lundi 24 avril 2023

Emily - un film de Frances O'Connor d'après la vie d'Emily Brontë.


Emily

 
Un film écrit et réalisé par Frances O'Connor, d'après la vie d'Emily Brontë.

Avec : Emma Mackey, Oliver Jackson-Cohen, Fionn Whitehead, Amelia Gething, Alexandrz Dowling...
 
Date de sortie originale : 14 octobre 2022
Date de sortie en France : 15 mars 2023

    Aussi énigmatique que provocatrice, Emily Brontë demeure l’une des autrices les plus célèbres au monde. EMILY imagine le parcours initiatique de cette jeune femme rebelle et marginale, qui la mènera à écrire son chef-d’œuvre Les Hauts de Hurlevent. Une ode à l’exaltation, à la différence et à la féminité.
 
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    C'était une sortie qu'on attendait autant qu'on la redoutait. Emily, film consacré à Emily Brontë, n'a eu de cesse de faire parler de lui depuis l'annonce du projet en 2020. Autant dire que le défi était de taille : aborder une seule des trois sœurs alors qu'elles ont tiré toute la force de leur aventure éditoriale dans le cœur même de leur trio, n'est-ce pas une entreprise un peu risquée ? Et peut-être encore plus dans le cas d'Emily, dont la légende a de beaucoup dépassé les quelques bribes d'informations historiques connues. Mis en scène et écrit par l'actrice et (pour la première fois) réalisatrice Frances O'Connor, Emily a divisé la critique : audacieux et bouleversant portrait fictif qui révèle toute la complexité du personnage pour certains ou affabulation sans réelle consistance pour d'autres.


    Notre verdict ? Sorry, readers, mais nous rejoindrons ce second clan. Si nous sommes de grands amoureux des portraits imaginaires parfois engendrés par le cinéma – nous citons souvent, à titre d'exemple, le Agatha de Michael Apted consacré à Agatha Christie, ou Fur, portrait imaginaire de Diane Arbus de Steven Shainberg), tout leur intérêt est de révéler les aspérités réelles de leur sujet par le prisme d'un épisode fictif ou d'une approche fantasmée. Dans Emily, aucune des libertés prises ne vient révéler quoi que ce soit de la vérité de l'autrice des Hauts de Hurlevent : tout (ou disons presque tout) y est faux, alors que le film se revendique comme biopic. De quoi nous dresser les poils sur les bras.
 

    Et ça commence dès les premières minutes du film : Emily, à l'agonie, est pressée de questions par sa sœur Charlotte pendant qu'Anne est partie chercher du secours. Comment a-t-elle écrit Les Hauts de Hurlevent ? A ses côtés, les volumes du célèbre roman : les spectateurs peuvent voir sur la couverture, bien en vue, le nom d'Emily Brontë. Les Brontëmaniaques y ont leur première suée (pour ceux qui ne meurent pas immédiatement d'un arrêt cardiaque, s'épargnant ainsi la suite du film). En quelques secondes s'effondrent à la fois toute l'audace et la difficulté de l'entreprise éditoriale des Brontë, en même temps qu'est niée la réalité des femmes autrices sous l'ère victorienne. Prétendre qu'Emily a pu faire éditer son chef-d’œuvre en son nom (avant les publications de ses sœurs, qui plus est) alors que toutes trois ont envoyé leurs textes et été publiées en même temps sous des pseudonymes masculins, c'est probablement la pire hérésie qui soit.


    Elle se révèle finalement la première d'une longue série de petits et gros arrangements avec les faits, au profit de clichés qui veulent jouer la carte d'un féminisme de façade. La liste est trop longue pour les reprendre un à un, mais attardons-nous sur les plus désolants. Outre la question du nom de plume, donc, les relations entre les sœurs et, plus largement, au sein de la famille Brontë ne sont pas fidèles à ce qu'on sait de leur histoire. Qu'une fratrie connaisse des tensions et des désaccords, c'est une chose (et il y en a eu, notamment quand Charlotte a fouillé dans les manuscrits d'Emily afin d'y trouver de quoi publier ensemble un recueil, indiscrétion qui a provoqué une vive colère chez sa cadette), mais faire de Charlotte une pimbêche envieuse telle qu'elle est montrée à l'écran, c'en est une autre. L'interprétation que fait la réalisatrice et scénariste de l'aînée des Brontë est affligeante et lui confère tout juste l'épaisseur psychologique d'une demi-sœur de Cendrillon. Quant à Anne, ne nous attardons pas dessus : à l'évidence, Frances O'Connor ne sait pas quoi faire d'elle, aussi chacune de ses apparitions est-elle purement anecdotique, confirmant l'archétype de la benjamine qui fait tapisserie. Comment se vendait le film, déjà ? Féministe ? Oui, bien sûr...


