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mardi 30 novembre 2021

De Samain à Yule - clôture du challenge Halloween et ensorcelantes perspectives...

Source : Acidic Sugar


    Toutes les bonnes choses ont une fin... et comme nous avons poussé les prolongations du challenge très loin cette année encore, le moment est venu de quitter Halloween Samain et de préparer Noël Yule ; l'ambiance des festivités hivernales à venir se fait très clairement sentir : la neige s'est déjà invitée, et les sapins décorés s'érigent ici et là dans nos contrées. Il est donc grand temps de faire le bilan !

    Si nous avions déjà célébré les sorcières lors d'un challenge passé, nous avons voulu axer cette année sur les magiciennes à l'ancienne, la sorcellerie issue du paganisme et de la wicca. Par ailleurs pratiquée par certain(e)s au titre de religion ou spiritualité à part entière, elle a aussi été célébrée à travers les livres et la fiction. Chilling adventures of Sabrina (Les nouvelles aventures de Sabrina), reboot horrifique de Sabrina l'Apprentie Sorcière d'après le comics éponyme, nous semblait  être une ambassadrice de choix pour cet événement. C'est donc avec elle que nous avons ouvert le bal début octobre...

 
    Nous avons ensuite repris nos chroniques de la série là où nous les avions arrêtées, et avons mis en ligne nos billets sur la partie 2, la partie 3, et la partie 4, qui clôt officiellement (et dans les larmes) ce show à l'écriture aussi audacieuse qu'inclusive. 

    Comme annoncé dans notre programme, nous avons suivi quelques cours au lycée de Baxter High, notamment ceux de Mary Wardwell. Avec elle, nous avons découvert l'ouvrage Sorcières de Mona Chollet, analyse puissante et pertinente de la place de la femme à travers les âges comme héritière des victimes des bûchers.


    Puis, comme notre apprentie sorcière favorite, une fois la journée de lycée terminée, nous avons suivi d'autres cours à l'Académie des Arts Invisibles. En botanique, on nous a fait découvrir l'ancien mais passionnant ouvrage Les plantes magiques et la sorcellerie, d'Emile Gilbert. Ou comment maîtriser les secrets de la belladone et de la mandragore...

    Après l'effort, le réconfort : une fois nos leçons apprises, nous avons foncé à la librairie du Dr Cerberus pour quelques achats et autre lectures ensorcelantes. Nous sommes repartis avec Magic Lessons, second et bouleversant préquel au roman Les Ensorceleuses d'Alice Hoffman, mais aussi avec deux opus d'Agatha Raisin enquête très dans l'ambiance de la saison (Sale temps pour les sorcières et Panique au manoir), ainsi que la fiction historique Les sorcières de Pendle.
    

    Et quoi de mieux que lire au chaud sous un bon plaid en sirotant une infusion préparée par Tante Hilda ? Cette dernière nous a justement donné une recette d'une autre famille de sorcières non moins célèbre, la Love Potion N°9 des Dames Owens... Attention aux effets secondaires !
 
    Pas de doute, nous étions dans l'ambiance pour célébrer dignement Samain chez les Spellman, confortablement installés dans leur salon aussi gothique que cosy...
 
 
    Les nombreux cours à l'université Poudlard l'Académie des Arts Invisibles nous ont pris trop de temps pour partager avec vous les nombreuses chroniques prévues. Nous aurions par exemple aimé reprendre la lecture de la série jeunesse Les sorcières d'Astria ou découvrir le roman (français!) pour adolescents Wicca, qui avait rencontré un certain succès l'an dernier. Nous souhaitions également vous faire découvrir un splendide Herbier des sorcières, aussi enrichissant du point de vue des connaissances que particulièrement fignolé côté graphisme et mise en page, mais cela devra être remis à plus tard...

    Fort heureusement, nous sommes certains que la thématique des magiciennes, sorcières et autres enchanteresses sera de nouveau mise à l'honneur à l'occasion d'un prochain challenge automnal ! D'ailleurs, nos hôtesses Lou & Hilde ont d'ores et déjà proposé de faire une parenthèse dans nos divers challenges hivernaux pour célébrer Yule le temps de quelques articles...
 

    ... L'occasion pour nous de vous donner prochainement notre avis sur la série A discovery of Witches, réalisation britannique merveilleusement adaptée d'un des premiers coups de cœur du blog : la saga du Livre perdu des sortilèges de Deborah Harkness, audacieux croisement entre Anne Rice et Dan Brown...
 
    Quoi qu'il en soit, nous avons tout particulièrement aimé passer cette saison dans l'univers des Spellman, un monde qu'on espère retrouver en d'autres occasions... peut-être pour un prochain Halloween dans la version sitcom des années 90, pour faire plaisir aux plus nostalgiques (dont je fais partie ;-) )...
 
 
    Ce n'est donc qu'un au revoir : sur un balai ou au-dessus d'un chaudron, nous nous retrouverons très vite !
 
Goodbye, Witches !

Sorcières, la puissance invaincue des femmes - Mona Chollet.

Éditions la Découverte, Zones, 2018.


    Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
    Qu'elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ?
    Ce livre en explore trois et examine ce qu'il en reste aujourd'hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante –; puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant –; puisque l'époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d'horreur.
Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s'est développé alors tant à l'égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
 
*** 

    Oui, encore une fois, on arrive après la fête : ce n'est pourtant pas faute d'avoir ce livre depuis un (long) moment dans notre bibliothèque, de l'avoir lu et relu, d'y piocher régulièrement, au passage, quelques bribes toujours sujettes à méditer. En parler, en revanche, c'est une autre affaire : que dire qui n'ait pas déjà été dit à propos de cet essai coup de poing ?
 

    Essayiste et journaliste au Monde diplomatique, Mona Chollet avait déjà publié quelques ouvrages avant Sorcières : Beauté fatale, abordant les dictats de la beauté féminine, ou encore Chez soi, qui explore les différentes facettes de l'habitat, dans ses versants les plus sociaux et les plus philosophiques à la fois. Avec Sorcières, qui la propulse soudainement sous le feu des projecteurs, elle revient à son sujet de prédilection : le féminisme.
 
    Car Sorcière n'est pas, à proprement parler, un livre sur les magiciennes et les ensorceleuses des temps jadis ; il ne s'agit pas d'un ouvrage historique sur ces centaines (milliers?) d'innocentes brulées vives ou pendues. Ou pas. Ou pas seulement. Car si telle est sa porte d'entrée, elle permet surtout à l'essayiste d'aborder à travers le prisme de la jeteuse de sorts, celle qui dérange et qu'on met au banc de la société, la condition des femmes à travers le temps. En nous racontant tout d'abord de quelle façon le patriarcat a évincé les femmes seules et / ou trop âgées devenues inutiles et / ou dérangeantes en les jetant dans les flammes, Mona Chollet déroule ensuite une longue réflexion prouvant qu'à travers les âges, les femmes ont continué de souffrir de cet archétype auquel on les a associées.

    Des reliquats de cette étiquette ont ainsi permis de diaboliser, pendant des centaines d'années et encore aujourd'hui, celles qui ont voulu apprendre, s'éduquer, ou s'affranchir, de même que celles qui ont refusé de n'être que de simples machines à procréer appartenant à un homme. Mona Chollet va plus loin encore lorsqu'elle aborde le cas douloureux des infanticides et des avortements, qu'elle éclaire d'une réflexion particulièrement pertinente.


    C'est ainsi que, partant de ces femmes qu'on condamnait pour sorcellerie, Mona Chollet arrive à mettre comme par magie en exergue toute la pensée coercitive du monde occidental à l'égard des femmes. Son ouvrage, ponctué de commentaires personnels qui nous rendent la journaliste d'autant plus proche et accessible, est construit comme une poupée russe qui ne cesse d'ouvrir sur mille et mille autres chemins de pensées à chaque page.

En bref : Sorcières est un essai d'une rare richesse ; Mona Chollet y rappelle que les exécutions pour sorcellerie ont constitué l'un des plus grands génocides de l'Histoire et, partant de cet événement, elle montre combien ses résonances à travers le temps ont permis à l'homme d'asseoir le patriarcat. Un ouvrage nécessaire.

dimanche 28 novembre 2021

Les nouvelles aventures de Sabrina, partie 4 - Une série Netflix de R.Aguirre-Sacasa d'après sa propre BD.


Les nouvelles aventures de Sabrina
(Chilling adventures of Sabrina)
- partie 4 -

Une série Netflix réalisée par Roberto Aguirre-Sacasa d'après sa bande-dessinée et le personnage de Archie comics,
Avec : Kiernan Shipka, Ross Lynch, Lucy Davis, Chance Perdomo, Miranda Otto, Michelle Gomez, Richard Coyle...
 
Date de diffusion sur Netflix : 31 décembre 2020

  Les nouvelles aventures de Sabrina imagine l’origine des aventures de Sabrina l’apprentie sorcière comme une sombre histoire axée sur le passage à l’âge adulte à travers l’horreur, les sciences occultes et bien sûr la sorcellerie. Sabrina lutte pour concilier sa double nature – mi-sorcière, mi-mortelle – tout en s’opposant aux forces du mal qui la menacent elle, sa famille et le monde des mortels. 
 
***
 
 
    Même les meilleures choses ont une fin : après nos avis on ne peut plus positifs sur les trois premières parties de ce reboot horrifique autour du personnage de Sabrina l'apprentie sorcière, voici le moment de rendre notre copie sur la quatrième et dernière saison, sortie l'hiver dernier sur Netflix. Attention à ceux qui ne l'on pas encore vu, car il y va y avoir du spoiler...


