Pages

mercredi 15 janvier 2020

Gourmandise littéraire : Devils on horseback.


  Les fêtes sont souvent l'occasion de cuisiner hors-d’œuvres et mises en bouche à grignoter, que ce soit en introduction d'un plat plus conséquent ou pour un buffet dinatoire. Kerry Greenwood, qui prend un plaisir savoureux à décrire les mets consommés par ses personnages dans Les folles enquêtes de Phryne Fisher, évoque aussi bien les grands plats que les petits canapés et autres cocktails delights (tels qu'elle les nomme dans ses recettes de A question of death) que l'on a coutume de servir à l'occasion de toute réception chic qui se respecte. Dans Murder in the dark, Phryne participe à la Dernière Grande Fête de 1928 : quatre jours et quatre nuits de danse, de jeu, et de plaisir, du 28 au 31 décembre, donnés dans le fastueux décor du Manoir Werribee. La bâtisse, qui sert principalement à loger les invités, est complétée pour l'occasion dans ses jardins de nombreux gigantesques chapiteaux dressés tout autour du manoir : l'un est consacré aux repas, un autre aux rafraichissements, encore un autre à la musique... sans parler de ceux réservés aux plaisirs plus intimes...

  Alors que les festivités commencent à peine, Phryne passe d'un chapiteau à l'autre et fait la connaissance des convives, avant de s'arrêter pour discuter tandis qu'on leur sert de délicieux amuses-bouches, dont les très anglais "Devils on horseback", littéralement des "Diables à cheval"!


"Pam rougit et tendit à Phryne un plat de devils on horseback.
— Bel endroit, dit-elle en regardant la bâtisse, il y a même un terrain de tennis. J'ai déjà recruté quelques partenaires pour demain. Jouez-vous, Phryne?
— Occasionnellement, répondit Phryne entre deux bouchées de pruneau et de bacon."

Murder in the dark, K.Greenwood, chapitre 5, Constable (2018).



  Comme le renseigne cet extrait, les diables à cheval sont donc essentiellement constitués de pruneaux et de bacon. D'ailleurs, certaines recettes simplissimes que l'on trouve dans des ouvrages culinaires anglais traduits en Français ne mentionnent pas d'autres ingrédients et sont sobrement rebaptisés "pruneaux au bacon" (on se contente alors d'enrouler une tranche de bacon autour du pruneau dénoyautés et de les servir tels que avec une petit pique). 

  Les puristes seraient choqués de voir la recette réduite à cette simple extrémité ; en effet, la majorité des recettes originales anglaises s'accordent sur la présence d'une farce, dont on doit garnir les pruneaux (ou, dans certaines version, les dates – il n'y a pas consensus sur lequel des deux fruits secs utiliser, mais les recettes à base de pruneaux sont plus répandues). Le plus souvent, cette farce se compose d'un mélange d'amandes hachées et de fromage, mais Kerry Greenwood donne sa propre version de la recette dans A question of death et propose quant à elle un mélange de riz et de chutney...

  Pour ce qui est de la cuisson, là aussi, il y a deux écoles : ceux qui ne font frire que le bacon avant de l'enrouler autour du pruneau farci (à la façon de Kerry Greenwood), et ceux qui passe au grill les devils on horseback juste avant de les servir (à la façon de Jamie Oliver, qui est, tout le monde pourra l'admettre, une excellente référence). Nous vous proposons ici un mélange des deux versions : nous nous sommes basés sur les ingrédients de K.Greenwood mais avons cuisiné ces Devils on horseback à la façon des livres de cuisine anglaise, c'est à dire en les passant au four avant le service, ce qui exalte les saveurs sucrées/salées de cette délicieuse petite bouchée. Ah, et en lieu et place du chutney, on a aussi mis de la confiture d'oignon (parce que c'est bon, la confiture d'oignon, et parce que nos essais étaient on ne peut plus convaincants!).

  Avant de vous lancer dans la préparation de ces savoureux amuses-bouche, quelques informations sur leur origine. On ne sait pas exactement d'où vient cette recette et encore moins son nom des plus originaux. Ceci dit, des sources attestent que le terme "devils on horseback" renverrait à une pratique utilisée par les pillards normands dans les Cornouailles, au Sud de l'Angleterre, à la fin du XIXème siècle. Ces derniers se couvraient intégralement de plusieurs couches de lard lorsqu'ils venaientt piller les villages, une armure sanguinolente qui effrayait les habitants et, parait-il, protégeait aussi bien qu'un vêtement de cuir! Cette apparence effrayante leur aurait valu le surnom de "diables à cheval" avant qu'on l'attribue à la recette inventée en clin d’œil à cette légende urbaine. Une autre explication, plus simple, atteste que le nom vient tout bonnement des couleurs du pruneau et du bacon à la sortie du four, à l'inverse d'une autre recette d’amuse-bouches célèbre outre-Manche, les Angels on horseback, ceux-là constitués d'huitres enroulées de bacon. 


Ingrédients:

- 220 g de pruneaux (environ)
- 150 g de riz cuit
- 2 c-à-s de confiture d'oignon
- 4 tranches de bacon
- sel, poivre

A vos tabliers!

- Mélanger le riz et la confiture d'oignon, saler et poivrer.
- Dénoyauter les pruneaux, puis les garnir du mélange à base de riz à l'aide d'une petite cuillère.
- Couper les tranches de bacon en rubans, puis les enrouler autour des pruneaux en les maintenant à l'aide de petites piques en bois.
- Disposer tous les pruneaux ainsi farcis et préparés sur un plat de cuisson et les passer trois minutes sous le grill du four avant de les servir.


A déguster sans modération en sirotant un cocktail et en attendant le début des festivités...

***


6 commentaires:

  1. Miam ! Ca me tente bien ! Quel nom original ! Merci pour les explications. J'adore ce genre d'anecdotes. :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est très très bon! Parfait pour un apéro !
      J'adore les anecdotes culinaires, je trouve cela fascinant !

      Supprimer
  2. J'avais déjà vu cette gourmandise mais j'ignorais le nom anglais ! encore un billet de choix ; merci, Pedro, pour toutes ces saveurs ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout le plaisir est pour moi! :D Oui, on croise souvent des recettes de pruneaux au bacon sans que le terme original soit indiqué, surtout dans les ouvrages traduits. C'est dommage, on perd tout le sel de l'anecdote ! Que deviendrait notre regard sur la cuisine anglaise si on rebaptisait les "toad on the hole" en " flan à la saucisse" et les "bubble ans squeak" en "galettes de légumes écrasés ", franchement ^_^

      Supprimer
  3. Toujours aussi intéressants et fouillés vos articles littero culinaires culturels ... mon stylo n'est jamais loin et ça j'adore lol

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup Delphine, ce retour me fait très plaisir !

      Supprimer