Le retard est plutôt une affaire de Lapin Blanc d'Alice, or, ce n'est pas chez Lewis Carroll que nous passons ces fêtes de fin d'année (nous gardons cependant l'idée pour une prochaine fois), mais bien chez Lyman Frank Baum. Comme l'an dernier, nous commençons nos articles thématiques bien après l'Avent (sans mauvais jeu de mots), presque trop tard pour poser le décor et prendre le temps de nous immerger comme on aime à le faire de coutume. Mais comme le temps est une affaire de subjectivité, il nous appartient d'en faire ce qu'on en veut – n'a-t-on pas initié depuis de nombreuses années déjà les vœux d'entre-deux-fêtes ? Faisons donc comme il nous plaira et déclarons aujourd'hui ouverte la saison des célébrations hivernales à Oz !
Un Noël à Oz ? Et pourquoi pas ? L'univers pensé par l'auteur américain, ses nombreuses adaptations et réinterprétions, ainsi que l'iconographie qui les entoure font partie d'un imaginaire collectif qui sera pour toujours rattaché à l'enfance, un âge qui correspond sans nul doute à cette période de l'année (et c'est quelqu'un qui n'aime pas fondamentalement Noël qui vous le dit ; mais reconnaissons une chose : s'il y a un bien une période qui autorise les plaisirs régressifs, c'est celle-là). Il existe même un musical baptisé Christmas in Oz, et puis d'ailleurs, n'est-ce pas le meilleur moment de l'année pour rediffuser le célèbre film de Victor Fleming de 1939 ? Probablement. Ça et bien d'autres encore...
Car Le Magicien d'Oz, c'est à fois bien plus et autre chose que ça. Dans son excellente postface au premier opus du Cycle d'Oz sorti au Cherche Midi en 2013, Fabrice Colin nous disait : "Oui, il y a bien eu un film en 1939, avec Judy Garland et une chanson à pleurer. Mais à part ça ?". L'auteur et chroniqueur français y dépeignait alors les origines et multiples ramifications de l'oeuvre de L. Frank Baum, des plus connues (ou qu'on croit connaître) aux plus secrètes, en tout cas de ce côté-ci de l'Atlantique qui a mystérieusement boudé le "miroir déformant le plus singulier dans lequel l'Amérique s'est jamais mirée". Premier opus d'un gigantesque cycle préfigurateur de l'Heroic Fantasy dans lequel semble avoir infusé quelque reliquat de folklore européen, Le Magicien d'Oz a donné naissance à un univers complexe, pensé par le romancier américain jusque dans ses détails historiques, politiques et religieux. A un multivers également, si on considère les réappropriations aussi fortes de sens que l'original, à l'instar du célèbre Wicked, de Gregory Maguire, transposé en comédie musicale elle-même récemment adaptée à l'écran. La deuxième partie est en effet sortie en salle il y a peu, justifiant ainsi ce Noël aux couleurs de rubis et d'émeraude (ceci pour nous donner une excuse, comme si on en avait besoin).
Mais revenons à nos moutons. Oz, on le disait à l'instant, c'est du sérieux. On l'évoquait dans notre chronique du roman de L. Frank Baum, publiée en ces pages il y a plus de dix ans (ça ne nous rajeunit pas) : les interprétations possibles sont nombreuses, presque trop. Allégorie religieuse ? Politique ? Socio-économique ? Médiatique, peut-être ? Voire un peu de tout cela à la fois ? Des analystes et des chercheurs sont ainsi persuadés que le roman se veut une métaphore de la situation historico-financière des États-Unis de la fin du XIXe siècle, notamment l'endettement des agriculteurs de l'ouest et la crise de l'étalon-or. D'autres iront de leur lecture plus philosophique ou humaniste, mais on peut aussi s'attacher à n'y voir que ce qu'on souhaite. Peut-être Le Magicien d'Oz n'est-il que la simple histoire d'une gamine de la campagne qu'un cyclone transporte un jour dans un monde parallèle dont elle deviendra la nouvelle héroïne. Ah, d'ailleurs, on a failli oublier l'interprétation féministe ! Saviez-vous que Le Magicien d'Oz fait partie de ces malheureusement célèbres livres censurés par les bibliothèques publiques américaines ? La raison ? Il met en scène des images de femmes fortes – une hérésie ! Sachez-le : lire le roman de L. Frank Baum à la table du 25 décembre sera désormais la meilleure arme que vous pourrez dégainer face à votre oncle facho-sexiste-rétrograde.
Mais voilà que l'on s’égare à nouveau.
Que disions-nous, déjà ? Ah, oui : une simple fable. C'est peut-être tout ce que ce récit était voué à devenir lorsque, cherchant un titre et un nom au pays qu'il était en train d'inventer, Lyman Frank Baum posa les yeux sur le tiroir "O-Z" de son secrétaire à classement alphabétique. Une histoire pour enfants, petits et plus grands. Un conte, soit un espace de projection et d'introspection qui appartient dès lors à chaque lecteur et à chaque auditeur, peu importe ce qu'en disent chercheurs, historiens, analystes et autres empêcheurs de lire en silence.
Pour nous, Le Magicien d'Oz sera, un peu à la façon de Peter Pan et de son Neverland (mais pas tout à fait de la même manière, parce que pas tout à fait pour les mêmes affects), le pays de l'éternel retour. Celui d'une ferme qui se soulève de terre, celui de souliers scintillants qui dépassent de façon incongrue des ruines d'une grange, celui d'une silhouette toute de noir vêtue qui fond au contact de l'eau, celui, encore, d'un champ de coquelicots mortels. Des images empreintes d'une esthétique forte qui ont durablement marqué notre machine à rêver.
"La marque des grandes œuvres est de prêter le flanc aux interprétations les plus diverses et terribles. Vous trouverez la vôtre, à n'en pas douter. Vous la trouverez si vous y tenez, car Oz est le pays de votre solitude et de votre joie panique (...).
Suivre la route de briques jaunes, c'est accepter d'en ignorer la destination."
(Fabrice Colin)
Alors, prêts à voyager en notre compagnie ?
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