Pages

lundi 30 novembre 2020

All the Ever Afters : l'happy end du Challenge Halloween...

 
    Comment cela se termine-t-il, déjà ? "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", ou quelque chose dans ces eaux là ? Peu importe, après tout : toute bonne chose a une fin, et comme toute bonne chose, aujourd'hui s'achève le Challenge Halloween 2020 – du moins, jusqu'au prochain. Il faut dire qu'en facétieux lutins que nous sommes, nous avons décidé de pousser très loin les prolongations (quitte pour cela à risquer de redevenir potiron). Les douze coups de minuit ont bel et bien sonné, et le 31 octobre est depuis longtemps passé. Le charme rompu, la malédiction levée, nous sommes comme le Lapin Blanc qui saute à pieds joints dans son terrier (en retard, toujours en retard!).

    L'heure est donc venue de régler nos contes, euh, comptes, et prestement, de dresser notre bilan :
 
 
Article d'introduction :
 

Article de florilège:


Romans :
 
 

Albums :
 
 
Bandes-Dessinées :
 
 
Films :
 

 
 
Gourmandises littéraires :  
 



Nos "Maléfiques" vœux d'Halloween :

 
 

    Par manque de temps et de poussière de fées, nous n'avons pas pu écrire tous les articles que nous aurions voulu publier. Malédiction sanitaire oblige, un sortilège nous ayant retenus dans nos foyers, nous n'avons pu voyager photographier davantage de nobles gourmandises littéraires et autres mets joliment cuisinés. Au programme cependant, sachez que nous voulions vous soumettre le célèbre gâteau de la Belle au Bois Dormant (féérie à étages concoctée par trois marraines dans les cuisines de leur cottage), la galette et le pot de beurre d'un célèbre chaperon, la pomme empoisonnée de la méchante reine, ou encore la bouillie des trois petits cochons (non, en vrai, ça, c'était pour la rime – que voulez-vous, la poésie est un art difficile).
 

    Mais ce n'est que partie remise : si nous renvoyons fées et sorcières dans leur chaudron, rien n'exclut, une fois le livre de contes refermé, que nous retournions y faire quelques excursions. Notre ensorcelante cuisine aura bien d'autres occasions d'être préparée, et il y aura bien d'autres challenges pour vous y faire goûter.

 
    Parmi les différents sujets au choix proposés par nos hôtesses au cours du mois, nous regrettons de n'avoir pas pu explorer le thème de la sorcellerie et du féminisme, certainement plein de magie et d’onirisme. Espérons que nos envoutantes organisatrices n'hésiterons pas à le proposer l'an prochain, que nous puissions fêter dignement les sorcières encore une fois en 2021.
 

    Profitons de les évoquer pour mieux les remercier : Hilde et Lou, magiciennes blogueuses, un peu ensorceleuses, mille baise-mains reconnaissants de nous amuser ainsi autant tous les ans. Sur ces chaleureux remerciements, nous rangeons notre plume de barde et notre livre d'histoires. Il se fait tard, bonsoir, les amis, bonsoir...

***


Le Petit Poucet - Un film d'Olivier Dahan d'après le conte de Perrault.

Le Petit Poucet

 
Un film d'Olivier Dahan d'après le conte de Charles Perrault
 
 Avec : Nils Hugon, Roman Bohringer, Elodie Bouchez, Dominique Hulin, Hanna Berthaut, Catherine Deneuve, Samy Naceri...

Date de sortie : 17 octobre 2001.
 
    Il était une fois Poucet, un petit garçon chétif, rejeté par ses parents paysans et souffre-douleur de ses frères. Les temps sont durs, la guerre dévaste la région. Une horde de soldats pille la ferme familiale, c'est la famine. Les parents de Poucet décident d'abandonner leurs enfants. Dans une immense forêt, livrés à eux-mêmes, ces derniers vont rencontrer des loups ainsi que les guerriers du terrible soldat à la jambe de fer. Mais par-dessus tout, ils vont se retrouver confrontés à celui qui hante les cauchemars de Poucet : l'Ogre, dévoreur d'enfants.
 
