mardi 10 novembre 2020

Blanche-Neige, le plus horrible des contes - un film de Michael Cohn d'après Grimm.

Blanche-Neige,

le plus horrible des contes

 

(The Grimm Brothers' Snow-White, a tale of terror)


Un film de Michael Cohn d'après le conte des frères Grimm
Avec : Sigourney Weaver, Sam Neil, Gill Bellows, Monica Keena, David Conrad...

Sortie en salles : 27 août 1997
Disponible sur Netflix

    Le conte de Grimm revisité dans une version bien plus horrifique que celle de Disney. Claudia, une femme belle et acariâtre, n'arrive pas à accepter la présence de sa belle-fille Lili dans sa vie. La rendant de plus responsable de sa fausse couche, elle se charge de la faire tuer. Arrivant à échapper au piège tendu par sa belle-mère, Lili est recueilli par sept vagabonds... 
 
***
 
 
     On a eu l'occasion de l'évoquer à plusieurs reprises : la relecture horrifique des contes, faisant la part belle à leurs fondements les plus sombres, présente un réel potentiel dramatique. Qu'il s'agisse de livres (La compagnie des loups d'A.Carter, Le livre des choses perdues de J.Connolly...) ou de films (l'adaptation de La compagnie des loups par N.Jordan), la mise en exergue de la noirceur de ces histoires intemporelles vient questionner notre connaissance et nos représentations de ces classiques. Dans cette veine et bien avant le regain d'intérêt tout récent du cinéma pour les contes de fées, l'année 1997 voyait sortir au cinéma cette transposition de Blanche-Neige aux accents horrifique...
 
 
    Sous-titrée "A tale of terror" ("Le plus horrible des contes" en VF), le titre original comporte la mention "Grimm Brothers" en en-tête, et ce bien que cette réinterprétation du conte verse davantage dans le frisson que dans le merveilleux. On pense alors à une autre mode dans laquelle ce film cherche peut-être à s'illustrer, se plaçant dans la lignée des récents Bram Stocker's Dracula de F.F.Coppola (1992) et Mary Shelley's Frankenstein de K.Brannagh (1994). Des adaptations de classiques qui se revendiquaient plus que jamais proches des œuvres originales, mais prenant en même temps des libertés qui se voulaient fidèles à l'essence des textes plutôt qu'à leur transcription (pour l'anecdote, d'ailleurs, les différents trailers de ce Blanche-Neige utilisent des musiques issues du Dracula de Coppola...).


    Or, c'est également ce que semble rechercher cette version : si elle est loin d'être une adaptation fidèle au texte de Grimm, elle semble vouloir en revanche, par ses choix scénaristiques, accentuer la lecture psychanalytique du conte en conservant ses meilleurs éléments. La scène d'ouverture, par exemple, bien loin de l'incipit doucereux de l'histoire originale, nous donne à voir l'accouchement douloureux de la reine-mère après un accident de carrosse dans une forêt enneigée. Pour sauver le bébé, le roi est contraint de sacrifier la vie de son épouse en improvisant une césarienne, faisant ainsi couler le sang sur le sol immaculé. Bien plus sombre que le doigt piqué à l'aiguille, il est vrai, mais la symbolique reste la même. 
 

    Il en est ainsi des autres éléments clefs du contes, dont le scénario force les traits sans jamais tomber dans la caricature : les thèmes des saisons, des cycles de la femme qui se succèdent, et de la confrontation des générations qui se joue entre Blanche-Neige (ici rebaptisée Lili) et sa belle-mère (Claudia) sont particulièrement bien amenés. La tension entre la princesse – à qui l'avenir et la promesse d'un mariage sourient – et sa belle-mère – qui éprouve des difficultés à enfanter parce qu'elle approche de la fin de sa fécondité – aboutissent à la jalousie de cette dernière lorsque le Roi (impeccable Sam Neil) reconnait en sa fille le portrait craché de sa défunte épouse. Le choc provoque la fausse-couche de Claudia et enfante en même temps ses pulsions meurtrières, comme une soudaine décompensation qui la fait sombrer progressivement dans une étrange folie.


