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mercredi 31 octobre 2018

Happy Ghostly Halloween from the Rabbit Hole!


  Vous commencez à me connaître : au Terrier, Halloween a une valeur égale à Noël! Après un Halloween chez les dames Owens pour le challenge spécial sorcellerie 2017, le challenge fantomatique 2018 est l'occasion de vous faire visiter mon manoir hanté éphémère! Welcome, foolish mortals!


  Ce manoir a quelque chose de Hill House : comme dans le film de Robert Wise adapté en 1963 du roman de S.Jackson, la tapisserie à motifs gothiques semble laisser deviner des visages... images subliminales ou trompes l’œil? 



  Pour savoir si c'est votre esprit qui vous joue des tours ou... celui de quelqu'un d'autre, munissons-nous du matériel disponible pour vérifier l'éventuelle présence d'une âme bannie ou d'un quelconque poltergeist... La planche Oui-ja sera votre alliée, que dis-je LA méthode à employer. Mais pour éviter tout problème, n'oubliez pas les règles de politesse : saluez bien les spectres en début et fin de séance pour éviter tout désagrément. Ou possession. Le spiritisme est une affaire sérieuse...


  Oups, il semble que quelqu'un se manifeste... êtes-vous sûr de bien avoir dit au revoir aux esprits?


  Il est bien connu que les appareils photographiques sont capables de capturer sur la pellicule les âmes vagabondes... Tentez l'expérience si vous êtes persuadés de la présence de quelques êtres invisibles à l’œil nu... Attention, le petit oiseau va sortir...



BOUH!
 
 
  Il semble que nous soyons en présence d'un véritable ectoplasme! Fossile d'un fantôme qui hantait le tableau, ou mauvaise farce d'un faux spirite? 
 
  Quoi qu'il en soit, nous espérons que ce décor ne vous effraie pas, et que vous accepterez de poursuivre le challenge et ses prolongations en notre compagnie. Ah, et bien sûr, nous vous souhaitons ...
 
Un joyeux Halloween!
***


lundi 29 octobre 2018

Le fantôme et Mrs Muir - R.A.Dick

The ghost and Mrs Muir,  Ziff-Davis Publishing, 1945 - Madame Muir et le fantôme, éditions Diderot (trad. de M. le Houbie), 1946 - Le fantôme et Mrs Muir, éditions 10/18 (trad. de L.R.Dauven), 1995 - Editions Libretto, 2016.



  Au début des années 1900, en Angleterre, une jeune et belle veuve, Lucy Muir, décide de louer un cottage dans la station balnéaire de Whitecliff où elle s’installe avec fils, sa fille et sa fidèle servante, Martha, afin d’échapper à sa belle-famille.



  Dès le premier soir, elle surprend l’apparition du fantôme de l’ancien propriétaire, un capitaine de marine du nom de Daniel Gregg. Se noue alors entre eux une relation d’abord amicale, à peine troublée par quelques bouderies…


***

  Les plus cinéphiles connaîtront certainement le film L'aventure de Madame Muir (The ghost and Mrs Muir), classique américain de romance fantastique de  1947 avec Gene Tierney et Rex Harrison. On sait moins que ce grand succès de cinéma est à la base un roman irlandais ayant rencontré en librairie la même réussite et très populaire en Grande-Bretagne.


  Angleterre, début du XXème siècle : la petite et charmante Mrs Muir, tout juste veuve, y voit l'occasion de s'affranchir du joug de sa belle-famille, à qui elle n'avait jamais osé dire non depuis son mariage. Désireuse de s'éloigner d'elle et en même temps du tumulte de la ville, elle loue une petite villa en bord de mer, et ce bien que l'agent immobilier essaie par tous les moyens de l'en dissuader. La raison? La maison serait hantée! Mais Lucy Muir n'a pas affronté pendant des année la présence de ses envahissantes belles-sœurs et de son insupportable belle-mère pour se laisser intimider par un spectre! Refusant de céder et d'abandonner sa nouvelle autonomie, la jeune femme tient bon face aux premières manifestations du fantôme, bien décidé à mettre en panne la gazinière de la maison. Elle ira jusqu'à le provoquer directement, amenant l'esprit à lui répondre. La discussion est animée mais le spectre de la villa, le capitaine Gregg (l'ancien propriétaire des lieux, un marin au caractère bien trempé) reconnait que ce petit bout de femme a du cran, quand bien même il ne tolère pas les choix décoratifs de la nouvelle locataire. Peut-être un consensus est-il possible? Mrs Muir et le capitaine Gregg, malgré des tempéraments opposés, décident de cohabiter. Entre disputes, réconciliations, et conseils, le fantôme vient même à la rescousse financière de sa locataire en lui dictant ses mémoires en vue d'en faire un best-seller...