***
 
  
     Certains se souviennent-ils de ce film? En 2001, bien avant de devenir célèbre pour son film La Môme, et bien avant que l'engouement du grand écran pour les contes ne revienne à Hollywood, le frenchy Olivier Dahan transposait déjà au cinéma le célèbre conte de Charles Perrault, dans une volonté de renouer avec le merveilleux de la Belle et la Bête de Cocteau ou du Peau d'Âne de Jacques Demy. Voilà quelques temps déjà que l'on voulait partager avec vous ce film qui a profondément marqué notre enfance ; profitons que l'atmosphère d'Halloween plane encore ne serait-ce qu'un tout petit peu pour parler de forêt ensorcelée, d'ogres et de bottes de sept lieues...



    Si ce film avait récolté à sa sortie des critiques mitigées (dont d'excellents avis de Télérama et Première, cela dit) pour tomber rapidement dans l'oubli, c'est donc probablement que Dahan avait dix ans d'avance sur la mode : à le revoir aujourd'hui, on ne peut que reconnaître que, malgré ses (bientôt) 20 ans (déjà!), il a extrêmement bien vieilli, en plus de s'affranchir totalement des routes bien fréquentées du cinéma français contemporain. Prise de risque, ce Petit Poucet? Probablement à l'époque, oui, mais il en mérite d'autant plus qu'on le redécouvre aujourd'hui.
 
 
    Aux commandes du scénario autant que de la mise en scène, O.Dahan multiplie les casquettes pour ne rien laisser lui échapper, et c'est tant mieux : de la direction des acteurs à l'esthétique du film, on sent qu'il veut donner vie à sa propre vision du conte, une vision à la fois très fidèle au texte de Perrault tout en prenant des libertés qui permettent de donner à l'histoire une échelle humaine. Parmi les petits détails qui frappent le connaisseur, on remarque que la fratrie est passée de sept à cinq enfants, probablement un choix judicieux pour que le jeune spectateur puisse bien identifier chacun d'entre eux. Le scénario justifie le contexte de famine en imaginant une contrée où les récoltes sont difficiles, en plus de devenir le terrain de jeu de pillards et d'une guerre qui avance à grands pas. L'occasion de glisser quelques personnages secondaires absents du conte initial (dont un Samy Naceri saisissant en brigand à la jambe de fer) mais qui étoffent l'histoire en faisant prendre conscience de la dangerosité de l'époque et de l'endroit. 
 

    Autre liberté prise par Dahan, et on l'en remercie : le personnage de Rose, fillette des bois aux allures d'enchanteresse, avec qui Poucet se lie d'amitié. On découvre plus tard qu'elle est l'une des filles de l'Ogre, fille qui se refuse à son devenir d'ogresse et préfère aider Poucet et ses frères à s'échapper des griffes du monstre. En plus d'apporter une vraie fraicheur, cet ajout du scénario permet un renouveau dramatique bienvenu tout en suggérant par le truchement de la fiction qu'on n'est pas toujours le milieu d'où l'on vient... aussi vrai que Poucet, bien que petit, est plus courageux qu'il ne le laisse à penser. En cela, la morale du conte est respectée : Poucet, malmené par ses frères, est d'ailleurs présenté comme un petit enfant sensible dans lequel le jeune spectateur peut s'identifier. Le courage, il s'en arme parce qu'il n'a pas le choix s'il veut survivre, prouvant par là que c'est donc pas une qualité innée, loin de l'image lisse du héros de fiction inatteignable.


    Le film marque par son esthétique : des décors aux costumes, on alterne entre un univers aux accents féériques et un réalisme poignant. Et pour cause, revenant à des techniques de réalisation traditionnelles, ce film n'a recours à quasiment aucun artifice numérique. L'intégralité des décors a été construite en studio, dont la forêt, somptueuse, qui n'est pas sans évoquer le bois artificiel de La compagnie des Loups. Les effets de profondeur des fonds peints font superbement illusion, et on nous hypnotise de ciels aux couleurs changeantes sur lesquels les nuages s'étirent en arabesques psychédéliques. On n'est pas étonné d'apprendre que Régis Loisel, célèbre illustrateur de la BD Peter Pan, a été consultant graphique du film.
 
Recherches graphiques de Régis Loisel pour le film.

