Pages

samedi 30 mars 2024

The Shadow Cabinet (Shades of London / Hantée #3) - Maureen Johnson.

 G.P. Putnam's Sons, 2015 - Hot Key Books, 2015.





    La vie de Rory, dix-sept ans, telle qu'elle la connaissait est terminée. Le cœur brisé, bouleversée, et plus solitaire que jamais, elle ignore comment elle parviendra à se relever pour continuer à vivre comme avant. Mais une force terrible est en train de se réveiller sous Londres et seule Rory est en mesure de l'arrêter...




***



    Il y a environ douze ans, on découvrait le premier tome de la saga Hantée de Maureen Johnson : l'histoire d'une adolescente capable de voir les esprits après avoir elle-même survécu à la mort. Devenue l'objet d'un enjeu mortel quand survenait une série de crimes copiant ceux de Jack l'éventreur dans le Whitechapel d'aujourd'hui, la jeune fille rejoignait un groupe d'individus au pouvoir similaire, chargés de faire disparaître les âmes errantes qui hantent encore la ville. Le second tome, sorti un an plus tard, avait ouvert un nouvel axe dramatique extrêmement prometteur, mais avait aussi laissé les lecteurs sur un terrible cliffhanger. Alors que l'éditeur français avait annoncé la publication du troisième opus en 2015 et que même les visuels avaient été dévoilés, Le cabinet des ténèbres n'était finalement jamais paru dans l'Hexagone. Après plus de dix ans à patienter, n'y tenant plus, nous avons finalement lu le dernier opus en version originale.
 

    Alors que Stephen vient de perdre la vie après l'accident au cours duquel il a sauvé Rory de ses kidnappeurs, la jeune fille, persuadée que son âme erre quelque part, convainc la Brigade des Ombres de partir à sa recherche. Pendant que Boo et Callum explorent les lieux auxquels leur ami était affectivement attaché en espérant y trouver son fantôme, l'adolescente, toujours officiellement portée disparue, est contrainte de se cacher dans l'une des demeures de Thorpe, le N+1 de la brigade. Incapable de rester à ne rien faire, elle fouille les dossiers de Stephen à la recherche d'une piste pour le ramener à la vie. Pendant ce temps, Jane Quaint retient toujours Charlotte prisonnière quelque part dans une maison aux abords de Londres. En enquêtant sur son passé pour mieux comprendre ses intentions, la brigade en apprend davantage sur Sid et Sadie, des jumeaux qui régnaient sur le Londres occulte des années 70 entre rites païens, drogue et Rock'n'roll...
 

    C'est avec un plaisir redoublé par l'attente que nous avons retrouvé l'univers imaginé par Maureen Johnson. L'intrigue de ce troisième opus reprend là où s'était terminé le tome 2, dans la chambre d'hôpital où Stephen vient de rendre son dernier souffle. Le lecteur, le cœur aussi déchiré que les protagonistes qui pleurent la mort de leur ami, embrasse pleinement leur quête de retrouver quelque part le spectre du jeune homme, que l'autrice a réussi à rendre furieusement attachant en dépit de sa froideur et de sa discrétion. Partant de là, The Shadow Cabinet aurait pu n'être que la recherche d'un fantôme et, on l’espérait tous secrètement, la découverte d'une solution pour inverser le cours des choses. Fort heureusement, Maureen Johnson nous offre bien plus que ça...
 

    Entremêlant les intrigues et invitant de nouveaux personnages, elle explore tout à la fois la personnalité de Stephen, le passé de Jane et, surtout, les mystères que Londres cache depuis plusieurs décennies (siècles?) dans ses entrailles et qui expliquent qu'autant d'âmes hantent les rues. Plusieurs éléments du premier tome face auxquels on était alors resté quelque peu perplexe trouvent ici leur explication, comme autant de fils amenés à se dérouler jusqu'au troisième opus pour y dévoiler tous les secrets de la saga. Pour cela, l'autrice s'appuie sur des faits réels liés à l'Histoire de Londres, de sa monarchie à sa construction en passant par l'existence supposée d'un cabinet fantôme chargé d'une bien curieuse mission.
 

    On découvre ainsi l'origine des Terminus, ces diamants nécessaires à la brigade pour détruire les âmes errantes, mais aussi de façon plus générale le rôle des pierres (précieuses ou non) dans la mythologie pensée par Maureen Johnson. L'écrivaine puise dans l'origine des joyaux de la couronne et l'histoire de la Pierre d'Oswald – monolithe aujourd'hui mystérieusement disparu qui aurait donné son nom à l'ancienne subdivision londonienne d'Ossuslstone (lieu des exécutions publiques jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, donc particulièrement hanté) – les anecdotes historiques qu'elle se réapproprie et qu'elle romance de manière très pertinente au profit de son scénario.
 

