Fin des années 50, États-Unis. David vit avec ses parents dans une
résidence de standing où chaque famille semble mener une vie parfaite.
Un soir d’été, en rentrant chez lui, il s’immobilise, frappé de
stupeur : sa voisine Ruth marche nue sur la route, hagarde, la bouche en
sang. Une apparition presque irréelle. Ruth est-elle somnambule comme
le prétend son mari ? Et d’où viennent les visions prémonitoires de la
petite Nelly ? L’épaisse forêt qui jouxte la résidence pourrait détenir
quelques réponses.
Peut-on sauver les gens contre leur gré ? Un roman fantastique envoûtant...
***
Écrivain prolifique, Christophe Lambert (à ne pas confondre avec l'acteur du même nom) s'est essayé à tous les genres mais reste principalement connu pour ses ouvrages fantastiques ou de science-fiction, en particulier ceux dédiés à la jeunesse. Récompensé par de nombreux prix, on compte parmi ses livres les plus célèbres sa saga L'agence Pendergast, que tout le monde a certainement aperçue en librairie à défaut d'avoir lu son auteur. C'est un peu notre cas d'ailleurs : souvent croisé au détour des rayons, Christophe Lambert n'avait jamais rejoint notre bibliothèque jusqu'à ce qu'on tombe totalement par hasard sur ce titre plus qu'alléchant...
"Je me trouvais quelque part entre deux âges, dans ce no man's land
étrange, une zone frontière floue où tout est encore possible."
Au carrefour de plusieurs genres, Si tu vois le Wendigo est probablement l'une des plus belles surprises de cette années 2021. A la fois récit original et hommage, ce livre classé en jeunesse ne devrait pas déplaire au lectorat adulte : inspiré par la littérature de genre américaine, ce roman, comme les meilleurs titres de littérature jeunesse anglo-saxonne, présente une aura intergénérationnelle qui le rend intéressant pour toutes les tranches d'âge. A ce titre, bien que la narration soit faite par le jeune David, les nombreux clins d’œil et autres références qui parsèment Si tu vois le Wendigo se réclament davantage d'une culture littéraire et cinématographique adulte. La toute première qui transparait est une inspiration toute lynchienne du sujet et de son traitement : une petite ville américaine où les protagonistes semblent vivre en vase clos, des personnalités très marquées dont certaines particulièrement atypiques, et ce relent d'inquiétude, ces éléments vaguement étranges qui semblent suppurer progressivement du quotidien presque trop propret qui s'égraine d'un jour à l'autre. D'ailleurs, le roman s'ouvre sur une citation extraite de Twin Peaks, célébrissime série de David Lynch : "Quand on y regarde de près, tout le monde a l'air décalé". Le ton est donné.
L'hommage à David Lynch ne se limite pas à ces quelques codes : l'auteur va jusqu'à s'inspirer d'un événement vécu par le réalisateur et qui avait par ailleurs profondément marqué son œuvre. En effet, la scène sur laquelle s'ouvre le roman (relatée dans le résumé de quatrième de couverture) est directement calquée sur un souvenir de jeunesse du cinéaste : la rencontre, un beau jour de son adolescence, avec une femme nue, la bouche ensanglantée, complètement hagarde au milieu de la rue. Ajoutons à cela que le personnage principal de Christophe Lambert s'appelle David, et il y a tout à parier qu'il ne s'agit pas du tout de coïncidences...
Ruth ?
Au fil de la lecture, on apprend que David, une fois adulte, est devenu un auteur reconnu, qualifié par la critique de "nouveau Stephen King". C'est là la seconde référence d'importance, dans le fond comme dans la forme : les années 1950, des gamins à l'aube de leur adolescence qui passent leur dernier été d'insouciance sur leur vélo, et... l'incursion du fantastique, d'une terreur froide soudaine mais toujours justement dosée. Cet aspect, ici personnifié à travers cette entité qu'est le Wendigo (une créature cannibale issue du folklore nord-américain) est en effet utilisé avec parcimonie : le monstre fait quelques apparitions, son pouvoir se ressent sur les personnages, mais le doute quant à son existence réelle persiste. Et surtout, cette utilisation parfaitement mesurée du paranormal sert avant tout de prétexte hautement ingénieux pour mieux mettre en relief (comme souvent chez Stephen King également, d'ailleurs) la réalité psycho-sociale d'une époque ou d'un certain milieu.
