dimanche 10 mars 2024

Julia (saison 1) - une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child.

Julia

(Julia)

- saison 1 -
 
Une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child
 
Avec Sarah Lancashire, David Hyde Pierce, Bebe Neuwirth, Fran Kranz, Fiona Glascott, Brittany Bradford, Judith Light, Isabella Rossellini...
 
Date de diffusion originale : 31 mars 2022 sur HBO Max
Date de diffusion française : 22 juin 2023 sur Prime Video

    Mettant en vedette Sarah Lancashire et David Hyde Pierce, cette série s’inspire de la vie extraordinaire de Julia Child qui a connu le succès avec « The French Chef », une émission culinaire. À travers la vie de cette femme, la série explore une période charnière de l’histoire américaine.
 
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    Si vous connaissez Julia Child, c'est très certainement que vous avez lu Julie & Julia ou vu le film éponyme adapté par Nora Ephron. C'est en effet à ce livre semi autobiographique de Julie Powel et à sa transposition sur grand écran en 2009 avec l'inégalable Meryl Streep que l'on sait aujourd'hui (du moins de ce côté-ci de l'Atlantique) qui est Julia Child. Née en 1912, cette Américaine est aux États-Unis une véritable star, icône du petit écran pour avoir lancé en 1962 une émission de télévision culinaire consacrée à la cuisine française. Plus qu'une "Maïté californienne", sa célébrité tient au caractère précurseur de son émission autant qu'au vent de révolution qu'elle a apporté dans les cuisines familiales (la cuisine américaine relevant alors davantage du fast food que de la gastronomie), sans oublier bien sûr son charisme des plus sympathiques et son humour très souvent involontaire. Si Julie & Julia était l'expérience d'une jeune femme du XXIème siècle permettant d'évoquer la figure de Julia Child et l'écriture de son premier livre de cuisine, Julia se veut un biopic consacré à la création de son émission et au retentissement populaire qui suivit.
 

    Lancé dès 2019, le projet de série sur Julia Child est d'abord envisagé avec l'actrice Joan Cusack (inoubliable Debby dans Les valeurs de la famille Adams) dans le rôle titre. La production, handicapée par l'épidémie de Covid-19, est mise en pause puis reprend après la crise sanitaire avec une équipe en partie renouvelée, cette fois avec la Britannique Sarah Lancashire (célèbre pour son personnage de Catherine Cawood dans Happy Valley) dans le rôle principal. Daniel Goldfarb, le créateur, n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il a également participé à La fabuleuse Mme Maisel (The marvelous Mrs Maisel), autre série à tendance biographique racontant l'avènement du stand up féminin dans le New York des années 50. Les deux séries sont par ailleurs souvent comparées et l'on ressent effectivement au visionnage un ADN similaire.
 

    Au casting, on retrouve aussi David Hyde Pierce (Frasier) dans le rôle de Paul Child, Bebe Neuwirth (inoubliable tante Nora de Jumanji) interprète la charismatique Avis de Voto, et l'Irlandaise Fiona Glascott (Minerva McGonagall dans Les animaux fantastiques) se glisse dans la peau d'Edith Jones, éditrice du premier livre de recettes de Julia (également à l'origine de la publication du Journal d'Anne Franck !). Parmi les guest stars, on croise plusieurs fois l'excellente Judith Light (Madame est servie) dans le rôle de l'éditrice en chef Blanche Knof et Isabella Rossellini (la seule, l'unique) dans celui de Simone Beck, grande camarade française de Julia et co-autrice de son premier ouvrage culinaire.
 

    Cette première saison de 8 épisodes s'emploie donc à raconter la vie de la célèbre cuisinière après la publication de son livre : retournée vivre aux États-Unis après de nombreux déplacements dus à l'activité de son époux et d'elle-même dans les services de renseignement américains, Julia envisage de rédiger un second ouvrage et en échange régulièrement par téléphone avec son amie Simone Beck. Lorsque la télévision convie Julia à une émission de littérature pour présenter son livre, elle arrive sur le plateau avec réchaud, poêle et œufs pour concocter une omelette parfaite en un temps record. Conquise par la prestation pleine de naturel de l'invitée et par les nombreux retours de téléspectatrices, Alice Naman, unique femme productrice de la chaîne, propose de lancer une émission éducative avec Julia Child en vedette. Les deux femmes auront cependant à composer avec le manque d'enthousiasme de Russ Morash, producteur impliqué de force dans l'émission, mais aussi avec les difficultés de financement du programme. Fort heureusement, Julia n'est jamais à cours d'idée...
 