    L'autrice, que l'on sent plus encore que dans les deux précédents opus amoureuse de ses décors, nous emmène d'un lieu à l'autre du Londres ancien et moderne. Des allées hantées du cimetière de Highgate aux tunnels du métro en passant par l’iconique Marble Arch, on se perd avec délice dans cette cité de pierre et de fer au charme aussi magique qu'effrayant. Outre ce qui semble être une véritable déclaration d'amour à la capitale britannique, Maureen Johnson offre à ses lecteurs des scènes d'anthologie qui marqueront longtemps les amoureux de Rory et de la Brigade des Ombres. Parmi celles-ci, plusieurs chapitres dans des sortes de limbes, monde intermédiaire entre les vivants et les morts qui ressemble à s'y méprendre à un Londres désert à géographie variable.
 

    Fidèlement aux événements tragiques survenus à la fin de Un monde souterrain, The Shadow Cabinet est plus sombre que les deux opus précédents. Rory amène toujours la touche d'humour caractéristique de son personnage, mais la légèreté est ici plus diluée, les événements apportant une gravité et une mélancolie qui confèrent une intensité nouvelle à la saga. La psychologie des personnages évolue de concert et on est fasciné autant qu'on frissonne face à Sid et Saddie, nouveaux antagonistes rescapés des excessives seventies. Le final nous laisse cependant dans l'expectative. La saga est-elle vraiment terminée ? Le dénouement, ouvert, tend à suggérer une suite qui se fait désespérément attendre, l'autrice ayant parlé d'un quatrième opus pour la dernière fois sur les réseaux en 2018... On referme en tout cas ce livre à regret, attaché plus encore (si c'est possible) aux personnages et à l'univers dans sa globalité...
 

En bref : Troisième opus de la saga Hantée resté malheureusement inédit en France, The Shadow Cabinet finit d'élargir la mythologie instaurée depuis le premier opus. De nombreux éléments trouvent ici leur explication et montrent que Maureen Johnson avait pensé la logique de son cycle depuis le début. L'autrice utilise à très bon escient l'Histoire de Londres pour étayer son univers, un univers qu'on quitte à regret une fois la lecture terminée.
 
 

 
 
Et pour aller plus loin...

dimanche 24 mars 2024

Encyclopédie visuelle Jane Austen - Gwen Giret & Claire Saim.

Hachette Heroes, 2023.

    Modeste demoiselle de la gentry de campagne, comme nombre de ses héroïnes, Jane Austen aurait pu faire de sa vie le thème d’un de ses romans. Pour comprendre les origines de son inspiration et de son talent, partez d’abord à la découverte de son milieu, de sa famille, de ses proches, de cette Angleterre si chère à son coeur, en particulier le sud du pays, qu’elle n’a quasiment jamais quitté. Explorez ensuite son œuvre, qui se compose de six romans achevés, deux autres à peine esquissés, quelques lettres ou encore des écrits de jeunesse. Voilà tout ce qui reste de sa plume si pétillante. Cependant, son style unique, son ironie mordante, ses personnages iconiques, ses histoires intemporelles ont contribué au fil du temps à l’élever au rang de la plus célèbre romancière britannique. De l’écrit à l’écran, des adaptations aux secrets et lieux de tournage, ce livre vous invite également à une fascinante découverte de son héritage. Comment devenir un.e authentique janéite ? Rien de plus simple !
    Laissez-vous guider à travers des récits de voyages, des carnets de route et des festivals, des bonnes adresses pour marcher sur les traces de Jane Austen, s’habiller en style Régence ou tout simplement déguster un délicieux tea time !
 
***
 
    Qui ne connait pas Jane Austen ? L'autrice à la fois la plus populaire, mais aussi la plus secrète de la littérature anglaise, objet d'un culte célébré aujourd'hui de par le monde, n'est plus seulement une icône de la littérature. Elle est aussi une star de la pop culture. En effet, outre les nombreuses adaptations cinématographiques et télévisées, Jane Austen a vu son œuvre réinventée et réécrite à toutes les sauces : avec des zombies ou contre des loups-garous, transposée à l'époque moderne ou objet de voyages temporels, complétées de suites ou de préquels, racontée par ses protagonistes masculins ou, même, par les invisibles domestiques. Tout le monde a entendu parler ne serait-ce qu'une fois de Mr Darcy et nombreux sont ceux qui ont en tête l'image d'une chemise mouillée à l'évocation de son patronyme. Mais de là à dire que tout le monde a lu tout Jane Austen et sait qui se cache réellement derrière la délicate silhouette de profil reproduite sur les couvertures des multiples rééditions, rien n'est moins sûr. Celle qui a aujourd'hui un festival officiel à son nom et rassemble de nombreux clubs d'aficionados à l'international est loin d'avoir livré tous ses secrets. Gwen Giret, créatrice du blog Jane Austen and her world et Claire Saim, autrice de la page Jane Austen lost in France et rédactrice pour Onirik.net proposent ici un travail de fond sur la célèbre romancière, son époque, son œuvre et son héritage.

Claire Saim (à gauche) & Gwen Giret (à droite).

