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lundi 10 septembre 2018

Mary Shelley - un film d'Haifaa Al Mansour (2018)


Mary Shelley

Un film de Haifaa Al Mansour, d'après la vie de l'auteure Mary Shelley.
Sorti en salles le 8 Août 2018.
Avec Elle Fanning, Douglas Booth, Tom Sturridge, Bel Powley, Joanne Froggatt...


  En 1814, Mary Wollstonecraft Godwin entame une relation passionnée et scandaleuse avec le poète Percy Shelley et s’enfuit avec lui. Elle a 16 ans. Condamné par les bienpensants, leur amour tumultueux se nourrit de leurs idées progressistes. En 1816, le couple est invité à passer l’été à Genève, au bord du lac Léman, dans la demeure de Lord Byron. Lors d’une nuit d’orage, à la faveur d’un pari, Mary a l’idée du personnage de Frankenstein. Dans une société qui ne laissait aucune place aux femmes de lettres, Mary Shelley, 18 ans à peine, allait révolutionner la littérature et marquer la culture populaire à tout jamais. 

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   Ce film biopic sur Mary Shelley, venant célébrer le bicentenaire de son chef-d’œuvre Frankestein ou le Prométhée moderne, avait tout d'enthousiasmant lorsque sa sortie a été annoncée. En effet, on notera aux commandes ni plus ni moins qu'Haifaa Al Mansour, réalisatrice du très réussi et encensé Wadjda (2013), qui évoquait la place de la jeune fille en Arabie Saoudite. Première femme réalisatrice saoudienne, Haifaa Al Mansour signe avec Mary Shelley son premier film "hollywoodien", dans lequel elle s'attaque qui plus est à l'un des piliers de la culture littéraire européenne.


  Un film en costumes et une tête d'affiche prestigieuse en la personne d'Elle Fanning (dont votre humble serviteur est éperdument amoureux, donc n'attendez pas de critique objective quant à sa prestation. C'est ainsi.) : ce film a tout pour rencontrer son public et, même, pourrait-on croire, faire chavirer la critique. Il n'en est rien, car fort est de constater que le biopic d'Haifaa Al Mansour a été très vite piétiné par les journalistes cinéma. Là où la presse, disons, "grand public"(de Femmes actuelles à Paris Match en passant par Télé 7 jours) l'a très bien accueilli, la presse plus "spécialisée" ( bon, je ne suis pas d'accord ses rédacteurs, donc aujourd'hui, nous l'appellerons la presse "élitiste" : Télérama, les Inrock, Première...) l'a rangé dans la catégorie des films académiques ennuyeux, lesté par une" bande-originale envahissante". C'est donc un peu près tout ce qu'il en ressort, "officiellement" par les "Officiels".


  Mais au Terrier, on est rarement d'accord avec les "Officiels" (oui, oui, guillemets + italique = petite condescendance de ma part ^_^), justement : il y a plusieurs façons de faire un film, et il y a plusieurs façons de l'aimer. Amusons-nous donc à démonter un à un les reproches formulés à son sujet, voulez-vous?

  Tout d'abord, on lira partout cette manie impossible que les critiques ont de toujours comparer le second film d'un réalisateur avec son premier. Mary Shelley ne fait pas exception, et c'est sans arrêt Wadjda qui lui sert de mètre-étalon. Ce biopic n'a-t-il donc pas le droit d'exister pour lui-même? Les seuls avis pertinents seront ceux qui, avec raison, porteront sur ce point commun qu'est la place de la femme dans les deux films. C'est d'ailleurs du propre aveux de la réalisatrice ce qui l'a convaincue dans le scénario : le fait que le combat soit le même. Qu'on parle d'émancipation féminine dans l'Arabie Saoudite actuelle ou de la femme qui tente de se libérer du carcan de la société misogyne du XIXème siècle en Angleterre, l'universalité et l'intemporalité du propos sont ici traitées avec la rigueur historique qui s'impose, mais aussi avec l'écho nécessaire à l'actualité. C'est peut-être pourquoi d'autre critiques jugent le film trop moderne, anachronique? Anachronique ou académique, il faudrait choisir...


  D'ailleurs, académique, l'est-il? Oui, probablement juste ce qu'il faut, parce que c'est un film en costumes, parce que c'est un film historique (et parce que la reconstitution est visuellement sublime). Parce qu'il lui sied de l'être au même titre qu'on aime lire du Poe dans une vieille édition reliée de cuir plutôt qu'en poche broché et sans âme. D'ailleurs, plutôt que de le dire "académique", nous le dirons "classique", à l'image de ces grands films qui nous marquent et parmi lesquels Mary Shelley mérite au moins une petite place, en raison de ses nombreuses qualités.