   Il semble en effet que l'on retrouve son coup de crayon dans chaque scène, chaque détail. Il n'y a alors plus aucun élément qui nous laisse indifférent : des falaises abruptes et vertigineuses à la maison de l'ogre, manoir gothique au milieu d'une clairière rouge sang. L'intérieur évoque aussi bien les gravures de l'Enfer de Bosh que les bas-reliefs du château de la Bête dans le long-métrage animé Disney. A moins que ce ne soit le château de Dracula?  Quant à l'ogre, il est une superbe composition à lui seul : massif et charismatique, doté d'un masque à la mâchoire acérée qui tient davantage de l'exosquelette et fait furieusement penser aux créatures d'Alien, il nous fait encore frissonner à l'âge adulte. Dominique Hulin, acteur et cascadeur aux multiples talents lui prête une voix et une présence mémorables.
 

    Puisqu'on en parle, faisons un petit détour par le casting. Outre Samy Naceri, on retrouve une Romane Bohringer très touchante en mère de Poucet, ainsi qu'une Elodie Bouchez qui crève l'écran dans le rôle de l'épouse de l'ogre, toute vêtue de plumes noires. Catherine Deneuve fait une apparition en reine du royaume, un rôle qui nous renvoie forcément à son interprétation de Peau d'Âne (au point qu'on se demande si Dahan ne suggère pas qu'il s'agit du même personnage... il glisse d'ailleurs un amusant clin d'oeil : lorsque Poucet arrive en bottes de sept lieues au palais, il est conduit de force par un garde - tout jeune Romain Duris - qui explique "On nous pataculte des enfants!" ; impossible de ne pas penser aux contrepèteries du page de Peau d'Âne!). Dans les rôles de Poucet et Rose, deux jeunes acteurs qu'on ne reverra plus sur les écrans et qui ont depuis fait leur bonhomme de chemin : Nils Hugon, adorable bouille aujourd'hui jeune trentenaire photographe et journaliste, et la magnifique Hanna Berthaut, fée échappée d'un songe d'une nuit d'été, qui travaille désormais dans le marketing (merci google). On regrette de ne pas les avoir retrouvés après, tant leur prestation était prometteuse.
 

     L'ensemble, furieusement visuel, donc, est porté par la musique envoutante de Joe Hisaishi, compositeur japonnais au lyrisme transcendant (il a entre autres composé les bandes originales des Enfants de la mer, du Conte de la princesse Kayuga, ou encore de Le vent se lève). Sa patte apporte la touche suprême, cerise sur le gâteau d'un film qui mérite d'être redécouvert.

 
En bref : Réalisation française sortie avec dix ans d'avance sur la mode des adaptation de contes sur grand écran, Le Petit Poucet d'Olivier Dahan mérite d'être redécouvert pour son esthétique superbe (pensée par Régis Loisel, s'il vous plait) et sa poésie intemporelle. Ce film, qui n'a pas pris une ride, est porté par un casting plaisant, un ogre vraiment effrayant, et de jeunes acteurs touchants. Une madeleine de Proust à voir, revoir, et faire voir à ses enfants.
 
 

dimanche 29 novembre 2020

Cendrillon et moi - Danielle Teller.

All the ever afters ; the untold story of Cinderella's Stepmother
, William Morrow, 2018 - Editions Denoël (trad. d'A.Coussy), 2019 - Pocket, 2020.

    C’est la marâtre la plus détestée de l’Histoire, celle dont on parle pour faire peur aux enfants désobéissants. Mais qui savait que la belle-mère de Cendrillon s’appelle en réalité Agnès, qu’elle a passé sa jeunesse à trimer comme bonne à tout faire, qu’elle a dû se battre comme une lionne pour accéder à un monde qui n’est pas le sien, que son époux est alcoolique et que sa belle-fille, petite princesse aux petons si délicats, est en réalité fort capricieuse? Agnès n’en peut plus des sornettes autour des pantoufles, des princes charmants et des citrouilles. Elle est bien décidée à rétablir la vérité, quitte à égratigner quelque peu la version officielle.

    Une réécriture ingénieuse et jubilatoire du célèbre conte, qui réussit l’exploit de nous faire aimer un personnage détesté.
 