    On a quitté Greendale sauvée de justesse par Sabrina, après un aller et retour dans le temps particulièrement risqué. Au croisement des chemins et des lignes temporelles, notre héroïne, tiraillée entre sa vie de famille et de lycéenne et son ambition de devenir Reine des Enfers, a fait un non-choix on ne peut plus arrangeant. En retournant dans le passé pour se sauver elle-même de l'attaque des Païens et des pièges de Caliban, elle a proposé à son double de prendre sa place de souveraine du Royaume Infernal tandis qu'elle-même retournerait vivre chez ses tantes. Elle pensait ainsi pouvoir s'offrir deux vies à la fois tout en apaisant les deux univers... mais c'était sans compter le cataclysme que pourrait provoquer le paradoxe temporel qu'elle venait ainsi de créer. Pendant que Sabrina Morningstar prend ses fonctions aux côtés de Lucifer et Lilith (et du beau et repenti Caliban), Sabrina Spellman, elle, doit affronter les forces occultes qui menacent de nouveau Greendale. Échappé de sa prison à l'Académie des Arts Invisibles, Fautus Blackwood est parvenu à libérer les Abominations, huit catastrophes fantasmagoriques ancestrales qui vont s'abattre une à une sur la ville... À moins que l'alliance unique de deux Sabrina réunies ne parvienne à les arrêter ?
 
 
    Autant dire qu'après le final on ne peut plus surprenant de la précédente saison, on attendait énormément de cette ultime partie. Ultime ? Eh oui. Pendant l'été 2020, la presse annonçait l'annulation de la série, en raison de la difficulté d'effectuer les tournages dans le contexte de pandémie de COVID 19, mais aussi pour des raisons financières (même si ces dernières n'ont pas été officiellement évoquées). En effet, afin de continuer à séduire de potentiels futurs abonnés, Netflix se doit de renouveler son catalogue régulièrement et d'investir dans de nouveaux projets. Or, quatre saisons ont été jugées suffisantes pour ce reboot de Sabrina, et Netflix a préféré aller financer de nouvelles productions.
 
 
    Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, R.Aguirre-Sacasa et son équipe de scénaristes ont donc décidé de s'en donner à cœur joie et d'offrir à la série un final en apothéose. Objectif réussi : si chaque saison semblait plus rythmée que la précédente, reconnaissons à celle-ci un sens de la tension dramatique complètement abouti. La panique gagne la ville et les personnages au fur et à mesure que les Abominations s'abattent sur Greendale, au rythme d'une par épisode. Comme un décompte alarmant qui nous prend à la gorge, on est pris du même désir de survie que les protagonistes et on investit pleinement leur quête.


    De nouveau, les scénaristes vont puiser une source d'inspiration fertile dans leurs prestigieux ascendants que sont les auteurs gothiques. Les Abominations (Eldritch Terrors en VO) sont une référence toute lovecraftienne qui s'inscrit qui plus est dans la logique scénaristique et mythologique de la série : après la sorcellerie héritée des mythes judéo-chrétiens, dépassée par la magie des divinités païennes antiques, on monte en grade avec un cataclysme cosmique qui surpasse toute forme de pouvoir. Parmi les personnifications que vont prendre ces différentes Abominations, on peut applaudir les auteurs pour quelques excellentes idées : l'Obscurité prend la forme de mineurs venus détruire les sources de lumière de la ville et l’Étrange est représenté par un mollusque qui n'est certainement ni plus ni moins que le Cthulhu. Mais, surtout, mention spéciale pour le Ressuscité, qui ramène avec lui les personnes décédées : les scénaristes mettent en scène le Lazare de la Bible, aux yeux couverts de pièces en argent (une coutume ancienne consistait en effet à couvrir les yeux des morts pour payer leur « passage » sur l'autre rive). Les épisodes continuent cependant de piocher dans la mythologie antique quelques artefacts qui auront leur importance dans la lutte contre les Abominations, telle que la pierre de Cronos ou la boite de Pandore. Enfin, le series finale se tiendra dans le décor des Montains of Madness (Les montagnes hallucinées), une ultime allusion lovecraftienne. Une fois encore, on ne peut donc que reconnaître la foisonnante imagination de l'équipe derrière les caméras, de même que leur virtuosité à relier entre elles ces nombreuses références.
 
 
    Cette quatrième partie de Chilling adventures of Sabrina s'offre également quelques nouveaux clins d’œil à la sitcom iconique des années 90 : l'homme parfait que Sabrina essaie de créer dans la cire nous fait vaguement penser au sortilège à base de « pâte à homme » dans la première saison de Sabrina l'apprentie sorcière, de même que le miroir de l'héroïne, ensorcelé pour donner accès à une réalité parallèle, avait été le ressort d'une intrigue similaire dans l'ancienne série. Mais plus encore qu'un vague easter egg, le septième épisode de cette quatrième partie est une totale mise en abyme en même temps qu'un hommage assumé de la série à son aïeule. Intitulé en VF Sabrina Morningstar, apprentie sorcière, l'épisode voit l'héroïne propulsée dans un cosmos annexe où sa vie est une série télévisée malaisante, ponctuée de rires préenregistrés, de seconds rôles fades et de gags ridicules. Salem y est un chat robotisé doué de parole et même ses tantes ne sont plus les mêmes... les fans de la première heure y retrouveront avec plaisir Caroline Rhea et Beth Broderick, les tantines originelles, ainsi que le doublage mémorable de Salem en VF. À la fois dérangeant et plein d'autodérision, cet épisode n'oublie pas de se moquer des propres défauts et codes du reboot (mention spéciale à Caliban qui reproche aux scénaristes de toujours lui faire enlever son t-shirt). Avec son traitement des plus imaginatifs et son final époustouflant, cet épisode est avec le quatrième de la saison, Le vœux de Blackwood (qui voit notre cher Faustus pervertir la réalité en une chasse aux sorcière moderne dont il serait l'empereur), l'un des plus réussis de la série.
 