  Pas de brumes effrayantes ni d'apparitions terrifiantes dans ce roman de fantômes. Pas forcément une parodie non plus même si le ton léger évoque un pastiche (comme c'est le cas dans La troisième personne d'Henry James), Le fantôme et Mrs Muir n'est effectivement pas un exercice de style cherchant à s'amuser des codes traditionnels du gothique. Le propos se situe davantage dans la relation entre l'héroïne et le fantôme, la naissance de leur amitié amoureuse en dépit du caractère improbable de la situation. D'ailleurs, à y réfléchir, cette romance entre un être de chair et un esprit parait d'avant-garde pour les années 40 : on a là une intrigue propre au XXIème siècle et aux bibliographies de Levy ou Musso plutôt qu'à l'époque dans laquelle elle a été écrite.



  C'est certainement ce qui fait le charme de cette histoire intemporelle : entre éléments délicieusement désuets et choix d'écriture audacieux, Le fantôme et Mrs Muir se démarque clairement de la littérature de l'époque sans jamais s'enfermer dans une catégorie. Ni roman franchement fantastique mais jamais non plus simple romance, cette histoire au succès populaire met en scène des personnages très attachants, alternant entre passages hilarants (les disputes de vieux couple de Mrs Muir et du capitaine, ses manifestations effrayantes pour faire fuir ceux qui en veulent à Lucy, notamment sa belle-sœur ...) et moments d'émotion (les discours pleins de sollicitude du capitaine lorsqu'il vient en aide à Mrs Muir, ou encore la fin du roman).

La villa dans le film de 1947.

  Derrière le nom de plume de R.A.Dick se cache Josephine Leslie, écrivaine britannique dont ce roman est le premier et seul à avoir été traduit en français. Le pseudonyme non genré et la publication tardive de son premier écrit tendent à indiquer la difficulté pour cette femme de faire paraître son livre dans un univers majoritairement masculin. Peut-être même peut-on voir dans les passages où Mrs Muir se bat avec l'industrie éditoriale un clin d’œil à l'expérience de l'auteure, voire un axe totalement autobiographique. De façon plus générale, Mrs Muir incarne d'ailleurs toutes les difficultés que rencontre une veuve seule dans un monde patriarcal au cours de la première moitié du XXème siècle, faisant du roman un subtile portrait de femme. Nul doute que le succès rencontré par l'adaptation cinématographique, encore aujourd'hui considérée comme véritable bijou du Septième Art, a aidé Josephine Leslie a asseoir sa crédibilité en tant qu'auteure (c'est d'ailleurs à partir de là, et surtout après la seconde adaptation à l'écran sous forme d'une série télévisée pendant les années 60 que le roman sera vendu sous son nom véritable).


 En bref : Un roman absolument délicieux, à la fois drôle et émouvant, porté par des personnages très attachants. Un livre plein de charme à redécouvrir.

   

dimanche 28 octobre 2018

Gourmandise littéraire : Curry de crevettes au menu de Manderley.



  Le roman Rebecca de Daphné du Maurier a encore de savoureuses surprises en réserve : Après l'Angel Cake du buffet de Manderley, nous vous proposons de vous asseoir de nouveau à la table du célèbre manoir de la famille de Winter pour déguster quelques mets inconditionnels de ses cuisines.

  Lorsque la jeune narratrice du roman de D.du Maurier, gauche et inexpérimentée, épouse de riche veuf Maxime de Winter et l'accompagne dans sa demeure familiale, elle ignore que l'ombre de sa défunte épouse, Rebecca, serait aussi présente. Surtout lorsque sa mémoire est ainsi entretenue par l'ambiguë Mrs Danvers, gouvernante du manoir vouée corps et âme à feu la première Mrs de Winter. La nouvelle femme de Maxime, intimidée par les nouvelles charges qui pèsent sur sa condition, peine à endosser le rôle de maîtresse de maison. Un malaise perceptible lorsque, se cherchant une contenance en visitant la maison pour se l'approprier, le téléphone du bureau sonne et l'interlocuteur demande Mrs de Winter...

