dimanche 27 février 2022

Chou à la crim' (Les thés meurtriers d'Oxford #1) - H.Y. Hanna.

A scone to die for (Oxford Tearoom Mysteries #1)
, Autoédition KDP Amazon, 2016 - KDP Amazon (trad. de D.Caro), 2021.

    Gemma abandonne son emploi prestigieux pour rentrer à Oxford et réaliser son rêve : ouvrir un salon de thé traditionnel anglais. Pour ce faire, elle doit dépenser toutes ses économies, retourner vivre chez ses parents et supporter sa mère autoritaire qui joue les entremetteuses, mais elle en est persuadée : c’est pour la bonne cause. La preuve : ses affaires sont déjà en plein essor... jusqu’à ce qu’elle découvre un jour en ouvrant sa boutique qu’un touriste américain a été tué par l’un de ses fameux scones !
    Gemma se retrouve plongée au cœur d’une mystérieuse affaire présentant des liens inattendus avec l’université d’Oxford. Ses propres années d’études sur place reviennent la hanter lorsque le séduisant inspecteur du CID chargé de l’affaire s’avère être son ancien amour d’université. Entre les vieilles commères de son village qui se mêlent de tout et la chatte effrontée de son chef pâtissier qui terrorise sa clientèle, Gemma ne sait plus où donner de la tête...
    Un meurtre n’est jamais bonne pour les affaires, surtout quand les clients se mettent à penser que vos scones sont mortels. Le nombre de victimes augmente, et le salon de thé de Gemma risque bien de faire faillite. Parviendra-t-elle à trouver le tueur avant que les choses ne tournent sérieusement au vinaigre ?

    Chou à la crim’ est le savoureux premier tome de la série Les Thés meurtriers d’Oxford. Si vous aimez les personnages délicieusement attachants, les intrigues policières et l’humour britannique hilarant, sans oublier les chats à forte personnalité, vous allez adorer le premier livre de la série de cosy mysteries à succès de H.Y. Hanna.
 
*** 

    Ah qu'il est vaste, l'univers des cosy mysteries ! Difficile de ne pas y sombrer totalement dès lors qu'on y a mis un pied. Ce genre typiquement anglo-saxon arrivé récemment en France sous l'impulsion de la (très) tardive traduction d'Agatha Raisin enquête n'arrête plus de faire des petits. Les cosy mysteries se déclinent désormais à toutes les sauces et dans tous les pays, et même des auteurs de renom souhaitent y essayer leur plume. Tout récemment, nous avons partagé avec vous notre lecture de Meurtre au manoir d'Archly, premier tome de la nouvelle série Une lady mène l'enquête, une des dernières nées de la vague des cosy crimes. Autre particularité ? Cette sympathique alternative à Son Espionne Royale mène l'enquête présentait l'intérêt d'être une traduction d'un livre autoédité, dont la VO avait été encensée par la critique. La transposition en langue étrangère est en effet devenue depuis peu l'un des nombreux services offerts par la plateforme d'autoédition Amazon Kindle Direct Publishing, permettant ainsi la diffusion à l'international d'ouvrages autopubliés. Dans le cas d'Une lady mène l'enquête cependant, le texte français, traduit en partie par un logiciel, laissait quelque peu à désirer. De quoi nous passer l'envie de tenter à nouveau l'expérience ? Même pas. Les thés meurtriers d'Oxford, autre série de cosy mysteries parue en autoédition en langue anglaise et récemment traduite via KDP, a su retenir notre attention : un titre alléchant ( le titre en VO A scone to die for, égale The quiche of death en audace et en fantaisie) et une couverture divinement aquarellée mêlant thé, gourmandises... et mort. Porcelaine, sucre et crâne : difficile de résister !

"Je devais admettre que j'avais toujours eu une préférence pour les chiens. Je trouvais les chats fascinants et adorables. Ils avaient leur place sur les cartes de vœux. Mais pas sur mes genoux."


"Fletcher Wilson maniait avec brio le mixer et la spatule. Vous auriez volontiers échangé votre premier-né contre une part de son sticky toffee pudding."

    L'intrigue de ce premier opus nous entraîne dans la ville universitaire d'Oxford et ses alentours, fief de Gemma Rose, jeune presque-trentenaire qui a décidé de quitter un job en or à Sydney pour revenir s'installer dans sa ville natale. Là, elle rachète un ancien salon de thé mis en vente suite au départ en retraite de ses propriétaires et décide de lui redonner vie, réalisant ainsi son plus vieux rêve. A ses côtés dans cette entreprise : Cassie, amie de longue date, et Fletcher, timide habitant d'Oxford dont les talents culinaires fournissent scones et sponge cakes aux clients. Ah, n'oublions pas Muesli, la chatte facétieuse de Fletcher, sans laquelle il ne peut venir au travail (même si elle fait souvent damner Gemma). Un jour de grande affluence, la petite équipe du salon se heurte à un client particulièrement désagréable, un Américain venu semble-t-il en voyage organisé pour visiter Oxford. Après plusieurs altercations avec Gemma, Cassie, et même Muesli, on retrouve le cadavre du touriste devant les portes du salon le lendemain matin, un scone enfoncé dans la bouche. Panique à bord : les journalistes ne tardent pas à diffuser l'affaire dans la presse et le salon de Gemma perd soudainement en popularité. Bien décidée à prouver que ses pâtisseries ne sont pas mortelles, elle se lance dans sa propre enquête, s'aidant tour à tour des talents artistiques de Cassie, des compétences de Seth, maître de conférence à l'université, et de l'inaltérable curiosité d'une bande de vieilles commère du village, auto-missionnées à jouer les Miss Marple. Seul ombre au tableau ? Le policier chargé de l'affaire n'est autre que l'amour de jeunesse de Gemma, ce qui n'est pas sans compliquer les choses...
 

"Avec leurs cheveux blancs bouffants, leur cardigan en laine et les lunettes perchées sur le bout de leur nez, elles ressemblaient en tous points au stéréotype des mamies gâteau. Mais tout le monde sait qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Ces quatre-là auraient pu rivaliser avec le MI5."