***
 
     Sorti en France chez Denoël en toute discrétion l'an dernier et en poche chez Pocket il y a quelques semaines, Cendrillon et moi (sous-titré La belle-mère parle enfin) est le premier roman de l'auteure canadienne Danielle Teller. Reconnaissons que le titre, peu convaincant, laisse davantage imaginer une réinterprétation parodique qu'une réécriture vraiment intéressante ; en cela, nous lui préférons le titre en VO All the ever afters (qui n'est pas sans évoquer le film Ever After / A tout jamais de 1999, brillante réinvention du conte de Perrault dans le contexte de la Renaissance française). Les couvertures des éditions grand format et poche ne rendent pas tout à fait compte du contenu et induisent le potentiel lecteur en erreur car, sachez le, ce livre vaut mieux que son titre et sa couverture...
 

"L'élégance recommande de sous-entendre les vilenies plutôt que de les formuler explicitement."

    L'histoire se situe en Angleterre, à une époque que les détails glissés ça et là nous indiquent comme étant très certainement la Renaissance. Lady Agnès et ses deux filles Charlotte et Matilda ont l'immense chance de vivre à la cour depuis que sa belle-fille, Elfida, a épousé le prince. Depuis cette union, des rumeurs ne cessent de courir sur les origines d'Elfida et sur son histoire familiale : on raconte qu'Agnès l'aurait traitée comme une souillon pendant des années et que ses deux demi-sœurs étaient passablement affreuses avec elle. On raconte que sa marraine, abbesse influente, aurait joué les dames marieuses en introduisant sa filleule au bal royale après avoir - absurdités! - changé par magie ses haillons en robe somptueuse et une citrouille en carrosse! Quant à la légende des souliers de verre, ce n'est que pure extrapolation de l'imaginaire collectif, dans lequel Agnès n'est autre que "la vilaine marâtre". De bruits de couloir en insinuation piquantes, Agnès sent bien qu'on lui attribue un rôle construit de toutes pièces... et décide de raconter son histoire. Son enfance miséreuse comme domestique, sa lutte pour exister en tant que femme indépendante, sa gravitation dans l'échelle sociale... tout ce que les gens qui aimeraient qu'on les endorme d'histoire de fées et de princesse préféreraient ignorer.

Soulier en verre soufflé mode Renaissance

    S'il est difficile de ne pas comparer l'entreprise de Danielle Teller de réécrire Cendrillon en version historique au brillant Confessions of an ugly stepsister (Les petites sorcières) de Gregory Maguire, Cendrillon et moi reste une bonne surprise. Admettons cependant que même si le propos diffère des éléments centraux de son aîné, quelques points communs nous sautent au yeux : l'époque est sensiblement la même (quoi qu'antérieure dans le livre de D.Teller si l'on en juge par la description des vêtures) et les rumeurs de Changelings (bébé échangés par les fées, un des principaux ressorts du roman de Maguire) occupent une certaine place. Cendrillon et moi est loin d'atteindre la finesse de plume et la richesse psychologique de Confessions of an ugly stepsiter, mais D.Teller réussit cependant à nous embarquer dans l'odyssée d'une vie qui remporte notre intérêt.

Ancienne illustration pour le Cendrillon de Perrault.

"Les hommes se persuadent que les belles femmes sont pourvues de vertu et de moralité, alors qu'aucune vertu n'est assez grande pour embellir un laideron."

    Pour cela, elle imagine à cette marâtre, Agnès, un passé bien plus triste que le laisse à penser le personnage froid du conte que l'on connait, et que la rumeur entretient dans son intrigue (et dans laquelle elle s'amuse, par une audacieuse mise en abyme, à suggérer comment le conte s'est écrit sur la base de faits que la légende urbaine aurait transformés). Au fur et à mesure que l'on suit le récit de son enfance puis de sa vie de jeune fille devenue trop rapidement celle d'une jeune mère, on constate à quelle point elle était elle-même, et bien avant sa belle fille, une "Cendrillon" (les première pages, au cours desquelles la toute jeune Agnès perd son soulier en allant proposer ses services comme lingère dans une grande maison, y font d'ailleurs une allusion évidente). Sauf que plutôt que d'attendre en vain l'aide providentielle d'une bonne fée ou d'un prince charmant, Agnès, elle, a dû lutter dans un monde masculin pour tenter d'exister en tant que femme accomplie, et ce malgré ses propres origines sociales.