    Toute la difficulté d'adapter le réel en série télévisée et non pas seulement en un film de 90 minutes, c'est de réussir à structurer une vie ou une tranche de vie en plusieurs épisodes qui auront chacun leur propre construction dramatique. Jouant d'une délicieuse mise en abime, le découpage de la série se calque (avec plus ou moins de latitude) sur celui de la première saison de The French Chef. Dès lors, l'exercice de style s'amuse dans le fond et dans la forme : chaque épisode a pour titre le plat cuisiné dans l'émission du jour et même la musique du générique reprend celle du programme original. Les scénarii, bien ficelés, témoignent d'une belle fidélité aux faits réels tels que retranscrits dans les diverses biographies, moyennant quelques ajouts et libertés afin de donner lieu à suffisamment de rebondissements pour rythmer les intrigues. La vie ayant souvent plus d'imagination que la fiction, certains événements n'ont pas nécessité d'être romancés.

 
    A ce titre, l'invitation de Julia dans l'émission I've been reading et l'omelette improvisée en direct sont des faits avérés : c'est bel et bien cette première apparition (remarquée) sur les écrans qui conduisit au lancement du programme The French Chef. En revanche, si Russ Morash est présenté au tout début de la série comme un antagoniste qui se laisse progressivement convaincre, il est en réalité le producteur qui a eu l'idée de l'émission et qui a véritablement porté le projet. Le personnage d'Alice Naman, en revanche, est entièrement fictionnel : l'ajout de cette jeune femme noire a été justifié par les créateurs comme une évocation des réels employés afro-américains qui travaillaient pour la chaîne dans les années 60 et afin d'aborder en diagonal le racisme ambiant (pour autant, il nous semble que le sujet de la xénophobie est davantage survolé que véritablement traité).
 

    Dans la série, Julia joue le tout pour le tout pour que l'émission voit le jour, quitte à la financer de sa poche. On ne trouve pas d'information qui permette de vérifier cet élément, mais en revanche, elle gagnait en effet (au départ, tout du moins) très peu d'argent de son propre show, devait acheter de ses propres deniers les ingrédients nécessaires aux recettes et nettoyer elle-même le plateau de tournage. C'était d'ailleurs Paul Child qui s'en chargeait, une des nombreuses preuves que la complicité du couple et la présence du cercle intime de Julia sur le plateau sont tout à fait véridiques : comme dans la série, ses meilleures amies participaient souvent aux enregistrements (cachées sous le plan de travail, d'où elles apportaient à la star une aide non négligeable) et son époux l'assistait en amont à l'écriture de chaque émission. L'entreprise à la fois familiale et amicale dépeinte à l'écran est donc certainement très proche de ce qu'elle était réellement, à l'image de la spontanéité rafraîchissante de Julia devant la caméra (elle n'hésitait pas à s'adresser aux membres de l'équipe de production pourtant situés hors-champ en plein tournage) et de ses nombreuses (mais toujours hilarantes) maladresses.


    Au croisement de la grande histoire du petit écran et des petites histoires des personnages qui interagissent  autour de Julia, la série met en scène le monde émergent de la télévision publique et celui de l'édition, tous deux face à leurs propres enjeux. Les thématiques se croisent et s'entrelacent, servant d'appui à des arcs narratifs là encore au croisement du réel et du fictionnel : l'éditrice Edith Jones tiraillée entre son désir de soutenir Julia dans sa démarche et les exigences de la maison Knopf, ou encore la question de ce qui est et de ce qui fait culture à l'époque (culture populaire ou culture des élites). Portée par de fantastiques figures féminines (Julia en tête, bien sûr, mais aussi la charismatique Avis de Voto et leurs connaissances du milieu éditorial), la série aborde intelligemment le féminisme. En effet, en imaginant un dialogue entre l'héroïne et Betty Friedan, activiste qui avait réellement critiqué Julia Child dans ses publications (elle l'accusait, sous couvert d'un féminisme de surface, de renvoyer les femmes à la cuisine), les scénaristes apportent un rebondissement supplémentaire, mais viennent aussi interroger les différentes façons d'être femme dans une société aux veilles de la révolution sexuelle.
 

