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samedi 20 avril 2019

Crimes et condiments (Voltaire mène l'enquête #4) - Frédéric Lenormand

Editions J.C.Lattès, 2014 - Le livre de poche, Le masque, 2015.

  Prenez un philosophe bien à point, faites-le mariner, lardez quelques victimes, laissez mijoter les suspects, assaisonnez de quelques scandales, pimentez l’intrigue, salez les rebondissements, saupoudrez de dialogues croustillants, enrobez dans un style onctueux et servez chaud.

  En pleine révolution culinaire, Voltaire enquête sur les traces d’un assassin qui sème derrière lui tartes au cyanure et ragoûts à l’arsenic. L’aide de la brillante marquise du Châtelet, experte en recherches scientifiques, et de l’abbé Linant, fin gourmet, ne sera pas de trop pour rendre l’appétit aux gastronomes !
Après
La baronne meurt à cinq heures, prix Historia, prix Arsène-Lupin et prix de Montmorillon, Meurtre dans le boudoir et Le diable s’habille en Voltaire, Frédéric Lenormand nous offre une nouvelle aventure truffée d’humour, savoureusement rehaussée de précisions historiques, nappée de bons mots ; un délice, un régal, une friandise.

***

  C'est un de mes exhausteurs de bonheur, cette série : le moral dans les chaussette? Lis une enquête de Voltaire! L'enthousiasme à l'arrivée du printemps? Lis une enquête de Voltaire aussi! Véritable gourmandise de lecture dans le fond et la forme, la saga des Voltaire mène l'enquête propose de suivre la réalité très historique de la vie du philosophe, et d'y rajouter des meurtres que le grand auteur et penseur se trouve obligé de résoudre.Un concept dont je ne me lasse pas depuis le premier opus.


"Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu'est à la religion la promesse d'une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l'amertume du reste"

  Paris, printemps 1734. Se sachant toujours surveillé par les autorités, Voltaire a mis en suspens la publication de ses Lettres philosophiques pour s'éviter un aller simple à la Bastille. En attendant, il a investi sous un faux nom dans le commerce d'aliments exotiques qu'il fait importer depuis l'étranger, et qu'il cache autant que possible dans son logement rue de Longpont avant de les revendre. Sucre candi, bananes et autres fruits tous plus étranges les uns que les autres permettent au philosophe de gonfler sa bourse. Mais pendant qu'il faut empêcher ce goinfre de Linant de manger toutes les réserves, Voltaire, lui, a besoin d'une nourriture plus adaptée à ses papilles de philosophe. L'amateur de lentilles, qui ne supporte rien de moins que la cuisine lourde et grasse servie à tous ces dîners auxquels il est invité, se dégote comme par un enchantement un cuisinier aussi talentueux qu'anonyme, apte à servir une cuisine digne des intestins d'un grand auteur. Mais voilà que dans le même temps, les tentatives d'assassinat se multiplient contre la personne du philosophe... Que pourrait-on lui vouloir? Chercherait-on à l'empêcher de conclure ce mariage qu'il arrange, selon ses propres dires, "comme une intrigue de comédie" entre son ami le duc de Richelieu et la jeune Sophie de Lorraine? Il faut avouer que tout le monde ne voit pas d'un bon œil l'union entre la descendante d'une si noble famille et un libertin notoire...Entre crème d'amande au cyanure et meringues à la fraise, le philosophe, accompagné de l’inénarrable marquise du Châtelet, devra à la fois protéger sa vie et celle de Richelieu.

 Le duc de Richelieu et Elisabeth Sophie de Lorraine.

  Après avoir planté le décor dans le premier tome, exploré les milieux libertins dans le second, et évolué dans les cercles obscurantistes et satanistes dans le troisième, Frédéric Lenormand s'attache ici plus que jamais à restituer les faits historiques. En lisant Crimes et condiments, on revit en effet quelques célèbres heures du philosophe et de son entourage, notamment ce mariage arrangé entre le duc de Richelieu et la dernière née de la famille des Guise (qui conduira à de nombreux désagréments, en vérité). Dans la continuité de cette union menée de main de maître par Voltaire qui joue aussi bien les metteurs en scène que les dames marieuses, on voit paraître par accident ses Lettres philosophiques, et avec, la lettre de cachet qui le condamne à la Bastille. Le lecteur assiste ainsi avec émotion à sa fuite, encouragée par Madame du Châtelet qui l'envoie se cacher dans son château de Cirey, à la frontière entre la Champagne et la Lorraine.

