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lundi 29 juillet 2024

Intrigue à l'anglaise (Les enquêtes de Pénélope #1) - Adrien Goetz.

Éditions Grasset & Fasquelle, 2007 - Le Livre de Poche, 2008.


    Trois mètres de toile manquent à la fameuse tapisserie de Bayeux, qui décrit la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Que représentaient-ils ? Les historiens se perdent en conjectures. Une jeune conservatrice du patrimoine, Pénélope Breuil, s’ennuie au musée de Bayeux, jusqu’au jour où la directrice du musée, dont elle est l’adjointe, est victime d’une tentative de meurtre ! Entre-temps, des fragments de tapisserie ont été mis aux enchères à Drouot. Pénélope, chargée par le directeur du Louvre de mener discrètement une enquête, va jouer les détectives et reconstituer l’histoire millénaire de la tapisserie, de 1066 à la mort tragique de Lady Diana sous le pont de l’Alma…
 
 
***
 
    Il en aura fallu, du temps, pour qu'on ressorte cette Intrigue à l'anglaise de notre PAL, où elle dormait depuis plus de dix ans. Dégoté à l'époque dans notre librairie d'occasion favorite, on avait acheté ce roman en raison de notre goût pour ce qu'on appelle les énigmes artistiques et dans l'idée de découvrir la série initiée ici par Adrien Goetz. Couronné du prix Arsène Lupin à sa publication, ce premier opus des enquêtes de Pénélope nous est revenu en mémoire après un intense bingewatching de la série L'art du crime. Pour rester dans la même veine, il nous fallait de l'art, des meurtres et des enquêtes. Ainsi avons nous exhumé des tréfonds de notre bibliothèque le roman d'Adrien Goetz.
 

    Paris, 1997. A quelques jours du décès de Lady Di, Pénélope, 29 ans, jeune conservatrice fraichement diplômée, est catapultée loin de son bien aimé musée du Louvre et des fouilles égyptiennes qui sont pourtant sa spécialité. Pour son premier poste, on l'envoie à Bayeux, où elle devra suppléer Solange Fulgence, la conservatrice en chef du musée de la tapisserie. Ah, la tapisserie de Bayeux : 70 mètres de lin brodé de 623 personnages, 994 animaux et moitié de végétaux pour raconter la bataille d'Hastings et l'accession au trône d'Angleterre de Guillaume le conquérant, duc de Normandie. Il y fait bon vivre, à Bayeux : à peine Pénélope arrive-t-elle qu'un homme est assassiné, ses yeux entreposés dans un verre à dents, et que sa patronne Solange est agressée. Dans un profond coma, incapable de révéler ce qui lui est arrivé, elle laisse son adjointe se débattre avec les mystères qu'elle a laissés dans ses bureaux du musée. La conservatrice s’apprêtait à acquérir aux enchères de vieilles broderies au titre des Musées de France ; serait-ce la raison de l'attaque dont elle a été la malheureuse victime ? Parallèlement, le musée du Louvre missionne discrètement Pénélope d'enquêter sur l'authenticité de la tapisserie : on a retrouvé dans les archives une lettre datant de l'époque napoléonienne, suggérant que le trésor de Bayeux serait un faux, créé de toutes pièces par des brodeuses égyptiennes sur ordre de Bonaparte. Et comme si cela ne suffisait pas, un ami collectionneur de Wandrille, reporter et petit-ami de Pénélope, prétend avoir retrouvé une copie des scènes manquantes de la tapisserie. Agressée à son tour, Pénélope décide de mener l'enquête : il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de Normandie...


    OVNI assez surprenant dans son écriture, Intrigue à l'anglaise est de ces livres qui ne laissent pas indifférent. En quelques mots : on aime ou on n'aime pas, mais il y aura peu d'entre-deux. Cela explique les avis très polarisés des lecteurs qu'on peut trouver sur le net. Et pour cause, le style, léger dans son fond mais complexe dans sa forme, parait très foutraque de prime abord. Il demande une certaine concentration pour ne pas perdre le fil de la narration, de qui parle et de qui fait quoi. Il y a donc un cap à passer avant de prendre du plaisir, d'autant qu'Adrien Goetz cultive la distance entre sa plume et ses personnages, ce qui peut donner l'impression d'un traitement assez impersonnel, en défaveur d'un attachement du lecteur aux protagonistes.
 