"Le mois de juillet s'est dévidé comme une bobine. D'abord lentement, puis de plus en plus vite à mesure que la saison estivale passait. C'est toujours comme ça, les grandes vacances. Au début, les journées semblent s'étirer, interminables, pareilles à de la guimauve fondue au-dessus d'un feu de camp. Puis l'alternance des levers et des couchers de soleil s'accélère jusqu'à atteindre une vitesse de croisière frénétique. Il y a ce point de non-retour, début août, quand on prend conscience qu'on est parvenu au sommet de la montagne, et que, maintenant, il ne nous reste plus qu'à descendre le versant opposé. On ressent un peu la même chose vers quarante ans, vous verrez..."
En totale fusion avec le cadre spatio-temporel de son intrigue, Christophe Lambert nous immerge entièrement dans l'atmosphère des Trente Glorieuses américaines : son écriture, parfaitement évocatrice, restitue mieux qu'un roman social (et sans tomber dans l'écueil de l'image d’Épinal) un quartier de standing des fifties à la veille des grands changements humains, économiques et sociaux que l'Histoire connut ensuite. Les allers et retours de la narration dans le temps permettent d'aborder tour à tour la mort à venir de Kennedy, la fin d'un certain âge d'or, ou encore les bouleversements intimes des personnages. Ces derniers ne sont jamais évoqués gratuitement, au contraire : on comprend, lorsque l'auteur fait un aparté pour s'y attarder, qu'il densifie par-là la psychologie de ses protagonistes.
Dans le même ordre d'idée, les allusions faîtes à la vie du quartier et les brèves incursions dans les tranches de vie de ceux qui y résident ne sont jamais superfétatoires. Elles permettent de mettre brillamment en exergue la rouille qui perce sous le formica des tables du Diner, les ombres qui se terrent derrière les fenêtres des villas pourtant si joliment fleuries, bref, tout ce qui se cache derrière le vernis bien trop lisse de ces vies de papier glacé...
"En ce temps-là, les papas étaient des hommes solides, que rien
n'ébranlait. Ils étaient le symbole d'un monde sûr, l'image même du
pragmatisme, du bon sens yankee. Les mamans, elles, se devaient
d'incarner la parfaite maîtresse de maison, enjouée et efficace. Les
papas étaient des ours maladroits dans la cuisine et les mamans ne
conduisaient pas très bien (elles avaient du mal, avec les créneaux),
mais l'un et l'autre s'aimaient et ne doutaient jamais d'avoir fait le
bon choix (le divorce n'existait pas, bien sûr). Tout ce petit monde
croyait dur comme fer aux valeurs américaines."
En bref : Roman coup de cœur, Si tu vois le Wendigo est un brillant hommage à David Lynch et à Stephen King ; Christophe Lambert s'approprie leurs codes pour signer un roman au croisement des genres et des inspirations qui nous immerge avec réalisme dans l'Amérique des Trente Glorieuses. Mais le tour de force de ce livre est l'utilisation qui est faite des éléments fantastiques, dosés juste ce qu'il faut pour mettre en relief la réalité sociale d'une certaine époque et d'un certain milieu, faire craquer le vernis des apparences et évoquer avec force la fin de l'enfance et le passage à l'âge adulte. Surprenant et brillant, Si tu vois le Wendigo plaira certainement à un plus large public que le seul lectorat jeunesse auquel il s'adresse en premier lieu.
Oh ça a l'air formidable !
RépondreSupprimerJe pense que je vais encore suivre ton avis et qu'il s'agira de ma prochaine lecture ^^ .
Jamais déçue par tes conseils =D
Ravi de faire de bonnes recommandations ! J'ai vraiment adoré ce roman ; l'auteur a su distiller une ambiance américaine comme si on y était !
SupprimerLa référence à "Twin Peaks" a fini de me convaincre... ! :-) Bonne semaine, Pedro !
RépondreSupprimerBonjour amie Fondant,
SupprimerJ'espère que tu auras l'occasion de le lire, ce roman est formidable ! Belle semaine à toi, j'espère que la reprise se passe bien malgré le peu de demi-journées de libres...(je suis passé sur ton blog hier mais je n'ai encorepas eu le temps de laisser un commentaire ;-) )