" - Vous devez vous tromper, fis-je, Mrs de Winter est morte depuis plus d'un an.
  J'étais assise là, regardant stupidement le téléphone, et ce n'est que lorsque le nom eut été répété une fois encore d'une voix incrédule et légèrement plus haute que je me rendis compte avec un flot de sang aux joues que j'avais fait une horrible gaffe.
- C'est Mrs Danvers, madame, dit la voix. Je vous parle par le téléphone intérieur. (...) Je voulais seulement vous demander si vous aviez besoin de moi et si vous approuviez les menus de la journée... Ils sont sur le sous-mains, à côté de vous.
  Je cherchai fébrilement autour de moi sur le bureau et finis par trouver une feuille de papier que je n'avais pas vue tout d'abord. Je la parcourus hâtivement : crevette au curry, rôti de veau, asperges, mousse au chocolat. Était-ce le déjeuner ou le dîner? "

Rebecca, Daphné du Maurier, Le livre de poche, 2015.


  Si les crevettes au curry semblent un plat bien peu anglais, disons qu'il l'est par adoption. En effet, la cuisine anglaise est réputée pour avoir absorbé les traditions culinaires des pays voisins ou de ses colonies. C'est particulièrement le cas pour l'Inde, dont la perfide Albion a tiré le meilleur pour créer la cuisine anglo-indienne qui fait fureur en Grande-Bretagne depuis le XIXème siècle. Dès l'ère victorienne, les cuisines anglaises découvrent les épices acheminées par l'importation, et les restaurants d'inspiration indienne, les "Curry Houses", pullulent à chaque coin de rue. Les crevettes au curry de Manderley sont très certainement héritées de ces mariages culinaires...


Ingrédients (pour 4 personnes):

- 20 grosses crevettes décortiquées
- 1 oignon rouge
- 1 échalotte
- 1 gousse d'ail
- 1 grosse carotte (ou deux moyennes)
- Quelques brins de coriandre ou de persil plat
- 20 cl de lait de coco
- 1/2 citron vert (jus et zeste)
- curry en poudre
- sel, poivre, huile

A vos tabliers!

- Faire revenir dans l'huile l'oignon, l'échalotte et l'ail finement émincés. Pendant ce temps, découper en très petits batonnets la carotte préalablement épluchée.
- Ajouter les carottes dans l'huile avec une cuillère à café de curry. Laisser dorer quelques minutes à feu moyen en remuant.
- Ajouter les crevettes, laisser cuire toujours en remuant quelques minutes. Verser le lait de coco, le jus et le zeste de citron vert, puis ajouter une seconde cuillère à café de curry, saupoudrer de sel et de poivre. Remuer puis poursuivre la cuisson d'environ 10 minutes en laissant mijoter.
- Servir chaud parsemé de coriandre fraîche.

Rebecca revisité par la photographe Annie Leibovitz.

  A déguster en entrée de dîner anglais ou en plat principal accompagné de riz basmati. Garanti sans gouvernante diabolique...


vendredi 26 octobre 2018

La troisième personne - Henry James.


The Third Person, 1900 - Editions Mare Nostrum (trad. d'E.Clavaud), 1992.




  Un écrivain qui s'éclipse vers l'au-delà pour en revenir apaisé ; un revenant qui cherche l'apaisement auprès de vieille demoiselles... C'est le monde à l'envers dans l'univers jamesien de 1900, du moins le temps de deux nouvelles.
  On est loin ici du registre dit "classique" de James. Décidément, l'au-delà n'est plus ce qu'il était.




***

  D'Henry James, on connait bien évidemment la célèbre nouvelle Le tour d'écrou, l’archétype même de l'histoire de fantôme gothique, publiée en 1898 et encensée depuis par de nombreux auteurs, de Joan Lindsay (Pique-Nique à Hanging Rock) à Susan Hill (La dame en noir). On connait peut-être moins ses autres contes fantomatiques mais tous restent néanmoins plus connus que cette nouvelle publiée en 1900. Et pour cause, La troisième personne (ou La tierce personne, dans l'ouvrage intégral Les œuvres complètes) fut très peu diffusée en France, quoi qu'elle eut droit à une adaptation remarquée à la télévision hexagonale en 2006 sous le titre Le pendu (chronique ICI), avec un casting trois étoiles...