Le charme de Bayeux...

    Et puis... et puis, contre toute attente, une fois qu'on s'est bien échauffé, on se prend au jeu. Parce que oui, l'écriture, sans concession, a quelque chose de féroce, mais aussi de férocement drôle et parce que, s'il entretient autant que faire se peut l'exactitude historique (pour mieux en jouer, on y reviendra plus tard), Adrien Goetz ne s'encombre pas avec la psychologie des personnages ou la finesse qu'on leur imagine nécessaire. Leur traitement n'est pas exempt de subtilité mais ils semblent tous autant qu'ils sont tout droit sortis d'une BD de Tardi ou d'un polar de Charles Exbrayat.
 
Les 70 mètres de la tapisserie exposée au musée de Bayeux.

    Le reste est un mélange de recherches et de fantaisie. De recherches tout d'abord parce qu'Adrien Goetz connait bien son sujet. Enseignant en histoire de l'art à la Sorbonne et rédacteur en chef d'une revue d'art et d'histoire, ce sont toutes ses connaissances qu'il met au profit de son intrigue – peut-être un peu trop, car on peut parfois lui reprocher de n'écrire que pour lui, ou de ne s'adresser qu'à des étudiants de l'école de Louvre, tant certains passages relèvent davantage du cours magistral que du roman. Mais fantaisie aussi, car il connait justement tellement son sujet qu'il maîtrise aussi suffisamment bien les failles historiques pour y fictionner à loisir, quitte à partir pour cela dans les directions les plus folles.
 

    Alors, oui, le résultat a quelque chose d'une tempête dans un verre d'eau, même si l'on s'imagine que, peut-être, ces scènes manquantes à la tapisserie, si elles racontaient effectivement une autre fin que celle que l'on connait, pourraient véritablement remettre en question la légitimité de la couronne d'Angleterre actuelle. Plus c'est gros, plus ça passe : comme l'auteur le précise à la fin, ce sont les théories les plus capillotractées et les conjectures les plus abracadabrantesques qui s'avèrent les mieux documentées. Comme quoi la réalité a bien plus d'imagination que la fiction.
 

En bref : Si l'écriture de cette Intrigue à l'anglaise peut rebuter, il n'en reste pas moins que sa lecture peut s'avérer particulièrement savoureuse. Entre la férocité du style, la fantaisie du scénario et la véracité des faits historiques avec lesquels il s'amuse joyeusement, Adrien Goetz signe ici une nouvelle forme de polar. On aime ou on aime pas, mais nous, contre toute attente, on n'a pas trouvé ça déplaisant.

 
 

mardi 23 juillet 2024

Un manoir en Cornouailles - Eve Chase.

Black Rabbit Hall
, Michael Joseph, 2015 - NiL Éditions (trad. d'A. Oudoul), 2018 - Éditions 10/18, 2019.

    Cornouailles, 1968. Pencraw, un grandiose manoir en ruine dans lequel les Alton élisent domicile l’été. Le temps semble s’y être arrêté et défile sans encombre. Jusqu’au drame qui vient bouleverser leurs vies et arrêter le temps à jamais.Cinquante ans plus tard, avec son fiancé Jon, Lorna roule à la recherche du manoir des Lapins noirs, cette maison où elle a séjourné enfant. Elle rêve d’y célébrer son mariage. Tout dans cette vieille demeure l’appelle et l’attire. Mais faut-il vraiment déterrer les sombres mystères de ce manoir en Cornouailles ?
 
Une famille. Un secret. Un été tragique. Quatre vies bouleversées à jamais.

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     On arrive un peu après la guerre : voilà déjà quelques années que ce premier roman d'Eve Chase, autrice britannique, patiente dans notre PAL. "Une lecture obligatoire pour les fans de Kate Morton et de Daphné du Maurier", nous dit fièrement le bandeau promotionnel de l'édition grand format. Difficile de ne pas succomber à l'appel, d'autant qu'on avait une furieuse envie de manoir anglais et de secrets de famille, cet été. La romancière, lauréate du prix Saint-Maur en Poche en 2019, a depuis gagné en popularité ; elle semble en effet avoir séduit les amoureux d'intrigues familiales sur plusieurs temporalités et de somptueuses demeures hantées par le passé.
 