"Les Guise entendirent des cris dont la stridence fit s’envoler les chauves-souris du grenier.
- Qu’y a-t-il ? Un incendie ? Un meurtre ?
Emilie était aux abois.
- Pire : on a publié un livre de Voltaire !"



  Mais, et l'intrigue policière dans tout ça? Elle est habilement surbrodée par-dessus et à travers, insérée par l'auteur entre les grandes lignes et événements véridiques. Et c'est là que l'on retrouve tout ce qui fait le sel de cette série : les événements cocasses racontés d'une plume spirituelle à souhait, le sens du bon mot et de la formulation faisant toujours mouche. Parmi les scènes d’anthologie propres à susciter les fou-rires du lecteur, on retiendra, entre autres, notre pauvre Voltaire piégé sur un morceau de fleuve gelé en train de dériver sur la Seine, pendant que sa divine Émilie agite son éventail façon signaux d'atterrissage pour l'aider à accoster. Petit plaisir supplémentaire? Cet opus évoque grandement l'avènement réel, en ce milieu de XVIIIème siècle, de ce qu'on appela "la nouvelle cuisine" : une nouvelle façon de s'alimenter, de cuisiner, et de proportionner les aliments en vue de trouver une forme d'harmonie.

" Soucieux de mettre monsieur le lieutenant général dans de bonnes dispositions, Voltaire lui expliqua ses travaux comparatifs d’empreintes de doigts, un système propre à faciliter la recherche des délinquants.
- Est-ce que je me mêle de philosophie ? rétorqua Hérault.
Ces préoccupations lui semblaient risibles et le procédé répugnant. On allait s’en tenir à la bonne vieille méthode : arrestation, torture du contrevenant par un professionnel agréé, confession en comité restreint devant un juge, extrême- onction, supplice public selon la condition social du condamné : la hache pour les nobles, la corde pour les servantes, la roue pour les roturiers. Il n’y avait pas à compliquer la marche de la justice. C’étaient bien là des idées d’hurluberlus obsédés de nouveauté que de prétendre examiner des traces de doigts sales !"

Château de Chantilly (à gauche) : lieu d'invention de la crème du même nom, et aussi célèbre pour feu son maître d'hôtel Vatel.
Château de Montjeu (à droite), propriété des Guise, où Voltaire et Émilie séjournèrent pour le mariage du duc de Richelieu. 


" La marquise et le philosophe suivirent leurs bagages à l'étage. On leur avait attribué des chambres séparées, mais sans pousser le souci des convenances jusqu'à les loger dans des ailes différentes : leurs appartements se touchaient comme le vice et la vertu."

  De là à faire un lien avec la philosophie voltairienne pour mieux servir l'atmosphère délicieusement perchée de son intrigue, il n'y a qu'un pas, que l'auteur franchit avec sa gouaille habituelle. Aussi, de la rue de Longpont au Château de Chantilly, puis du château de Montjeu à celui de Cirey, ce n'est qu'une enfilade de plats plus extravagants et évocateurs les uns que les autres, de métaphores culinaires et jeux de mots gastronomiques

 Château de Cirey : propriété des du Châtelet où se réfugie Voltaire en 1734.

"Le seul danger, avec le mal qu'on dit de nous, c'est que nous finissions par le croire."

En bref : Une intrigue toujours aussi désopilante et instructive qui nous fait revivre la grande et véridique histoire de Voltaire à travers la fiction policière humoristique, cette fois entre les marmites et les pâtisseries de la cuisine du XVIIIème siècle. Une histoire très bien assaisonnée.

 
Et pour aller plus loin...

vendredi 19 avril 2019

A Winter somewhere in Time...


  Always  late, évidemment, mais personne ne m'en tiendra rigueur (et puis ce n'est pas comme si je n'avais pas donné de nouvelles ou que je n'avais pas raconté ma vie au cours des derniers mois, pas vrai?). Il faut dire qu'avec cette histoire de chute et de convalescence, le temps a quelque peu perdu de sa logique au Terrier, et si on se rappelle que ledit Terrier est situé dans une région au climat capricieux, je viens probablement poster mon article saisonnier récapitulatif quand tout, ici, commence enfin à se mettre à l'heure du printemps.

  Voici donc les derniers mois passé au Terrier et alentours (voire très au-delà des alentours)...