    Vient ensuite la personnalité d'Emily elle-même : si le scénario et son interprète Emma Mackey parviennent à rendre compte assez justement de l'expression de ses mondes imaginaires dans son quotidien (notamment les jeux à l'origine du monde de Gondal), le film peine à donner une consistance réelle à l'autrice. Le scénario ne semble vouloir retenir que ses aspects les plus misanthropes (et parfois une certaine immaturité), le tout dans une communion avec la nature qui veut certainement entretenir ce mythe de l'Emily Brontë en perpétuelle fusion avec la lande. Oui, très bien. Mais où sont passés ses animaux ? Où sont ses accès de violence, également bien connus des biographes ? Sans ces nuances, l'Emily de Frances O'Connor passe pour une créature sauvage et gracile, un peu creuse...
 
W.Weightman, dessiné par Charlotte Brontë.

    ... et en totale contradiction avec la fougue qui s'éveille au contact de William Weightman, en plein milieu du film. Même si vous n'avez pas eu l'occasion de voir Emily, vous n'êtes certainement pas sans connaître le parti-pris du long-métrage : raconter la passion secrète (et ses nombreuses parties de jambes en l'air dans le foin) de l'autrice des Hauts de Hurlevent, qui lui auraient inspiré son unique roman. Rien, absolument rien ne va dans ce concept. Tout d'abord parce qu'il est de notoriété publique qu'Emily n'a jamais entretenu de relation amoureuse avec qui que ce soit – et encore moins avec Weightman, qui a réellement existé et qui doit actuellement se retourner sous sa pierre tombale. Aussi, il a de nombreuses fois été démontré que tout le talent de cette écrivaine était d'avoir raconté la plus sombre et tragique des histoires d'amour sans pour autant en avoir connu l'expérience sensible. Rappelons une fois encore le propos prétendument féministe du film, qui nie donc l'imagination de l'autrice pour finalement prétendre qu'elle doit son génie... à son histoire d'amour ratée avec un homme.
 

    Nous ferons l'impasse sur le décor du presbytère (filmé tel qu'il est aujourd'hui, au milieu d'un romantique écrin de végétation, alors que l'ambiance était beaucoup plus terne et nue à l'époque des Brontë) pour ne pas être accusés de chipoter. Mais voilà, il y a peu de choses à sauver de ce pseudo-biopic. Retenons quelques points positifs (ouf, il y en a) : outre les costumes de Michael O'Connor (qui avait également conçu ceux du Jane Eyre de 2011) et la superbe bande originale d'Abel Korzeniovski (qu'on a découvert à travers ses compositions pour la série Penny Dreadful), restent un très belle photographie et des scènes inspirées. Parmi celles-ci, impossible de ne pas évoquer la saisissante scène du masque, en clin d’œil au jeu que faisait faire le révérend à ses enfants dans leur jeunesse. Puissante, émouvante et effrayante à la fois, elle constitue à notre sens LE moment mémorable de ce film.

 
    Enfin, on retiendra l'interprétation de Branwell, qu'on reconnait ici moins caricaturale que dans la plupart des lectures proposées de la famille Brontë : le jeune homme y est présenté sous un jour plus sensible sans pour autant oublier sa part d'ombre. La relation entre Emily et lui est subtilement restituée, et les passages qui les mettent en scène ensemble sont parmi les plus touchants du film (notamment le dialogue de part et d'autre du linge étendu, très émouvant), quand il ne font pas écho avec intelligence à certains éléments clefs des Hauts de Hurlevent (à l'image des scènes nocturnes chez les Robinson, rebaptisés Linton pour le clin d’œil).
 

 
En bref : Malgré quelques bonnes idées et UNE scène particulièrement mémorable, Emily tombe dans tous les écueils possibles. Sous couvert de raconter une fresque féministe, Frances O'Connor verse dans le cliché, au point qu'elle contredit son propos de départ. Le génie d'Emily Brontë est nié au profit d'un amour fusionnel sans grand relief et les faits réels autant que les éléments biographiques qui font l'intérêt de la célèbre fratrie sont complètement trahis. L'autrice des Hauts de Hurlevent méritait mieux que ce traitement à notre sens un peu trop facile.
 
 
Pour aller plus loin...
 

dimanche 9 avril 2023

La folie des papillons - Laëtitia Casado.

Scrineo, 2023.
 