Angelica Huston en marâtre dans A tout jamais.

    Outre le propos furieusement actuel de la place de la femme (même si on le perd un peu de vue par moment), le lecteur s'amuse des éléments qui, progressivement, annoncent ceux du conte original. Danielle Teller réinvente pour cela tout un univers au sein du quel elle redistribue pertinemment les rôles, faisant de sa galerie de personnages un véritable système où les relations qui se tissent auront des impacts décisifs sur ce que retiendra la légende (notamment dans la relation complexe qu'Agnès entretient depuis sa jeunesse avec l'abbesse Elfida, dont le conte fera la "bonne" fée de Cendrillon). Si l'on aurait apprécié découvrir une marâtre peut-être un peu moins douce que ne l'est finalement Agnès sous la plume de D.Teller (il aurait été plus grisant pour le lecteur, mais aussi plus complexe pour l'auteure, d'imaginer un personnage gardant toute sa noirceur originale en lui trouvant des circonstances atténuantes), reconnaissons qu'elle renverse habilement la structure manichéenne du célèbre conte.
 
Un bal à la Renaissance.
 
"Les histoires que l'on se raconte exercent un si grand pouvoir sur nous."
 
En bref : S'il n'égale pas Confessions of an ugly stepsister / Les petites sorcières de Gregory Maguire, Cendrillon et moi est une honorable réécriture du conte de Cendrillon du point de vue de la marâtre. Le contexte historique est plutôt bien restitué et on se prend d'affection pour cette femme qui tente de gagner sa liberté dans une époque peu favorable à l'émancipation féminine.
 
 
Et pour aller plus loin...

vendredi 27 novembre 2020

Gourmandise littéraire : Boerenkoffie des Van den Meer.


 
    Voilà une recette qu'on souhaitait partager avec vous depuis un moment et qui avait toute sa place dans le Challenge Halloween consacré aux contes de fées : dans le roman Les Petites Sorcières – en anglais Confessions of an ugly stepsister – Gregory Maguire, auteur et conteur hors paire, réinventait l'histoire de Cendrillon dans le contexte fascinant de la Renaissance Hollandaise, entre commerce de tulipes et peinture flamande. L'intrigue met en scène une veuve diabolique et possessive, Margarethe, un peu sorcière, qui quitte Londres pour Haarlem avec ses deux filles Iris et Ruth. Tandis que la première espère apprendre la peinture et que la seconde, simplette, observe le monde à travers le filtre de sa différence, la mère, elle, s'est incrustée dans le foyer d'un riche bourgeois du nom de Van den Meer. A grand renfort de manigances et peut-être même de sortilèges, elle espère bien envoyer ad patres Henrika, l'épouse Van den Meer, pour prendre sa place. Mais Margarethe voit d'un mauvais œil leur étrange fille, Clara, une créature craintive mais dont la beauté pourrait bien faire de l'ombre à Ruth et Iris, au physique disgracieux...
 

    Outre la trame, rappelant les éléments de Cendrillon, qui se tisse en filigrane de ce drame hyper réaliste mené de main de maitre, l'auteur se plait à enrichir son univers de nombreuses anecdotes historiques qui participent à étoffer son roman. Parmi ceux-là, les détails culinaires ont bonne place et le lecteur a ainsi un aperçu de la cuisine quotidienne de la Hollande du Siècle d'Or : ragoût aux pruneaux, pain d'épice et autres chocolats chauds à la cannelle parsèment les pages de Confessions of an ugly stepsister


    L'une des recettes qui a retenu notre attention est réellement typique du pays et de l'époque : alors que Haarlem est enseveli sous une épaisse couche de neige et que les filles de Margarethe espère jouer au-dehors avec Clara, Henrika a servi à son mari une boisson des plus revigorantes...
 