Avant la chute :

  Avant la chute, il y a d'abord eu, pendant les vacances de décembre/janvier, une escapade d'une semaine en Alsace avec une amie et ses enfants. Dépaysement le plus total : une fois passée l'entrée du village de Murbach où nous logions, le réseau téléphonique tombait raide mort. Nous n'étions pas plus aidés dans la maison, où la box internet clignotait faiblement, en mode agonie. Cela ne nous a pas empêché de profiter pleinement de ces vacances : Murbach, Colmar, Mulhouse, les marchés de Noël des petits villages... Si vous êtes actuellement accablés par les premières chaleurs printanières, voilà de quoi vous rafraîchir:


(cliquer sur les images pour les voir en grand)
 



  Nos excursions à Mulhouse ont permis d'y découvrir deux musées réputés : la cité du train, avec de superbes modèles de trains anciens tous rassemblés dans un gigantesques hangar, avec reconstitutions et décors façon studio de cinéma. Inutile de vous dire que j'ai particulièrement apprécié les wagons présentés issus de l'Orient Express, l'un d'eux contenant plusieurs mannequins rejouant une scène du fameux roman d'Agatha Christie.




   Juste en face de la cité du train : le musée de l'électricité. Peut-être plus technique, mais tout aussi passionnant pour les amoureux du vintage. Une fois passées les premières machines électrostatiques du siècle des Lumières, c'est un voyage dans le temps des objets électriques : galeries d'ampoules, de téléphones classés par ordre chronologique, de radiateurs art-déco, et même des tous premiers sex-toys (oui, oui, regardez parmi les photos ci-dessous, non, non, ce n'est pas un fer à friser).





  Toujours dans les musées mais perdu en rase campagne : l'écomusée, un village à la façon d'antan reconstruit avec des maisons traditionnelles alsaciennes, une manière de présenter aussi les arts et métiers du temps passé. Un décor immersif très agréable.





   Et puis les promenades, pour profiter de cette belle nature, euh... glaciale et périlleuse (car oui, il faut l'admettre, notre première sortie a été assez dangereuse : nous avons failli perdre plusieurs bras, quelques enfants, et même la vie. Par chance, mon amie n'y a perdu que sa montre.).




  Au retour d'Alsace, il y a eu... euh, la reprise du travail (bref, passons), puis le musée du Cognacq-Jay pour la supeeeeerbe exposition sur les marchands Merciers du XVIIIème siècle (*soupir*).





  Et quelques semaines plus tard, une amie et moi-même nous mettions sur notre 31 pour aller... à l'Opéra! Dans le superbe décor profondément romantique du théâtre lyrique de Dijon se jouait pour la première fois depuis 1645 La Finta Pazza de Sacrati : les partitions, disparues pendant plusieurs siècles, avaient été retrouvées par hasard il y a une trentaine d'années. Il aura fallu attendre jusque 2018 pour remettre en scène ce petit chef-d’œuvre musical. C'était très bien joué, très bien chanté, très bien mis en scène, très drôle, bref, c'était très chouette. Pour les curieux et autres intéressés : le spectacle est en tournée et posera ses costumes, instruments, voix et valises au théâtre de Versailles en mai prochain pour de nouvelles représentations.






Bon, et puis trois jour après, il y avait...
LA chute.

Après la chute : 

  Après la chute, ça se complique un peu. Vous avez probablement autre chose à faire que de lire des anecdotes de malade (par là, je ne veux pas dire quelque chose comme "des anecdotes de ouf", car on sait que tout le monde est toujours partant pour une bonne anecdote bien drôle ; dans le cas présent, je parle bien sûr d'anecdotes d'handicapé/d'alité/boiteux) (nous sommes sur un blog littéraire, que diable, comme en atteste bien évidemment tout le contenu de cet article - hum - ), aussi dirons-nous simplement qu'après les premières semaines dans un état proche du coma, j'ai progressivement employé mon temps pour des choses constructives :

- prendre soin de moi (j'essaie autant que possible de m'y tenir sérieusement pour l'instant, car je sais qu'une fois le travail repris, c'est une résolution qui passera vite à la trappe)
- lire et bloguer
- ÉCRIRE (ce qui explique que la précédente résolution ait été légèrement mise de côté au cours des quatre dernières semaines).