"On ne peut pas rester petite quand on n'a pas de mère. Les générations font un bond comme dans les années bissextiles. On est obligée de grandir."

    Lorna, jeune trentenaire, est sur le point d'épouser Jon. Pour l'occasion, ils traversent l'Angleterre en long, en large et en travers à la recherche du lieu parfait pour la réception. Lorna en a écumé, des sites internet et des guides spécialisés, mais tout la ramène à ce manoir perdu au fond des Cornouailles, qui vient tout juste d'ouvrir ses portes à l'événementiel. D'ailleurs, le bâtiment est encore dans son jus, loin des normes de rigueur, de quoi faire grincer Jon des dents. Mais la future mariée refuse d'entendre raison : cette maison lui rappelle beaucoup trop celle que sa mère lui montrait régulièrement, petite, lorsque la famille séjournait dans la région pour les vacances. Plusieurs photos l'attestent. Pourquoi une telle fascination pour cet endroit ? Sa mère décédée, Lorna s'accroche à la perspective de célébrer là son mariage pour se connecter à elle. La propriétaire, la froide et mystérieuse Mme Alton, propose à la jeune femme de rester quelques jours sur place pour se familiariser avec les lieux. Au cours de son séjour, Lorna, comme aimantée par l'endroit, remonte le fil du temps jusqu'aux mystérieux événements de l'année 1969. Quels drames ont alors connu les enfants Alton, dont les noms sont encore gravés sur les arbres du parc ensauvagé ?
 

    Un manoir en Cornouailles avait donc tout pour nous plaire et il ne fait aucun doute que nous avons passé un très agréable moment de lecture, notamment grâce à la plume de l'autrice et à sa traduction impeccable. L'écriture d'Eve Chase, subtile, fait la part belle aux sens et aux atmosphères ; elle nous immerge avec délice dans l'univers fantaisiste et doucereux des enfants Alton (leurs promenades dans les bois, leurs rêveries et leurs jeux), le tout dans une savoureuse ambiance de carte postale anglaise. On ne peut qu'applaudir, aussi, son sens du rythme qui convient parfaitement à ce type d'intrigue : cultivant l'art des fins de chapitre, des transitions et de la tension dramatique, elle parvient à laisser le lecteur en haleine et à faire de ce roman un page turner réussi.
 

"Lorsque maman s'en va, la famille s'éparpille, telle la limaille de fer quand on retire l'aimant"

    Cela étant, le risque d'un récit à double temporalité, c'est qu'une époque se révèle moins intéressante que l'autre. En la matière, cet écueil est rarement évité et il est difficile de trouver des romans qui fassent exception ; quoi que très bon par bien des aspects, Un manoir en Cornouailles tombe malheureusement dans ce piège. En effet, si c'est à notre époque que se tient l'enquête de l'héroïne pour percer le mystère du Manoir aux Lapins Noirs, les réponses se trouvent bien évidemment dans les flash-back et les chapitres situés en 1969. Ces derniers ont ainsi plus de choses à raconter au lecteur, parce qu'il rassemblent un panel d'éléments familiers et caractéristiques de ce type d'intrigue (une famille qu'on imagine issue de la noblesse, un drame, plusieurs secrets et des relations complexes qu'on chercher à cerner et à comprendre).
 

"Je pense que les adultes s’érodent avec le temps, à l'image des rochers attaqués par la mer, tout en restant pareils, juste plus lents et grisonnants, avec ces drôles de rides verticales devant les oreilles. Les jeunes, eux, se transforment de semaine en semaine. Nous connaître, c'est courir à côté de nous, comme quand on veut héler un passager par la fenêtre d'un train en marche."

    Mais plus encore que cela, la narration y est pour beaucoup : là où les chapitres se déroulant en 1969 sont racontés à la première personne par Amber, ainée de la fratrie Alton, ceux prenant place à notre époque le sont à la troisième personne, ce qui instaure d'emblée une distance. Le style, excellent, évoqué précédemment, est en cela surtout associé à la voix d'Amber, ce qui donne à lire les plus beaux passages et apporte une densité indéniable : à travers ses yeux, les personnages sont plus complexes et plus beaux à la fois, dans toutes leurs contradictions. En comparaison, Lorna semble beaucoup plus simple, transparente, voire fade par moment. Les situations qu'elle vit paraissent également un peu plus artificielles, sans qu'on y retrouve, paradoxalement, le romanesque du récit d'Amber.
 

