dimanche 29 janvier 2012

Le blanc va aux sorcières - Helen Oyeyemi

White is fo
r witching, Picador, 2009 - Galaade éditions (trad. de G.Villeneuve), 2011.

  C’est une mystérieuse maison d’hôtes, sur les falaises, près de Douvres. Une maison vivante, magique, plus grande qu’on ne le croit, avec ses fenêtres comme de drôles d’yeux carrés, fatigués, son ascenseur déglingué, ses corridors, son escalier qui aboutit toujours dans la cuisine au clair de lune. Avec malignité, elle déploie ses charmes pour chasser ses habitants : Luc, le père et maître de maison depuis la disparition en Haïti de son épouse, la belle Lily Silver, plus précieuse que l’or ; la Grand Anna à la chevelure très blanche qui dévalait en masse sur ses épaules ; Sade, l’étrange gouvernante, gardienne des voix du passé ; la teinte invariable des yeux gris de Miranda qui entretient un lien si fragile avec la réalité et son jumeau Eliot ; enfin la belle et sensuelle Ore qui fait éclore le désir.
   Entre modernité et héritage classique, dans les pas des sœurs Brontë, d’Henri James ou d’Edgar Poe, Helen Oyeyemi, jeune auteur prodige, récompensée par le prix Somerset Maugham, nous offre avec Le blanc va aux sorcières un conte gothique et hypnotique, à la Tim Burton, et renouvelle le récit de la maison hantée, inscrivant les frissons qu’il provoque au cœur même de notre époque. 


« Acclamée dans le monde entier, la jeune Helen Oyeyemi réinvente la maison hantée. On dirait un décor d’Edgar Poe, où passerait une Jane Eyre filmée par Hitchcock, avec des scènes aussi sensuelles et troubles que dans un roman de Forster, toutes ces références s’harmonisant dans une langue d’une beauté littéraire à couper le souffle, absolument moderne, réinventant le genre gothique… Une révélation littéraire comme on en rêve et un livre d’une sublime étrangeté. »
 Valérie Marin la Meslée, LE POINT.

***

    Un titre mystérieux pour une intrigue qui ne l'est pas moins : encensé par la critique à sa publication en version originale, ce livre n'est pas le dernier-né de la littérature de fantasy pour la jeunesse qui fait fureur chez le libraires. Le Blanc va aux Sorcières, c'est une intrigue familiale qui s'affranchit des codes de l'écriture et du carcan des genres, un pari risqué mais pour un résultat saisissant...


« Le blanc va aux sorcières, une couleur à porter de manière à ce que toutes les autres couleurs puissent vous pénétrer, que vous puissiez les utiliser. »

Couvertures des éditions en VO.
 
"J'ai lu que la folie est présente quand tout ce qu'on voit et qu'on entend prend une signification équivalente."
 
    Dans une étrange maisons d'hôtes non loin des falaises de Douvres, Miranda et Eliott, jumeaux âgés de 16 ans, viennent de perdre leur mère, la belle Lily Silver. Les voilà donc de retour aux côtés de leur père, Luc, dans cette demeure étrange dont on se demande par ailleurs s'il sont les seuls à l'habiter. Miranda, fragile et volubile, souffre d'une maladie alimentaire rare, le pica, qui la pousse à manger de la craie. Si elle se livre à cette addiction mortelle en cachette, elle n'en dissimule rien à son jumeau qui, derrière son apparente solidité, craint la fêlure qui les guette tous. Car à l'intérieur de cette vieille villa, les porte-bonheurs des domestiques n'y font rien : les pommes d'hiver que jettent les arbres du verger, l’ascenseur dont certaines fillettes ne sont jamais ressorties, les chausses-trappes et autres porte-dérobées, comme animées d'une vie propre, gangrènent ses occupants. L'on pourrait croire que tout s'arrange lorsque Miranda quitte la maison pour suivre ses études à Cambridge... mais il n'en est rien.

 
 "Je suis là, à lire avec vous. Je lis cela par-dessus votre épaule. Je fais de votre maison un chez soi, je suis le braille de votre papier peint, lisible par vos seuls doigts - je vous dis où vous êtes. Ne vous retournez pas pour me regarder. Je ne suis tangible que lorsque vous ne regardez pas."
 
    Étrange livre, qui nous happe telle une lame de fond, sans possibilité de retour ou de salut. Helen Oyeyemi, jeune anglaise d'origine nigérienne, nous sert ici une histoire bluffante de style et de désordre. Impossible en effet de ne pas être violemment frappé par l'écriture, qui s'affranchit de toute construction apparente mais qui reste en réalité entièrement maîtrisée. Les points de vue changent constamment et les ellipses surgissent sans crier gare, de même que les flash-back surviennent par surprise dans le cours normal du récit. C'est une écriture toute en fulgurances qui nous malmène et nous déstabilise jusqu'au paroxysme ultime lorsque la maison elle-même, animée d'intentions ambivalentes, se fait narratrice


    La dimension fantastique est d'autant plus effrayante qu'elle est supposée, suggérée mais jamais véritablement nommée. Elle se laisse deviner dans l'atmosphère lourde et malsaine, la mesure du temps fiévreuse et les retournements de situation inquiétants, ainsi que par les thèmes explorés par la romancière, sujets à susciter le malaise (la fusion gémellaire, la tension incestuelle ou encore les troubles alimentaires de Miranda...).

 
    Vertigineux dans le fond comme dans la forme, le livre d'H.Oyeyemi joue de son approche très concrète des éléments étranges, parfois surnaturels, qui se glissent dans le récit. Nauséeux, flottant entre deux eaux, le lecteur ne sait plus très bien dans quel univers il s'est égaré. C'est dans cet interstice du bizarre que tout le talent de l'autrice explose, elle qui nous mène par le bout du nez et nous fait sombrer dans la même folie douce et latente que ses personnage. Dès lors, l'inspiration gothique mais surtout l'influence baroque - au sens premier du terme - deviennent évidentes.


En bref : Un conte noir et hypnotique, à l'écriture aussi pertinente et dérangeante que son histoire est glaçante. Un chef d’œuvre du gothique contemporain, électrique, que l'on referme dans un état second.

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