 Le Pendu, téléfilm de Claire Devers, 2006.

  Angleterre, année 1900. Dans la paisible ville côtière de Marr, deux vieilles ladies liées par le sang mais qui ne se connaissaient pas jusqu'alors sont amenées à se rencontrer : une tante qu'elle avaient en commun vient de décéder, leur léguant son gigantesque manoir. Le testament est formel : si elles ne désirent pas y vivre, la maison doit être vendue à leur bénéfice commun. Mais voilà, l'une comme l'autre veut y rester quelques temps afin de juger de son éventuel avenir en ses murs. Bon gré, mal gré, Amy et Susan, en dépit de caractères opposés, s'installent dans l'ancestrale bâtisse, bien décidées (quoi que secrètement) à en découdre. Puis, un soir, voilà que Susan hurle. Elle assure avoir vu un homme dans sa chambre, habillé à l'ancienne et la tête monstrueusement penchée sur le côté. Un fantôme? c'est certain! Entre peur et excitation, les deux cousines se trouvent un objectif commun : découvrir l'identité du spectre! Pour cela, on retourne la bibliothèque à la recherche d'archives secrètes ou de documents codés, mais on ne trouve qu'un parchemin écrit en gothique. Le vicaire, qui rend occasionnellement visite aux deux vieilles filles, se propose de le retranscrire et met à jour une sombre histoire de trafic : un de leurs ancêtres, Cuthbert Frush, aurait été pendu pour contrebande. Pendu? C'est certainement lui, le fantôme, et voilà pourquoi sa nuque est si outrageusement tordue! Mais maintenant que son identité est mise à jour, que faire? D'autant que Cuthbert devient de plus en plus envahissant et ne cesse d'apparaître aux deux cousines... même si c'est parfois pour leur plus grand plaisir...



" Elles demeuraient l'une comme l'autre agréablement conscientes de ce sol personnel qui n'était pas dépourvu de ruines fragmentaires et qu'elles pourraient fouiller."

  Nous parlions du Tour d'écrou un peu plus haut : oubliez-le. Avec La troisième personne, Henry James donne à voir un tout autre genre d'histoires de fantôme dans lequel on l'ignorait exceller autant que dans la terreur : le pastiche. Car cette nouvelle (on aurait pu dire novella si le terme avait existé, car elle tient peut-être davantage d'un roman court) est loin de faire appel à l'horreur ou à l'angoisse. On peut le sentir dans les premières lignes, dès lors qu'il dresse le portrait de ses deux protagonistes, ces deux vieilles filles de natures contraires aux parcours aussi différents que le sont leurs passions, sur un ton à la légèreté appuyée. Le contraste entre les deux cousines dont on suit bien vite le quotidien "domestique" suffit à faire sourire et, que ce soit Susan - l'aînée, grande voyageuse un peu vieille école et dessinatrice - ou Amy - de dix ans sa cadette, plus glamour, plus mondaine, mais néanmoins auteure d'un petit roman -, toutes deux se jaugent en silence, l'une se refusant de céder un poil de terrain ou de quitter le manoir avant l'autre.


"Quoi qu'il en soit, elles étaient encore ici en présence de leurs ancêtres communs, dont, plus que jamais, elles considéraient le meilleur et seulement le meilleur comme allant de soi. D'ailleurs, le meilleur - c'est à dire le meilleur de la petite ville de Marr, mélancolique, ordinaire, déshéritée - n'était-il pas installé dans chaque fauteuil rigide de l'ancienne et respectable demeure et piqué dans l'ouvrage de chaque courtepointe bizarre et désuète?"

  Ce pourrait presque devenir une sympathique satire familiale si un fantôme ne faisait pas irruption entre les deux. Un fantôme, vraiment? Ou les affabulations de deux vieilles dames un peu trop romanesques qui s'ennuient? Car en fait, on ne voit jamais l'esprit à l’œuvre, on n'assiste à aucune de ses apparitions, et celles-là nous sont toujours rapportées indirectement par l'une ou l'autre des deux cousines qui viendrait de l'apercevoir. La trame fantastique et l'existence de ce spectre ne tiennent donc dès lors qu'au crédit qu'on accorde au discours des personnages et à leur confiance mutuelle...

