The wonderful wizard of Oz, George M.Hill Company, 1900 - Le Magicien d'Oz, éditions Flammarion, collection Bibliothèque du Chat Perché, 1979 - Multiple rééditions depuis, dont Le Cycle d'Oz (intégrale 1), éditions Le Cherche-Midi, 2013.
Le Magicien d'Oz raconte l'histoire de Dorothy, petite orpheline qui vit au Kansas dans la ferme de son oncle Henry et de sa tante Em. Emportée par un cyclone avec son chien Toto, elle se retrouve alors propulsée dans un étrange pays où, avec l'aide de compagnons un peu étranges - un épouvantail, un bucheron de fer blanc et un lion froussard - elle va affronter non seulement une sorcière particulièrement terrible, mais aussi des chimères, des singes ailés, des loups affamés ou encore une araignée géante! L'aide des bonnes sorcières du royaume mais aussi une paire de souliers magique ne seront pas de trop pour arpenter ce pays aussi magnifique et féérique que dangereux...
Le Magicien d'Oz revenant ces derniers temps sur le devant de la scène (comme je l'avais évoqué dans un article sur les adaptations en cours), voici mon premier post dans la lignée de ma petite sélection livresque sur l'univers pensé par L.F.Baum. Car s'il y a un événement éditiorial que j'espérais avec la sortie au cinéma du Monde Fantastique d'Oz, c'est bien celui-ci : la publication de l'intégralité du cycle littéraire d'Oz écrit par Baum et dont seul le premier opus était resté dans nos mémoires francophones. Initialement composée de 14 titres écrits sortis en librairie entre 1900 et 1920, cette série ne vit que ses trois premiers opus traduits en France avant même que les tomes 2 et 3 ne tombent finalement dans l'oubli. Heureusement, l'intérêt sur le retour pour l'oeuvre de Baum a incité les éditions du Cherche-Midi à se lancer dans une toute nouvelle traduction du cycle complet afin de le faire enfin découvrir dans son intégralité aux lecteurs français.
J'ai eu l'occasion, dans les articles évoqués plus haut, de parler de ma fascination pour le monde d'Oz et de la façon dont mon enfance avait été marquée par ce conte. Après être tombé par hasard sur les éditions originales françaises des trois premiers tomes (publiées chez Flammarion dans les années 70 et 80) pour un prix scandaleusement dérisoire au vu de leur rareté (Merci Emmaüs!), j'ai donc pu coupler la lecture des premières traductions françaises illustrées des dessins originaux de W.W.Denslow avec la nouvelle édition agrémentée des illustrations de l'artiste Stephane Levallois.
Couverture de l'édition originale américaine de 190, illustrée par W.W.Denslow.
Si l'histoire de ce roman est connue de tous, c'est que le film de 1939 et les réécritures simplifiées sorties dans la foulée ont propagé dans l'imaginaire collectif une trame courte et facilement mémorisable. Mais le conte original est bien plus riche en intrigues secondaires et péripéties que la version tronquée que tout le monde croit connaître ; En cela, un petit retour sur le texte intégral offre une réelle redécouverte. On entre dans un monde que Baum a pensé dans ses moindres détails, décrivant le pays d'Oz avec toutes les caractéristiques qui constituent un État : son architecture, sa géographie, son climat, sa mixité culturelle et régionale, et parfois même, sa diversité religieuse ou son passé historique! Pour les besoins de son histoire, Baum est donc allé mille fois plus loin que ses prédécesseurs dans le genre, s'attachant méticuleusement à imaginer et reconstituer un microcosme plus vrai que nature malgré son caractère féérique. Cette minutie est un point fort de l’œuvre et lui confère un troublant réalisme, inscrivant Baum comme réel précurseur de ce que nous appelons aujourd'hui Heroic Fantasy.
Illustrations originales de W.W.Denslow.