Zelda et Hilda, première version : le retour !
 
    On regrette cependant que, rythme et suspens obligent, certains personnages de la première heure soient relégués au second plan : du trio d'amis mortels de Sabrina, seule Rosy gagne une place de choix dans cette saison, tandis que les autres sont un peu plus effacés. Lilith (même si cela se rattrape un peu dans l'ultime épisode) perd en personnalité, mais c'est surtout Lucifer qui perd totalement en charisme : il n'est plus du tout l'effrayant Seigneur Obscur des débuts, désormais semblable à un souverain de pacotille qui organise des petites bamboches en Enfer. On ne saurait dire s'il est victime de la profusion d'éléments, événements et antagonistes qui lui volent la vedette ou si cet appauvrissement du personnage est voulu (car, après tout, les Païens et les Abominations ont montré entre-temps qu'il n'était qu'un danger mineur dans l'ordre du monde...). Fort heureusement, les tantines sont là pour équilibrer ces petites inégalités, et on les retrouve plus fortes que jamais, sur un pied d'égalité et soudées malgré leurs différences. Leurs interprètes continuent ainsi le formidable travail de jeu amorcé depuis la première saison et font de Zelda et Hilda des héroïnes parmi nos personnages préférés du show.


    Reste maintenant que la fin a de quoi nous prendre de court : le sacrifice de Sabrina, évoqué dans la presse comme « l'un des plus beaux chants du cygne du petit écran », n'en est pas moins quelque peu incohérent. Sabrina n'était-elle pas censée être immortelle (c'est en tout cas ce qu'on avait appris dans la seconde partie) ? Et quand bien même, une fois enterrée dans le cimetière familiale, ne devrait-elle pas revenir à la vie grâce au puits de Caïn ? À moins que, décédée en quelque sorte « de son plein gré », le repos de Sabrina soit désormais éternel... Mais il manque alors une information à la mythologie pourtant savamment élaborée de la série pour qu'on puisse faire notre deuil. Car si le final, déchirant, s'il offre une forme de happy end à Nick et Sabrina, laisse une famille, des amis et un coven dévastés.
 
 
    Si Netflix a souhaité stopper là la série, ce n'était bien évidemment pas le souhait initial de R.Aguirre-Sacasa. Ce dernier avait prévu une dernière scène, coupée au montage par la production, montrant comment Zelda comptait faire revenir Sabrina. Si l'idée d'un film a été évoquée pendant un temps (ou d'une reprise de la série par HBO max, comme de nombreux fans outre-Atlantique l'ont réclamé), R.Aguirre-Sacasa a annoncé poursuivre l'histoire à travers un nouveau comics intitulé The occult world of Sabrina, annoncé pour Octobre 2022. Ajoutons à cela que Sabrina fera son come-back le temps d'un épisode de Riverdale (même si cette série ne présente plus aucun autre intérêt), et nous sommes maintenant convaincus que tout cela n'est qu'un au revoir...

The occult world of Sabrina, le comics qui poursuivra la série Netflix l'an prochain,
et Kiernan Shipka incarnant de nouveau Sabrina pour la saison 6 de Riverdale...

En bref : Écrite au cordeau, cette ultime salve d'épisodes se clôture dans un final homérique et déchirant. Si on regrette les quelques incohérences de cette conclusion, on les doit surtout à la décision de Netflix d'interrompre la série soudainement. Chilling adventures of Sabrina reste un reboot de grande qualité, une variation particulièrement audacieuse et imaginative de l'univers d'Archie Comcis. Malgré une fin dramatique, il est certain qu'on reverra bientôt notre sorcière favorite...
 
 

samedi 27 novembre 2021

Panique au manoir (Agatha Raisin enquête #10) - M.C.Beaton.

Agatha Raisin and the fairies of Fryfam
, St Martin's Press, 2000 - Editions Albin Michel (trad. de F.du Sorbier), 2018.

    Meurtrie d’avoir été abandonnée par James, l’amour de sa vie, Agatha Raisin s’en remet aux présages d’une diseuse de bonne aventure : elle trouvera l’amour, le vrai, dans le Norfolk. Qu’à cela ne tienne, Agatha quitte Carsely et s’installe dans un charmant cottage de Fryfam où  elle attend le prince charmant en écrivant son premier roman policier : Panique au manoir. Un titre prédestiné car, après une série d’étranges phénomènes, le châtelain du village est assassiné et les soupçons se portent tout naturellement sur Agatha, dont le conte de fées vire au cauchemar…
 
    Avec plus de 350 000 exemplaires vendus, Agatha Raisin, l’héritière très spirituelle de Miss Marple version rock, a imposé sa personnalité loufoque et irrésistible. Vous reprendrez bien un peu de Worcestershire sauce dans votre thé ?
 