    C'est indéniablement tout un art que de parvenir à doser les ingrédients de ce type de roman ; admettons qu'il est difficile de passer après des autrices comme Diane Setterfield et son Treizième conte, parfait modèle du genre, ou Kate Morton et ses Heures lointaines. Dans ces deux exemples, le mystère persiste jusqu'au bout et la révélation finale est une surprise totale. Ici, malgré quelques audacieux et intelligents tours de passe-passe pour mettre son lecteur en déroute au jeu des hypothèses et des spéculations, on a très vite deviné où Eve Chase voulait en venir et quelle serait le twist ultime de l'intrigue.


"En réalité, quand on est aussi vieille que moi, Lorna, on s'aperçoit que la vie n'est pas du tout linéaire. Au contraire, elle est circulaire, et mourir est aussi difficile que naître: on revient juste au point qu'on croyait avoir quitté il y a longtemps. Comme les aiguilles d'une montre."

En bref : Si ce premier roman d'Eve Chase n'égale pas ceux de Diane Setterfield et de Kate Morton, il figure néanmoins parmi les exemples réussis du genre. L'écriture, fine et percutante, et le sens du rythme et du suspense sont les points forts de ce Manoir en Cornouailles. On lira à coup sûr d'autres titres de cette romancière !


dimanche 21 juillet 2024

Un printemps à écrire (encore !)

 

    Bon, une fois encore, on n'est pas en avance. Il faut dire qu'on attend désespérément la fin de l'automne, qui a, ici (mais c'est certainement pareil chez vous), décidé de s'installer dans la durée. On peut difficilement attendre plus longtemps pour évoquer notre printemps, qui s'est écoulé à un rythme de fou, mais sous la pluie. Une bonne excuse pour se retrancher au fond du Terrier afin de poursuivre l'écriture du projet sur lequel on travaille d'arrache-pied depuis maintenant un an et demi...


Escapades :
 
 
    On vous partage en exclusivité les clichés pris pendant les trop rares journées printanières, avant qu'une faille temporelle n'engloutisse le tout dans une version bien triste de mois de novembre tardif (ou précoce, on ne saurait dire). Ajoutons à cela une fin d'année trop chargée professionnellement, et les possibilités d'évasion s'en sont trouvées considérablement réduites. Nous avons néanmoins retrouvé un peu d'enchantement dans le verger familial, chez Grand-Père et Grand-Mère Lapin. Preuve en trois photos que les images ont aussi une odeur :
 


    Pour le reste, on s'est offert de rapides excursions autour du Terrier entre deux salves d'écriture (jusqu'à s'en donner la migraine, justifiant la nécessité d'aller prendre l'air, au moins pour la forme). Mais le même tour peut parfois surprendre, comme lorsqu'on est tombé un jour sur de vieilles pierres tombales recyclées en ornements type rocaille pour les décorations florales de la commune. On doit avouer l'envie dévorante d'aller les voler pendant la nuit pour embellir notre futur jardin...


    Enfin, la dernière journée de soleil avant l'interminable déluge a été consacrée à de chouettes retrouvailles dijonnaises avec une amie de fac (en l’occurrence une époque pas si lointaine, puisqu'on avait repris des études universitaires en 2020). L'occasion d'aller déjeuner dans le meilleur restaurant de la ville, dont on a déjà parlé plusieurs fois ici : l'extraordinaire Speakeasy, avec ses tapisseries à motifs, ses fauteuils en velours et son atmosphère feutrée (sans parler de la carte et des cocktails, à tomber !). Un endroit dont on ne se lasse pas.


    Ah, et j'allais oublier : il y a eu une sortie théâtrale ! Les très bonnes pièces parisiennes ont en effet l'excellente idée de venir en tournée sur nos terres reculées de province. Lorsqu'il s'agit des whodunits policiers de Julien Lefèbvre, c'est toujours une bonne nouvelle (on vous en reparle un peu plus bas).