    Travail de fond, oui, il est important de le préciser : l'éditeur, Hachette Heroes, étant plutôt versé dans les franchises Disney et Marvel, on pourrait croire que cette encyclopédie, la première consacrée à l'auguste autrice, n'est qu'un ouvrage vulgarisé réservé aux seuls néophytes. Erreur. En plus de son caractère inédit, cette Encyclopédie visuelle Jane Austen a déjà conquis même les spécialistes et grands amoureux de l'écrivaine grâce au traitement quasi universitaire de son sujet. Préfacé par ni plus ni moins que Lizzie Dunford, directrice de la Maison de Jane Austen à Chawton, ce livre s'ouvre sur une brève introduction qui, en quelques chiffres, témoigne du rayonnement de la femme de lettres à l'international. Pour autant, les questions persistent : qui est vraiment Jane Austen et comment expliquer les raisons de son succès ? Ces interrogations servent de transition, de seuil que les autrices invitent les lectrices et lecteurs à passer pour un voyage dans le temps de près de 300 pages grand format, abondamment illustrées.
 

    La biographie de Jane Austen et des éléments historiques propres à sa famille occupent une première partie extrêmement bien documentée. Les deux autrices vont bien au-delà de la page wikipédia consacrée à l’iconique romancière et soumettent ici les résultats d'une recherche dense et approfondie de sa généalogie, laquelle permet de situer la jeune fille de bonne famille avant la femme de lettres dans un contexte culturel précis qui, on le verra au fil de la lecture, a profondément influencé son écriture et les thématiques de ses romans. Technique et précis sans jamais être fastidieux, ce premier chapitre nous a fortement évoqué le passionnant travail de Cathy Bernheim pour son Mary Shelley, au-delà de Frankenstein
 

    Après avoir exposé ses lectures, inspirations et son cheminement vers la publication (un sujet à lui seul si l'on considère la difficulté pour les femmes, pendant des siècles, d'être éditées), l'encyclopédie se poursuit sur une analyse didactique de chaque roman ou texte (y compris les Juvenilia et les correspondances) de Jane Austen. Là encore, Gwen Giret et Claire Saim vont beaucoup plus loin que le résumé standard que l'on peut trouver sans difficulté sur internet. Chaque ouvrage est minutieusement décortiqué : date d'écriture, date de publication, retouches et modifications intermédiaires éventuelles, synopsis, personnages, thématiques... L'aspect le plus passionnant de cette lecture au microscope est de servir de point de départ à l'exploration d'un sujet ou d'un aspect emblématique de l'époque Régence. Système de classes, relations sociales et mariage, question de l'esclavage et de la diversité, mode, voyages et villégiatures, médecine, codes de l'échange épistolaire, etc. Jane Austen étant une fine observatrice de son temps et des mœurs alors en vigueur, traiter chaque livre comme une porte ouverte sur la culture de son siècle est probablement une des idées les plus intelligentes de cet ouvrage.
 

    Chaque titre est évidemment sujet à aborder les multiples adaptations (cinématographiques, télévisées, radiophoniques), mais aussi les réécritures et détournements, qui pullulent littéralement dans les rayons des librairies. Outre les anecdotes sur les lieux de tournage ou la production de chaque transposition sur petit ou grand écran, ce travail de fourmi met encore un peu plus en lumière le rayonnement et le pouvoir d'attraction de Jane Austen, dont on découvre les relectures parfois inattendues (des plus célèbres avec des zombies aux moins connues racontées sous forme d’émojis, en passant par exemple par les réappropriations made in Bollywood).
 

    L'ultime partie de cette encyclopédie, consacrée à l'héritage de Jane Austen, s'affranchit des dimensions biographiques et analytiques pour se tourner davantage vers le guide. Pourquoi ? Parce que non contentes de nous parler du désormais célèbre Festival Jane Austen de Bath, Gwen Giret et Claire Saim partagent leurs secrets d'organisation pour que lecteurs et lectrices puissent préparer eux-même leur voyage.  Renseignements, réservations, hébergements, recommandations (notamment sur l'habillement, car ne vous pensiez tout de même pas participer au festival sans vous costumer, n'est-ce pas ?), tous les éléments de première nécessité vous sont donnés afin de vivre, vous aussi, le rêve de chaque Janéite.


    A ce fond particulièrement riche s'ajoute une forme tout aussi travaillée. Reliure traditionnelle, couverture cartonnée toilée et lettres dorées, l'Encyclopédie visuelle Jane Austen s'affiche avec style, dans une esthétique et une élégance qu'on a envie de qualifier de typiquement britanniques. A l'intérieur, les arabesques de fleurs à la William Morris et les tons pastels accompagnent une impressionnante banque d'images, le tout relevé des illustrations rafraîchissantes de Sophie Koechlin.
 

En bref : Un ouvrage qui fait date dans la vaste collection de livres sur Jane Austen. Première encyclopédie consacrée à l'autrice anglaise mais aussi première publication francophone du genre, cette encyclopédie visuelle est un tour d'horizon à la fois complet et fouillé de la célèbre écrivaine. Sa vie, son œuvre, mais aussi son héritage sont analysés avec la rigueur d'une étude universitaire, le tout étant aussi accessible et passionnant qu'un roman. Érudite sans jamais être barbante, l'Encyclopédie visuelle Jane Austen est aussi savoureuse qu'intelligente.
 