" Si ce n'est que vous et moi ne doutions pas l'une de l'autre, il n'y aurait pas de créature"

  Car c'est dans ce personnage en creux, cette vraie/fausse présence qui va jusqu'à donner son nom à la nouvelle que se construit toute l’ambiguïté de l'histoire. D'autant que, loin de les effrayer totalement, le fantôme supposé de Cuthbert Frush est bientôt très apprécié des deux vieilles célibataires : enfin un homme à la maison! Elles en viendraient presque, dans le secret, à rechercher chacune sa présence et à s'en venter à l'autre, se trouvant à se crêper le chignon pour un homme ...qui n'existe peut-être pas, ou du moins est mort depuis belle lurette.

La petite ville de Rye, vers 1900.

  Henry James pousse le pastiche jusque dans le style même de son histoire, qu'honore la traduction d'Evelyne Clavaud : préciosité appuyée à l'extrême, phrase ponctuées et enchevêtrées à l'excès, vocabulaire abusivement soutenu... La plume du dix-neuvième siècle chère à la romance sociale est ici parodiée avec délice et malice, ajoutant encore un peu plus à l'écart entre le propos, les événements racontés, et les réactions des personnages, qui fait toute l'originalité de cette nouvelle.

 Lamb House

  N'oublions pas de parler de décor : la petite ville de Marr, largement décrite dans la nouvelle, participe par son ambiance minutieusement restituée à faire de ce conte une vraie histoire d'atmosphère. Pour l'anecdote, il ne s'agit ni plus ni moins que de la véritable ville côtière de Rye, où vécut l'auteur et dont il s'inspira pour La troisième personne. De là à supposer que la maison du XVIIIème siècle qu'il occupait alors, Lamb House, a quant à elle servi de modèle au manoir des deux cousines, il n'y a qu'un pas...

 Les rues de Rye...

En bref : Un pastiche de l'histoire de fantôme dans le fond comme dans la forme. Léger, drôle et inattendu, La troisième personne est probablement l'écrit le plus décalé d'Henry James. Personnages hauts en couleurs et atmosphère malicieuse, une nouvelle à redécouvrir.


Et pour aller plus loin...

dimanche 21 octobre 2018

Gourmandise littéraire : Tea Time chez les Blackwood.


  Après avoir présenté le grand classique de Shirley Jackson La maison hantée la semaine dernière, retour dans la bibliographie de l'auteure avec son autre grand chef-d’œuvre : Nous avons toujours vécu au château. Dans ce thriller psychologique et horrifique, la jeune Merricat Blackwood et sa sœur aînée Constance vivent toutes les deux dans le vaste manoir familial depuis le drame qui a emporté toute leur famille quelques années plus tôt : un dessert sucré à l'arsenic. Vivant recluses dans la vaste bâtisse qui tombe en décrépitude, elles doivent essuyer les commentaires acerbes du voisinage et les légendes urbaines qui se racontent désormais à leur sujet... 

  Vivant dans un univers de fables et de superstitions, Merricat voit d'un très mauvais œil les paroissiennes qui, animées pour moitié de sollicitude et pour moitié de curiosité malsaine, viennent toquer à la porte des Blackwood et s'invitent pour le thé... qu'elles ne prennent jamais sucré, de peur de succomber à une dose d'arsenic. Autant de dire que la cadette des Blackwood adore jouer sur cette corde sensible pour les effrayer...


  Aussi, autour du thé brulant, la table du goûter des Blackwood est-elle toujours garnie de pâtisseries maison que se gardent bien de manger les invités. Après la coupe de fruits empoisonnée présentée il y a deux ans, voici aujourd'hui deux recettes des cuisines du manoir : les babas au rhum (en version aromatisée au sirop d'érable) et les biscuits aux épices.


Spice Cookies / Biscuits aux épices :


" Le matin, Constance avait décidé de faire pour le dîner des biscuits aux épices ; un vrai gâchis, parce que si l'un d'entre nous avait su ce qui allait se passer, nous aurions pu lui dire : " Ne te donne pas tant de mal, ce jeudi sera le dernier jour." Cependant, même Oncle Julian ne se doutait de rien ; au réveil, il se sentait mieux que le jour précédent, et vers la fin de la matinée Constance l'amena dans la cuisine qu'emplissait la bonne odeur des biscuits aux épices."

Nous avons toujours vécu au château, S.Jackson, éditions Rivages/Noir.