    Échaudés par le texte français de Meurtre au manoir d'Archly, c'est dire si nous craignions le pire pour cette traduction. Agréable surprise cependant : Chou à la crim', premier titre des Thés meurtriers d'Oxford, a vu son texte transposé en VF par Diane Garo, une traductrice confirmée. Outre deux petites coquilles qui semblent avoir échappé à la relecture, le tome 1 de cette nouvelle série témoigne d'une traduction de qualité, le travail d'adaptation poussant le professionnalisme jusqu'à mettre en contexte et expliquer la langue vernaculaire d'Oxford ou les détails culinaires typiquement anglais. On est ici très loin du carnage de Meurtre au manoir d'Archly ! Apparemment lue en VO par une importante communauté de lecteurs français, l'autrice explique en fin d'ouvrage que c'est grâce à eux qu'elle a pu elle trouver LA traductrice de la situation. Diane Garo bénéficie à ce titre de son nom sur la première de couverture, chose assez rare pour être précisée.
 

"Tu n'imagines pas la quantité de commérages liés à la curiosité oisive dans les petits villages. C'est probablement plus difficile de duper les locaux que d'entrer au Pentagone avec une fausse identité."

    La lecture rendue dès lors beaucoup plus agréable par la fluidité du texte, on s'est laissé glisser avec plaisir dans le petit monde de H.Y. Hanna, qui s'est nourrie de sa propre expérience d'étudiante à Oxford pour écrire cette série. Tous les éléments qu'on aime sont là : un univers so British, du thé et des scones à foison, un petit village en pleine campagne anglaise, et les vieilles gazettes locales qui cancanent sans discontinuer en jouant au bridge. Le décor et les principaux éléments instaurent un sentiment immédiat de familiarité, en plus de mettre en avant la richesse culturelle d'Oxford. Au-delà de l'aspect "carte postale", on y apprend en effet de passionnantes informations sur le fonctionnement de l'université, ses codes et ses nombreux rites institutionnels. On se promène dans le vieilles rues avec délice, rêvant de voyages et de l'ère pré-Brexit...


"C'était typiquement anglais d'utiliser des euphémismes pour tout. Un meurtre brutal se trouvait réduit à des "désagréments". Les journaux britanniques avaient dû faire état du naufrage du Titanic comme d'une "excursion regrettable"."

    On s'attache très rapidement à la galerie de personnages imaginée par H.Y. Hanna, sans trop éprouver le sentiment de redite qui se fait vite ressentir quand on passe d'un cosy mystery à un autre. Son héroïne, Gemma, n'est ni une Agatha Raisin ni une Lady Georgiana : caractérisée par sa profonde normalité, elle permet au lecteur de se reconnaître en elle et de se trouver sur un pied d'égalité avec ce personnage principal. L'humour et l'extravagance, très justement dosés (on n'est pas ici dans le pastiche à la M.C.Beaton), viennent des personnages secondaires qui pimentent par petites touches l'intrigue en perturbant son fil par leurs bizarreries ou leur grain de folie : Mrs Rose, l'insupportable mère de Gemma (sorte de mère de Bridget Jones en version bobo guindée) mais surtout les tordantes mamies du village qui décident de jouer les espionnes, promesse de quelques scènes on ne peut plus cocasses...

 
"— J'ai entendu aux informations que la police avait déjà un suspect en garde à vue, dit l'une des autres dames.
— Ce sont des sottises, déclara Mabel avec aigreur. Ils n'ont personne en garde à vue. Ils n'ont que quelques théories farfelues – ce qui n'est guère surprenant compte tenu de l'incompétence du sergent que j'ai rencontré. Vraiment ! Ce garçon ne trouverait pas son propre zizi s'il n'était pas enfermé dans son pantalon !"
 
    L'intrigue est particulièrement bien élaborée et prendra plus d'un lecteur au piège : même lorsque vous croirez avoir deviné l'identité du suspect, ce sera pour mieux être surpris au chapitre suivant. H.Y. Hanna est une nouvelle preuve que les scenarii bien ficelés ne sont pas le seul apanage des livres publiés en édition classique ; la romancière s'impose ici comme autrice à suivre. On sort de cette lecture l'eau doublement à la bouche : d'une, parce qu'on est curieux de poursuivre la série, de deux, parce que les nombreuses allusions à la pâtisserie britannique donnent réellement faim ! Fort heureusement, H.Y. Hanna nous livre sa recette de scones en fin d'ouvrage. De quoi poursuivre le plaisir aux fourneaux...
 

En bref : Nouvel exemple d'autoédition réussie, ce premier tome des Thés meurtriers d'Oxford présente également l'atout non négligeable d'une traduction de qualité. Chou à la crim' est aussi un cosy mystery convaincant, réunissant les meilleurs éléments du genre sans arrière-goût de redite. H.Y. Hanna met en scène des personnages attachants, un univers british comme on les aime, et pimente le tout des détails typiques de la vie à Oxford, ce qui permet à sa série de trouver sa marque de fabrique. Ah, et sans oublier la dimension gourmande grâce au décor du salon de thé, sujet à de savoureuses digressions. Vous reprendrez bien un scone ?
 
 

mardi 15 février 2022

Meurtre au Manoir d'Archly (Une lady mène l'enquête #1) - Sara Rosett.

Murder at Archly Manor (High Society Lady Detective #1)
, McGuffin Ink (autoédition Amazon), 2018 - McGuffin Ink (autoédition Amazon) (trad. d'E.Velloit et Valentin translation), 2021.

 
    Londres, 1923. Olive Belgrave a besoin d’un travail. Malgré son éducation aristocratique, elle est sans le sou. Déterminée à obtenir son indépendance, elle saute sur l’occasion quand on lui propose un travail atypique : enquêter sur le fiancé de sa cousine, Alfred. Alfred est apparu au sein de la haute société de Londres, mais il reste très vague au sujet de son passé. Avant qu’Olive ne puisse apprendre plus que des informations rudimentaires, un meurtre a lieu lors d’une soirée huppée. Tous les Bright Young People invités deviennent alors suspects. Olive doit se hâter de trouver le coupable, car le meurtrier semble bien déterminé à ce que sa première affaire soit la dernière
 
    Meurtre au manoir d’Archly est le premier tome d’Une lady mène l’enquête, une série policière historique à la lecture légère. Si vous aimez les plaisanteries pleines d’esprit, les décors glamour et les rebondissements délicieux, vous adorerez Sara Rosett, auteure de best-sellers au classement du USA Today, et sa série Une lady mène l’enquête, pour les amoureux de mystères et de culture anglaise.
 