 
Un grand merci aux éditions Hachette pour cette lecture !
 

dimanche 10 mars 2024

Julia (saison 1) - une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child.

Julia

(Julia)

- saison 1 -
 
Une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child
 
Avec Sarah Lancashire, David Hyde Pierce, Bebe Neuwirth, Fran Kranz, Fiona Glascott, Brittany Bradford, Judith Light, Isabella Rossellini...
 
Date de diffusion originale : 31 mars 2022 sur HBO Max
Date de diffusion française : 22 juin 2023 sur Prime Video

    Mettant en vedette Sarah Lancashire et David Hyde Pierce, cette série s’inspire de la vie extraordinaire de Julia Child qui a connu le succès avec « The French Chef », une émission culinaire. À travers la vie de cette femme, la série explore une période charnière de l’histoire américaine.
 
***
 
    Si vous connaissez Julia Child, c'est très certainement que vous avez lu Julie & Julia ou vu le film éponyme adapté par Nora Ephron. C'est en effet à ce livre semi autobiographique de Julie Powel et à sa transposition sur grand écran en 2009 avec l'inégalable Meryl Streep que l'on sait aujourd'hui (du moins de ce côté-ci de l'Atlantique) qui est Julia Child. Née en 1912, cette Américaine est aux États-Unis une véritable star, icône du petit écran pour avoir lancé en 1962 une émission de télévision culinaire consacrée à la cuisine française. Plus qu'une "Maïté californienne", sa célébrité tient au caractère précurseur de son émission autant qu'au vent de révolution qu'elle a apporté dans les cuisines familiales (la cuisine américaine relevant alors davantage du fast food que de la gastronomie), sans oublier bien sûr son charisme des plus sympathiques et son humour très souvent involontaire. Si Julie & Julia était l'expérience d'une jeune femme du XXIème siècle permettant d'évoquer la figure de Julia Child et l'écriture de son premier livre de cuisine, Julia se veut un biopic consacré à la création de son émission et au retentissement populaire qui suivit.
 

    Lancé dès 2019, le projet de série sur Julia Child est d'abord envisagé avec l'actrice Joan Cusack (inoubliable Debby dans Les valeurs de la famille Adams) dans le rôle titre. La production, handicapée par l'épidémie de Covid-19, est mise en pause puis reprend après la crise sanitaire avec une équipe en partie renouvelée, cette fois avec la Britannique Sarah Lancashire (célèbre pour son personnage de Catherine Cawood dans Happy Valley) dans le rôle principal. Daniel Goldfarb, le créateur, n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il a également participé à La fabuleuse Mme Maisel (The marvelous Mrs Maisel), autre série à tendance biographique racontant l'avènement du stand up féminin dans le New York des années 50. Les deux séries sont par ailleurs souvent comparées et l'on ressent effectivement au visionnage un ADN similaire.
 

    Au casting, on retrouve aussi David Hyde Pierce (Frasier) dans le rôle de Paul Child, Bebe Neuwirth (inoubliable tante Nora de Jumanji) interprète la charismatique Avis de Voto, et l'Irlandaise Fiona Glascott (Minerva McGonagall dans Les animaux fantastiques) se glisse dans la peau d'Edith Jones, éditrice du premier livre de recettes de Julia (également à l'origine de la publication du Journal d'Anne Franck !). Parmi les guest stars, on croise plusieurs fois l'excellente Judith Light (Madame est servie) dans le rôle de l'éditrice en chef Blanche Knof et Isabella Rossellini (la seule, l'unique) dans celui de Simone Beck, grande camarade française de Julia et co-autrice de son premier ouvrage culinaire.
 

    Cette première saison de 8 épisodes s'emploie donc à raconter la vie de la célèbre cuisinière après la publication de son livre : retournée vivre aux États-Unis après de nombreux déplacements dus à l'activité de son époux et d'elle-même dans les services de renseignement américains, Julia envisage de rédiger un second ouvrage et en échange régulièrement par téléphone avec son amie Simone Beck. Lorsque la télévision convie Julia à une émission de littérature pour présenter son livre, elle arrive sur le plateau avec réchaud, poêle et œufs pour concocter une omelette parfaite en un temps record. Conquise par la prestation pleine de naturel de l'invitée et par les nombreux retours de téléspectatrices, Alice Naman, unique femme productrice de la chaîne, propose de lancer une émission éducative avec Julia Child en vedette. Les deux femmes auront cependant à composer avec le manque d'enthousiasme de Russ Morash, producteur impliqué de force dans l'émission, mais aussi avec les difficultés de financement du programme. Fort heureusement, Julia n'est jamais à cours d'idée...
 

    Toute la difficulté d'adapter le réel en série télévisée et non pas seulement en un film de 90 minutes, c'est de réussir à structurer une vie ou une tranche de vie en plusieurs épisodes qui auront chacun leur propre construction dramatique. Jouant d'une délicieuse mise en abime, le découpage de la série se calque (avec plus ou moins de latitude) sur celui de la première saison de The French Chef. Dès lors, l'exercice de style s'amuse dans le fond et dans la forme : chaque épisode a pour titre le plat cuisiné dans l'émission du jour et même la musique du générique reprend celle du programme original. Les scénarii, bien ficelés, témoignent d'une belle fidélité aux faits réels tels que retranscrits dans les diverses biographies, moyennant quelques ajouts et libertés afin de donner lieu à suffisamment de rebondissements pour rythmer les intrigues. La vie ayant souvent plus d'imagination que la fiction, certains événements n'ont pas nécessité d'être romancés.