"— Vous pouvez aller dans le jardin, ou dans n'importe quelle pièce de la maison à condition de frapper d'abord à la porte. Mais tu ne peux pas faire franchir à Clara la porte d'entrée ni celle du jardin. Tu ne peux pas escalader les murs comme un galopin ou sortir par les fenêtres. Tu ne peux pas non plus te hisser dans la cheminée ou fouiner dans les caves. Me comprends-tu?
— Nous sommes prisonnière? demande Iris.
— Clara n'est pas adaptée au monde. Elle tremble et frissonne. Visitez le jardin et les granges, au fond. Clara sait où elle a le droit d'aller. 
    Jusqu'à cet instant,  Van den Meer a baigné son visage dans la vapeur de son boerenkoffie, qui conjugue les effluves de bière chaude, de sucre et de muscade avec l'odeur laineuse de sa barbe. Mais il relève le menton, parallèle à la table et dit, comme poursuivant une discussion en cours :
— Te souviens-tu avoir entendu raconter qu'à Delft le clergé avait banni les bonshommes de pain d'épice à la fête de la St Nicolas? Et les enfants se sont révoltés. Ils courraient dans les rues en hurlant et refusaient de travailler. Les enfants finiront par se révolter, ma mie."

Les petites sorcières (Confessions of an ugly stepsister), G.Maguire, éditions du Rocher, 2001.


    Boerenkoffie. Un étrange nom pour une bien curieuse boisson. Ce type de décoction mélangeant épices et alcool est caractéristique des pays flamands (jetez donc un œil au vin doux épicé de La jeune fille à la perle) mais aussi du Moyen-Âge et de l'Epoque Moderne suite à leur important commerce grâce aux colonies et aux compagnies de marchands hollandaises. Littéralement "café de la ferme", "café des fermiers" ou encore "café de campagne", le Boerenkoffie n'est pas sans évoquer également les boissons chaudes de la famille des laits de poule et autres eggnog destinés à tenir chaud pendant l'hiver. Décrit comme un mélange de bière, de café et d'épices auxquels on ajoutait parfois du beurre et/ou des œufs, le Boerenkoffie se voulait avant tout une boisson roborative et revigorante. On la servait traditionnellement en extérieur et particulièrement lors des fêtes qui s'organisaient sur les lacs ou étangs gelés, où les villageois dansaient ou patinaient.

    Comme pour toute recette ancienne, il existe plusieurs versions et variantes. Le mélange café/alcool/sucre/beurre/œuf pouvant être particulièrement indigeste, on vous propose une des versions les plus soft qui existent. Pour rassurer les moins enthousiastes, sachez qu'elle est tout à fait buvable et loin d'être inintéressante : l'association de l'amertume de la bière et du café à la douceur du sucre roux et des épices de Noël crée un résultat curieux mais loin d'être désagréable pour affronter le frimas.
 

 
Ingrédient (pour 4 personnes):
 
- 1 litre de bière ambrée
- 50 cl de café chaud et serré
- 4 c-à-s de sucre roux ou de cassonade
- 1 c-à-c de cannelle en poudre
- 1 c-à-c de muscade moulue

A vos tabliers!

- Dans une casserole sur feu doux, faire chauffer la bière, les épices et le sucre.
- Lorsque le sucre a totalement fondu, retirer du feu.
- Ajouter le café chaud, remuer.
- Servir dans des tasses épaisses.


A savourer lors d'une promenade au milieu du givre ou confortablement installé devant la cheminée...
 
 
 Grand merci à J.M. Frémont, G. Marot et à La Tour des Villains de Montsaugeon pour leur accueil et le décor mis à disposition.
 
***
 

mercredi 25 novembre 2020

Confessions of an ugly stepsister (Cruelle beauté) - Un téléfilm Disney de Gavin Millar d'après le roman de Gregory Maguire.

 

Confessions of an ugly stepsister

 
Un téléfilm Wonderful world of Disney de Gavin Millar, d'après le roman de Gregory Maguire

Avec : Stockard Channing, Azura Skye, Trudy Styler, Emma Poole, Jenna Harrison, Jonathan Pryce, Matthew Goode...