   Voyagez dans l’Âge d’or de la fiction policière avec Meurtre au Manoir d’Archly.
 
***
 
    C'est tout à fait par hasard que nous sommes tombés sur ce titre au détour d'un vagabondage sur le net, découverte cependant probablement influencée par quelque malicieux algorithme : quelque part entre une couverture de Son espionne royale (première mouture) et les visuels de Sa majesté mène l'enquête, Meurtre au Manoir d'Archly mobilise ici les codes esthétiques des cosy mysteries qu'on s'arrache en librairie. Pas de doute que niveau com', l'éditeur a mis dans le mille. L'éditeur ?... En fait d'éditeur, c'est l'industrie Amazon qu'il faut féliciter, car Meurtre au Manoir d'Archly est un pur produit de l'autoédition par Kindle Direct Publishing, à ceci près qu'il s'agit ici d'autoédition traduite.
 
Lady à l'avant, château à l'arrière ; comme un air de déjà-vu...

    En effet, si l'autoédition commence seulement à décoller dans l'hexagone (souvent au prix de visuels assez hideux et d'une communication toute relative), les États-Unis ont pris une belle longueur d'avance dans la confection et la diffusion de livres sans le passage par l'édition classique. La presse de grosse envergure (USA Today et Publishers Weekly, pour ne citer qu'eux) se fait même le relais de ce nouveau marché. Il faut admettre qu'on s'y tromperait : les visuels sont travaillés et il semblerait que les auteurs, emmanchés ou associés à de nombreux comités de lecture, se soient assurés de vérifications et corrections de qualité avant la publication. Pas de doute qu'il y là un vrai savoir-faire. On s'imagine qu'ils ont dû mettre la main au porte-monnaie, mais l'autoédition leur rend bien : on rappelle que le retour sur investissement est beaucoup plus avantageux (du moins si ça marche) que les quelques pourcentages de droits d'auteur en édition classique. Amazon a par ailleurs élargi le panel de ses services aux auteurs autoédités et propose désormais la traduction en langue étrangère de leurs ouvrages, pour une diffusion à l'international.

Le livre dans sa version originale : une autoédition qui a de l'allure !

    Sara Rosett, qui se fait donc tout doucement connaître en France via ce premier livre traduit, a une carrière déjà bien remplie dans l'autoédition. En VO, elle est l'autrice de plus de trente romans ainsi que de quelques guides d'écriture. Après avoir écrit quelques essais mais aussi des nouvelles et des articles pour la presse, cette Texane a rapidement vu l'intérêt de passer par l'autoédition afin de vivre de sa passion. Bien évidemment, cela ne peut fonctionner que si le talent préexiste mais en l’occurrence, Sara Rosett avait déjà aiguisé sa plume et, élément non négligeable dans l'affaire, on peut supposer qu'elle s'était déjà fait un nom. Autre atout d'importance : elle fait subventionner ses ouvrages via la plateforme de financement participatif Patreon. Ses séries  On the run et Murder on location, autoéditées sous son label McGuffin Ink via Amazon, ont rencontré un certain succès outre-Atlantique, au point de figurer parmi la sélection de best-sellers du USA Today. Passionnée de fictions policières vintage et de l'Angleterre d'antan, Sara Rosett s'est lancée en 2018 dans une nouvelle série : High Society Lady Detective, les enquêtes d'une jeune lady sans le sou dans l'Angleterre des Années 1920. Magie des thèmes et de la mouvance du cosy mystery, très en vogue, les livres rencontrent un succès immédiat. Plus encore, ils sont très favorablement critiqués par le Publishers Weekly et la Historical Novel Society, qui louent aussi bien l'écriture que la reconstitution. Le tout est servi sous une couverture furieusement Art Déco, irrésistible. Mais que dire de notre lecture en VF de ce premier opus ?
 
 Sara Rosett
 
    Arrachons le sparadrap au plus vite : le texte français est une catastrophe. Amazon propose certainement différents services de traduction, mais a choisi pour ce titre de passer par le site Valentin Translation (apparemment chargé de la transposition en français de titres anglo-saxons autoédités) et par une traductrice. Le résultat sent le logiciel à plein nez, tout juste relu pour corriger les plus grosses incohérences : les anglicismes sont nombreux et la tournure des phrases est toute britannique (ce qui est ici loin d'être un compliment : ceux qui lisent l'Anglais dans le texte ou le traduisent savent qu'on ne peut faire dans la transposition littérale). Certains paragraphes souffrent de multiples répétitions (j'ai compté jusqu'à trois fois le même mot en quatre lignes, à plusieurs reprises) là où l'utilisation de synonymes n'aurait pas demandé davantage d'efforts. Le carnage est d'autant plus grand que le style de l'autrice avait été applaudi en version originale : lorsqu'on transpose en langue étrangère un ouvrage d'autoédition qui mérite d'être connu, il mérite aussi qu'on fasse les choses bien. Loupé.
 
Récente édition allemande... On leur souhaite une traduction de meilleure facture...
 
    C'est un véritable crève-cœur d'admettre les défauts de ce roman, car on ne peut que constater le talent de Sara Rosett : l'intrigue, en hommage aux whodunit d'antan, est plutôt bien construite et les protagonistes, bien dessinés. On pense énormément à la série Son espionne royale de R.Bowen (d'ailleurs, comme on le suggérait plus haut, le concepteur de la couverture a certainement joué là-dessus), même si le personnage d'Olive, lady sans le sou, est beaucoup moins proche du cercle de la Reine que Georgiana. Là où R.Bowen raconte le milieu de l'aristocratie, Sara Bowen s'arrête à la petite noblesse et à la haute-société britannique. On retrouve cependant une même héroïne rafraîchissante, vive et débrouillarde, qui tente de s'en sortir dans la vie sans héritage et qui se découvre un talent pour résoudre des crimes. Degré social oblige, sa situation est donc moins scandaleuse et sujette à quiproquos que celle de Lady Georgie, mais tout comme elle, Olive n'est jamais mécontente de se faire inviter par un cousin ou un ami fortuné pour se restaurer d'autre chose que de toasts et de thé tiède...
 