 
    A ce titre, l'invitation de Julia dans l'émission I've been reading et l'omelette improvisée en direct sont des faits avérés : c'est bel et bien cette première apparition (remarquée) sur les écrans qui conduisit au lancement du programme The French Chef. En revanche, si Russ Morash est présenté au tout début de la série comme un antagoniste qui se laisse progressivement convaincre, il est en réalité le producteur qui a eu l'idée de l'émission et qui a véritablement porté le projet. Le personnage d'Alice Naman, en revanche, est entièrement fictionnel : l'ajout de cette jeune femme noire a été justifié par les créateurs comme une évocation des réels employés afro-américains qui travaillaient pour la chaîne dans les années 60 et afin d'aborder en diagonal le racisme ambiant (pour autant, il nous semble que le sujet de la xénophobie est davantage survolé que véritablement traité).
 

    Dans la série, Julia joue le tout pour le tout pour que l'émission voit le jour, quitte à la financer de sa poche. On ne trouve pas d'information qui permette de vérifier cet élément, mais en revanche, elle gagnait en effet (au départ, tout du moins) très peu d'argent de son propre show, devait acheter de ses propres deniers les ingrédients nécessaires aux recettes et nettoyer elle-même le plateau de tournage. C'était d'ailleurs Paul Child qui s'en chargeait, une des nombreuses preuves que la complicité du couple et la présence du cercle intime de Julia sur le plateau sont tout à fait véridiques : comme dans la série, ses meilleures amies participaient souvent aux enregistrements (cachées sous le plan de travail, d'où elles apportaient à la star une aide non négligeable) et son époux l'assistait en amont à l'écriture de chaque émission. L'entreprise à la fois familiale et amicale dépeinte à l'écran est donc certainement très proche de ce qu'elle était réellement, à l'image de la spontanéité rafraîchissante de Julia devant la caméra (elle n'hésitait pas à s'adresser aux membres de l'équipe de production pourtant situés hors-champ en plein tournage) et de ses nombreuses (mais toujours hilarantes) maladresses.


    Au croisement de la grande histoire du petit écran et des petites histoires des personnages qui interagissent  autour de Julia, la série met en scène le monde émergent de la télévision publique et celui de l'édition, tous deux face à leurs propres enjeux. Les thématiques se croisent et s'entrelacent, servant d'appui à des arcs narratifs là encore au croisement du réel et du fictionnel : l'éditrice Edith Jones tiraillée entre son désir de soutenir Julia dans sa démarche et les exigences de la maison Knopf, ou encore la question de ce qui est et de ce qui fait culture à l'époque (culture populaire ou culture des élites). Portée par de fantastiques figures féminines (Julia en tête, bien sûr, mais aussi la charismatique Avis de Voto et leurs connaissances du milieu éditorial), la série aborde intelligemment le féminisme. En effet, en imaginant un dialogue entre l'héroïne et Betty Friedan, activiste qui avait réellement critiqué Julia Child dans ses publications (elle l'accusait, sous couvert d'un féminisme de surface, de renvoyer les femmes à la cuisine), les scénaristes apportent un rebondissement supplémentaire, mais viennent aussi interroger les différentes façons d'être femme dans une société aux veilles de la révolution sexuelle.
 

    Le casting, impeccable, fait tout le sel de cette série et Sarah Lancashire livre une prestation absolument formidable qui évite l'écueil de la caricature tout en faisant oublier (aussi impossible que cela puisse paraître) Meryl Streep. Le travail sur la voix (l'accent de Julia Child étant connu pour être aussi unique que spécifique) et sur la gestuelle est un vrai tour de force et elle rend son personnage parfaitement crédible. Avec Sarah Lancashire, on ne rit jamais de Julia : on rit avec Julia. Enfin, n'oublions pas de mentionner la reconstitution des années 1960 : costumes, décors, accessoires... l'époque est restituée avec beaucoup d'authenticité et la cuisine de Julia a même été reconstruite au millimètre près pour les besoins de la série !
 

En bref : Cette série relève le difficile défi de faire oublier Meryl Streep dans le rôle de Julia Child : après l'interprétation de la célèbre actrice américaine dans Julie & Julia, la Britannique Sarah Lancashire se glisse dans la peau de l'iconique cuisinière avec talent. Drôle sans jamais être ridicule, elle parvient à éviter la caricature et à restituer sa personnalité haute en couleur. La première saison de Julia est un plat réconfortant cuisiné aux petits oignons, à savourer sans modération. Et bon appétit ! 

jeudi 7 mars 2024

Les spectres de Draven School - Eric Senabre.

Editions Didier Jeunesse, 2024.

