lundi 23 juillet 2018

Le cercle de Whitechapel - Une pièce de Julien Lefebvre, mise en scène par Jean-Laurent Silvi.


Le Cercle de Whitechapel

Une pièce de Julien Lefebvre
Mise en scène de Jean-Laurent Silvi

Actuellement en tournée,
prochainement au théâtre du Lucernaire du 4 Décembre 2018 au 10 Février 2019.

Avec : Stéphanie Bassibey, Pierre-Arnaud Juin, Ludovic Laroche, Jerôme Paquatte, Nicolas Saint-Georges.


   1888, Londres. Alors qu'une étrange série de meurtres de prostituées vient de débuter dans le quartier défavorisé de Whitechapel, un membre éminent de la gentry londonienne, Sir Herbert Greville, décide de réunir une équipe d'enquêteurs d'un nouveau genre pour découvrir la vérité.
   Le groupe se compose d'un romancier débutant et timide nommé Arthur Conan Doyle, d'un journaliste qui deviendra bientôt le plus grand dramaturge du Royaume, George Bernard Shaw, du directeur d'un des plus prestigieux théâtres de Londres dont la carrière d'écrivain végète, Bram Stoker, ainsi que de l'une des premières femmes médecins de l'époque, Mary Lawson.
   Réunis dans le quartier même des meurtres, dans un ancien atelier d'artiste loué pour l'occasion, ils vont découvrir au cours de leurs rendez-vous discrets les fils invisibles qui expliquent l'une des plus grandes énigmes criminelles de l'histoire. 
***
  Vue annoncée au programme du Théâtre du Lucernaire en début d'année et mise à l'honneur à l'occasion de la 25ème rencontre de la société Sherlock Holmes de France (où elle a reçu le prix Scherlock de la meilleure pièce), il n'en fallait pas plus à cette pièce pour attirer mon attention :  L'époque victorienne? Whitechapel? Jack l'Eventreur? ... quoi, une comédie policière? Mettant en scène les gens de lettres du XIXème? J'y cours!


  La revue Télérama, pour ne pas la citer, nous le conseille également : "Courrez voir ce spectacle!". L'espace de deux heures, nous nous trouvons plongés dans l'ambiance tonitruante et brumeuse du Londres victorien : dans un vieil atelier de briques rouges aux fenêtre noircies et rempli d'objets hétéroclites, cinq personnes ont rendez-vous. Afin d'être présentes, elles bravent chacune le danger des rues de ce quartier de Whitechapel, devenu bien plus sinistre qu'à l'accoutumé depuis qu'ont débuté les meurtres du bien nommé criminel "Jack l'éventreur". Quatre d'entre-elles ne se connaissent pas encore, si ce n'est de réputation : l'auteur à succès Arthur Conan Doyle, le directeur de théâtre Bram Stocker, le journaliste George Bernard Shaw, et la femme médecin Mary Lawson. Toutes ont été invitées par un ami commun et homme de pouvoir, Sir Herbert Greville, qui leur propose de mettre en commun leurs talents de personnalité exceptionnelle pour démasquer et capturer Jack l'Eventreur. Malgré les nombreuses divergences d'opinion qui les animent, les hauts esprits de ce cercle secret acceptent de mutualiser leurs compétences. Si cela ne sera pas sans heurts, il se peut que cette entreprise deviennent la plus palpitante de leur vie...


  Verdict? Que de panache, que d'esprit, que de style! Oui, courrez vite voir ce spectacle, l'injonction est justifiée tant le résultat est jubilatoire. Jubilatoire, réussi et d'autant plus intéressant que l'on peut superposer plusieurs lectures de cette pièce, qui mêle habilement pastiche policier et métaphore socio-historique. En effet, ce spectacle s'amuse d'un mélange des genres volontaire et qui, force des talents de l'équipe (écrivain, metteur en scène, acteurs...), prend et convainc son public : on sent de fait un aspect profondément classique par certains côtés, ou en tout cas ce qui se veut certainement un hommage au théâtre du XIXème et évoque par moment le Grand Guignol (mais sans toutefois tomber dans ses excès), aspect contrebalancé par un regard rétrospectif qui apporte à ce polar vintage tout son piment.


  Autours d'une reconstitution historique minutieuse de l'affaire qui plaira à tous les ripperistes, notre troupe de scribouillards victoriens tente de dresser le profil du tueur, entre pertinence et humour. Conan Doyle, en digne créateur du grand Sherlock, utilise une logique toute holmesienne, Shaw, en journaliste prosaïque, apporte un éclaire sociologique teinté d'un sarcasme tout personnel, et Bram Stocker, futur auteur de Dracula, cherche une éventuelle explication occulte. Mary Lawson, seul personnage entièrement fictif mais qui symbolise sans aucun doute toutes les figures féministes avant-gardistes du XIXème, apporte quant à elle l'analyse scientifique (en culotte bouffante de cyclisme -so shocking!- et le tempérament de la suffragette fauteuse de trouble en prime) . Dans un décor fourmillant de détails qui plante immédiatement l'ambiance, on découvre ou redécouvre avec délectation des personnages historiques, dont ces célèbres auteurs, qui deviennent cette fois personnages de fiction théâtrale... et pourchassent un meurtrier de légende dont on ne sait, d'ailleurs, s'il a un jour réellement existé ou s'il s'est construit indépendamment au croisement des différents fait-divers. L'effet miroir et les résonances donnent à réfléchir...



  Comme l'a si bien dit George Bernad Shaw, "Chaque époque a les monstres qu'elle mérite" et cette pièce rappelle que l'affaire de l'éventreur avait, entre autre, mis en exergue les dysfonctionnements d'une époque qui, derrière la crinoline et les cols amidonnés, avait à dissimuler bien des misères. Alors, Jack l'Eventreur, assassin de chair et de sang, créature diabolique, ou construction sociale? De façon détournée, voire métaphorique, cette pièce qui se termine réellement comme un polar (avec une résolution et une chute sa-vou-reuses), aborde avec subtilité et élégance du verbe la création d'un monstre et la naissance des légendes.


En bref : Entre pastiche léger, polar victorien, et métaphore sociale, Le cercle de Whitechapel est un divertissement fin, intelligent, et drôle. Extrêmement bien écrit et particulièrement bien joué, le spectacle force l'admiration. A découvrir ou redécouvrir dès Décembre prochain au théâtre du Lucernaire, vous serez conquis!


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