Chatsworth House.
 
    Bien que de naissance américaine (et malgré la barrière de l'horrible texte français), on sent chez l'autrice le désir d'offrir une reconstitution soignée et l'amour sincère de ces fictions policières délicieusement surannées. Elle cite bien évidemment dans ses inspirations Agatha Christie, mais on croit aussi cerner l'influence de Downton Abbey dans son intrigue ; ainsi, la domesticité est plus présente ici que dans Son espionne royale. Le village de Nether  Woodsmoor et le manoir de Parkview sont entièrement fictifs, mais ils avaient déjà fait l'objet d'un précédent roman policier de Sara Rosett : elle confie à la fin de Meurtre au manoir d'Archly avoir imaginé ces décors pour un tome de sa série contemporaine Murder on location, avant que cela ne lui donne l"idée de redonner vie à la demeure et au village dans une fiction se déroulant dans les années 20. Richement documentée et nourrie de nombreux voyages, elle s'est ainsi fortement inspirée du cadre enchanteur du Derbyshire et du manoir de Chatsworth.
 
Colleen Moore, première garçonne du cinéma avant Louise Brooks.
 
    Concernant Olive, si Kerry Greenwod avait puisé dans l'allure de Louise Brooks pour imaginer le personnage de Phryne Fisher, Sara Rosett, elle, raconte avoir été fortement inspirée par une autre flapper des Année Folles pour créer son héroïne : Colleen Moore. Star du cinéma des années 1920 aujourd'hui oubliée, elle avait immortalisé à l'écran le carré à la garçonne bien avant la célèbre Loulou. La romancière explique avoir passé de longues heures devant les extraits vidéos de ses prestations pour donner progressivement corps et allure à Olive Belgrave.
 

    Vous l'aurez compris, malgré le désastre de la traduction, on a néanmoins été convaincu par l'intrigue et l'héroïne de Sara Rosett. Meurtre au Manoir d'Archly présente en effet de nombreux atouts et un potentiel certain. La preuve en est qu'en VO, la série vient de voir paraître son septième tome en 4 ans, et son succès ne se dément pas. Il est certain qu'on va continuer de suivre les enquêtes d'Olive Belgrave, même s'il faut pour cela le faire en version anglaise...

En bref : Exemple d'une autoédition anglo-saxonne de grande qualité, digne des meilleurs cosy mysteries vintage, ce premier tome de la série Une lady mène l'enquête a presque tout pour plaire. Cette excellente alternative à la série Son espionne royale, applaudie pour la qualité de son intrigue et de son écriture en version originale, ne souffre ici "que" de sa catastrophique traduction. On espère un texte français de meilleure qualité pour les prochains opus, car Sara Rosett méritait à l'évidence infiniment mieux !
 
 
 
 Et pour aller plus loin...

dimanche 13 février 2022

Tu réclamais le soir - Fabrice Colin.

Calmann Levy, 2022.
 
    "J'étais venu pour me perdre, et j'avais eu ce que je désirais, mais c'était pire encore. Il n'y avait rien au cœur du labyrinthe. Juste moi-même."
    1994. Entre ses études de commerce et son petit couple banlieusard, Fabrice traîne son ennui dans le Marais. Tout change quand il rencontre Iago et Brume. Frère et sœur ou amants ? Fascinants, surtout - cyniques, brillants, autodestructeurs. Avec Axël, qui complète le vénéneux trio, ces enfants terribles l'introduisent dans l'hôtel particulier du Marquis, ouvert aux âmes perdues et aux soirées très privées.
 
    Paris de jouissance, Paris de danger : le sida rôde. Les condamnés mettent un point d'honneur à partir en beauté, une énergie noire pulse sous les néons.
    Fabrice tangue entre ses désirs, ses ambitions et ses failles. Que vient-il chercher dans ce monde qui n'est pas le sien ?
    Pourquoi tient-il tant à s'oublier dans le malheur des autres ?
 
***
 
     Auteur prolifique à la plume éclectique, Fabrice Colin fait probablement partie de notre panthéon d'écrivains (au sens figuré, bien sûr : nous avons de la chance qu'il soit encore en vie, promesse de futures publications qu'on attend déjà avec impatience). De ses récits pour la jeunesse dévorés pendant notre enfance et notre adolescence à la littérature adulte dans laquelle il s'illustre avec talent, Fabrice Colin crée à chaque fois des électrochocs. Jamais, d'histoire de lecteur, nous avons lu un auteur capable de rendre ses personnages aussi vivants, même dans une œuvre de fantasy, et de mettre au service des genres les plus divers une plume aussi poétique. Tu réclamais le soir, son petit dernier, ne fait pas exception...
 

"Une joie sacrilège m'emplissait, de celles que l'on ressent quand on trouve plus ravagé que soi."

    L'histoire nous invite à un retour dans le temps : nous sommes au début des années 90, dans le quartier du Marais, à Paris. Fabrice, la petite vingtaine, se laisse porter par un quotidien sans saveur entre son école de commerce et une vie de couple sans surprise, monocorde. Lorsqu'un soir, il fait la rencontre accidentelle de Brume, jeune fille à l'aura vénéneuse mais irrésistible, et Iago, son frère magnétique et évanescent, il ne sait pas qu'il va mettre les pieds dans un engrenage sans fin. Attiré par eux comme le papillon de nuit par la lumière, il s'engouffre dans les profondeurs du Marais quand la nuit tombe, à leur recherche. Son point de chute est un hôtel particulier tenu par le Marquis, un vieil extravagant qui héberge là des âmes égarées et torturées que cette fin de siècle a mis au banc de la société : homosexuels, prostitués, malades du sida... Fabrice y retrouve Brume, Iago, et Axël, son amant au bord de la mort. Et alors, comme pour interroger son droit à la vie, il se laisse tomber avec eux dans un tourbillon de fêtes, de nuits et de vertiges dont personne ne sortira indemne...
 
