'autrice à se réinventer depuis le tome 1 autour de la thématique initiale du faux journal intime. A chaque nouvel opus, on croit le filon épuisé, et puis finalement, voilà que sort un nouveau titre qui parvient à utiliser des ressorts similaires sans jamais verser dans la redite. Un point commun cependant : Marion sait manier l'art des mots et les utilise toujours pour travestir la vérité et arriver à ses fins.
 

    En s'improvisant dame marieuse, pour la première fois depuis le début de la série, ce n'est pas son intérêt premier que vise l'adolescente. Mais, prise à son propre piège, la pauvre jeune fille ne sait plus où elle en est et on devine bientôt qu'elle pourrait (catastrophe) être en train de tomber amoureuse. Ce très amusant clin d’œil à Cyrano de Bergerac donne une intrigue légère et moderne qui fonctionne parfaitement à l'ère de Whatsapp, preuve que les classiques sont intemporels. La fin, cependant, n'est pas toute tracée et l'autrice réserve à ses lecteurs un chouette twist final.
 

    Peut-être un peu moins drôle que les précédents, ce tome n'en est pas moins très divertissant : il confronte notre anti-héroïne préférée à une situation toute nouvelle qui la déstabilise plus que n'importe quelle péripétie advenue au fil des trois précédents opus. La voir se confronter aux sentiments naissants qu'elle ne contrôle pas la rend d'autant plus attachante (sans jamais perdre le mordant de la série) en nous rappelant qu'elle n'est pas la terreur qu'elle voudrait nous faire croire. On retiendra également de cette lecture une métaphore filée très inspirée, qui frôle le génie !
 

    Du côté des visuels, le jeu sur la forme est toujours de la partie. Après les pages de journaux intimes, les fenêtres de conversation mail et les textes d'atelier d'écriture, les bulles de discussion Whatsapp s'invitent dans la mise en page. On n'oublie pas non plus les traits vitaminés de Sess, quelque part entre cartoon et BD, toujours au rendez-vous.
 
En bref : Le retour de Marion Mirabelle : menteuse hors normes, bonimenteuse sans égale et baratineuse de génie à qui il prend cette fois l'idée de jouer les Cyrano de Bergerac 2.0. La série se réinvente encore tout en jouant avec les mêmes codes que les trois premiers volumes. On a hâte de voir quel nouveau plan génial et terrible à la fois elle concoctera pour sa cinquième aventure...
 
Un grand merci à Poulpe Fictions pour cette lecture !
 
 
 
Et pour aller plus loin...
 

lundi 29 septembre 2025

Les secrets d'Evi Lupin #1 : L'héritage emploisonné - Fabien Clavel.

Éditions Rageot, 2024.
 
 
    Quand j’ai découvert que j’étais la fille d’Arsène Lupin, je ne savais même pas qui il était. Mais il m’a toujours ignoré et il ne croit pas en moi. C’est mal me connaître  ! Alors j’ai décidé de mettre mes talents de comédienne à l’épreuve.
    Il y a quelques années la jeune marquise d’Hyères a disparu avec ses parents dans un terrible accident en mer. Je lui ressemble beaucoup et je vais tenter de me faire passer pour elle, afin de récupérer son héritage. Elle habitait dans un somptueux hôtel particulier dans le Marais, c’est là que commence mon aventure…
 
 
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    Il y a deux ans, on avait partagé notre critique du premier tome de la série jeunesse Les Arsène, de Bertrand Puard : une variation autour du célèbre Gentleman Cambrioleur, à la fois suite et spin-off, qui imaginait le célèbre voleur désormais à la retraite recruter de jeunes pickpockets pour l'aider dans ses nouvelles aventures. Si l'idée n'était pas inintéressante, on avait reproché à l'intrigue son abondance de clins d’œil creux à l'oeuvre de Maurice Leblanc, au point d'enchaîner les incohérences et les clichés sans aucun intérêt. Il faut reconnaître qu'à une époque où l'on revisite sans cesse nos héros d'antan (Lupin et Holmes tenant le haut du palmarès), il devient difficile de se réinventer suffisamment pour qu'un nouveau titre du genre ne soit pas qu'un nom sur une couverture et dépasse le concept de franchise. Or, un an après la parution du livre de Bertrand Puard sortait le premier tome d'une toute nouvelle série lupinesque : Les secrets d'Evi Lupin, de Fabien Clavel. A la façon de Nancy Springer imaginant une sœur à Sherlock Holmes (Les enquêtes d'Enola Holmes), l'auteur français nous propose ici de faire connaissance avec la fille cachée du grand Lupin.
 