  Et parce que c'est toujours quand on s'y attend le moins que de chouettes occasions se présentent, il y a eu les Great News #4, article dans lequel je vous ai annoncé cette extraordinaire, mirobolante et édifiante nouvelle (calmons-nous, calmons-nous) : deux couvertures de réalisées pour un de mes auteurs favoris, Frédéric Lenormand. L'une des deux couverture était pour un tome de la série de novellas Une enquête de Voltaire, dont j'ai depuis rafraîchi les visuels dans le même style pour proposer une unité graphique des volumes successifs. Et... tadaaaa : 


  Simultanément, j'ai eu aussi la chance de participer à agrémenter le blog de l'association des professionnels Généapsy ( institut de formation en analyse transgénérationnelle où j'ai eu la chance de suivre l'an dernier un cursus de trois séminaires fondamentaux), qui a relayé ma chronique du roman Le prénom de mon oncle, dont j'avais dit le plus grand bien ici, et qui s'inscrivait totalement dans la lignée d'une réflexion sur les héritages transgénérationnels. Encore un grand merci pour ce partage qui, j'espère, participera à faire connaître ce roman encore un peu plus.



***

Quelque part dans la cuisine :

  Avant la chute, il y a eu quelques essais/découvertes/tentatives culinaires. Rien de très extraordinaire cette saison : émincé de fenouil braisé, endives braisées, et une première fois très peu risquée avec un risotto poireaux/saumon (autant dire que ça allait forcément être bon). Il y a quand même eu UNE recette assez importante et plutôt exotique : un MULLIGATAWANY. Non, ce n'est pas le cousin anglais du Gloubiboulga, mais une recette british très sympa à base de bœuf haché, de carottes, de potimarrons, de concentré de tomate, et d'épices. Le tout est cuit dans un bouillon et se sert comme une soupe, mais avec beaucoup à mâcher puisqu'on y fait gonfler aussi du riz en accompagnement. C'était un petit peu long à faire (probablement une gymnastique à prendre) mais très, très bon.



  Mais la palme de la grande déception gustative revient à ce gâteau. Ne vous fiez pas à sa sympathique allure (en l’occurrence, tout est dans le moule) et à sa couleur dorée (tout est dans le four). Il s'agit du fameux cake d'amour de Peau d'âne, concocté selon la recette chantée dans le film, et cuisiné à l'occasion de notre sortie à Marigny pour voir l'adaptation scénique de la célèbre comédie musicale. Sur le papier, ça a l'air enchanteur à souhait. Oui, oui, tout ça c'est très bien, mais vous voulez que je vous dise? Eh bien elle se fout bien de nous, Peau d'âne. Pas étonnant que le prince s'étouffe avec (pour ceux qui pensaient que c'était à cause de la bague, non non...). MAIS, cependant, je refuse de m'avouer vaincu. Les mesures sont tellement aléatoires (quatre "mains" de farine, une "main" de beurre fin, une "larme" de miel, etc...) qu'il y a probablement moyen de rectifier le tir sans trahir la recette, mais en prenant de GROSSES mains de farine, de beurre, et une GROSSE main de miel. Affaire à suivre.


 Acquisitions en vrac :

  Les amis et la famille sont décidément outrageusement généreux quand on se retrouve alité. Du coup, j'ai décidé de faire pareil, et j'ai moi aussi été généreux avec moi-même. Après un colis très gourmand et très anglais envoyé par Pouchky/Ficelle (contenant un roman en prêt qui voyage d'un ami à l'autre), j'ai reçu un paquet très poétique de Clochette/Tinker Bell. On m'a de nouveau offert des carnets ( mais où vais-je donc bien pouvoir les mettre?), un livre sur la manières de concevoir ses peintures/encres/teintes naturelles pour le dessin, le second tomes des délires illustrés de Un faux graphiste, une bio de Mary Stuart, le roman de l'intérêt de l'enfant (dont l'adaptation ciné, My Lady, est un bijou). Le reste, ce sont des auto-cadeaux, parce que j'avais dit que j'allais prendre soin de moi pendant ma convalescence, donc je l'ai aussi fait en achetant des livres... et en adhérant à la société Voltaire, qui m'a offert (la société, pas Voltaire, hein) en cadeau de bienvenue un très chouette ouvrage sur la marquise du Châtelet




 ***

  Voilà pour mon hiver moitié debout, moitié couché. Le printemps est le moment de se remettre sur mes deux jambes si j'en crois l'autorisation de mon chirurgien (lequel doit être pour de faux. Il a trop une tête à jouer dans Grey's Anatomy pour être un vrai médecin...) : "lève-toi et marche!". La suite au bilan du printemps ;- ) !