 
"Ce que je lui reprochais, au fond, c'était notre banalité, la banalité de ce que nous étions, de l'avenir paisible et sans relief qui nous attendait, empêché de reconnaître que cette banalité, peut-être, était la seule chose qui aurait pu me sauver."

    Le moins que l'on puisse dire, c'est que Fabrice Colin n'est jamais là où on l'attend. Tu réclamais le soir crée la surprise en montrant le talent de son auteur à se renouveler. Dans ce drame psychologique tortueux, il met en scène un trio d'oiseaux de nuit qui se croisent et s'entrecroisent telles des étoiles filantes dans le crépuscule parisien. Chuteront-elles avant le petit matin ? Entraîné dans les abysses du Marais par Brume et Iago, les noctambules, Fabrice glisse avec eux sur le fil du rasoir, en équilibre instable, frôlant le danger comme dans un éternel jeu de cache-cache. Progressivement, on s'interroge quant à ce que dissimulent (et en même temps ce que tendent à révéler) les mises en danger de Fabrice en côtoyant cet univers où il pourrait brûler plus que ses ailes, lui, ce personnage principal d'apparence sage et sans histoire. A moins que les apparences soient trompeuses ?
 

"J'avais passé l'essentiel de mon enfance et de mon adolescence dans un cocon. Autant que possible, je m'étais fermé aux folies et aux poisons des autres. Mais une partie de moi, je l'avais toujours su, réclamait du sang et de la douleur."

    Fabrice Colin excelle dans la restitution d'une époque et du milieu gargantuesque, lumineux et décadent du Marais dans les années 90, lequel s'incarne à travers l'hôtel particulier du Marquis et ses hôtes fantômes, où le tout Paris vient s’encanailler une fois la nuit tombée. Rarement la littérature aura si bien raconté cette période, ces années sida pendant lesquelles la communauté homosexuelle revendiquait son droit à exister, à vivre, alors que la mort était pourtant si proche.
 
 
"Elle qui te veut pour lui, lui qui t'espère pour elle, toi qui ne comprends rien – moi qui te regarde et te dis : va-t'en, chérubin de mes deux, dégage, mets les voiles. Loin de notre trio maudit."

    D'une plume à la fois crue et magnifique, Fabrice Colin nous guide dans ce labyrinthe que sont le Marais aussi bien que les destinées sinueuses de ses protagonistes : derrière les faux-semblants dont ils se parent, derrière les fables qu'ils se racontent, l'intrigue à double fond construite avec l'intelligence d'un Escher dévoilera peu à peu les secrets de ces personnages qui portent le chagrin en bandoulière.
 

"Il y a quelque chose d'assez inatteignable, chez ce garçon, tu ne trouves pas ? Les astres lui ont donné la beauté et, en échange, se sont ligués contre lui. Triste comme un ange gardien dans un camp de la mort."

    Dans cette œuvre qui fait écho à Baudelaire (le titre est un hommage à l'un de ses vers) et à Rimbaud, Tu réclamais le soir, qui aurait pu s'intituler aussi "Une saison en Enfer", fait danser les âmes perdues, les esprits torturés et les corps abîmés. Ça pique, ça déchire, ça brûle et ça mord ; ça touche profondément.
 
"Nous n'étions rien l'un pour l'autre : nous nous reconnaissions, c'était tout. Deux solitudes impuissantes à se combler."
 
 
"Ce qui s'est passé ensuite échappe au pouvoir du langage. Il faudrait hurler le visage enfoui dans la neige, manier le pinceau de martre en aveugle, sourire de ne plus respirer – rien ne pourrait répondre aux ruines incendiées de l'heure profonde." 

En bref : Entre ombres et lumières, dans le théâtre fastueux et décadent du Marais, Fabrice Colin nous raconte les années sida à travers les destins croisés de personnages qui flirtent aussi bien avec la nuit qu'avec la mort. D'une plume d'autant plus magnifique quand elle aborde avec toute sa poésie habituelle les monstruosités de l'existence, l'auteur restitue un milieu et une époque avec talent. Certainement l'un des plus beaux exemples du romantisme noir de la littérature contemporaine, Tu réclamais le soir électrise, subjugue, et remue le lecteur.
 
"Le silence est tombé entre nous comme une glace sans tain."

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Calmann Levy pour cette lecture.


vendredi 11 février 2022

Bobards et compagnie - Faustina Fiore.

Poulpe Fictions, 2022.
 
    Un problème inextricable ? Appelez Bobards et compagnie !
 
    Dans la famille Alonzi, on trouve 5 frères et sœurs passionnés et survoltés : Frédéric, Marianne, les jumeaux Théo et Léa et l’Alien… le plus jeune et le plus bizarre ! Leur problème du moment ? Ils ont un besoin urgent d’argent de poche pour s’acheter des livres, des bds et des jeux vidéos. Or cette tribu n’a qu’une seule chose à vendre, un talent incroyable à partager avec le monde : une imagination débordante et une capacité à inventer les meilleurs mensonges ! C’est la naissance de la société Bobards et compagnie. Vous avez un souci ? Un beau mensonge peut vous changer la vie ! 

    Un roman plein d’humour sur les pouvoirs de l’imagination et l’accès à la culture.
 
***

    Il y a dix ans, nous vous présentions Les Oiseaux Noirs, premier roman de Faustina Fiore, déjà bien connue en tant que traductrice de littérature jeunesse (on lui doit par exemple les textes français de la saga Rose de H.Webb, ou encore des Enquêtes de Wells & Wong de R.Stevens). Ce premier ouvrage aux allures de conte initiatique laissait augurer une carrière d'autrice des plus intéressantes ; autant dire qu'on attendait de pied ferme ses futurs écrits ! Une décennie plus tard, Faustina Fiore revient en librairie avec un nouveau roman, mais dans un registre très différent du précédent...
 
Trailer annonçant la sortie du roman...