    Le casting, impeccable, fait tout le sel de cette série et Sarah Lancashire livre une prestation absolument formidable qui évite l'écueil de la caricature tout en faisant oublier (aussi impossible que cela puisse paraître) Meryl Streep. Le travail sur la voix (l'accent de Julia Child étant connu pour être aussi unique que spécifique) et sur la gestuelle est un vrai tour de force et elle rend son personnage parfaitement crédible. Avec Sarah Lancashire, on ne rit jamais de Julia : on rit avec Julia. Enfin, n'oublions pas de mentionner la reconstitution des années 1960 : costumes, décors, accessoires... l'époque est restituée avec beaucoup d'authenticité et la cuisine de Julia a même été reconstruite au millimètre près pour les besoins de la série !
 

En bref : Cette série relève le difficile défi de faire oublier Meryl Streep dans le rôle de Julia Child : après l'interprétation de la célèbre actrice américaine dans Julie & Julia, la Britannique Sarah Lancashire se glisse dans la peau de l'iconique cuisinière avec talent. Drôle sans jamais être ridicule, elle parvient à éviter la caricature et à restituer sa personnalité haute en couleur. La première saison de Julia est un plat réconfortant cuisiné aux petits oignons, à savourer sans modération. Et bon appétit ! 

jeudi 7 mars 2024

Les spectres de Draven School - Eric Senabre.

Editions Didier Jeunesse, 2024.

    C'est Noël, mais pas pour tout le monde. Vidya, Tommy, Christabel et Algie sont punis par le directeur de Draven School, leur sinistre pensionnat. Leur mission est des plus désagréables : ils doivent nettoyer le bâtiment de fond en comble en une nuit, au risque de rester entre les murs pour les fêtes. Mais catastrophe : ils vont libérer par erreur... six spectres malveillants ! Et comme chacun avait su faire trembler l'Angleterre à sa manière de son vivant, leur échapper sera désormais une question de vie ou de mort...
 
Un inquiétant pensionnat anglais, quatre élèves privés de sortie, six spectres effrayants. Comment se libérer de ce cauchemar en une nuit ?
 
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    Depuis quelques années, nous suivons avec grand intérêt les publications d'Eric Senabre ; bien qu'ayant vu passer nombre de ses livres en librairie par le passé, ce n'est qu'avec A la recherche de Mrs Wynter que nous avons enfin eu l'occasion de le lire (un livre hommage à Chapeau melon et bottes de cuir, on était bien obligé d'y mettre le nez). Après cela, difficile de résister à l'appel de La Semeuse d'Effroi (roman clin d’œil à Fantômette autant qu'à Belphégor) puis de ne pas provoquer la rencontre, puisque nous avons également interviewé par deux fois (ICI et ICI) cet auteur débordant d'imagination. Alors quand la possibilité de découvrir en avant-première son tout nouveau livre s'est présentée, autant dire qu'on s'est jeté sur l'occasion...
 

"Nous vîmes Mrs Albrecht, notre professeur de latin et de grec, jaillir d'un couloir dont les tapisseries – des scènes de chasse qui avaient l'air d'avoir été tissées par un alcoolique en pleine crise de delirium tremens, avec des sangliers qui ressemblaient à des rhinocéros et des renards aux yeux fous – m'avaient mis profondément mal à l'aise (à tel point que je l'évitais régulièrement)."
 
    Angleterre, veille de Noël. A Draven School, ancien manoir transformé en pensionnat, presque tout le monde s'apprête à rentrer en famille pour les fêtes. Ne resteront dans les locaux que le couple de gardiens, le principal et une enseignante. Ah, et le quatuor infernal composé de Vidya, Tommy, Christabel et Algie : les quatre inséparables amis, tout juste sanctionnés par le chef d'établissement pour l'ensemble de leurs œuvres. Bons élèves, ils n'en sont en effet pas moins – de l'avis de l'équipe pédagogique – d'irrécupérables âmes damnées. La raison ? Leur sens de l'humour mordant, dont le directeur et les professeurs sont souvent les victimes. Condamnés à nettoyer l'école de fond en comble en une nuit, les quatre collégiens décident de s'offrir une petite escapade dans les quartiers des enseignants, histoire d'y fureter en douce. Et pour ces amateurs de sensations fortes, quoi de mieux que la chambre restée inoccupée de ce professeur brutalement décédé quelques années plus tôt, dont on raconte qu'il pratiquait la magie noire ? Tout aurait pu s'arrêter à quatre murs et à du mobilier à l'abandon, mais ce serait sans compter la curiosité de la petite bande, qui a tôt fait de trouver une pièce secrète et de libérer par inadvertance les spectres de six personnalités historiques britanniques bien décidées à semer le chaos et à abattre la frontière entre les vivants et les morts. Récurer le pensionnat n'était peut-être pas ce qui pouvait leur arriver de pire, finalement...
 