Sur le devant de cette toile de fond, il met en scène une petite fille des plus banales qui, à l'image de ce garçon Ô combien commun qu'a été plus tard le petit Harry Potter ou les autres héros que la littérature jeunesse contemporaine, se retrouve malgré elle, et alors que rien ne l'y préparait, héroïne et sauveuse d'une aventure incroyable qui la dépasse totalement. Les personnages secondaires, au-delà du souvenir purement visuel qu'on peut en avoir grâce au film (car comment oublier les silhouettes de l'épouvantail, du bucheron, et du lion en pleine danse?), sont autrement plus complexes et touchants qu'on pouvait l'imaginer. Le Bucheron et l'épouvantail sont par ailleurs mes favoris et constituent des figures typiquement Burtoniennes avant l'heure: créatures mi-hommes mi-machines, dégingandées et imparfaites, amputées d'une partie d'elles-mêmes qu'elles recherchent avidement. Le voyage de ces personnage à la recherche de leur plus cher désir est donc un voyage initiatique où les épreuves qu'ils traverseront leur feront prendre conscience de ce qu'ils sont vraiment, et qu'ils possèdent en fait ce dont ils croyaient tous être dépourvu.
Diaporama de S.Levallois pour la couverture de l'édition du Cherche-Midi.
De nombreux auteurs et théoriciens ont interprété et réinterprété de mille façons ce conte : fable banale, métaphore politique, philosophique ou religieuse... tout a pu être imaginé concernant la réelle nature de cette œuvre iconique. Personnellement, l'interprétation que je préfère est celle qui l'explique comme une métaphore du cheminement de chacun et l'idée que l'être-humain, en perpétuelle construction identitaire, a toujours en lui le potentiel nécessaire et ce même s'il est persuadé du contraire et se sent dépourvu de toute qualité. Mais sans pour autant aller si loin, Le Magicien d'Oz est avant toute chose une aventure fantastique, un récit merveilleux qui transporte le lecteur au-delà de toute réalité dans un enchainement de péripéties trépidantes, à la rencontre de fées et de sorcières. Même après mille relectures, mon plaisir de retrouver les images du contes et son iconographie est toujours le même : une ferme qui s'envole, des pieds chaussés de souliers d'argent dépassants de sous une maison, une route de briques jaunes... En cela, les gravures originales de Denslow sont un délice de charme et de nostalgie. Les traits à l'encre de chine, la petite robe et le visage joufflu de Dorothy, ses nattes épaisses... le tout est une gourmandise à consommer sans modération.
Illustrations de S.Levallois.
Mais la réédition du Cherche-midi est autrement intéressante, et à de nombreux égards! Tout d'abord au niveau du texte puisque la nouvelle traduction se veut plus fidèle au récit original (qui aurait été, parait-il, honteusement saccagé à l'occasion des précédentes traductions françaises). Fort est de constater que le nouveau texte français m'a permis de redécouvrir l'histoire sous un jour tout nouveau: moderne, vive et enlevée sans pour autant être anachronique, la plume est également emprunte d'une maturité à la fois profonde et touchante qui vient secouer les émotions du lecteur. Il en est de même pour les nouvelles illustrations de Stéphane Levallois. Issu de l'industrie cinématographique, cet artiste qui a notamment réalisé les concept art de Blanche-Neige et le Chasseur ou encore les derniers Harry Potter nous propose un style surprenant. J'étais assez intrigué au premier abord mais j'ai finalement été conquis par son coup de crayon envoûtant au croisement des inspirations graphiques. Silhouettes fines et longilignes tracées à grands coups d'une mine vive et aiguisée, chevelures arabesques s'éparpillant en volutes stylisées, visages anguleux et expressifs, ombres dégingandées et interminables... son style hypnotique et ses prises de vue audacieuses se veulent un melting-pot fascinant des inspirations et des époques. Au final, j'ai l'impression que sa bible graphique se réclame autant du manga que de l'Art-Nouveau et du symbolisme à la Mucha! Déroutant, surprenant, vertigineux...et sublime!
Illustrations de S.Levallois.
En résumé, une œuvre à découvrir, re-découvrir ou re-re-re-découvrir avec un plaisir que je vous garantie toujours présent. Qu'il s'agisse de l'ancienne version pour sa nostalgie ou de la réédition pour son audace et la force de son texte, Le Magicien d'Oz est un coup de cœur, un roman à la force d'un cyclone et au "goût puissant d’élixir", comme le dit si bien Fabrice Colin.
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