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dimanche 8 août 2021

Son espionne royale et l'héritier australien (Son espionne royale mène l'enquête #7) - Rhys Bowen.

Heirs and graces (Her royal spyness #7)
, Berkley, 2013 - Editions Robert Laffont, coll. La Bête Noire (trad. de B.Longre), 2021.

    Comté du Kent, Angleterre, 1934. Passer un smoking pour le dîner, utiliser une fourchette pour la viande, une autre pour le poisson… Franchement, quel intérêt à toutes ces simagrées ? C’est pourtant bien ce à quoi va devoir se plier Jack Altringham, héritier du duc d’Eynsford fraîchement débarqué d’Australie. Pour l’aider, une seule candidate, la charmante Georgie. Mais, dès son arrivée à Kingsdowne Place, dans le Kent, elle découvre que certains membres de la famille d’Eynsford se donnent beaucoup de mal pour mener la vie dure à son élève. Et quelques jours plus tard, le duc meurt poignardé. Aux yeux de tous, Jack est le suspect parfait. Sauf pour Georgie qui va tout faire pour démêler le faux du vrai entre petits secrets, rancune de classe et vengeance à froid…
 
***
 
    L'hiver dernier avait été l'occasion de savourer le sixième tome, un opus de saison puisqu'il se déroulait pile pendant les fêtes de Noël. La fin laissait à penser qu'un avenir (même incertain) se dessinait progressivement pour notre héroïne et Darcy, pair du royaume sans le sou mais au charme ô combien ravageur. Elle-même pauvre comme Job, Georgie trouvait néanmoins une solution temporaire en acceptant d'être la secrétaire de sa mère, actrice sulfureuse sur le retour souhaitant faire taper ses mémoires...
 

"Ma mère se mettait à raconter telle ou telle histoire, tandis que je m'efforçais de suivre son rythme en prenant des notes avec frénésie, pour m'apercevoir un instant plus tard qu'elle s'était arrêtée et que son beau visage affichait une expression mi-horrifiée, mi-amusée.
— Oh non, raye tout ça, Georgie. Il ne faut surtout pas que l'incident de cette nuit là se sache, disait-elle. Cela ferait tomber le gouvernement (ou provoquer une guerre mondiale, voire la colère du pape)."
 
    Lorsqu'on retrouve Goergie à Londres, les choses ne se sont pas totalement déroulées comme elle l'espérait : impossible de mettre sur le papier les mémoires de sa mère, dont la vie de comédienne (demi-mondaine?) semble avoir frôlé trop de fois le scandale pour qu'on puisse la raconter. Lasse de cette lubie passagère, cette dernière s'envole rapidement pour des vacances en Suisse et laisse une nouvelle fois sa fille derrière elle sans le moindre penny. Fort heureusement, la Reine a de nouveau une mission à lui confier, et celle-là ne devrait (théoriquement) pas mettre sa vie en danger. Il s'agit d'assister la famille d'Eynsford, dont la duchesse douairière Edwina craint pour sa descendance : son unique fils en vie, l'actuel duc, dilapide toute sa fortune en s'improvisant mécène des Arts et des Lettres mais refuse de prendre une épouse et de faire des enfants (il faut dire qu'il préfère s'entourer de jeunes hommes – d'ailleurs, sa ménagerie de jeunes garçon peintres et auteurs a investi le manoir d'Eynsford sous le nom des "Étourneaux"). Or, il se trouve qu'on a récemment découvert que le défunt fils aîné de la duchesse avait eu un fils alors qu'il était en Australie, un dénommé Jack qui tient aujourd'hui un ranch aux Antipodes sans se douter de ses nobles origines. Rapatrié en Angleterre à la demande de la duchesse, Jack doit apprendre à se tenir en société, à différencier un couteau à salade d'un couteau à poisson, à diriger un domaine, bref, Jack doit apprendre à devenir duc (même s'il n'en a pas tellement envie). Invitée à séjourner au manoir d'Eynsford, Georgie a pour mission "d'éduquer" le jeune homme, même si l'apparition soudaine de ce dernier ne plait pas franchement au reste de la famille. Aussi, lorsque le duc est retrouvé assassiné après avoir voulu déshériter Jack au profit de son valet, le jeune Australien semble être un coupable tout désigné...
 

"— Mrs Tombs souhaiterait savoir si nous serions rentrées pour le déjeuner, dis-je.
— Il aurait fallu la noyer à la naissance, déclara maman. On dirait que les gens ont des noms qui leur correspondent, c'est drôle, pas vrai ? Mme Tombs a une mine de fossoyeur. Et je suis certaine qu'elle a empoisonné les locataires précédents avec ses préparations."