*** 

     Soit on aime Agatha, soit on ne l'aime pas. Après le succès rencontré lorsque le premier tome a enfin été traduit en France, la série, si elle fait toujours autant fureur en librairie, a divisé les lecteurs : ceux qui continuent mordicus de la suivre tome après tome, et ceux qui ont abandonné, ne comprenant plus où se situait l'intérêt. On ne le dira jamais assez : chez nous, Agatha Raisin, c'est un vrai guilty pleasure. On a donc décidé de rejoindre la première catégorie. Ainsi donc, très en retard sur la publication française, nous revoilà pour donner notre avis sur ce dixième opus de la série...
 

" — Pourquoi le Norfolk et pourquoi ce village, comment s'appelle-t-il, déjà ? Fry... Farm?
 — J'ai piqué une épingle au hasard sur une carte. Vous comprenez, une voyante m'a dit que je devrais aller là-bas.
 — Et on s’étonne que les églises se vident, murmura Mrs Bloxby, comme pour elle-même. Avoir recours à des extralucides et à des voyantes traduit un manque de spiritualité."

    On a quitté Agatha à la fin du tome précédent, persuadée suite à la prophétie d'une diseuse de bonne aventure qu'elle allait trouver l'amour dans le Norfolk. Bien décidée à suivre (ou à trouver) son destin, la plus célèbre quinqua des Cotswolds change de région et s'installe momentanément dans un petit cottage à Fryfam. Souhaitant comme toujours s'intégrer par tous les moyens, Agatha fait croire aux dames du village qu'elle écrit un roman policier intitulé Panique au manoir, dans lequel le châtelain local se fait assassiner à demeure. Ce qui n'était qu'un mensonge pour frimer en société devient finalement une façon de s'occuper, d'autant qu'il y a, à Fryfam, matière à inspiration : un gentleman farmer vit justement dans un antique manoir du village avec son épouse. S'inspirant des rencontres qu'elle provoque avec le couple pour donner corps à ses personnages, Agatha n'imagine pas qu'elle sera prise à son propre piège quand, tout comme dans son roman, son personnage principal sera véritablement assassiné ! Et comme si la situation n'était pas assez étrange comme cela, il semblerait que Fryfam, ce patelin pétri de superstitions, soit le théâtre d'apparitions de fées et de mauvais tours joués par des farfadets...
 
 Agatha arrivant à Fryfam, dans l'épisode télévisé adapté du roman...


"— Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en peut rêver notre philosophie , récita Mrs Bloxby.
 — Qui diable est cet Horatio ? fit Agatha."

    On s'en est rendu compte depuis quelques opus : après avoir adoré suivre les investigations d'Agatha à Caresly, on aime beaucoup la suivre dans ses pérégrinations ! Certes, Fyfram n'est pas très différent, mais on apprécie ce nouveau départ dans un patelin similaire et voir Agatha tenter (en vain) de se faire accepter en redoublant d'efforts à l'égard de ses nouveaux voisins, pour finalement s'empêtrer dans une situation catastrophique. Oui, une fois de plus...
 

"— Et votre village du Norfolk, comment le trouvez vous ?
— Bizarre. Il est minuscule et à ce que je vois, une grande partie de le population n'habite ici que l'été, ce qui suffirait à vous faire virer communiste si vous pensez à la pénurie de logements.
 — Ah, mais votre maison ici va être vide pendant l'hiver. Voulez vous que je vous trouve une famille de sans-logis ?
 — Non, pas du tout, répondit Agatha en réprimant un frisson.
 — Je me disais aussi... "
Cette sainte femme de Mrs Bloxby était-elle en train de lui envoyer une pique ? A Dieu ne plaise !"
 

    Si cela devient un peu répétitif, on avoue s'amuser aussi du jeu du chat et de la souris qui s'est amorcé depuis quelques tomes entre Agatha et Sir Charles. Son humour so british a le mérite d'apporter de la légèreté là où James se montrait toujours très froid. On sent bien que l'auteure a décidé de s'amuser encore quelques temps comme ça avec ses personnages, quitte à malmener la patience du lecteur... ou pas. En effet, les dernières lignes amènent un rebondissement des plus inattendus. Mais M.C.Beaton aimant autant le vaudeville que le polar, on se doute qu'on n'est pas encore sorti de l'auberge avec ce triangle amoureux.

Paysage du Norfolk.

"— Vous êtes anglicane ?
— Oui, répondit Agatha, qui n'était rien du tout, mais qui considérait que son amitié avec Mrs Bloxby la qualifiait comme membre de l'Eglise d'Angleterre."

    Côté intrigue, l'affaire est bien emberlificotée et parfois même un peu brouillonne... mais elle est relevée de cette atmosphère de superstitions entourant les fées et les farfadets, qui ajoute une ambiance dépaysante et nous rappelle l'histoire des fées de Cottingley. Certes vite lu et en partie vite oublié, ce dixième volume se lit sans déplaisir au coin du feu.
 
Affaire des fées de Cottingley....
 
" L'humour était une arme indispensable contre les chagrins et les tribulations de l'existence."
 