  Elle Fanning, tout d'abord, jugée fade et plate par certains, incarne au contraire avec une passion incandescente le rôle de Mary Shelley, au croisement de ses ambitions littéraires, philosophiques et de la pression sociétale. Les deux heures du film nous permettent de la voir évoluer, mûrir et, au cours des deux années exploitées à l'écran, passer de l'enfance à l'âge adulte. L'actrice est parfaite dans les différents aspects du personnages, que ce soit l'apathie du deuil ou la frénésie de l'écriture, et sa voix légèrement rauque donne tout l'aplomb nécessaire à ses discours engagé et pétris de féminisme émergent.


  Car en effet, tel qu'évoqué plus haut, c'est la place de la femme qui est racontée à travers celle de Mary. En cela, le film vient rappeler plusieurs fois l'impact fort qu'eut sa défunte mère, Mary Wollstonecraft : Femme philosophe du siècle des Lumières anglais, Mary Wollstonecraft marqua le XVIIIème siècle britannique par son profond engagement dans la défense du droit des femmes et ses opinions sur les unions libres. La jeune Mary, bien avant de s'appeler Shelley, fut baptisée des mêmes noms que sa génitrice, et le parallèle entre les deux femmes est souvent suggéré dans le biopic, venant ainsi rappeler la part d'héritage indicible, et le désir presque inconscient de fidélité que l'adulescente cherche à témoigner envers sa mère à travers ses propres choix de vie. Une analogie très sensée qui apporte beaucoup de poids au personnage.


  Si Douglas Booth, pourtant parfait en costume dans Les Grandes Espérances (version BBC en 2011), parait parfois trop lisse dans le rôle du complexe Percy Shelley, reconnaissons un choix de qualité pour l'interprète de l'ambigu Lord Byron, THE poète gothique et romantique des nuits londoniennes. Tom Sturridge pourrait se voir reprocher ses envolées loufoques, mais pour peu que l'on se penche sur le portrait du Byron original et des événements survenus en Suisse restitués à l'écran, on se laissera convaincre par le jeu excessif de Sturridge, à l'image du poète. Excessif mais non dénué de nuances, car outre les scènes de folie orgiaque ou poétique, on retiendra celle très étrange et émouvante de ses adieux à Mary, au terme de leur villégiature helvétique.


  Ce séjour à Genève, qui occupe très pertinemment une bonne partie du film, c'est bien sûr celui de la Villa Diotati (qui n'a d'ailleurs pas servi de décor au film, l'équipe de tournage lui préférant un château au Luxembourg pour les scènes d'intérieur et un château en Lorraine pour l'extérieur). Elle fut le cadre d'un épisode aujourd'hui mythique dans la vie littéraire de ces figures que sont Mary et Percy Shelley, William Polidori et Lord Byron : tous les quatre s'y lancèrent un concours d'écriture horrifique pour combler l'ennui du aux intempéries sans fin de l'été 1816. De ce défi naquirent deux œuvres majeures pour le genre fantastique : Le Vampire, par Polidori, et Frankestein, dont Mary Shelley écrivit alors la première ébauche.


  Dès lors, l'intérêt du film est de superposer l'écriture de son roman aux tourments de sa relation avec Percy, révélant ainsi le caractère métaphorique de l’œuvre : plus qu'un pilier du fantastique ou un avant-goût de la littérature de science-fiction, Frankenstein est avant tout une fable qui évoque avec détournement la perte, l'abandon ou encore le rejet que Mary du traverser tour à tour à travers le décès de son premier né puis sa relation houleuse avec Percy, qu'elle adulait en dépit de ses frasques. Sous-titré Le Prométhée moderne, Frankenstein évoque alors tout autant le mythe de Pygmalion et, dans sa conception, le principe de sublimation dans sa plus pure définition. Encore une fois, le film s'offre un angle d'approche original et psychologique... C'est tout de même un peu mieux que la majorité des biopics que l'on qualifie d' "académiques", non?



  Enfin, comment ne pas évoquer la bande-originale du film? Composée par Amelia Warner, la musique, omniprésente (et non "envahissante", selon les critiques négatives), magnifique de lyrisme, et entêtante, est  comme un personnage à part entière dans l'histoire. Ces chœurs de voix féminines portés par des cordes accompagnent à merveilles les émotions des protagonistes ou celles qu'ils suscitent auprès du spectateur, venant amplifier, intensifier leurs effets et leur résonance.


En bref : Film catalogué bien trop vite, Mary Shelley allie parfaitement éléments classiques et modernité, rendant ainsi un hommage à cette grande figure littéraire tout en faisant d'elle un personnage universel et intemporel. Éminemment féministe, ce biopic parvient à être romanesque sans jamais être mélodramatique. Le jeu poignant d'Elle Fanning, à travers les épreuves que traverse son rôle et les opinions qu'il défend, permet de rappeler le caractère vif et engagé de cette auteure et d'en faire, encore aujourd'hui, un modèle digne d'inspiration. 



Et pour aller plus loin...


- Lisez La villa des Mystère : un court roman loufoque et horrifique qui revisite l'épisode de la villa Diodati avec pastiche!



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