Cadeaux, achats et nouvelles acquisitions :

 
    La saison s'est ouverte sur un paquet envoyé par Pouchky/Ficelle (une tradition désormais veille d'au moins dix ans ; nous avons probablement inventé la box de livres et de goodies avant l'heure). Comme souvent, le contenu était très anglo-saxon, avec le livre de cuisine officiel de Peaky Blinders (ni elle ni moi ne regardons la série, mais les photos sont canons, disait-elle – voilà qui ne va pas apaiser notre addiction au foodporn), le premier tome de la célèbre saga Anne et la maison aux pignons verts, cette carte reproduisant la couv' d'une version originale de Peter Pan et ces torchons 100 % british. Le tout était complété d'un sac à livre home made, dont on peut estimer les motifs tout-à-fait de saison si on n'en juge par le temps qu'il faisait dehors.
 

    Du côté des achats, on s'est encore fait plaisir (on prétendrait bien que c'était pour survivre à la météo, mais on n'aurait guère d'excuse pour tout ce qu'on fait rentrer dans notre bibliothèque le reste de l'année). Pour ce qui est des cosy mysteries et des polars, les derniers opus parus d'Agatha Raisin et de Son espionne royale chez France Loisirs ont rejoint nos rayonnages en compagnie d'un tome qu'il nous manquait des Enquêtes de Roderick Alleyn (dont on accumule les titres alors qu'on n'a même pas commencé la série – on n'est plus à une extravagance près).
    Également acquis récemment : beaucoup d'essais sur les pouvoirs de la littérature et le rapport qu'on entretien avec ses livres et sa bibliothèque et, côté fictions, la version française de The lighthouse witches, ainsi qu'un roman de Lois Lowry qui nous faisait de l’œil depuis longtemps, mais surtout The boy in the smoke, préquel dans l'univers de Hantée de Maureen Johnson, une des meilleures séries young adult jamais écrite et qu'on avait relue cet hiver avec plaisir.

    Enfin, à l'occasion de la tournée du spectacle L'heure des assassins, troisième pièce dans la trilogie qui s'est amorcée en 2017 avec Le cercle de Whitechapel, on s'est empressé d'acquérir l'intégralité des textes (à défaut de pouvoir les voir et revoir en captation vidéo, ce que personne ne semble avoir eu la bonne idée de faire, snif) pour les faire dédicacer à la sortie du spectacle.

Popotes et casseroles :


    Le printemps aux fourneaux a commencé avec des recettes très automno-hivernales, parce qu'on avait tous besoin de se réchauffer. Pas de surprise, donc, d'avoir encore cuisiné des cucurbitacées en mai, avec la désormais traditionnelle tourte au potimarron (Délice des catacombes) et, une nouveauté, ce risotto potimarron et lait de coco, jamais testé jusque-là.

    Le soleil ayant daigné pointer le bout de son nez, on a enfin pu profiter des produits de saison et organiser quelques dîners entre amis. Enfin une bonne excuse pour préparer de gigantesques plats de tomates mozzarella, avec de vrais tomates du marché et du basilic frais, sans oublier notre inratable cake au citron sans œuf, un classique du Terrier, hyper facile, mais qui fait toujours son petit effet (comme on a l'habitude de le dire, tout est dans le moule).

 



Bricoles et fariboles :

 
    On en parlait un peu plus haut : l'échange de colis avec Pouchky/Ficelle, une tradition vieille d'au moins une décennie, a de nouveau été l'occasion de s'amuser à réunir un florilège de goodies et de cadeaux autour d'un thème central. Pour le paquet de ce printemps (qui a légèrement débordé sur l'été, d'ailleurs), on a célébré Jane Austen, une de ses autrices favorites. Lui ayant déjà offert la superbe Encyclopédie visuelle Jane Austen, on a du aller chercher l'inspiration ailleurs. Dans ce joli coffret fleuri (motif qui n'aurait pas dépareillé sur une couverture d'édition originale), on a ainsi rassemblé un tote bag on ne peut plus de circonstance, deux romans qui réinventent Jane Austen en apprentie détective, un jeu des sept familles Pride & Prejudice, un livre de cuisine Jane Austen, un mug artisanal à l'effigie de la romancière, du thé importé d'outre-Manche, mais surtout ces deux ouvrages très enthousiasmants : le livre Orgueil, préjugés & énigmes et le cahier de vacances pour adultes Orgueil et préjugés de la collection "A vos classiques". Ajoutez à cela un marque-page et un sticker à l'image de l'Encyclopédie visuelle, et toutes les box livresques officielles peuvent aller se rhabiller.