Ingrédients (pour 4/5 personnes environ):

-220g de farine
-1 c-à-c de bicarbonate de sodium
-1 c-à-c de gingembre en poudre
-2 c-à-c de cannelle en poudre
-1 c-à-c de muscade en poudre
-1 pincée de sel
-1 œuf
-100g de beurre à température ambiante
-3 c-à-s de mélasse (en magasin bio)
-100g de sucre roux complet ou sucre muscovado + pour enrober les biscuits

A vos tabliers!

- Dans un récipient, mélanger la farine, le bicarbonate, le sel, et les épices. Mettre de côté puis, dans le bol d'un robot pâtissier, mélanger à la feuille à vitesse moyenne le beurre et le sucre jusqu'à obtenir une pâte homogène. Ajouter l’œuf, battre de nouveau, puis ajouter la mélasse en raclant régulièrement les bords pour qu'elle s’imprègne bien au mélange.
- A vitesse lente, ajouter ensuite cuillère après cuillère le premier mélange d'ingrédients secs puis continuer de battre jusqu'à l'obtention d'un mélange homogène.
- Garnir votre ou vos plaque(s) de cuisson de papier sulfurisé. Remplir un bol à moitié de sucre muscovado ou complet puis, à l'aide d'une cuillère à glace ou de deux cuillères à soupe, former des boules de pâte de la taille d'une grosse noix avant de les rouler délicatement dans le sucre et de les déposer sur le papier sulfurisé en les espaçant.
- Enfourner pour 13 minutes environ dans un four préchauffé à 180° puis laisser tiédir sur la plaque avant de les déplacer sur une grille pour les faire refroidir. Ces biscuits se conservent très bien quelques jours dans une boîte hermétique.

Rum Cake / Baba au rhum et à l'érable :



" Je revins vers Constance, pris le plateau de babas au rhum et allais le présenter à Mrs Wright, ce qui n'étais pas gentil non plus car j'aurais dû lui offrir les sandwiches en premier, mais je voulais la contrarier, elle qui portait du noir dans le salon de notre mère. "Ma sœur les a confectionnés ce matin, dis-je.
- Merci", fit-elle. Sa main hésita au-dessus du plateau, puis elle en prit un et le posa délicatement sur le bord de la soucoupe. Je trouvais Mrs Wright d'une politesse excessive confinant à l'hystérie, et je l'encourageai : "Prenez-en donc deux. Tout ce que prépare ma sœur est délicieux.
- Non, dit-elle. Oh, non. Merci." "

Nous avons toujours vécu au château, S.Jackson, éditions Rivages/Noir.
 
Ingrédients (pour un baba pour environ 10 personnes ou une douzaine de petits babas) :

Pour la pâte à baba :
-2 œufs
-50g de beurre mou
-150g de farine
-1 c-à-c de levure de boulanger instantanée
-60 ml de lait tiède
-15 ml de sirop d'érable
-1 c-à-c de sucre
-1 pincée de sel 

Pour le sirop:
-50 cl d'eau
-30 cl de sirop d'érable
-15 cl de rhum
-100g de sucre blanc
-2 sachets de thé ou de tisane à l'érable

A vos tabliers!

- Dans un bol, mélanger le lait tiède, la cuillère de sucre, et la levure. Laisser reposer ce levain cinq minutes dans une pièce chaude.
- Dans un second récipient, mélanger la farine et le sel puis, en mélangeant avec une spatule, incorporer le levain, les œufs préalablement battus, et le sirop d'érable. Battre énergiquement à la main ou au robot pâtissier pendant quelques minutes puis ajouter le beurre en plusieurs fois tout en remuant jusqu'à obtenir une pâte homogène.
- Graisser le ou les moules puis y verser la pâte en l'aplanissant avec une spatule humide si besoin. Couvrir puis laisser reposer dans une pièce chaude pendant 60 à 90 minutes : la pâte doit tripler de volume.
- Enfourner dans un four préchauffé à 200° pendant 15 minutes (pour des petits babas) ou 25 à 35 minutes (pour un grand).
- Pour préparer le sirop, porter à ébullition l'eau puis couper le feu. Y faire infuser le thé ou la tisane à l'érable pendant 3 minutes. Retirer les sachets.
- Porter de nouveau à ébullition le liquide, mais cette fois après y avoir ajouté les autres ingrédients (sucre, sirop d'érable, rhum). Laisser frémir à feu doux à moyen jusqu'à ce que le sucre soit totalement dissout.
- Démouler le ou les babas encore chaud(s). Les tremper dans de sirop pour les imbiber (dans le cas de babas individuels) ou déposer le baba unique sur une grille, le piquer à plusieurs endroits au couteau, puis l'arroser de sirop progressivement jusqu'à ce qu'il en soit gorgé. Servir chaud.