 
 
    Élevée par sa vieille nourrice Victoire, la jeune Evi n'a pas toujours su qui était son père. Ce dernier ne s'est présenté à elle que bien plus tard : quelle ne fut alors pas la surprise de la fillette de découvrir que celui-ci était connu. Très connu. Son nom s'étalait partout à la Une des journaux : Arsène Lupin, le célèbre et insaisissable cambrioleur ! Loin de la légende du dandy racé à l'humour tranchant et au style impeccable, elle découvre un homme décevant, en particulier dans son rôle de père. Désireuse de s'en affranchir, la jeune fille décide un jour de faire mieux et plus fort que lui. Voler les riches ? Pourquoi pas ? Mais à la différence de son père, elle ne gardera pas l'argent pour elle : elle rendra justice aux plus faibles et le redistribuera aux nécessiteux ; elle fera de la cambriole un art digne. D'ailleurs, une occasion se présente quelques années plus tard : se faire passer pour la jeune marquise d'Hyères, disparue enfant dans un accident de bateau, afin de toucher son héritage. Après s'être minutieusement préparée pour interpréter son rôle, Evi se présente à l'hôtel particulier des Hyères, où elle ne sera pas forcément bien accueillie par ses occupants. Une grand-mère froide et distante, un majordome suspicieux, et une armée d'oncles et de tantes qui attendent tous qu'elle leur prouve son identité... ou qu'un faux pas la démasque. Comme s'il n'y avait pas suffisamment de tensions, voilà que le notaire de la famille s'en mêle et qu'on cherche par deux fois à la supprimer. Et si la disparition de la jeune marquise d'Hyères n'avait jamais été un accident, mais un assassinat destiné à l'évincer de l'héritage ? Evi devra mener l'enquête pour le découvrir...
 

    Allons droit au but : on a largement préféré Evi Lupin aux Arsène. Si le pitch est tout aussi séduisant, il y a ici une vraie maîtrise de l'oeuvre de Maurice Leblanc, laquelle dépasse le clin d’œil facile et les tours de passe-passe vaguement lupinesques. Evi Lupin n'est d'ailleurs pas une invention de Fabien Clavel : elle est évoquée dans le canon d'origine, où elle apparait dans le titre 813 sous le nom de Geneviève (Evi étant ici présenté comme son surnom).
 
 
    Non content de connaître l'oeuvre d'origine, l'auteur s'inscrit dans la lignée de Maurice Leblanc en jouant avec le fond et la forme. Le roman s'ouvre ainsi sur un avant-propos de Fabien Clavel himself racontant comment il est entré en possession des réels carnets intimes d'Evi Lupin et les a publiés. Cette entrée en matière évoque le rôle entre fiction et réalité que s'est parfois attribué Maurice Leblanc en se présentant comme l'agent littéraire du cambrioleur. Pour la structure, Fabien Clavel s'inspire des meilleurs opus du feuilleton original, celui-là même qui inventa et perfectionna l'art du twist final façon Ocean's Eleven avant l'heure. Tout semble perdu ? Ce n'est qu'illusion : tout était prévu d'avance.
 

    Alors, cependant, jeune lectorat oblige, il y a parfois quelques approximations et raccourcis dommageables. La construction de l'intrigue, aussi, nous a parfois semblé quelque peu brouillonne, de même que l'histoire met un certain temps pour s'installer – cela étant, il faut bien poser à la fois les origines d'Evi, puis celles de la marquise d'Hyères avant d'entrer pleinement dans l'action, ce qui explique une exposition un peu longue. Mais il y a aussi une belle complexité dans la personnalité d'Evi : bien qu'animée de nobles intentions, ses actes ne sont pas toujours défendables et elle se confronte à l'éthique discutable de son entreprise. Parce qu'elle n'est pas infaillible, elle n'en est que plus attachante.
 
 
En bref : Une idée séduisante que faire de la fille d'Arsène Lupin l'héroïne de ses propres aventures. On y croise le Gentleman Cambrioleur, bien moins charmant que dans la légende, et on suit la jeune protagoniste sur les traces de son père — à ceci près qu'elle souhaite faire du vol des riches une bonne action. Bien évidemment, rien n'est aussi simple et Fabien Clavel n'hésite pas à creuser toute l'ambivalence de son personnage. Si la construction de l'intrigue nous semble encore un peu fragile, il y a là quelques codes chers à Maurice Leblanc, dont l'inattendu retournement de situation final, que personne ne verra venir. Rien que pour ça (et pour les douces illustrations de Daphné Collignon), on retrouvera avec plaisir Evi Lupin pour sa prochaine aventure.