 
    Pour finir, petit détour par le travail. Comme vous l'avez certainement déjà vu si vous nous suivez depuis longtemps, on porte avec quelques collègues de nombreux projets artistiques et culturels en institution médico-sociale, à destination d'enfants et adolescents en situation de souffrance psychique. Après plusieurs projets d'écriture et la publication des ouvrages écrits par les enfants en collaboration avec de prestigieux auteurs, nous avons cette année travaillé à la création d'un jeu de société inspiré de la mythologie grecque, avec l'auteur et créateur de jeux Fabien Clavel. La réalisation des cartes s'est faite avec l'atelier Baz'Art. Depuis, le jeu est terminé et disponible, mais je vous en reparlerai dans un prochain récap' saisonnier ;-)
 
 

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    Voilà pour le bilan de ce printemps très humide à la vitesse de l'éclair ! L'été, quoi qu'encore récent, semble suivre le même chemin météorologique. On l'espère cependant plus reposant, histoire de pouvoir concrétiser dans la sérénité quelques projets dont on vous parlera certainement très bientôt. Rendez-vous dans quelques mois !

dimanche 7 juillet 2024

Les possédées - Johanna Van Veen.

My Darling Dreadful Thing
, Poisoned Pen Press, 2024 - Éditions Hachette, Le Rayon Imaginaire (trad. de C. Desserrey), 2024.

    L’étrangeté s’épanouit comme une fleur vénéneuse dans la vie de Rose : affamée, maltraitée, forcée de mener pour la cruelle Mama des séances de spiritisme où le surnaturel le dispute au sordide, elle n’a pour réconfort que Ruth, un esprit-compagnon revenue du royaume des ombres sur l’appel de son sang versé. Morte depuis des siècles, affectueuse et tyrannique, cruelle et tendre, Ruth est son soleil noir et sa boussole, son indéfectible amie. Leurs destins liés basculent lorsqu’une veuve étrange et secrète les entraîne dans sa demeure isolée. Agnes, seule entre tous à voir Ruth. Agnes, douce à aimer peut-être, alourdie d’un chagrin, d’un secret, de chaînes qu’on pourrait briser ? Prenez gardes, jeunes filles, si les esprits-compagnons sont votre consolation, ils pourraient aussi être votre malheur. À moins que tout ceci ne soit que folie ?

    Johanna van Veen, jeune pousse des lettres néerlandaises, signe ici un premier roman prometteur, entre gothique et horreur, romance, enquête psychologique et thriller. Inclassable et réjouissant.
 
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     Avec sa couverture aux reflets métallisés carmin, on reconnait bien là le dernier né du Rayon Imaginaire : depuis quelques années, ce label des éditions Hachette s'est démarqué grâce à ses visuels à la fois épurés et incontestablement reconnaissables. Après le merveilleux de Golden Age (Fabrice Colin) et le fantastique philosophique de Sauvage (Joan Mickelson), nous sommes très heureux de découvrir ici une nouvelle pépite de cette collection.


    Hollande, années 1950. Rose vit avec la terrible Mama, à qui son père l'a confiée plusieurs années auparavant avant de disparaître. Depuis lors, son horrible tutrice la contraint à se mettre en scène chaque jour devant les clients qui viennent la consulter dans le cadre de séances de spiritisme factices. Au cours de ces représentations, Rose doit jouer le rôle de la possédée et activer les différents mécanismes secrets permettant de faire croire à la manifestation des esprits. Pour autant, sa vie n'en est pas moins étrange : si aucun des spectres invoqués en séance n'est réel, Rose est en revanche accompagnée de Ruth, le fantôme d'une jeune fille devenu son "esprit-compagnon" et qui la possède de temps à autre pour donner aux clients le spectacle qu'ils sont venus chercher. Liées l'une à l'autre par un pacte que personne de saurait briser, Rose et Ruth se protègent et s'entre-aident comme un seul être. Un jour cependant, Agnès Knoop, une jeune veuve d'origine asiatique se présente chez Mama. Loin d'être dupe de la supercherie, la cliente s'intéresse en revanche tout particulièrement à Rose – et pour cause, elle aussi est en mesure de voir Ruth. Lorsqu'elle convie la jeune fille à devenir sa demoiselle de compagnie, Rose se persuade d'être enfin libérée des chaînes qui l'empêchaient jusque-là de s'épanouir. Mais c'est sans compter les mystères qui planent à La Roseraie, le manoir familial des Knoop. Entre les murs gorgés d'humidité et le domaine en plein délabrement, il est possible que le danger soit plus vivant que mort...
 
