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dimanche 15 octobre 2023

La maison vénéneuse - Raphaël Zamochnikoff.

Belfond, 2023.
 
    Arty, 11 ans, est convaincu que sa maison a essayé de l’étrangler. Il ne prend pas cette menace à la légère : sa famille est peut-être elle aussi en danger. C’est Paul, le père d’Arthur, qui a tracé les plans de cette bâtisse, la première du lotissement. Et si ça avait bouleversé l’ordre naturel ? Sa mère, Catherine, est antiquaire, experte dans le nettoyage des objets anciens : se doute-t-elle de quelque chose ? Avec l’aide de son VTT, de ses copains, de ses cassettes vidéo et de la magnétique Anna, Arty va chercher des réponses à ses questions et vivre l'aventure de sa vie. Et perdre à jamais son insouciance. Un premier roman enthousiasmant, impressionnant de maîtrise.

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    Repéré également au programme des auteurs présents au salon du Livre sur la Place de Nancy, Raphaël Zamochnikoff avait évidemment su retenir notre attention avec sa Maison vénéneuse. Qui connait nos goûts saura qu'on résiste difficilement à la thématique de la "maison vivante" : après Maison hantée / Hantise de Shirley Jackson, Le blanc va aux sorcières d'Helen Oyeyemi, ou encore La maison poussière de Valérie Peronnet, la maison de Raphaël Zamochnikoff rejoignait les étagères de notre bibliothèque.
 

"Pour un être coupé de ses racines, transplanté d'un arbre généalogique à un autre, la perte d'un rameau était une mutilation trop lourde de sens. Cela finissait d'imprimer en lui une marque de fatalité et (...) il devait sentir une anomalie dans son parcours, une impossibilité de coller tout à fait à son environnement. Une pièce de puzzle qui ne trouvait pas sa place dans le canevas – celle qu'on laissait pour plus tard et qui ne prenait sens qu'à la toute fin."

    Années 1980, dans le Jura. Arty, 11 ans, se prépare à entrer au collège. La fin de l'été a comme un arrière-goût de fin du monde, et pour cause : l'entrée dans la cour des grands semble signer la fin de l'enfance, le début des choses sérieuses. Se faire des amis, éviter les durs à cuire qui font régner la terreur à grand renfort de coups de poing et de pied, accepter de devenir adolescent – presque un adulte, en somme. Pour Arty, et ce bien qu'il ne le laisse pas vraiment paraître, cette étape charnière est douloureuse. Et d'autant plus lorsque sa maison devient, parallèlement, le théâtre d'événements étranges, quoi qu'imperceptibles pour la plupart. Le sentiment d'avoir rescapé à une tentative d'étranglement au petit matin, l'impression de voir des formes apparaître sous le verre des miroirs, ou encore la certitude que quelque chose enfle, là, entre ses murs, alimentant les conflits familiaux comme on attise un feu. Cette présence, invisible mais palpable, Arty lui donne le nom de chimère, parce qu'elle n'a aucune forme et toutes les formes à la fois. Bien décidé à comprendre quels secrets entretiennent son existence, Arty, aidé de sa bande de copains, se lance dans une aventure qui flirte avec l'étrange.
 
 
     Les années 80. Des gamins en ciré et à vélo. Une maison (peut-être) hantée. Le (difficile) passage vers l'âge adulte. Stranger Things, avez-vous dit ? Non, point du tout. Mais si cela ne se passait pas dans le Jura, on pourrait se croire dans un roman de Stephen King, référence totalement assumée de Raphaël Zamochnikoff. Alors, la rentrée littéraire se mettrait-elle à la littérature de genre ? Presque, si l'on en juge par ce titre tout à fait surprenant, mais presque seulement. Si l'atmosphère est là, La maison vénéneuse use de codes bien connus surtout pour instaurer une ambiance, ambiance dans laquelle le lecteur se laisse happer non sans déplaisir, quelque part entre émerveillement et frisson. Car pour le reste, aucune certitude : on glisse sur le fil de rasoir sans jamais basculer totalement dans le paranormal. Il n'y a que des doutes, des impressions, des questionnements, mais aussi des rituels et des croyances. Les monstres de l'imaginaire, ceux qu'on se figure en rêve ou que façonne notre subconscient ne seraient-il pas tout aussi effrayants qu'un croquemitaine véritable ? Peut-être même plus.
 
    Ce sont les interrogations qui apparaissent au fil de la lecture, sans qu'on parvienne à s'arracher au livre, et ce même après plusieurs heures en nocturne. A la fois parce qu'on se refuse à quitter Arty (sa sensibilité, son innocence en fin de course, mais aussi, paradoxalement, son étonnante clairvoyance sur le monde qui l'entoure), et aussi parce qu'on n'est pas tout à fait sûr de vouloir éteindre la lumière. Raphaël Zamochnikoff distille quelque chose d'unique et de rare, qui convoque à la fois notre plus vive nostalgie et une terreur sourde – contenue, peut-être embryonnaire, mais bien présente. Bref, nos vieilles terreurs enfantines.


    Sous sa plume, la reconstitution des années 80, époque à la fois si proche et si lointaine, fonctionne avec l'enchantement d'une madeleine de Proust. Elle fait affluer, par vagues, images d’Épinal et couleurs du passé : les cassettes audio, les VHS, les films "carré blanc" à la télévision. L'absence de technologie, l'omniprésence de VTT, de baignades dans la rivière et de cabanes dans les arbres complètent le tableau sans jamais tomber dans les clichés. Peut-être parce que l'auteur a fait appel à ses propres souvenirs, car il ne cache pas que de nombreux événements personnels sont venus alimenter cette fiction. La maison de l'histoire, c'est la maison dans laquelle il a grandi, loin de l'architecture gothique des maisons hantées de cinéma. Dessinée par son père, c'était l'habitation la plus ordinaire qui soit. Normale, en résumé. Mais le propos de Raphaël Zamochnikoff, justement, c'est que la normalité peut se faire le creuset de l'étrange, voire de la terreur. Un bruit, le sentiment de ne pas être seul, et cette ombre, là, qu'on croit voir dans le coin de l’œil, mais qui a disparu dès qu'on tourne la tête. Le soulagement de voir le jour se lever, enfin.
 

    La maison, dans ce roman, devient finalement l'incarnation de tout ce à quoi Arty doit faire face pour grandir. Elle se fait métaphore des changements qu'il ne peut fuir, des secrets de famille qu'il lui faudra percer (eux aussi étaient là, tapis dans cette zone grise qu'on n’aperçoit que du coin de l’œil mais qui se dérobe quant on la poursuit), et des nombreux deuils qu'il faudra traverser. Alors, de l'angoisse, la lecture de La maison vénéneuse nous fait aussi passer par l'émotion.
 
 
En bref : Réinventant le thème de la maison vivante à travers le roman d'une famille tout ce qu'il y a de plus ordinaire dans la France rurale des années 80, Raphaël Zamochnikoff convoque avec un surprenant pouvoir d'évocation les images d'une époque révolue et pourtant pas si lointaine. Roman initiatique où la peur des fantômes fait écho à la fin de l'enfance, truffé de références, de clins d’œil, et d'hommages cinématographiques, La maison vénéneuse cultive à la fois l'angoisse, la nostalgie, et l'émotion. Le Jura n'aura jamais autant ressemblé au Maine...  
 

 
 
 
Et pour aller plus loin...
 
 
Si vous avez ce lire, alors vous aimerez Si tu vois le Wendigo : roman initiatique sur la fin de l'enfance dans une ambiance à la Stephen King. 
 
 

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