    La famille Alonzi se compose de cinq enfants pleins de surprises et de ressources : Frédéric, l'ado d'un mètre quatre-vingt-cinq champion de la glandouille et fan de jeux vidéos, Marianne, l'intellectuelle passionnée de lecture, les jumeaux Théo (un peu hyperactif) et Léa (qui a autant de copines que son frère a d'énergie) et le petit dernier, l'Alien, qui... eh bien  disons qu'il porte un peu trop bien son surnom. Ils vivent avec leur mère, couturière à son compte, dans la petite ville de Cannelle, menacée par la démolition de la médiathèque. La médiathèque, hideuse, certes, mais bien pratique pour acquérir livres et jeux vidéos quand on n'a pas d'argent pour en acheter. Face à la fermeture imminente, tandis qu'Elizabeth, la grand-mère des Alonzi, milite en compagnie de quelques irréductibles, ses cinq petits-enfants trouvent une idée en or pour se faire de l'argent de poche. Mutualisant leurs compétences et leurs intelligences multiples, il fondent Bobards et compagnie, une société qui vend des mensonges pour sortir ses clients de leur mauvais pas... C'est le début d'une grande aventure, aussi très mouvementée !
 
Illustration intérieure de G.Elbaz.

    Pépite rafraichissante comme seule sait en publier la maison d'édition Poulpe Fictions, Bobards et Compagnie est une lecture pétillante qui garantit de belles heures de rire. Loin du fantastique sombre et mélancolique des Oiseaux Noirs, Faustina Fiore montre l'étendue de son talent en s'illustrant avec brio dans un genre très différent, maniant l'humour à la perfection.
 
    On s'attache à ces cinq enfants, les personnalités étant assez variées pour permettre à chaque lecteur de s'identifier à l'un d'entre eux ; leurs caractères sont particulièrement bien définis et tous trouvent leur place dans l'intrigue. Bon, on l'avoue, on a cependant une préférence pour le grand dadais glandouilleur et pour le petit dernier, qui semble dissimuler un esprit des plus machiavéliques derrière sa bouille d'ange et son cheveu sur la langue. L'écart entre leurs différents tempéraments et surtout la bizarrerie du petit dernier apporte la drôlerie caractéristique de ce nouveau livre.
 
Galerie des personnages, par G.Elbaz.

    Faustina Fiore a également créé de nombreux personnages secondaires, hauts en couleurs : de Mamie, militante prête à s'enchainer aux grilles de la médiathèque, à l'éleveur de cygnes et à l'éleveur d'alpagas (une longue affaire, trop longue à raconter ; lisez le livre, vous verrez bien), en passant par M. Bedonnant, tous apportent leur petite touche à cette histoire résolument originale. Le tout est porté par une narration à l'aura très forte, voix omnisciente qui prend le lecteur à partie et l'apostrophe régulièrement en commentant les faits et gestes des enfants Alonzi, à grand renfort de notes de bas de page à se tordre de rire. Certainement LE point fort de ce roman.
 
    L'écriture vive et l'intrigue, rythmée, sont accompagnées des excellentes illustrations de Gregory Elbaz. Les bouilles rondes de ses personnages et son univers coloré collent à la perfection à la fantaisie du roman, l'ensemble nous rappelant les bons vieux Tom-Tom et Nana de notre enfance : une histoire de fratrie qui fait la part belle aux facéties.
 
 Illustration intérieure de G.Elbaz.
 
En bref : Dix ans après Les Oiseaux Noirs, Faustina Fiore s'éloigne de l'univers de son premier roman et montre qu'elle excelle tout autant dans l'humour. Avec Bobards et compagnie, elle offre aux jeunes lecteurs une histoire de fratrie portée par une narration unique et des personnages aussi attachants que farfelus. On espère vivement retrouver les Alonzi dans un second tome...
 
 
Et pour aller plus loin...
 

dimanche 6 février 2022

Noël en février ? Clôture de nos fêtes en chapeau melon...


    Les meilleures choses ont une fin : après plus d'un mois à célébrer les fêtes de fin d'année en compagnie des Avengers, il est temps de raccrocher le chapeau melon et de remiser les guirlandes. Ou pas ? Après tout, c'est une coutume toute Steedienne que de fêter Noël au mois de février, et puis, nous avons encore quelques articles en réserve pour continuer de célébrer les 60 ans de Chapeau Melon & Bottes de Cuir ! Sachez-le également : nous fêtons aujourd'hui le 100ème anniversaire de la naissance de Patrick Macnee. Quel meilleur jour, donc, pour cet article qui tombe à pic?

    Pour l'heure, un petit récapitulatif s'impose : Nous avons tout d'abord ouvert les festivités avengeresques à la façon d'une invitation digne de la série, à savoir par le célèbre gimmick "We're needed". Notre article d'introduction a ainsi donné la couleur de nos célébrations hivernales et a en même temps officialisé notre participation annuelle au Challenge Chritmas Time de Mya Rosa. 


    Entre flocons de neige psychédéliques, sapins de Noël par milliers, et rêves prémonitoires angoissants (cf l'épisode "Too Many Christmas Trees"), Steed et ses délicieuses avengergirls nous ont entraîné avec eux au fil de nombreuses et périlleuses aventures au pays des neiges :
    
    Pour commencer, nous avons suivi notre héros en chapeau melon et la divine Emma Peel dans huit aventures bédéisées inédites, dont une se déroulant en plein hiver dans le château De'Ath (théâtre de l'une de leurs premières enquêtes communes). Flocons, avalanches, et fantômes écossais au programme, entre deux descentes sur les pistes de ski !
 

    Ces huit enquêtes illustrées, nous les avons redécouvertes en version... sonore ! Grâce au volume 1 puis au volume 2 des "comic strip adaptations", transposition en feuilleton audio par la société Big Finish des BD Chapeau Melon & Bottes de Cuir. Nous avons été immergés avec délice dans cet univers à la fois feutré, palpitant, et fantaisiste tellement familier et, surtout, tellement bien restitué !
 
 Steed et Cathy fêtent Noël.
 