    La complexité de Claudia est d'ailleurs magistralement interprétée par une Sigourney Weaver absolument sublime. Le traitement du personnage, fascinant, parvient à susciter la sympathie du spectateur pour cette femme au passé mystérieux, au point qu'on regrette de devoir se satisfaire des quelques miettes d'information que les scénaristes nous laissent à picorer. On devine cependant à cette marâtre un passé douloureux (elle laisse entendre, grâce à ce mariage, être enfin acceptée par une caste qui l'a toujours rejetée) et une histoire de famille qui l'est tout autant, si on en juge par le miroir magique hérité de sa défunte mère. Il est par ailleurs intéressant de noter que dans les premiers temps, Claudia tente de résister au pouvoir de l'objet, avant que le deuil et la démence ne la conduisent à s'y abandonner totalement et à verser dans les arts occultes. Partant de là, toute les conjectures sont possibles : Claudia est-elle la fille d'une lignées de sorcières autrefois chassées par le souverain? Son infiltration à la cour cache-t-elle à ce titre un désir inconscient de vengeance, ou de repentir? Les différents axes d'interprétation possibles en font le personnage le plus captivant, en plus d'être le plus abouti psychologiquement.


    Le reste du film s'amuse dans cette continuité à détourner ou réinterpréter les éléments les plus forts de l'intrigue. Les nains sont remplacés par sept vagabonds rejetés par la société (ce qui évoque alors certaines versions étrangères du contes), réfugiés dans les ruines d'une abbaye et condamnés à chercher en vain quelque filon d'or dans une mine perdue en pleine forêt. L'arrivée de Lili au sein de cette communauté pas très sympathique vient là aussi jouer sur l'asexualité des nains dans le conte d'origine et la transition de l'héroïne du statut d'enfant au statut de femme (d'autant plus évidente ici qu'elle se sent très attirée par un des vagabonds). Malgré l'ambiance poisseuse et malaisante de l'abbaye et la complexité des relations initiales, on apprécie de voir leur entente évoluer vers une amitié soudée au point, même dans cette version, de nous tirer les larmes lorsque Lili est inhumée dans son cercueil de verre...
 

    La réalisation et la photographie font cause commune pour une vision intéressante du mythe : filmé en Europe de l'Est, ce Blanche-Neige nous absorbe dans ses paysages de forêts automnales ou enneigées, lesquelles deviennent le théâtre de la sorcellerie de Claudia. Sa magie semble fonctionner par analogie, ce qui donne vie à de fabuleuses idées à l'écran : un sablier retourné sur un oisillon entraîne l'éboulement de la mine sur Lili et ses compagnons, la chute des statues bordant les couloirs du palais cause le déracinement des arbres de la forêt... autant de tentatives d'assassinat sur sa belle-fille, furieusement bien mises en scènes. La transformation de la reine en sorcière et la création de la pomme empoisonnée sont également judicieusement inspirées.
 

    Bien avant les deux adaptations cinématographiques de Blanche-Neige de 2012, on voit ici une héroïne qui se refuse à la passivité et qui décide d'affronter son ennemie. Monica Keena, l'interprète du rôle titre, offre d'ailleurs un des plus beaux visages qu'on ait pu voir prêtés à ce personnage : sa beauté naturelle et son jeu de la candeur à la maturité en font une des meilleures Blanche-Neige du grand écran à ce jour.
 

 
En bref : Adaptation horrifique mais pertinente et jamais caricaturale, Blanche-Neige, le plus horrible ces contes est beaucoup plus subtile que ne le laisse penser son sous-titre. Le traitement des personnages, particulièrement de la Reine, est on ne peut plus judicieux, et la réappropriations des éléments symboliques du texte d'origine font mouche. Le film est d'autant plus intéressant que sa mise en scène est plaisante et ses décors et costumes, réussis.
 
 

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup l'affiche qui me fait penser à ton joli logo. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de le voir mais je note.

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    1. Il est dispo sur plusieurs plateformes : Netflix et OCS aussi je crois ;-)

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  2. J'ai tilté en voyant Sigourney Weaver que j'aime beaucoup. Encore une révélation, voilà un film qui m'intrigue beaucoup !

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