    C'est Noël, mais pas pour tout le monde. Vidya, Tommy, Christabel et Algie sont punis par le directeur de Draven School, leur sinistre pensionnat. Leur mission est des plus désagréables : ils doivent nettoyer le bâtiment de fond en comble en une nuit, au risque de rester entre les murs pour les fêtes. Mais catastrophe : ils vont libérer par erreur... six spectres malveillants ! Et comme chacun avait su faire trembler l'Angleterre à sa manière de son vivant, leur échapper sera désormais une question de vie ou de mort...
 
Un inquiétant pensionnat anglais, quatre élèves privés de sortie, six spectres effrayants. Comment se libérer de ce cauchemar en une nuit ?
 
***
 
    Depuis quelques années, nous suivons avec grand intérêt les publications d'Eric Senabre ; bien qu'ayant vu passer nombre de ses livres en librairie par le passé, ce n'est qu'avec A la recherche de Mrs Wynter que nous avons enfin eu l'occasion de le lire (un livre hommage à Chapeau melon et bottes de cuir, on était bien obligé d'y mettre le nez). Après cela, difficile de résister à l'appel de La Semeuse d'Effroi (roman clin d’œil à Fantômette autant qu'à Belphégor) puis de ne pas provoquer la rencontre, puisque nous avons également interviewé par deux fois (ICI et ICI) cet auteur débordant d'imagination. Alors quand la possibilité de découvrir en avant-première son tout nouveau livre s'est présentée, autant dire qu'on s'est jeté sur l'occasion...
 

"Nous vîmes Mrs Albrecht, notre professeur de latin et de grec, jaillir d'un couloir dont les tapisseries – des scènes de chasse qui avaient l'air d'avoir été tissées par un alcoolique en pleine crise de delirium tremens, avec des sangliers qui ressemblaient à des rhinocéros et des renards aux yeux fous – m'avaient mis profondément mal à l'aise (à tel point que je l'évitais régulièrement)."
 
    Angleterre, veille de Noël. A Draven School, ancien manoir transformé en pensionnat, presque tout le monde s'apprête à rentrer en famille pour les fêtes. Ne resteront dans les locaux que le couple de gardiens, le principal et une enseignante. Ah, et le quatuor infernal composé de Vidya, Tommy, Christabel et Algie : les quatre inséparables amis, tout juste sanctionnés par le chef d'établissement pour l'ensemble de leurs œuvres. Bons élèves, ils n'en sont en effet pas moins – de l'avis de l'équipe pédagogique – d'irrécupérables âmes damnées. La raison ? Leur sens de l'humour mordant, dont le directeur et les professeurs sont souvent les victimes. Condamnés à nettoyer l'école de fond en comble en une nuit, les quatre collégiens décident de s'offrir une petite escapade dans les quartiers des enseignants, histoire d'y fureter en douce. Et pour ces amateurs de sensations fortes, quoi de mieux que la chambre restée inoccupée de ce professeur brutalement décédé quelques années plus tôt, dont on raconte qu'il pratiquait la magie noire ? Tout aurait pu s'arrêter à quatre murs et à du mobilier à l'abandon, mais ce serait sans compter la curiosité de la petite bande, qui a tôt fait de trouver une pièce secrète et de libérer par inadvertance les spectres de six personnalités historiques britanniques bien décidées à semer le chaos et à abattre la frontière entre les vivants et les morts. Récurer le pensionnat n'était peut-être pas ce qui pouvait leur arriver de pire, finalement...
 

"— Thatcher... Vous savez, j'étais toute petite, mais le jour où elle est morte, mes parents ont ouvert une bouteille de champagne (...). Elle avait la réputation d'être sans pitié, et surtout d'avoir fait réprimer très violemment les mouvements de grève. Ceux des mineurs, notamment.
— Quoi ? Des ados, tu veux dire ? s'étonna Christabel.
— Non, des gens qui bossaient à la mine, quoi ! De charbon !"
 
    Après nos deux précédentes lectures de cet auteur, on était extrêmement curieux de le voir à l'oeuvre dans un registre fantastico-horrifique. La couverture (qui n'est pas sans évoquer les visuels promotionnels de Stranger Things) donne le ton : des ados, un manoir et des fantômes. En résumé : de réjouissantes perspectives. On tombe très vite sous le charme de la narration, assurée par Algie, l'un des protagonistes de l'histoire. Le second degré du personnage et le ton avec lequel il s'adresse au lecteur le rend immédiatement très attachant, d'autant que le jeune garçon laisse volontairement dans l'ombre une part de lui-même qui attise la curiosité. A travers lui, on fait connaissance avec le reste de la bande : les personnalités sont bien dessinées et on se surprend à se rêver membre de ce petit groupe aussi drôle qu'intelligent, dont la complémentarité se révélera bien sûr une force dans la suite de l'intrigue.
 