Première diffusion originale : 10 mars 2002
 
    La malchanceuse et intrigante Margarethe, un peu sorcière, fuit l'Angleterre et le comportement belliqueux de ses voisins à son encontre après la mort de son époux. Avec ses filles Iris, intelligente mais au physique imparfait, et Ruth, simplette et probablement déficiente, elle part pour la Hollande où elle espère une vie meilleure. Trouvant rapidement à se faire embaucher comme domestique puis, à grand renfort de charmes et de stratagèmes, à devenir la nouvelle épouse du maître des lieux, Margarethe constate que sa nouvelle belle-fille, Clara, bien qu'agoraphobe, est bien plus belle que ses deux filles. Alors quand un grand bal est annoncé en l'honneur d'un jeune prince à marier et que les coffres de la famille sont de nouveau vides, Margarethe tente d'obtenir d'Iris de séduire le prince afin de pouvoir être introduite dans la famille royale. Mais Iris, dont le cœur est déjà pris, est davantage intéressée par la peinture que par les projet de sa mère.
 
***
 
 
    Auteur salué par la critique américaine avec son best-seller Wicked, Gregory Maguire est rapidement devenu célèbre pour ses réécritures de contes de fées mêlant noirceur, recontextualisation historique et analogie philosophique. Dans Confessions of an ugly stepsister, paru en France aux éditions du Rocher sous le titre Les petites sorcières, il réinvente l'histoire de Cendrillon dans la Hollande du Siècle d'Or. L'imagination et l'originalité déployées dans cette relecture ne pouvaient qu'inviter à une transposition : après Wicked monté sur les planche de Broadway en version musicale, Confessions of an ugly stepsister se voit adapté pour la télévision en 2002, soit à peine trois ans après la publication du roman. Si certaines sources indiquent que ce téléfilm a été doublé et diffusé sur la télévision française sous le titre Cruelle beauté, il n'en reste quasiment aucune trace et il ne semble malheureusement pas avoir marqué les esprits des téléspectateurs hexagonaux...
 

    Il faut reconnaître aussi que le roman, en France, n'avait pas eu la même résonance que dans les pays anglo-saxons, où l'auteur rencontre vraiment un succès sans fin. Par ailleurs, remarquons que cette transposition, dès le cahier des charges du projet, empruntait un virage conséquent par rapport au texte initial : alors que le livre de Maguire est destiné à un lectorat adulte et propose une interprétation sombre et complexe du conte de Cendrillon, cette transposition, filmée pour Disney dans le cadre de son anthologie télévisée "Wonderful world", s'adresse donc à un public plus familial. Dès lors, le scénario se devait des infidélités, ou du moins quelques nuances...


    Pour autant, ce film trahit-il l’œuvre de Maguire? Eh bien pas tant que cela! Outre l'atténuation de certains éléments et de minimes ajouts visant à se rapprocher du conte original par quelques incursions de merveilleux, la colonne vertébrale de l'histoire est conservée. Parmi les écarts et modifications, le scénario de Gene Quintato (scénariste de la saga des années 80 Alan Quatermain, avec R.Chamberlain), accélère la temporalité en procédant à quelques ellipses. Ainsi, dans le roman, Margarethe et ses filles s'installent chez Van den Meer alors que sa femme est encore en vie, épouse que Margarethe empoisonne afin de pouvoir prendre sa place dans le lit nuptial. Cet élément très sombre est bien évidemment gommé dans ce téléfilm à visée familiale : Van den Meer est déjà veuf et Margarethe se contente d'utiliser quelques filtres (dont on se demande s'ils sont vraiment magiques ou non, mais la réputation de sorcière reste bien présente) pour le séduire. De même, le téléfilm ne s'étale pas sur plusieurs années et contrairement au texte où l'on voit grandir les filles, elles sont ici toutes déjà adolescentes dès leur fuite de l'Angleterre.
 