"— Thatcher... Vous savez, j'étais toute petite, mais le jour où elle est morte, mes parents ont ouvert une bouteille de champagne (...). Elle avait la réputation d'être sans pitié, et surtout d'avoir fait réprimer très violemment les mouvements de grève. Ceux des mineurs, notamment.
— Quoi ? Des ados, tu veux dire ? s'étonna Christabel.
— Non, des gens qui bossaient à la mine, quoi ! De charbon !"
 
    Après nos deux précédentes lectures de cet auteur, on était extrêmement curieux de le voir à l'oeuvre dans un registre fantastico-horrifique. La couverture (qui n'est pas sans évoquer les visuels promotionnels de Stranger Things) donne le ton : des ados, un manoir et des fantômes. En résumé : de réjouissantes perspectives. On tombe très vite sous le charme de la narration, assurée par Algie, l'un des protagonistes de l'histoire. Le second degré du personnage et le ton avec lequel il s'adresse au lecteur le rend immédiatement très attachant, d'autant que le jeune garçon laisse volontairement dans l'ombre une part de lui-même qui attise la curiosité. A travers lui, on fait connaissance avec le reste de la bande : les personnalités sont bien dessinées et on se surprend à se rêver membre de ce petit groupe aussi drôle qu'intelligent, dont la complémentarité se révélera bien sûr une force dans la suite de l'intrigue.
 

    Le décor du pensionnat aménagé dans un ancien manoir familial sujet aux rumeurs morbides et aux légendes urbaines n'est pas forcément une grande nouveauté dans le genre, mais l'auteur l'utilise à bon escient. Ici comme dans ces précédents romans, les archétypes sont davantage propices à rendre des hommages qu'à nous servir du réchauffé. Aussi, on pense ici et là à quelques livres ou films lus / vus par le passé : la bâtisse labyrinthique aux demi-étages et couloirs incurvés nous rappelle The Hauting of Hill House (Maison hantée) de Shirley Jackson et le manoir/internat pris d'assaut par des revenants n'est pas non plus sans évoquer Down a dark hall (Blackwood, le pensionnat de nulle-part) de Lois Duncan. D'autres références ? Les spectres de Draven School nous a également fait penser à nos lectures d'enfance, la collection des Chair de poule en tête, et à certains films horrifico-familiaux de Disney comme Hocus Pocus ou Fantôme pour rire, où les codes du récit d'horreur sont rejoués à hauteur d'adolescent.


"Derrière ces portes, cinq fantômes – et peut-être un sixième – sèment le chaos. On a vu une de nos amies accrochée à une branche, et elle a disparu depuis. Le spectre de Margareth Thatcher balance des choses sur nos vies à travers des bustes en marbre. Mais nous, on va faire de la lemon curd. Je me demande si ce n'est pas le pire, au fond."
 
    Les spectres de Draven School aurait ainsi pu n'être qu'un simple succédané de ces différents titres, mais voilà : si le synopsis et les clins d’œil laissent à penser à quelque chose de très classique, l'auteur dynamise le tout. A l'anglaise, bien entendu. On l'avait vu avec A la recherche de Mrs Wynter : Eric Senabre est un anglophile pur jus (on ne serait pas surpris, en vérité, qu'il ait du sang anglais ou quelques Britanniques dans les branches de son arbre généalogique). Aussi, ce livre emprunte à la Perfide Albion ce qu'elle a de mieux : ses histoires de fantôme et son humour (un peu de sa cuisine, également ; on vous laisse découvrir par vous-même). On frissonne autant qu'on rit, le roman alternant des passages franchement terrifiants avec des rebondissements aussi barrés qu'aurait pu les écrire Lewis Carroll himself. Les différents spectres qui s'invitent dans cette aventure sont également l'occasion pour l'auteur d'opérer un mélange des genres assez fun : musique, littérature, politique... tous les registres y passent dans une sorte de réjouissant bazar au cours duquel nos personnages se lancent dans une course aux artefacts pour renvoyer les spectres d'où ils viennent avant le lever du jour.