***


  Deux douceurs à déguster tout en sirotant un bon thé autour de la cheminée... et en racontant des histoires à faire peur à vos invités...



jeudi 11 octobre 2018

La Maison Hantée - Shirley Jackson.

The Haunting of Hill House, Viking, 1959 - Maison hantée (trad. de M.Mols), Librairie des Champs-Elysées - Hantise, Pocket, 1999 - La Maison Hantée (trad. revue par F.Duvigneau), Rivages.

  Construite par un riche industriel au XIXe siècle, Hill House est une monstruosité architecturale, labyrinthique et ténébreuse, qui n'est plus habitée par ses propriétaires. On la dit hantée. Fasciné par les phénomènes paranormaux, le docteur Montague veut mener une enquête et sélectionne des sujets susceptibles de réagir au surnaturel. C'est ainsi qu'Eleanor arrive à Hill House avec ses compagnons. L'expérience peut commencer, mais derrière les murs biscornus, les fantômes de la maison veillent et les cauchemars se profilent...
   Née il y a exactement cent ans, Shirley Jackson est considérée comme la reine du roman gothique moderne. On lui doit également le formidable "Nous avons toujours vécu au château", publié en Rivages/Noir.


«Les histoires de Shirley Jackson sont parmi les plus terrifiantes qu'on ait jamais écrites.» (Donna Tartt)

***

  Le challenge Halloween rend aujourd'hui hommage à une grande auteure, qui a su illustrer son talent autant dans la littérature classique que dans la littérature d'horreur : Shirley Jackson. Après son glaçant Nous avons toujours vécu au château présenté il y a deux ans, attardons-nous aujourd'hui sur son autre chef-d’œuvre : La Maison hantée. Écrit en 1959, il fut adapté une première fois à l'écran sous le titre La Maison du Diable dans les années 60, puis une seconde fois en 1999 sous le titre Hantise. A la veille de la diffusion sur Netflix de la mini-série The Haunting of Hill House, qui marquera la troisième transposition du livre à l'écran, La Maison hantée est donc plus que jamais the book to read.

 La maison du diable, 1963.

  Hill House est une vaste demeure à l'architecture aussi complexe et vertigineuse qu'un trompe-l’œil, construite dans les collines par un riche industriel du nom de Hugh Crain à la fin du XIXème siècle. L'histoire de cette maison et la fin tragique de ses occupants ont donné à l'endroit une sinistre réputation, dont celle d'être hanté... d'ailleurs, tous ses propriétaires successifs ne l'ont-ils pas quitté à la suite d'événements inexpliqués? Les derniers en date se sont empressés de la mettre en location avant de fuir pour Paris... Mais voilà qu'un scientifique, le Dr Montague, propose de leur louer dans le cadre d'une expérience de parapsychologie : son but est de prouver l'existence de phénomènes paranormaux en invitant à résider à Hill House des personnes dotées de prédispositions occultes et étudier les événements qui se produiront alors. Le rejoignent alors sous le toit de Hill House l'extravagante Théodora, artiste new-yorkaise libérée et indépendante, la fragile Eleonore, qui après des années de maltraitance par une mère démente espère trouver dans cette aventure une forme de liberté, et Luke Sanderson, neveu des actuels propriétaires que ces derniers imposent au Dr Montague comme gage du sérieux de son entreprise. Tour à tour, les occupants temporaires seront accueillis par les domestiques qui s'occupent du manoir : un vieux couple froid et distant qui ne sera présent qu'aux heures de journée pour toujours quitter Hill House avant la nuit. Une fois les portes de l'imposante demeure refermées derrière les trois invités, l'expérience commence dans une bonne humeur de surface, laquelle ne tarde pas à être ébranlée par une force étrange qui s'éveille quelques nuits plus tard...


" Aucun oeil humain n'est capable d'isoler l'élément précis qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison."