 
    Le roman de Maguire faisait de nombreuses références aux changelings, ces bébés des fées ou farfadets que les créatures de l'autre monde échangeraient avec les nouveaux nés humains dans leur berceau. Toute une rumeur entourait à ce titre le personnage de Clara, l'étrange fille de Van den Meer qu'on suppose être une enfant des fées, ce qui expliquerait ainsi ses étrangetés. Ces aspects sont supprimés de l'adaptation et Clara y est juste présentée comme extrêmement discrète et craintive, notamment du monde extérieur. Si le roman ne présente pas d'équivalent à la fée-marraine du conte original, le scénario du film utilise un autre personnage du roman, la Reine des Bohémiennes, sorte de diseuse de bonne aventure qui va et vient dans la ville, pour assurer ce rôle. D'ailleurs, alors la sorcellerie est juste supposée dans le livre de Maguire, la place donnée à cette Reine des Bohémiennes dans le téléfilm réinvite ici une magie typique d'un film Disney ; on la voit en effet plus ou moins changer une souris en pantoufle argentée, souris qui tenait jusque là un rôle d'animal de compagnie de Clara, évoquant très fortement les souris du Cendrillon animé de 1950. Le scénario glisse d'ailleurs ici et là quelques clin d’œil à la célèbre version animée (dont une première robe de bal déchirée par la marâtre) mais évoque aussi parfois le film A tout jamais, autre réinterprétation de l'histoire de Cendrillon, sorti en 1999 (la robe que porte "Cendrillon" pour le bal est dans les deux films une robe somptueuses qui appartenait à sa défunte mère, remisée dans un vieux coffre).

Stockard Channing, charismatique Margarethe.

    Au-delà de ces nuances visant donc à rendre l'histoire visible pour un plus large public, la trame globale et surtout le tempérament des différents personnages sont fidèlement conservés, et même très bien interprétés. Parmi les acteurs les plus marquants de ce téléfilm, notons la présence au casting de la grande Stockard Chaninng dans le rôle de Maragethe ; Stockard Channing, qui jouait le personnage tempétueux de Rizzo dans Grease, mais surtout Tante Frances dans les Ensorceleuses, un rôle qui a surement joué en sa faveur pour obtenir celui de Margarethe, elle aussi un peu sorcière. Son charisme naturel et son magnétisme un tantinet gothique correspondent tout à fait à ce personnage de marâtre intrigante prête à tout pour obtenir une position sociale stable et valorisante. Sa prestation évoque par ailleurs l'aura que dégageait Anjelica Huston dans ce même rôle de belle-mère dans A tout jamais.


    Pour le reste du casting, on retrouve avec plaisir le british Jonathan Pryce dans le rôle du peintre Shoenmacker et le déjà très séduisant Matthew Goode à ses débuts dans celui de son apprenti. Si l'actrice qui interprète Clara se fait remarquer par sa beauté lisse et blanche, Azura Skye (connue pour ses nombreux seconds rôles dans Buffy contre les vampires, American Horror Story ou Riverdale), elle, se démarque par un visage étrange, avec quelque chose de transparent, quelque part entre Drew Barrymore et Dakota Fanning. Ses traits se prêtent merveilleusement bien à l'époque et son jeu donne vie à ce personnage de jeune fille décidée à vivre de son art et de son intelligence malgré les projets futile qu'entretient à son égard une mère possessive et directive. Enfin, notons le personnage de Ruth, la sœur que le livre présente comme intellectuellement déficiente au physique ingrat, à qui l'actrice méconnue Emma Poole donne une vraie humanité.


    La mise en scène est classique (et parfois un peu cheap, à l'image des scènes qui se figent à la façon d'une peinture à l'huile pour marquer les transitions) mais la reconstitution, pour un téléfilm du début des années 2000, est tout à fait honorable et même impressionnante ; il n'y a aucun doute que Disney a investi autant de dollars dans cette fiction télévisée qu'elle l'aurait fait pour le grand écran. Filmé dans un Luxembourg qui fait superbement illusion, les décors, sans atteindre la qualité de ceux de la Jeune Fille à la Perle ou de la mini-série Miniaturiste, sont malgré tout très convaincants. Il en est de même pour les costumes, particulièrement réussis, très authentiques au regard de l'époque.
 

En bref : Une adaptation qui perd un peu de sa profondeur en voulant cibler un public plus familial que le roman d'origine, mais qui parvient à respecter la colonne vertébrale de l'intrigue de G.Maguire. Ce téléfilm à la mise en scène classique offre néanmoins une reconstitution historique fouillée à travers les efforts apportés aux décors et costumes, et le casting est convaincant, l'inégalable Stockard Channing et l'évanescente Azura Skye en tête. Très sympathique, on regrette qu'il ne soit pas connu davantage et facilement visible.
 
 
 
Et pour aller plus loin...