Pages

dimanche 27 janvier 2019

Mary Poppins : la maison d'à côté (suivi de "Dans l'Allée des Cerisiers") - P.L.Travers.

Mary Poppins in Cherry Tree Lane, Collins, 1982 & Mary Poppins and the house next door, Collins, 1988 - Éditions Le Castor Astral (trad. de T.Beauchamp), 2018.


  Mary Poppins est une star. Mary Poppins est un chef-d’œuvre littéraire. Mary Poppins est so british. Mary Poppins n'a pas d'âge. Mary Poppins a des supers pouvoirs. Mary Poppins est insoumise. Mary Poppins ne supporte pas les enfantillages. Mary Poppins glisse sur la rampe de l'escalier. Mary Poppins tient aux bonnes manières. Mary Poppins sourit à son reflet. Mary Poppins connait des vérités cachées. Mary Poppins est un conte philosophique. Mary Poppins fait un peu peur quand même. Mary Poppins n'explique jamais rien.
  Et vous pensiez connaître Mary Poppins?


***

  Avec la sortie au cinéma cet hiver du Retour de Mary Poppins, les éditions du Castor Astral ont eu l'excellente idée de publier en un volume les deux derniers tomes de la saga Mary Poppins, jusque là restés inédits en France! Mary Poppins in Cherry Tree Lane (1982) et Mary Poppins and the house next door (1988) sont ici présentés dans une magnifique édition. Traduites par Thierry Beauchamp (qui avait déjà assuré la traduction du Retour de Mary Poppins aux éditions du Rocher), ces deux ultimes aventures sont introduites par un entretien donné par P.L.Travers au New York Times en 1978, et par une préface du traducteur ; cette édition est par ailleurs merveilleusement mise en page et illustrée par Clara Lauga avec une fantaisie de circonstance.


"- Michael! (elle s'était interrompue en voyant une silhouette en pyjama perchée sur la rampe d'escalier). Tu devrais être au lit!
- Et qu'est-ce que tu crois faire? demanda son père. L'ascension de la rampe?"

  Ces deux textes, très pertinents, viennent rappeler qui est la véritable Mary Poppins. Thierry Beauchamp a manifestement tout cerné de l'auteure et de son personnage, et de la complexité de cet univers foisonnant aux croisement des références : inspirations mystiques, goût pour l'ésotérisme et le symbolisme, mais aussi une certaines gravité. Des éléments qu'on avait pu voir poindre progressivement à la lecture des quatre précédents tomes. P.L.Travers elle-même, à en juger par son interview, n'entendait pas ses romans comme une œuvre destinée à la jeunesse : elle les voyait dans la lignée de ces classiques qui avaient résonné dans le cœur des plus jeunes au point que ces derniers se les étaient appropriés, à l'instar des écrits de J.M.Barrie ou même des contes traditionnels.


  Si vous souhaitez faire une lecture chronologique de ces deux dernières histoires, nous vous invitons à commencer par la fin, c'est à dire par Dans l'Allée des Cerisiers (placé en seconde position mais publié en 1982) puis finir par La maison d'à côté (1988), le dernier écrit de l'auteure. Cette fois, pas de chapitrage ni d'enchainement d'épisodes : les deux ultimes textes de la saga Mary Poppins relèvent davantage de la nouvelle, avec une structure plus linéaire...


" Le gardien du parc grimaça (...):
- Observez les règles, avertit-il le groupe. Tous les détritus doivent être jetés dans les poubelles prévues à cet effet. Et ne laissez pas de coquilles d’œuf sur la pelouse.
- Sommes-nous donc des coucous pour disperser nos œufs dans toutes les directions? demanda Mary Poppins."

  Dans l'Allée des Cerisiers se déroule dans le parc situé face à la maison des Banks, décor qui avait déjà été mis en exergue comme véritable théâtre des enchantements dans Mary Poppins en promenade (Mary Poppins in the park). Nous sommes le soir de la St Jean et voilà que tous les habitants de Cherry Tree Lane se donnent rendez-vous dans cet écrins de verdure en plein crépuscule, au grand dam du très zélé gardien qui aimerait fermer les grilles. Dans une atmosphère de douce euphorie où l'on confond les buissons avec les personnages, tous les habitants du quartier s'en remettent aux astuces de superstition pour trouver l'amour, comme sous l'influence d'un sortilège temporaire que seule Mary Poppins semble comprendre. Deux références majeures pointent à la lecture de cette histoire : Shakespeare et son célèbre Songe d'une nuit d'été (racontant les quiproquos sentimentaux et autres sortilèges amoureux entre humains et fées pendants la nuit de la St Jean), ainsi que James M.Barrie et son Peter Pan dans les jardins de Kesington (dans lequel le parc devient un lieu de magie et de fantaisie une fois la nuit tombée, un passage vers d'autres mondes). Une nouvelle malicieuse et légère qui baigne dans les superstitions celtes.