En bref : Qu'on l'aime ou qu'on s'en soit lassé, reconnaissons à Agatha Raisin le mérite de nous offrir, à défaut de grande littérature, quelques heures d'évasion et de franches tranches de rire. L'intrigue remplit son office et c'est tout ce qu'on lui demande !

 

Les nouvelles aventures de Sabrina, partie 3 - Une série Netflix de R.Aguirre-Sacasa d'après sa propre BD.


Les nouvelles aventures de Sabrina
(Chilling adventures of Sabrina)
- partie 3 -

Une série Netflix réalisée par Roberto Aguirre-Sacasa d'après sa bande-dessinée et le personnage de Archie comics,
Avec : Kiernan Shipka, Ross Lynch, Lucy Davis, Chance Perdomo, Miranda Otto, Michelle Gomez, Richard Coyle...
 
Date de diffusion sur Netflix : 24 janvier 2020

  Les nouvelles aventures de Sabrina imagine l’origine des aventures de Sabrina l’apprentie sorcière comme une sombre histoire axée sur le passage à l’âge adulte à travers l’horreur, les sciences occultes et bien sûr la sorcellerie. Sabrina lutte pour concilier sa double nature – mi-sorcière, mi-mortelle – tout en s’opposant aux forces du mal qui la menacent elle, sa famille et le monde des mortels. 
 
***
 
    A l'occasion de notre Halloween made in Spellman, nous avons récemment repris nos chroniques de la très audacieuse et dynamique série Chilling adventures of Sabrina (Les nouvelles aventures de Sabrina), adaptation par son propre auteur de sa BD éponyme, elle-même reboot horrifique du comics humoristique Sabrina the teenage witch, déjà multi-adapté à l'écran (ça va, vous suivez toujours?). Après la première puis seconde saison, voici notre avis sur la troisième partie de la série diffusée sur Netflix...



    On avait quitté Sabrina bien décidée à libérer son amoureux Nick Scratch des Enfers : après la défaite de Lucifer, il avait fallu emprisonner ce dernier dans une enveloppe humaine, et Nick s'était sacrifié. Retenu captif par Lilith qui dirige désormais les sous-sols infernaux, Nick livre une bataille intérieure avec Satan. Aidée de ses amis, Sabrina tente d'ouvrir un portail pour le rejoindre mais découvre un royaume en pleine instabilité politique : Lilith ne faisant pas l'unanimité, Sabrina doit accepter de reprendre sa couronne afin de la légitimer comme régente. Problème ? Un démon fait d'argile nommé Caliban, soutenu par les hordes infernales, réclame la souveraineté également. Une quête opposera donc les deux prétendants au trône. Pendant ce temps, Prudence et Ambrose parcourent le monde à la recherche du Père Blackwood, qui a fui dans l'idée de libérer une force cataclysmique sur le monde... Comme si cela ne suffisait pas, Greendale voit arriver une troupe de forains mystérieux qui pourrait bien causer leur perte à tous...
 
"Quand ils arrivent en ville..."
 
    La fin de la saison 2 sonnait comme un tournant considérable : Lucifer vaincu, on se demandait bien ce que la série allait trouver à nous raconter. Autant le dire, les débuts de cette nouvelle partie sont un peu inégaux. Le scénario se sent en effet obligé de rétropédaler quelque peu : Sabrina vient de laisser Nick partir pour la bonne cause mais décide tout à coup d'aller le libérer, sachant pourtant pertinemment que son sacrifice était la garantie de voir Satan réduit à néant. Cette tendance à la tergiversation était devenue monnaie courante dans Riverdale, l'autre série adaptée des Archie Comics par R.Aguirre-Sacasa, suggérant sans cesse de nouveaux axes narratifs qui retombaient régulièrement comme autant de soufflés sortis trop tôt du four. Fort heureusement, de ce côté, Chilling adventures of Sabrina s'en sort un peu mieux : malgré quelques faiblesses dans ses premiers épisodes (entre autres : Lilith, dont on ne sait plus tellement de quel côté elle est, et qui perd un peu en charisme au passage), cette 3ème partie parvient à reprendre son souffle et à nous séduire par la richesse des nombreuses intrigues qu'elle déploie.

Caliban, démon d'argile bien décidé à s'emparer du trône...

    Et d'ailleurs, le sauvetage de Nick ne sera finalement pas le grand thème central de cette saison, laquelle nous réserve de bien meilleures surprises encore. En effet, après avoir exploré l'image de la sorcellerie héritée de l'univers judéo-chrétien, le scénario va chercher ses nouvelles références plus loin dans le temps. A travers l'arrivée en ville des Païens, un groupe de forains incarnant des divinités antiques et une magie bien plus puissante que celle mise en scène dans la série jusque là, le show fait mouche une fois encore. R.Aguirre-Sacasa et son équipe de scénaristes trouvent donc une poursuite logique, presque évidente, pour alimenter l'univers de la série.
 
 
    Ce nouvel axe scénaristique est donc l'occasion de compléter les nombreuses références aux Écritures que comptait l'intrigue (et qui se poursuit dans cette saison, notamment à travers la quête des Regalia sacrilège, trinité d'objets associée aux personnages bibliques) par celles à la mythologie gréco-romaine, très présente dans ces nouveaux épisodes. Pan, Médée, Méduse... de nouveaux ennemis de choix, charismatiques et sujets à évoquer quelques grands archétypes qui font tout le sel de cette saison. 
 