    Unanimement reconnu comme le meilleur de la série depuis son commencement, Son espionne royale et les douze crimes de Noël laissait craindre que ce septième opus vienne à souffrir de la comparaison, mais aussi que le lecteur commence petit à petit à se lasser. Car malgré les belles tranches de rigolades offertes par les premiers opus et la délicieuse atmosphère de la royauté anglaise de l'entre-deux guerres, la recette et les ficelles de Son espionne royale commençaient à être bien connues de sa communauté de fidèles. Fort heureusement, Rhys Bowen semble se sentir de plus en plus à l'aise avec le genre du polar au fur et à mesure que cette série progresse...
 

"— Naturellement, seuls les Français s'y connaissent en lingerie, déclara-t-elle de sa voix théâtrale, limpide, qui portait jusqu'aux cieux. Les Britanniques semblent incapables de comprendre que les dessous ont tout à voir avec la séduction ou les rapports sexuels. Quel homme vigoureux aurait le moindre désir d'arracher ces volumineuses culottes anglaises ?"
 
    En effet, si l'humour et la légèreté restent de mise, ils constituent moins le "corps" de l'intrigue qu'autrefois et les aspects policiers, mieux construits et plus aboutis, prennent la relève et semblent devenir la vraie garantie de cette série sur la durée. La mère de Georgie est toujours aussi extravagante et sa bonne, Queenie, toujours aussi catastrophique, mais la première est cette fois absente de ce titre, tandis que la seconde semble s'améliorer avec le temps, évitant ainsi que le texte ne repose continuellement sur les mêmes éléments (et surtout sur les mêmes gags). 
 
 
"— Je me demande bien pourquoi je vous garde à mon service, Queenie, me lamentai-je.
— Moi, je sais, mam'zelle. Vous avez pas de quoi vous payer une femme de chambre snobinarde qui s'exprime correctement et qui sais s'tenir."
 
    Dans la pure tradition d'Agatha Christie, Ruth Bowen imagine ici un whodunit de très bonne facture. L'enquête en elle-même constitue certes moins de pages qu'il n'en faut pour planter le décor et les personnages, mais reconnaissons que l'auteure a créé un beau petit monde pour cette nouvelle aventure de Georgie : la famille d'Eynsford (au bord de l'implosion), les "Etourneaux" du duc qui jouent les piques-assiettes, le précepteur touché par un trauma de guerre, les enfants qui passent leur temps à faire des expériences dans le laboratoire de chimie, et même le domaine dans son ensemble, qui recèle bien des secrets...
 
"Le trajet jusque dans le Kent fut à la fois merveilleux et terrifiant. Je crois que la vue du chauffeur laissait à désirer, et il ne cessait de recevoir des instructions de sa maîtresse depuis la banquette arrière, ce qui rendait sa conduite plus précaire encore.
— Oui, je sais, un agent de police lève la main pour interrompre la circulation, dit-elle d'une voix tonitruante dans le tube acoustique. Mais cela ne nous concerne tout de même pas. Cet imbécile a certainement vu que nous n'étions pas le genre de personne que l'on fait attendre. Roulez sans vous arrêter, Wilkins." 
 

    Les lecteurs d'intrigues policières les plus aguerris parviendront probablement a dénouer ce mystère - qui n'en reste pas moins très bien élaboré - avant la révélation finale. Et d'ailleurs, les admirateurs de la Grande Dame du crime y retrouveront peut-être quelques similitudes avec l'excellent La maison biscornue...
 
"— M. Camden-Smythe accompagnera ce garçon jusqu'à Londres pour lui transmettre quelques instructions ; il prévoit de l'amener ici ce week-end.
— Cedric ! s'écria Edwina, horrifiée. Combien de fois vous ai-je répétée que je juge lamentables ces américanismes vulgaires ? Les personnes de notre classe n'ont pas de "week-end" : dès lors que nous ne travaillons pas, nous n'avons nul besoin de deux jours de repos en fin de semaine." 
 
 
En bref : Alors qu'on pourrait craindre que la lassitude s'installe, il semble que Ruth Bowen, après un excellent sixième opus, se montre capable, sinon de totalement se renouveler, de faire gagner en teneur l'aspect polarisant de son écriture. Bien que restant toujours dans la sympathique famille des cosy mysteries, ce septième tome de Son espionne royale se démarque comme le précédent par la qualité de son intrigue policière, dans la lignée des meilleurs titres d'Agatha Christie herself !
 
 

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