 
    Première incursion du Rayon Imaginaire dans la littérature horrifique d'inspiration gothique, Les Possédées est le premier roman de Johanna Van Veen, jeune autrice néerlandaise que l'on devine passionnée de lettres britanniques. Titulaire (entre autres) d'une maîtrise en littérature anglaise, elle invite en effet dans son livre une atmosphère que n'aurait pas renié le Londres de l'époque victorienne. Car bien que l'intrigue se situe dans la Hollande des années 50, il est difficile, à la lecture, de se représenter un cadre spatio-temporel précis, l'histoire pouvant tout-à-fait prendre place dans l'Angleterre du XIXème siècle. Cette impression est fortement suggérée par les thématiques principales, le spiritisme en tête, ainsi que les nombreuses références au Tour d'écrou d'Henry James.
 

    Pour autant, si Le tour d'écrou est souvent cité, ce n'est pas forcément à cette œuvre que l'on pense le plus au fil de la lecture. L'arrivée de cette jeune fille dans ce grand manoir, la veuve au passé trouble et le fantôme du défunt mari qu'entretient sa sœur à moitié folle, tout cela n'est décidément pas sans évoquer une version inversée de Rebecca ou de Jane Eyre, la présence des spectres décharnés en plus nous rappelant tout en même temps le Crimson Peak de Guillermo del Toro (qui avait d'ailleurs revendiqué les deux romans cités ci-dessus comme des influences majeures). La romance, tout d'abord subtile, tout juste perceptible, puis charnelle, qui se tisse progressivement n'est quant à elle pas sans rappeler l'univers de l'écrivaine Sarah Waters, grande autrice que l'on sait aussi férue d'ère victorienne que de ghost stories.
 

    L'intelligente construction du roman vient semer le doute dans l'esprit du lecteur quant à la véracité des événements, faisant ainsi d'une histoire d'horreur un thriller à la dimension psychologique réussie. Au récit de Rose s'alternent des compte-rendus psychiatriques datés de quelques années plus tard, laissant entendre que la jeune fille a été internée dans l'attente d'un jugement pour meurtre. L'avis médical vient évidemment interroger sa santé mentale et sa prétendue capacité à voir les esprits. Le don de double-vue de Rose ne serait-il que la résultante d'un trouble schizophrénique ? Ou pire, un mensonge afin de pouvoir plaider la folie ? La double-temporalité du roman génère un effet particulièrement réussi de suspense, le lecteur désirant plus que tout connaître l'issue de l'affaire. En diagonale de ces récits qui s'entrecroisent pour mieux se réunir à la fin, plus que les fantômes réels ou imaginaires, Les Possédées nous invite à questionner la solitude des personnages comme creuset où faire germer les esprits-compagnons susceptibles de les aider à affronter l'adversité. Peut-être le deuil serait-il ainsi le véritable sujet du roman...


En bref : Au croisement d'un roman gothique victorien et d'un livre de Sarah Waters, Les Possédées, nouvelle pépite du Rayon Imaginaire, nous invite à frissonner autant de peur que de désir. Grâce à une double temporalité brillamment amenée, le texte instaure une tension dramatique qui tient le lecteur en haleine en même temps qu'elle l'amène à questionner la véracité des faits ainsi que la frontière entre réalité et folie. S'amusant à entremêler horreur, romance et fantastique, Johanna Van Veen parvient tout en même temps à nous toucher profondément en abordant la thématique douloureuse du deuil face à la solitude.

Un grand merci au Rayon Imaginaire pour cette découverte !