  Que ceux qui s'attendent à une bonne vieille histoire de fantômes pleine de clichés - pardon, nous dirons  plutôt : honorant les codes habituels du genre - passent leur chemin... ou tentent leur chance, avec la possibilité de se laisser agréablement surprendre. En effet, loin d'une nouvelle à la Henry James ou d'un pastiche à la John Harwood, Shirley Jackson parvient à moderniser le concept de la maison hantée en le réinscrivant dans l'époque contemporaine avec tous les questionnements et la narration que cela induit.



" Hill House est réputée pour être "autoritaire" de ses invités. Elle semble répugner à laisser partir ses invités."

  Aussi, il ne faut pas espérer des apparitions spectrales et autres manifestations d'horreur dès les premiers chapitres : Shirley Jackson, qui préfère l'atmosphère aux rebondissements, prend d'abord le temps de planter de décor et s'attarde sur les portraits des protagonistes, beaucoup plus développés que dans une histoire de fantômes traditionnelle. Très vite, le personnage d'Eleonore "Nell" se distingue des autres : c'est avec elle qu'on entre dans le domaine de Hill House, c'est par elle qu'on rencontre les autres invités, et ce sont ses pensées, rêves et doutes que l'on partage. Ainsi que sa profonde fragilité. Malgré cela, tout comme elle, on cherche à faire confiance à Luke, toujours si sûr de lui, à Theodora, modèle de liberté et de joie incarnée, et au Dr Montague, la figure paternelle de cette troupe hétérogène de vrais-faux vacanciers. On se convainc (et presque, on s'en rassure) qu'il n'y aura finalement aucun événements étranges à Hill House, et on baisse la garde.


" La peur est l'abandon de la logique, la renonciation volontaire aux schémas de la pensée traditionnelle. Soit nous la combattons, soit nous nous y soumettons, mais il n'y a pas de position médiane."

  Et c'est précisément là que la maison s'éveille. Rien de trop spectaculaire cependant, quoi que bien assez pour nous faire fuir : une force qui traverse le couloir et cogne avec insistance contre les portes des chambres, s'acharne sur les poignées, ou vous fait perdre dans les corridors tortueux de la bâtisse lorsque vous cherchez à vous enfuir. Inutile de sortir les chaines et de multiplier les chimères spectrales : on serait effrayé à moins, et ça, Shirley Jackson l'a très bien compris et joue sur cette corde sensible. Car après cette nuit, si la maison redevient accueillante sous le soleil du matin et si nos personnages se laissent aller à leurs habituelles conversations de bagatelles, se contant fleurette ou se promenant le long du ruisseau comme des enfants jouant à cache-cache, quelque chose de malsain se glisse bel et bien entre eux. 



" Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps une existence saine dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles elles-mêmes, au dire de certains, ne feraient que rêver."

  Car c'est dans ce creux, cet écart, entre la situation vécue et l'apparent badinage auquel se prêtent les personnage que s'insinue ce malaise propre à susciter le doute voire le dégout qui va les lier jusqu'au terme du roman. Dès lors, on comprend que si on lit bel et bien une histoire de revenants ( l'arrivée de l'épouse de Dr Montague, personnage de medium ridicule de stéréotypes, le rappelle d'ailleurs en se moquant très légèrement du genre et surtout des fausses croyances sur le monde des esprits), l'auteure s'attarde davantage sur l'effet que cela produit sur ses personnages, tels des souris soumises à une expérience dans un vivarium. Attraction et répulsion, peur, folie, le propos de Shirley Jackson, à l'évidence, c'est celui de la psychologie


" Quant à Hill House, seule et maladive, elle se dressait à flanc de colline, abritant en son sein les ténèbres éternelles. Les murs de brique et les planchers resteraient droits à tout jamais, un profond silence continuerait de régner entre les portes soigneusement closes. Ce qui déambulait ici, scellé dans le bois et la pierre, errait en solitaire."

En bref : Sournois et surprenant, ce roman confirme le talent de Shirley Jackson, qui réinvente ici l'histoire de la maison hantée en plein milieu du XXème siècle. Porté davantage sur la terreur que sur l'horreur, La maison hantée s'attache à instaurer une atmosphère malaisante qui repose sur la psychologie des personnages et les effets causés par les événements inexpliqués plutôt que les événements eux-mêmes. Roman favori de Stephen King, La maison hantée a beaucoup inspiré son œuvre et reste aujourd'hui encore une référence.