Carcossa et les forains de Sabrina, inspiré par La foire des Ténèbres...

    La lutte contre les Païens est également l'occasion pour Chilling adventures of Sabrina de jouer la carte des easter eggs. On l'a vu dans les deux saisons précédentes : la "patte" de la série consiste à rappeler dans son esthétique ou sa mise en scène de célèbres films d'horreur ou de genre, devenant en ce sens le meilleur des hommages. Plus dilués dans la saison précédente, les clins d’œil reviennent ici en force et deux références cinématographiques majeures se démarquent : l'arrivée des forains maléfiques est une évocation évidente du film La foire des Ténèbres (Something Wicked this way comes, 1983) d'après Ray Bradbury, et leur construction de « l'Homme Vert », totem qu'il faut nourrir de jeunes vierges, un clin d’œil transparent au grand classique The Wicker Man (1973).
 
L' "homme vert" des forains VS le Wicker Man...
 
    Parallèlement à ces deux influences majeures, on notera une foule d'allusions culturelles : le poème Inferno de Dante et les tableaux de Bosch deviennent des portails vers l'Enfer, on croise des personnages tenant leurs noms de Shakespeare (Caliban, Robin Goodfellow / Puck) ou de Lovecraft (Carcosa), et Hilda chante une berceuse tirée d'un musical adapté de Peter Pan pour endormir toute la ville. Même Vlad l'Empaleur, plus connu sous le nom de Dracula, viendra faire un coucou, et une Banshee, échappée des légendes irlandaises, poussera ses cris à Greendale... un vrai jeu de piste pour les connaisseurs ! Seule une référence au Magicien d'Oz en début de saison, d'assez mauvais goût, n'a pas vraiment remporté notre adhésion. Enfin, on notera que les liens scénaristiques avec l'univers de Riverdale ne cessent de croître, indiquant peu à peu le cross-over que R.Aguirre-Sacasa a toujours souhaité pour les deux séries...
 
Une Banshee chez les Spellman...
 
    Côté personnages, on suit la progression entamée dans la saison précédente : Sabrina, parfois agaçante, se laisse de plus en plus gagner par sa quête de pouvoir, au point de faire un choix décisif dans le season finale (à moins que ce soit un non-choix, justement... on vous laisse le découvrir). On est heureux de retrouver une Tante Zelda plus frondeuse et solide que jamais, et de redécouvrir une Hilda capable plus d'une fois de montrer les griffes pour protéger les siens. Le trio Rosalind – Harvey – Suzy (devenue Théo) trouve une place de choix dans cet univers en mouvement et fait cause commune avec les sorcières, tandis que même Prudence, autrefois peste parmi les pestes, devient une alliée de confiance.
 
 
En bref : Malgré un démarrage un petit peu inégal, cette troisième partie de Chilling adventures of Sabrina montre la capacité de la série à se réinventer. Après la culture judéo-chrétienne et l'image de la magicienne héritée des chasses aux sorcières, le scénario puisent désormais sa matière occulte dans des formes de magie plus anciennes, invitant la mythologie et les divinités païennes dans l'aventure. Les références à la littérature et au cinéma de genre reviennent en force, un des aspects les plus enthousiasmants de cette série. Le résultat est toujours aussi jubilatoire !
 
 

lundi 15 novembre 2021

Les Sorcières de Pendle - Stacey Halls.

The Familiars
, Zaffre, 2018 - Editions Michel Lafon (trad. de F.Gondrand), 2020 - Pocket, 2021.

    Lancashire, 1612. A 17 ans, la jeune châtelaine Fleetwood Shuttleworth a déjà par trois fois perdu un enfant à naître. Déterminé à donner un héritier à son époux, elle redoute amèrement l’issue de sa quatrième grossesse. Lorsqu'elle croise le chemin d’Alice Gray, une jeune sage-femme qui connaît parfaitement les plantes médicinales, Fleetwood voit en elle son dernier espoir.
    Mais quand s'ouvre un immense procès pour sorcellerie à Pendle, tous les regards se tournent vers Alice, accusée comme tant d'autres femmes érudites, solitaires ou gênantes. Fleetwood fera tout pour arracher, coûte que coûte, sa bienfaitrice à la potence...
 
 
***

    Sorti en poche cet automne après une publication remarquée l'an dernier en grand format, Les Sorcières de Pendle (The Familiars en V.O.), premier roman de la journaliste britannique Stacey Halls, semblait tout indiqué pour nos lectures d'Halloween. Il s'inspire d'un fait divers réel : l'affaire des sorcières de Pendle Hill, survenue dans la région du Lancashire en 1612...
 