    Nous avons ensuite partagé avec vous la découverte du comics de Ian Duerden : The Avengers 1966, un fanfic créé à moitié à la main et à moitié en images de synthèse en hommage aux comics des années 60. Il s'agissait évidemment d'un Christmas Special, avec pas moins de 4 mini-épisodes se déroulant pendant les fêtes de Noël. L'un d'eux proposait même de réunir Steed et toutes ses anciennes partenaires au cours d'une soirée des plus mystérieuses...
 
Montage - source : Pinterest.
 
    Un aspect "reunion" pour cet histoire, donc, qu'on a retrouvé avec le roman The Avengers : too many targets, soit la meilleure novélisation jamais écrite de Chapeau Melon & Bottes de Cuir. Se déroulant en 1969, elle met en scène tous les Avengers depuis le début de la série, faisant de nouveau équipe pour affronter un ennemi commun bien décidé à se venger de Steed et de tous ses collègues. Une véritable pépite !
 
 Montage - source : S.Potter, Pinterest.
 
    Bien évidemment, nous avons mis nos héros à l'honneur jusqu'au bout, puisque même nos réveillons et nos vœux d'entre-deux fêtes se sont faits dans une atmosphère toute avengeresque. Dans un décor digne de John Steed himself, entouré d'objets et d'accessoires échappés de ses affaires les plus périlleuses, nous avons ouvert nos paquets cadeaux et lutté contre les Diabolical Masterminds...

Montage - source : Pinterest.
 
     Enfin, nous avons également fait quelques incursions dans d'autres univers : une sortie au théâtre pour assister à une représentation de l'entraînant Tour du Monde en 80 jours, ainsi que quelques heures d'aventures télévisées de la nouvelle Miss Fisher (avec un épisode de Nouvel An, tout à fait de saison).
 
 
 
    Voilà pour le bilan de notre Noël en chapeau melon ! Nous remercions une fois encore Mya Pour l'organisation annuelle de son Challenge Christmas Time, qui brasse et rassemble de nombreux blogueurs ainsi que leurs enthousiasmantes contributions ! Nous réfléchissons déjà au thème de l'an prochain... on ne sait pas si elle est définitive, mais on a bien une première idée. Un indice ? Allez, c'est bien parce que c'est vous, hein :
 

    Sur ce, nous vous rappelons un ultime conseil avant de prendre congé : "Gardez toujours votre chapeau melon sur votre tête en période de danger, et gardez vous des esprits diaboliques qui pourraient vous menacer". ;-)
 
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vendredi 4 février 2022

Les nouvelles enquêtes de Miss Fisher (saison 2) - Une série de D.Cox et F.Eagger d'après K.Greenwood.

Les nouvelles enquêtes de Miss Fisher

(Ms Fisher Modern Murder Mysteries)

- Saison 2 -
 
 Une série de Deb Cox et Fiona Eagger d'après les personnages de Kerry Greenwood.

Avec : Geraldine Hakewill, Joel Jackson, Catherine McClements, Toby Truslove...

Première diffusion originale : 7 juin 2021
Première diffusion française (Warner TV) : 23 février 2020

    A Melbourne, Peregrine Fisher combat le crime lors de nouvelles enquêtes qui la conduisent dans des lieux saugrenus et vit sa romance avec le détective James Steed...
 
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    Si vous êtes des habitués du blog et que vous suivez nos publications depuis quelques années, vous n'êtes certainement pas sans connaître notre amour inconditionnel pour Phryne Fisher, l'héroïne des romans policiers australiens de Kerry Greenwood. Outre les livres, nous avons également décortiqué l'adaptation en série télévisée ainsi que sa clôture par un long-métrage de cinéma sorti en 2020. Fort du succès de ces transpositions mais dans l'incapacité de poursuivre le tournage des Miss Fisher enquête ! (pour des raisons de budget et d'indisponibilité du casting), ses créatrices Deb Cox et Fiona Eagger ont proposé le lancement d'un spin-off se déroulant trente ans plus tard. Il met en scène la nièce et digne de successeuse de Phryne : Peregrine Fisher.
 
 Trailer VO de la seconde saison.

    Bien que Peregrine ne soit pas un personnage créé par Kerry Greenwood, l'autrice des romans Miss Fisher enquête ! a pleinement adhéré au projet et l'a soutenu avec ferveur. La série Miss Fisher Modern Murder Mysteries (Les nouvelles enquêtes de Miss Fisher) a ainsi vu le jour en 2019 pour une première saison de 4 épisodes de 90 minutes, diffusée en France début 2021 sur Warner TV. Suite à ce début très prometteur (voir notre article sur la saison 1 ICI), nous attendions tous de pied ferme la suite des aventures de la pétulante Peregrine. Après un avenir incertain sur la chaine australienne qui avait initialement diffusé la première saison et un hiatus de deux ans, c'est finalement la plateforme de streaming Acorn TV qui a repris la franchise et passé commande d'une deuxième saison...
 
Trailer VF de la saison 2 pour la diffusion sur Warner TV.

    Pour l'occasion, le cahier des charges a été quelque peu revu et corrigé : au lieu du format 90 minutes initialement choisi pour ce spin-off, Acorn TV demande un retour au format 50 minutes, mais passe commande du double d'épisodes. C'est probablement la meilleure décision qui pouvait être prise : en plus de savourer 8 intrigues inédites, la durée plus condensée et beaucoup plus propice réinstaure un rythme qui manquait peut-être un peu à la saison précédente. 
 

    Fidèlement aux codes instaurés dès Miss Fisher enquête !, les scénarii permettent pour chaque épisode de Ms Fisher Modern Murder Mysteries d'immerger le téléspectateur dans un nouvel univers, souvent très évocateur de la période qui sert de contexte. Alors qu'on avait parcouru tous les lieux et décors emblématiques des Roaring Twenties avec Phryne (cabaret, speakeasy, le milieu émergent de la radio, le stylisme, les casinos clandestins...), on poursuit sur cette même lancée avec Peregrine. Après le prêt-à-porter des grands magasins, les émissions de variété, les OVNIs et les écoles de cuisine mixtes, on suit la pétillante enquêtrice dans club de libertins puis au sein d'une école d'hôtesses de l'air, ou encore en plein concours canin. Cette saison se termine par ailleurs sur un épisode de fête qui fait écho au Christmas Special qui clôturait la saison 2 de la série originale : on termine ici cette nouvelle salve d'enquêtes en beauté par un meurtre le soir du Nouvel An 1965, entre paillettes et champagne (une intrigue de saison, donc). D'un univers à l'autre, ces 8 épisodes se suivent donc avec plaisir et ce même si les scenarii restent inégaux : on alterne entre des intrigues bien ficelées et certaines autres parfois trop cousues de fil blanc.