    Le décor du pensionnat aménagé dans un ancien manoir familial sujet aux rumeurs morbides et aux légendes urbaines n'est pas forcément une grande nouveauté dans le genre, mais l'auteur l'utilise à bon escient. Ici comme dans ces précédents romans, les archétypes sont davantage propices à rendre des hommages qu'à nous servir du réchauffé. Aussi, on pense ici et là à quelques livres ou films lus / vus par le passé : la bâtisse labyrinthique aux demi-étages et couloirs incurvés nous rappelle The Hauting of Hill House (Maison hantée) de Shirley Jackson et le manoir/internat pris d'assaut par des revenants n'est pas non plus sans évoquer Down a dark hall (Blackwood, le pensionnat de nulle-part) de Lois Duncan. D'autres références ? Les spectres de Draven School nous a également fait penser à nos lectures d'enfance, la collection des Chair de poule en tête, et à certains films horrifico-familiaux de Disney comme Hocus Pocus ou Fantôme pour rire, où les codes du récit d'horreur sont rejoués à hauteur d'adolescent.


"Derrière ces portes, cinq fantômes – et peut-être un sixième – sèment le chaos. On a vu une de nos amies accrochée à une branche, et elle a disparu depuis. Le spectre de Margareth Thatcher balance des choses sur nos vies à travers des bustes en marbre. Mais nous, on va faire de la lemon curd. Je me demande si ce n'est pas le pire, au fond."
 
    Les spectres de Draven School aurait ainsi pu n'être qu'un simple succédané de ces différents titres, mais voilà : si le synopsis et les clins d’œil laissent à penser à quelque chose de très classique, l'auteur dynamise le tout. A l'anglaise, bien entendu. On l'avait vu avec A la recherche de Mrs Wynter : Eric Senabre est un anglophile pur jus (on ne serait pas surpris, en vérité, qu'il ait du sang anglais ou quelques Britanniques dans les branches de son arbre généalogique). Aussi, ce livre emprunte à la Perfide Albion ce qu'elle a de mieux : ses histoires de fantôme et son humour (un peu de sa cuisine, également ; on vous laisse découvrir par vous-même). On frissonne autant qu'on rit, le roman alternant des passages franchement terrifiants avec des rebondissements aussi barrés qu'aurait pu les écrire Lewis Carroll himself. Les différents spectres qui s'invitent dans cette aventure sont également l'occasion pour l'auteur d'opérer un mélange des genres assez fun : musique, littérature, politique... tous les registres y passent dans une sorte de réjouissant bazar au cours duquel nos personnages se lancent dans une course aux artefacts pour renvoyer les spectres d'où ils viennent avant le lever du jour.


"C'est rigolo, quand même. Certains ont des poux à l'école. Nous, on a des spectres. Faut avouer que c'est original."
 
En bref : Une nouvelle pépite d'Eric Senabre ! Au programme de ce roman, vous trouverez des ados et un pensionnat, auxquels on ajoute ce que l'Angleterre a de mieux : ses histoires de fantômes et son humour ; le tout est copieusement arrosé de sauce worcester (et de lemon curd). L'auteur nous promène entre frissons et rires dans une chasse aux revenants aux côtés d'une bande de collégiens auxquels on s'attache très vite. On adore !


 
 
 Avec un grand merci à NetGalley et aux éditions Didier Jeunesse pour cette lecture !
 

vendredi 1 mars 2024

Le meurtre de la momie (Une lady mène l'enquête #3) - Sara Rosett.

The Egyptian Antiquities Murder (High Society Lady Detective #3)
, McGuffin Ink (autoédition Amazon), 2019 - McGuffin Ink (autoédition Amazon) (trad. d'E.Velloit et Valentin translation), 2022.
 
    Nous sommes en octobre 1923 et Olive Belgrave a une nouvelle affaire. Sa cliente, Lady Agnes, ne croit pas aux malédictions. Elle engage Olive pour prouver que son oncle égyptologue n’a pas succombé à une momie maléfique. Olive mène l’enquête et découvre que la vérité est bien pire : c’est un meurtre. Pourra-t-elle prouver que la malédiction n’en est pas une et dévoiler le vrai coupable avant la prochaine victime ?
 
    Le Meurtre de la momie est le troisième tome d’Une lady mène l’enquête, une série policière historique qui se déroule dans l’Angleterre des années 1920. Si vous aimez les romans à la lecture légère qui vous renvoient à l’Âge d’or de la fiction policière, avec des personnages pleins d’esprit, des énigmes à élucider et des décors glamour, vous adorerez Sara Rosett, auteure de best-sellers au classement du USA Today, et sa série Une lady mène l’enquête. À découvrir maintenant ! 

***

    Après Meurtre au manoir d'Archly et Meurtre au château de Balckburn, nous poursuivons la série Une lady mène l'enquête. Pour rappel, cette série anglaise initialement autoéditée et traduite par Amazon s'est révélée être une excellente alternative à Son espionne royale et l'autrice Sara Rosett a même été encensée par la presse spécialisée. Si la traduction est la seule chose qu'on a pu reprocher à ces ouvrages (faîte par une IA, semble-t-il, et revue par une personne de chair et de sang, mais probablement aveugle si l'on en croit le résultat très critiquable), Une lady mène l'enquête est bien plus qu'un simple succédané et enchantera les lecteurs férus du genre.
 