    1922. Dans un Paris dirigé par les hommes et marqué par la guerre, le gang des « Papillons Noirs » sévit la nuit. Tout porte à croire qu’il s’agit d’un groupe de voleuses qui s’en prend aux biens des hommes riches. Un sujet qui sème la discorde dans toute la ville…
    Alors que la police mène l’enquête sur ces Robins des bois au féminin, trois amies, Léontine, Alice et Emma, tentent de trouver leur place dans la société des années folles. Journaliste, couturière ou passionnée d’art, c’est à travers leurs passions, leurs revendications et les rencontres du hasard, qu’elles prendront en main leur destin.
 
Un récit intrigant sur la montée du féminisme, l’art et l’amitié.
 
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     Un trio d'héroïnes féministes, les Années Folles et de la cambriole de haute voltige ? Les nuits parisiennes et des motifs Art Déco ? Sur le papier, ce livre annoncé pour mai prochain avait tout (du résumé à la couverture) pour plaire. Arrachons le sparadrap tout de suite : second roman de l'autrice jeunesse Laëtitia Casado, La folie des papillons s'avère être une belle déception.
 

    Il ne suffit pas d'avoir le bon pitch pour faire un bon livre : ce titre en est le parfait exemple. L'intrigue, prometteuse, rassemblait tout ce qu'on aime, à commencer par l'époque. Y a-t-il décennie plus romanesque que les années 1920 ? Cette période de fêtes et d'émancipation post conflit international est souvent la promesse de fictions et d'aventures exaltantes. Venait ensuite la thématique socio-historique : l'idée de trois héroïnes qui se cherchent une place dans la société après avoir participé à l'effort de guerre et fait tourner la France pendant que les hommes étaient au front était plus qu'enthousiasmante. Enfin, ajoutons à cela un gang de femmes revêtues de noir qui, la nuit tombée, jouent les Arsène Lupin sur les toits de Paris, et on croyait tenir là une nouvelle pépite de lecture. Don't judge a book by its cover, disent les Anglais. Cela vaut apparemment même quand la couverture est réussie...
 
 
    Car malgré un excellent postulat de base et un contexte historique très porteur (la place de la femme au sortir de la Première Guerre mondiale, l'avènement du féminisme et le mouvement des suffragettes), l'intrigue se révèle finalement très inégale. On a le temps de lui imaginer au moins une bonne vingtaine de directions différentes qu'il ne s'est toujours rien passé de réellement substantiel. Des histoires, certes, il y en a, mais une histoire... pas sûr. On suit les personnages de Léontine, Alice et Emma, tantôt ensemble, tantôt séparément, tandis que la presse relate en diagonal les méfaits du gang des "Papillons Noirs", mais passée la moitié du roman, il ne s'est toujours rien déroulé de concret, et le livre nous tombe littéralement des mains. On ne sait pas ce que l'autrice veut nous raconter et on finit par s'ennuyer ferme.
 

    Si encore les personnages suffisaient à nous donner envie d'aller jusqu'au bout, mais même là, malgré nos efforts, c'est de nouveau très inégal. Les profils des héroïnes sont initialement plutôt bien brossés, toutes trois se distinguant chacune par une psychologie et un parcours différent. En cela, elles reflètent assez justement trois façons d'être femme en 1922 (la "bonne épouse", la garçonne et la bohème), mais elles peinent à prendre une véritable place dans ce scénario de littérature jeunesse. Entre les traumas (notamment une scène de viol, annoncée en introduction, mais racontée avec maladresse) et les combats, elles sont finalement mises en scène à travers des dialogues qui sonnent le plus souvent faux. Leurs réactions (ou absences de réaction) n'ont que peu de crédibilité et elles n'ont pas l'épaisseur que l'autrice cherche à leur donner. Même les personnages secondaires, très caricaturaux, témoignent d'un cruel manque de nuances.


    Enfin, l'écriture, là aussi, est sur le même modèle. Le style est certes correct mais très scolaire, comme si l'autrice cherchait sa plume. Celle-là reste assez plate, avec certains anachronismes assez indigestes pour les lecteurs férus de fictions historiques. Un écart assez malaisant subsiste tout au long du livre entre les thèmes abordés par l'écrivaine (forts, parfois même crus ou violents) et l'écriture, trop superficielle.


En bref : Malgré son pitch alléchant et des thématiques centrales qui laissaient présager une lecture passionnante, La folie des Papillons est une vraie déception. En effet, en dépit de sujets forts, ce roman souffre de ses trop nombreuses inégalités : l'écriture manque de fluidité, les personnages, de crédibilité, et quant à l'intrigue, elle s'égare dans un fourre-tout dont on peine à démêler le fil d'une trame véritablement substantielle.  Tout ça est très dommage, car on a réellement cherché à s'accrocher et à trouver des points positifs... sans les trouver.