"- Impossible, s'exclama-t-il avec un rire nerveux en croisant le regard de Mary Poppins.
- Tout est possible, déclara-t-elle d'un ton guindé.
  Il haussa les sourcils. Se moquait-elle de lui?
- Même l'impossible? rétorqua-t-il pour lui rendre la pareil.
- Même ça, affirma-t-elle (...).
  Après tout, songea-t-il, c'est la veille de la St Jean. Il faut s'attendre à être ensorcelé."


  La maison d'à côté, en revanche, dégage une toute autre atmosphère. Histoire peut-être la mieux construite et la plus émouvante de la saga, cette nouvelle raconte le retour de Miss Andrew, l'ancienne horrible gouvernante de Mr Banks (apparue dans Le retour de Mary Poppins), laquelle vient s'installer au numéro 18 de l'Allée des Cerisiers. Un emménagement qui ne perturbe pas que la famille Banks mais toute la rue, puisque chacun avait projeté sa propre imagination sur cette maison vide, la peuplant en rêve d'amis ou de voisins fictifs. L'arrivée de Miss Andrew vient ainsi piétiner l'espace propre aux chimères de tous les habitants de Cherry Tree Lane, ce qui, avant même son arrivée, la rend déjà très impopulaire. Lorsque leur nouvelle voisine s'installe, elle ne s'installe pas seule, mais accompagnée d'un petit garçon à la peau basanée appelé Luti. Né sur une île lointaine, Miss Andrew l'a arraché à sa famille en promettant de l'éduquer convenablement, mais fort est de constater que l'enfant lui fait davantage office de garde-malade! Toute la rue se prend d'affection pour cet enfant littéralement lumineux et bienveillant, se débrouillant toujours pour lui déposer des cadeaux en cachette de son horrible tutrice. Mary Poppins, elle, semble concocter un plan en secret... Lorsque Luti demande aux enfants Banks de l'aider à retourner sur son île, la nounou se met en action et fait s'envoler tout ce joli monde de l'autre côté de la lune, où l'un de ses oncles aidera Luti à retrouver ce (ou ceux) qu'il a perdu...


"- Chaque rue devrait disposer d'une maison vide.
- Pourquoi?
- Eh bien, commença Mr Banks, mal à l'aise, pour que les gens puissent la remplir de leurs idées sur le genre de voisins qu'ils aimeraient avoir."

  Pour le traducteur et auteur de la préface Thierry Beauchamp, cette ultime nouvelle renvoie en partie à l'histoire personnelle de P.L.Travers qui adopta, à 40 ans, un enfant irlandais qu'elle fit séparer de son jumeau sans jamais le lui avouer. Dès lors, La maison d'à côté se pare d'une dimension métaphorique forte, venant "réparer" une blessure très intime dans la vie de l'auteure. C'est probablement pourquoi, comme on le disait plus haut, autant d'émotion traverse cette histoire à visée quasi thérapeutique, en venant évoquer avec autant de poésie ce qu'il advient des choses (ou des personnes) qu'on perd...

P.L.Travers et son fils adoptif.

  On notera également que La maison d'à côté marque le terme d'une évolution dans la saga, et sur plusieurs points : entre autres, on constate que les enfants Banks ont cessé de poser des questions quant au mystère qui entoure Mary Poppins. Même, ils sont de connivence avec elle et la nounou devient la meilleure des alliées dans leur opération de sauvetage. Enfin, concernant les personnages secondaires, on réalise que les voisins de Cherry Tree Lane ont pris de plus en plus d'épaisseur et que même les parents Banks ont une place plus importante, en partie le père des enfants qui dévoile ici une fantaisie et une imagination insoupçonnées. Des qualités que cet homme autrefois rigide aura probablement développé au contact de l'irremplaçable nurse, dont on comprend qu'elle est en fait ni plus ni point qu'une véritable enchanteresse du quotidien.

" Demain ne vient jamais, soupira Jane. Quand on se réveille, c'est déjà aujourd'hui."

En bref: Une excellente idée que cet ouvrage double pour les deux ultimes texte jusque là inédits de la saga, le tout étant par ailleurs merveilleusement traduit, préfacé, et illustré. Ces deux histoires permettent de réaliser plus que jamais et à quel point, derrière la fantaisie de surface que l'on attribue au personnage de Mary Poppins, l'auteure y avait placé de métaphore et de symbole. De tous les tomes de la saga, la nouvelle La maison d'à côté remporte la première place en qualité d'écriture et en émotion. Une pépite qui, en venant clore la lecture de toute la série, finit de nous dresser le portrait d'une héroïne dont on comprend aujourd'hui la dimension iconique.


Et pour aller plus loin...


  - Découvrez toute la série...




-Mary Poppins en promenade.

 - Jetez un œil sur ce petit documentaire qui raconte la mise en image de cette très belle édition.

 
 
- Lisez notre avis sur le musical donné au Prince Edward Theatre de Londres ICI !
 
 
 

2 commentaires:

  1. Merci pour tous ces billets passionnants sur Mary Poppins. Cela donne vraiment envie de lire et d'étudier cette oeuvre fascinante.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. As tu craqué pour un intégral en VO alors? :) je suis sûr que tu aimeras autant que moi ce dernier tome!

      Supprimer