    A la fin de l'opus de précédent, Olive Belgrave, jeune fille de la bonne société sans le sou qui a réussi à se faire une réputation de détective auprès de la petite noblesse, était appelée en urgence à Londres pour résoudre une sombre affaire d’antiquités égyptiennes. Au début du Meurtre de la momie, c'est donc en plein quartier de Belgravia qu'on retrouve notre héroïne, alors qu'elle s'apprête à sonner à la porte de la villa Mulvern pour répondre à la demande qui lui a été adressée. Les Mulvern sont connus de longue date pour leur passion de l’égyptologie et Lord Mulvern, qui avait notamment mené des fouilles dans la Vallée des Rois, vient subitement de décéder à quelques jours de l'exposition consacrée à la momie qu'il avait rapporté de sa dernière expédition. Pour la police, c'est un suicide ; pour la presse à scandale, il s'agit d'une malédiction. Pour Lady Agnes, nièce et pupille de Lord Mulvern, en revanche, c'est un meurtre et elle espère bien qu'Olive pourra le prouver. Mais qui aurait eu intérêt à assassiner le célèbre égyptologue ? L’insupportable Mr Rathburn, du British Museum, parce qu'il convoitait ses collections ? Gilbert, son neveu, et sa jeune épouse Nora, qui souhaitaient toucher l'héritage pour s'offrir un appartement en ville ? Le majordome qui a récemment pris sa retraite ? Ou encore Lady Agnes elle-même, qui engagerait une détective uniquement dans le but de brouiller les pistes ? A moins que la momie soit réellement en cause et qu'une malédiction plane également sur Olive...
 

    Si l'on parvient à faire l'impasse sur les défauts de traduction (ou à y survivre – non, on ne s'en remet toujours pas ; oui, on en parlera certainement à chaque nouveau tome), on passe un très bon moment en compagnie d'Olive qui, après ces deux précédentes affaires, commence à se faire une réputation comme enquêtrice quasi-professionnelle dans le milieu de la haute société. Pour ce troisième opus, Sara Rosett puise son inspiration dans l'égyptomanie très en vogue pendant les années 20, fascination née de la découverte de la tombe de Toutankhamon qui lança une véritable mode pendant les années qui suivirent. Mode qui n'épargna pas le roman policier, comme on a pu le voir chez Agatha Christie avec Mort sur le Nil, La mort n'est pas une fin, mais surtout L'affaire du tombeau égyptien. Ce dernier titre en particulier, première évocation littéraire de la légende de la "malédiction du pharaon", a également constitué une source d'inspiration majeure pour Sara Rosett.
 
Sir Wallis Budge, véritable Albert Rathburn.
 
    Le personnage de Lord Mulvern et son étrange décès ont été suggérés à l'autrice par la mort mystérieuse de Lord Westbury, qui avait sauté du septième étage après avoir laissé un mot d'adieu on ne peut plus énigmatique. Lorsqu'il avait été révélé qu'il faisait partie du cercle de connaissances d'Howard Carter, la presse avait rapidement expliqué sa disparition par la malédiction de la momie. Partant de ce point de départ particulièrement romanesque, Sara Rosett réunit autour de la victime plusieurs personnages des plus charismatiques, dont certains directement calqués sur des personnalités historiques associées au milieu de l'égyptologie des années 20 (entre autres, Sir Wallis Budge, qui travaillait pour le Britsh Museum, est devenu sous la plume de Sara Rosett l'insupportable Albert Rathburn). Puis l'autrice rassemble tout ce beau monde dans un hôtel particulier qu'elle a avoué directement inspiré de la Wallace Collection, pour l'architecture et la localisation. Le décor parfait pour un crime... qui l'est presque.
 
La Wallace Collection, inspiration pour la villa Mulvern.

    Ces éléments assurent les bases assez solides d'un whodunit qui se laisse lire avec plaisir. La galerie de personnages est suffisamment sujette aux suspicions pour que les doutes du lecteur n'épargne aucun suspect et Sara Rosett parvient comme elle l'a déjà fait dans ses précédents tomes à multiplier les intrigues afin que les (nombreuses) fausses pistes nous empêchent de trouver la clef de l'énigme. Peut-être est-ce là que se situe le seul hic de l'intrigue : pas sûr, en vérité, que le lecteur dispose de toutes les informations pour avoir une chance de résoudre l'affaire par lui-même avant que les indices les plus importants soient donnés, quelques pages avant l'éclair de génie de l'héroïne. La scène de révélation finale, en pleine ouverture de l'exposition de la momie au British Museum, reste cependant un grand moment de suspense (et d'action).

Poudrier-pistolet des années 20 : une extravagance qui sera bien utile à Olive dans la scène finale !

En bref : Une troisième enquête plutôt réussie pour Olive Belgrave, qui se frotte cette fois à l'égyptomanie ambiante des années 1920. Inspirée par la malédiction de Toutankhamon, l'autrice Sara Rosett imagine une intrigue tout à fait dans l'esprit de l'époque. Si la révélation finale reste peut-être un peu rapide, Le meurtre de la momie se lit avec plaisir.



 
Et pour aller plus loin...