dimanche 13 novembre 2022

Fantômette et Grand Guignol : entretien avec Eric Senabre...

(source : mollat.com)


    L'an dernier, Eric Senabre avait accepté de répondre à nos questions dans le cadre de la sortie de son roman A la recherche de Mrs Wynter. Après cette première interview et alors que vient de paraître son dernier livre La semeuse d'effroi, l'auteur a accepté de se prêter une nouvelle fois au jeu des questions/réponses. L'occasion de nous parler de ses inspirations mais aussi de ses futurs projets à paraître...
 
 
 
Pedro Pan Rabbit : Après Chapeau Melon et Bottes de Cuir dans A la recherche de Mrs Wynter, après Star Trek dans Star Trip, et après Godzilla dans Katsuro le Titan, la dédicace à Georges Chaulet au tout début de La semeuse d'effroi puis plusieurs éléments de l'intrigue nous renvoient évidemment au personnage de Fantômette, célèbre justicière masquée de littérature jeunesse créée dans les années 60. Eric Senabre serait-il un grand nostalgique ou serait-il resté bloqué quelque part dans le passé ?

Eric Senabre : Je suis un grand nostalgique mais je ne crois pas être passéiste. Je pense avoir la nostalgie des débuts et des premières fois, des choses qui m'ont initié à des sujets plus vastes, qui ont engendré des découvertes. Fantômette n'est pas le meilleur roman que j'ai lu de toute ma vie, mais c'est quelque chose qui a beaucoup compté pour moi, notamment dans le fait de devenir un bon lecteur, car ce sont les premiers livres que j'ai vraiment dévorés. Je suis donc nostalgique de mes années de fondation, mais ce n'est pas une nostalgie qui refuserait le présent. Au contraire, c'est peut-être l'idée que toutes les époques puissent cohabiter. En ce moment, je pense qu'on fait indirectement le procès d'une époque - les années 60 et 70 - parce qu'il y avait des choses qui pouvaient se faire, même être cool, à cette époque et qui ne se feraient plus aujourd'hui, et pour de bonnes raisons. Mais pour autant, elles ont existé et si parfois on ne peut que se réjouir de l'évolution de la société, ce n'est pas pour autant qu'il faut tourner le dos au passé.

PPR : Et puis de toute façon, on est obligé d'en avoir conscience, de s'y confronter et de faire avec cette matière-là si on se lance dans l'écriture d'un roman historique ou se déroulant dans un contexte historique précis, n'est-ce pas ?

ES : Oui, de toute façon !


Fantômette, mémorable justicière masquée de la bibliothèque verte, imaginée par Georges Chaulet.


PPR : Je vais revenir sur le personnage de Fantômette dont nous parlions à l'instant : de quelle manière a-t-elle inspiré ton roman et ton héroïne ?

ES : En fait, il me semble que ce sont deux choses différentes car je ne crois pas que Fantômette ait tant que ça influencé mon roman, si ce n'est pour l'idée de base qui est d'avoir une adolescente super-héroïne sans super-pouvoirs, en France. Je pense que ça s'arrête là. Ce que je trouve toujours génial dans Fantômette, c'est ce monde sans parent. Je suis très fan aussi des BD de Picsou, Donald et compagnie, où il y a des liens de parenté : oncles, tantes, cousins, etc, mais jamais de parents. Dans Fantômette, je trouvais incroyable qu'on n'était jamais confrontés aux parents. Il y avait des adultes, certes : la maîtresse d'école, Alpaga, Œil de Lynx, le Masque d'Argent... mais il n'y avait pas de parents et tout passait très bien, sans explicitations. On n'en parlait pas et on avait même l'impression qu'ils n'existaient pas. Je trouve ça à la fois culotté et assez génial, quand on y pense, car tout se tient et ça joue pour une grande part dans la singularité de cette série.

PPR : Fantômette n'a donc même pas influencé indirectement le tempérament de ton héroïne ? On leur retrouve le même esprit vif, le même humour, le même sens de la répartie...

ES : Peut-être, mais pas consciemment dans ce cas, car cela fait très longtemps que je n'ai pas lu de Fantômette. On peut aller plus loin : peut-être que Fantômette a modelé la façon que j'ai de percevoir un personnage principal féminin, puisqu'elle m'a donné le goût d'imaginer des romans avec des héroïnes. Fantômette a énormément compté dans ma vie de lecteur donc il est possible que je conçoive inconsciemment n'importe quelle héroïne comme une sorte d'héritière de Fantômette.
 
 
Inoubliable Belphégor.
 
 
PPR : Par rapport à tes autres influences, on pense évidemment à Belphégor mais aussi de façon plus générale au genre du roman feuilleton très rocambolesque qu'on pouvait lire dans les années 1800 et 1900. Est-ce que tu as un rapport particulier à ce type de littérature et était-ce une influence consciente ou non ?

ES : Tu as eu raison de penser aux romans feuilletons. Je pense que c'est une influence, mais je n'en ai pas lu tant que ça. Ce sont des choses que j'ai découvertes sur le tard et qui n'ont peut-être pas tant compté pour moi quand j'étais un jeune lecteur. Belphégor m'avait impressionné quand j'étais tout petit, mais ça m'a davantage donné un point de repère pour cerner plus facilement le pitch et l'univers de mon histoire que pour m'y référer au sens strict, même si avec le recul c'est vrai qu'il y a indéniablement des points communs.
 
 

 
PPR : L'univers du Grand Guignol s'est-il imposé dès le départ ou s'est-il invité progressivement dans ton intrigue ?