    Toujours dans la lignée des thèmes mis en avant dans la série originale, Ms Fisher Modern Murder Mysteries continue d'aborder la place de la femme. Ce sujet, très à propos dans les années 1920 (période d'une première vague d'émancipation féminine au sortir de la Première Guerre mondiale), trouve une résonance avec les années 1960, marquées par l'émergence de la libération sexuelle qui explosera dix ans plus tard. L'évolution des mœurs (le mariage, l'amour libre, l'homosexualité...) est ainsi au centre de plusieurs enquêtes, mais, surtout, s'incarne principalement via le personnage de Peregrine, dont on suit avec intérêt l'évolution psychologique. Loin d'être une copie de sa tante, Peregrine, qu'on a rencontré solitaire et insouciante, gagne ici en confiance et en charisme : débrouillarde et volontaire, elle découvre qu'elle peut être maîtresse de son existence, et que les codes habituellement imposés aux femmes (mariage, enfants et tâches domestiques) ne sont décidément pas sa tasse de thé. Elle prend énormément en maturité et en professionnalisme, tout en gardant la malice qui lui est propre.
 

    Cette évolution n'est pas sans impact sur sa relation avec le détective James Steed. Si leur couple s'était formé plus rapidement que le duo Phryne / Jack (encore une fois, les scénaristes sont pertinemment passés à côté de l'écueil du copié-collé), ils sont aussi confrontés beaucoup plus tôt à leurs différentes visions de la vie conjugale et connaîtront quelques orages. L'occasion pour la série de nous en faire découvrir davantage sur le passé de James et de faire entrer en scène son ancienne fiancée, une rivale de choix pour Peregrine. Du côté du Club des Aventurières, on apprécie de retrouver la team qui œuvre aux côté de la jeune détective. On regrette que le duo Samuel / Violetta suive un chemin qui ressemble un peu trop au couple Hugh / Dotty, mais on est heureux de voir les secrets de Birdie, ancienne espionne et mentor de Peregrine, resurgir peu à peu. Cette intrigue secondaire enflera progressivement au point d'apporter son lot de révélation dans l'épisode 6 "Meurtre au Colombier" et conduira presque Birdie et son apprentie à se confronter, voire à s'affronter


    Si on regrette encore l'absence de liens plus concrets avec la série initiale (on ne sait toujours pas ce que son devenus Dotty, Hugh, Jack Robinson, ou même Jane), Phryne est souvent évoquée et son aura reste très présente. Pour ce qui est du reste, la série s'amuse, entre polar classique et espionnage vintage, à multiplier les clins d’œil à plusieurs univers de référence (Chapeau Melon et Bottes de Cuir, toujours, ou encore James Bond) sans oublier d'approfondir sa propre mythologie. Ainsi, tout comme Miss Fisher enquête ! qui avait subitement gagné en qualité dès la saison 2 (on avait noté un meilleur traitement de l'image, une recherche esthétique plus travaillée, et même une amélioration dans les intrigues), ce spin-off semble marcher dans les pas de son aînée. A côté de cette saison 2 beaucoup plus subtile et léchée, les quatre épisodes de la saison 1 font figure de petit échauffement.
 

    Les costumes de Maria Pattison (créations originales complétées de tenues d'époque) gagnent en glamour et en style, et montrent en même temps que Peregrine a trouvé sa ligne couture. Du tailleur pantalon à carreaux à la robe à sequins dorés du Réveillon, en passant par une superbe robe Mondrian (un an avant celle officiellement créée par Yves Saint-Laurent !), la nièce de Phryne témoigne du même goût que sa tante pour la mode. 
    Une grande importance est également apportée aux décors, même s'ils ne sont pas aussi opulents que ceux dans lesquels évoluait Phryne. Outre Labassa Mansion (manoir melbournais, siège du Club des Aventurières), on passe d'un bowling au kitsch rutilant aux lignes futuristes des maisons d'architecte mi-verre, mi-teck, typiques des fifties et des sixties. Même le montage des épisodes s'amuse d'effets visuels dignes de la télévision des années 60 (scènes de transition travaillées par un découpage de l'écran en trois, ou flashbacks mis en évidence par un cadre noir façon anciennes diapositives), le tout pour un rendu délicieusement suranné et totalement assumé.
 
Robe Mondrian divinement sixties...
 
    Nous n'avions pas parlé, dans notre article sur la première saison, de l'atmosphère musicale. Il faut dire que là où son aînée excellait, on avait été beaucoup moins marqué par les mélodies de cette nouvelle Miss Fisher. Un mieux s'amorce aussi de ce point de vue dans cette seconde saison : la série pioche aussi bien dans les vieux standards langoureux que dans la pop réjouissante des sixties. Le tout parvient davantage à mettre en valeur les compositions originales d'inspiration rétro de Bukhard Dallwitz, évoquant tantôt le thème de Drôle de Dames, tantôt celui de James Bond. Effet nostalgie assuré.
 

En bref : La série monte d'un cran avec cette deuxième saison : les scénaristes comme le casting semblent avoir trouver leurs marques et l'ensemble gagne autant en esthétique qu'en qualité d'écriture, même si certains scenarii restent parfois simplistes. Cela n'empêche pas de savourer ces huit épisodes comme on le ferait d'un roman de cosy mystery réconfortant et léger comme on les aime. Moitié spin-off, moitié suite, cette nouvelle Miss Fisher marche dans les pas de Phryne avec style – Glamour, rythme et fantaisie sont au programme. Autant dire qu'on est (déjà) très impatient de voir arriver la prochaine saison...




Pour aller plus loin...