    Ce procès, l'un des mieux documentés de la Grande-Bretagne et presque aussi célèbre que celui de Salem, a jugé une douzaine de personnes vivant dans la région de Pendle, accusées de meurtre par sorcellerie. L'affaire a de particulier qu'elle ne concernait que des voisins, principalement deux familles rivales qui avaient, depuis quelques générations déjà, créé leur commerce de charmes et de remèdes. Autre fait on ne peut plus étrange : c'est l'une des rares affaires de sorcellerie où les accusées ont revendiqué l'usage de la sorcellerie, et ce alors qu'elles ne pouvaient ignorer qu'un tel aveu précipiterait leur fin. Les femmes concernées ont, entre autres, reconnu avoir jeté des sorts aux membres du clan concurrent, mais aussi avoir communiqué avec des "familiers", des esprits du Malin sous forme animale... Les archives et écrits hérités du procès mettent en avant certains protagonistes en particulier, comme la vieille Demdyke et sa fille Elizabeth Device, ou encore Chattox et sa fille Anne Redfern. De toutes les personnes jugées au cours des assises, seule une dénommée Alice Gray est déclarée non coupable, sans que les textes nous disent pourquoi... il n'en fallait pas moins à Stacey Halls, fascinée par cette histoire, pour y trouver matière à un roman...
 
Gravure illustrant la Vieille Chattox et sa fille Anne Redfern...
 
    Les Sorcières de Pendle est donc le fruit de minutieuses recherches historiques, les blancs et les vides de la documentation existante permettant à la romancière de broder et de reconstituer en parallèle des faits une fiction qui laisse une place de choix aux femmes. Elle choisit comme narratrice Fleetwood Schuttleworth, toute jeune et véridique châtelaine du comté, fraichement mariée au seigneur de Gawthorpe et en attente d'un troisième enfant après deux fausses couches qui ont manqué de lui coûter la vie. Sous la plume de Stacey Halls, cette figure historique devient une héroïne fragile qui tente de s'imposer dans un monde de pouvoir, d'hommes, et, face à son jeune âge, d'adultes. L'évolution de ce personnage se fera au contact d'Alice Gray, dont l'écrivaine fait ici une sage-femme solitaire en marge de la société, et qui devient la première confidente et amie de la châtelaine malgré leur différence de classe sociale. Lorsqu'Alice se voit accusée de sorcellerie, Fleetwood met tout en œuvre pour sauver la jeune femme, quitte pour cela à s'opposer à son époux, lequel semble par ailleurs lui cacher bien des secrets...
 
 Véridique portrait de Fleetwood et de sa mère, évoqué plusieurs fois dans le roman.
 
    Stacey Halls parvient à restituer avec aisance et talent un contexte politico-historique foisonnant et mouvementé, qui met en relief l'absurdité des chasses aux sorcières. On découvre en effet les confusions (volontaires) entre sorcier(e)s et papistes, le but ultime du Roi étant alors de faire reculer le catholicisme persistant face à l'Anglicanisme instauré depuis Henry VIII. La chasse aux "sorcières" devient dès lors un enjeu pour n'importe quel homme du royaume cherchant à se démarquer ou briguant un poste important à la cour, pour peu qu'il soit sans scrupule. Face à cette injustice qui ne sert que les individus les mieux nés, la romancière soulève notre indignation en même temps que celle de son héroïne, que le lecteur est donc prêt à accompagner jusqu'à la fin.

Domaine de Gawthorpe.

    Car c'est peut-être dans sa façon de susciter des émotions qu'on retiendra ce livre. En effet, le style (mais est-ce le style original ou un effet de sa traduction?) souffre de quelques anachronismes dans les tournures de phrase, les dialogues ou parfois le vocabulaire, des approximations qui viennent par moment casser l'excellente reconstitution pourtant échafaudée par Stacey Halls. Cette dernière se rattrape dans la minutie qu'elle emploie à tresser des intrigues parallèles qui donnent du corps à son roman (les relations avec Roger, l'ami de la famille qu'on découvre progressivement obsédé par le pouvoir que lui donnera son implication dans les procès de Pendle, ou encore les secrets dissimulés par l'époux de Fleetwood), mais surtout, dans les vives émotions qui se dégagent des relations entre les personnages, particulièrement l'amitié entre la narratrice et Alice.
 
 Colline de Pendle.

    Comme en prend si bien conscience Fleetwood dans ce roman, on réalise que l'une et l'autre sont là pour se sauver mutuellement la vie et qu'en cela, leurs destins sont irrémédiablement liés : la première doit permettre à la seconde d'échapper à la potence pour qu'elle puisse l'aider à survivre à son accouchement. Tout au fil de son livre, Stacey Halls glisse quelques éléments étranges, notamment l'apparition récurrente d'une renarde qui semble douée de conscience, ou encore de rêves et de cauchemars qui permettent à l'auteure, sans jamais tomber dans le fantastique, de flirter avec l'inexpliqué par petites touches. Cela confère au livre une aura supplémentaire, donne de la densité aux personnages et à leur cheminement.

Statue de sorcière à Pendle.

En bref : Malgré quelques inégalités propres à un premier roman, Les Sorcières de Pendle est porté par des personnages forts, notamment la vive émotion qui se dégage de la relation entre les deux héroïnes. La romancière reconstitue une époque et ses soubresauts politiques et religieux avec minutie, montrant par là jusqu'où conduisent l'absurdité des hommes et leur quête de pouvoir.