ES : Je crois que c'était mon point de départ, puis tout s'est construit autour... En fait, il y a eu deux choses en parallèle : ma fille est une grande fan du dessin-animé Miraculous, les aventures de Ladybug. J'ai fini par en regarder quelques uns et j'ai vraiment trouvé ça pas mal. Cela a fait germer l'idée d'écrire un livre de super-héro qu'elle pourrait lire plus tard. Au début, l'idée n'allait pas plus loin que ça. Plus tard, sans trop savoir pourquoi, je me suis mis à repenser au Grand Guignol, avec l'envie d'écrire dessus – c'était quand même à la fois mystérieux et romanesque, et ça pouvait se prêter à de la littérature jeunesse puisqu'on sait que les jeunes adorent se faire peur. Les deux idées se sont développées séparément avant de se rejoindre, mais avec beaucoup plus d'élaboration autour du milieu du Grand Guignol que de l'héroïne.

PPR : On imagine les recherches minutieuses en amont : quand tu redonnes vie au Grand Guignol, même si tu précises que tu t'es permis quelques libertés dans la programmation de l'année 1926, tu es quand même allé cherché une pièce qui a été véritablement à l'affiche du théâtre. Tu la remets en scène dans le cadre de ton intrigue, et on assiste à des extraits à travers les yeux de ton héroïne. On se dit que tu as dû retrouver le texte de cette pièce et le lire pour aller aussi loin dans l'écriture. Comment as-tu recréé cet univers ?

ES : Toutes les pièces du Grand Guignol ne sont pas accessibles mais il y en a plusieurs qui le sont. Il y avait eu aux éditions Robert Laffont un bouquin qui en recensait pas mal, et il y avait eu chez Fleuve Noir un volume intégral de ce qu'avait écrit André de Lorde (un des auteurs majeurs du Grand Guignol). Donc c'était finalement assez facile d'avoir accès aux pièces. Ce qui l'était moins, c'était les informations sur le fameux Ratineau, le maître des effets-spéciaux. On a des choses, mais très peu : par exemple, je ne suis pas sûr d'avoir trouvé sa photo au cours de mes recherches, donc je ne suis pas du tout certain que mes descriptions du personnage soient fiables. De façon générale, on n'a pas beaucoup de photos du Grand Guignol à l'époque où je le mets en scène. Si on lance une recherche d'images sur le net, on trouve essentiellement des clichés publiés par le magazine américain Life, et ce sont majoritairement des archives photographiques des années 1950. A la fin du roman, je remercie un bouquiniste, qui tient une petite librairie à Bécherel, en Bretagne, et auprès de qui j'ai trouvé énormément d'informations, notamment des programmes d'époque du Grand Guignol.

 
PPR : Un autre détail historique dont tu parles dans ton roman, c'est l'antisémitisme : déjà présent dans les années 1920 et qui prenait de plus en plus d'ampleur. Est-ce un élément que tu souhaitais aborder dès le début de l'écriture? Ou s'est-il greffé à ton histoire à cause de l'époque que tu exploitais, et tu y as alors vu un levier intéressant pour ton intrigue ?

ES : Oui, j'y ai vu un levier scénaristique pertinent. Évidemment, on pense à l'affaire Dreyfus et j'ai pensé que ce pouvait être intéressant d'en parler. Ma mère était juive : je n'ai jamais été personnellement confronté à l'antisémitisme mais j'ai été marqué par l'histoire familiale. Mes parents étaient des pieds-noirs d'Algérie donc ils n'ont pas eu à porter l'étoile jaune, mais ma mère a été exclue de l'école parce qu'elle était juive et son père qui, tenait un café, a dû fermer son établissement. En plus de cet héritage familial, je pense qu'on est à une époque où il faut être très vigilant quant aux racines quelles qu'elles soient, d'où mon envie d'aborder ce sujet dans le roman. Mon éditeur a d'ailleurs soutenu cette démarche alors que j'ai pu hésiter par moment d'en parler dans une intrigue de littérature jeunesse, de peur que ce soit de trop.

PPR : La fin du roman est ouverte, peut-on espérer un second tome ? C'est tout de même très fortement suggéré...

ES : Oui, c'est très suggéré. En tout cas, je serais très partant pour en écrire un deuxième, ce qui n'est pas toujours le cas. Je ne suis pas un grand fan des suites, mais j'aurais bien aimé que ce soit une saga, un cycle : je pense que le personnage a suffisamment de potentiel. Cela dit, il faut faire attention : oui, le personnage a du potentiel, mais il y a ce gimmick qui est de faire peur en utilisant des tours et des astuces théâtrales qui peut marcher une fois, voire deux fois, mais il faut aussi se renouveler pour ne pas tomber dans la redite. S'il y avait des suites, il faudrait que le personnage évolue, mais j'aimerais explorer ça.
 
 

 
PPR : Et à part une éventuelle suite à La semeuse d'effroi, on imagine que tu as d'autres projets sur le feu ?

ES : Oui, je suis en train de finir un petit roman qui se passe au Japon. L'histoire parle de nourriture – une autre de mes passions – ça s'appelle Sushi crush, c'est une comédie romantique donc je pense que ce sera drôle. Je devrais le terminer très prochainement et ensuite, j'attaquerai un nouveau projet : une histoire de pensionnat anglais et de fantômes...
 
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    Nous remercions vivement Eric Senabre d'avoir de nouveau accepté de répondre à nos questions et de s'être ainsi livré sur les sources d'inspiration et les idées à l'origine de La semeuse d'effroi. Peut-être aurons-nous l'occasion de réitérer l'expérience si une suite voit le jour, qui sait ?



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