"C'est rigolo, quand même. Certains ont des poux à l'école. Nous, on a des spectres. Faut avouer que c'est original."
 
En bref : Une nouvelle pépite d'Eric Senabre ! Au programme de ce roman, vous trouverez des ados et un pensionnat, auxquels on ajoute ce que l'Angleterre a de mieux : ses histoires de fantômes et son humour ; le tout est copieusement arrosé de sauce worcester (et de lemon curd). L'auteur nous promène entre frissons et rires dans une chasse aux revenants aux côtés d'une bande de collégiens auxquels on s'attache très vite. On adore !


 
 
 Avec un grand merci à NetGalley et aux éditions Didier Jeunesse pour cette lecture !
 

vendredi 1 mars 2024

Le meurtre de la momie (Une lady mène l'enquête #3) - Sara Rosett.

The Egyptian Antiquities Murder (High Society Lady Detective #3)
, McGuffin Ink (autoédition Amazon), 2019 - McGuffin Ink (autoédition Amazon) (trad. d'E.Velloit et Valentin translation), 2022.
 
    Nous sommes en octobre 1923 et Olive Belgrave a une nouvelle affaire. Sa cliente, Lady Agnes, ne croit pas aux malédictions. Elle engage Olive pour prouver que son oncle égyptologue n’a pas succombé à une momie maléfique. Olive mène l’enquête et découvre que la vérité est bien pire : c’est un meurtre. Pourra-t-elle prouver que la malédiction n’en est pas une et dévoiler le vrai coupable avant la prochaine victime ?
 
    Le Meurtre de la momie est le troisième tome d’Une lady mène l’enquête, une série policière historique qui se déroule dans l’Angleterre des années 1920. Si vous aimez les romans à la lecture légère qui vous renvoient à l’Âge d’or de la fiction policière, avec des personnages pleins d’esprit, des énigmes à élucider et des décors glamour, vous adorerez Sara Rosett, auteure de best-sellers au classement du USA Today, et sa série Une lady mène l’enquête. À découvrir maintenant ! 

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    Après Meurtre au manoir d'Archly et Meurtre au château de Balckburn, nous poursuivons la série Une lady mène l'enquête. Pour rappel, cette série anglaise initialement autoéditée et traduite par Amazon s'est révélée être une excellente alternative à Son espionne royale et l'autrice Sara Rosett a même été encensée par la presse spécialisée. Si la traduction est la seule chose qu'on a pu reprocher à ces ouvrages (faîte par une IA, semble-t-il, et revue par une personne de chair et de sang, mais probablement aveugle si l'on en croit le résultat très critiquable), Une lady mène l'enquête est bien plus qu'un simple succédané et enchantera les lecteurs férus du genre.
 
    A la fin de l'opus de précédent, Olive Belgrave, jeune fille de la bonne société sans le sou qui a réussi à se faire une réputation de détective auprès de la petite noblesse, était appelée en urgence à Londres pour résoudre une sombre affaire d’antiquités égyptiennes. Au début du Meurtre de la momie, c'est donc en plein quartier de Belgravia qu'on retrouve notre héroïne, alors qu'elle s'apprête à sonner à la porte de la villa Mulvern pour répondre à la demande qui lui a été adressée. Les Mulvern sont connus de longue date pour leur passion de l’égyptologie et Lord Mulvern, qui avait notamment mené des fouilles dans la Vallée des Rois, vient subitement de décéder à quelques jours de l'exposition consacrée à la momie qu'il avait rapporté de sa dernière expédition. Pour la police, c'est un suicide ; pour la presse à scandale, il s'agit d'une malédiction. Pour Lady Agnes, nièce et pupille de Lord Mulvern, en revanche, c'est un meurtre et elle espère bien qu'Olive pourra le prouver. Mais qui aurait eu intérêt à assassiner le célèbre égyptologue ? L’insupportable Mr Rathburn, du British Museum, parce qu'il convoitait ses collections ? Gilbert, son neveu, et sa jeune épouse Nora, qui souhaitaient toucher l'héritage pour s'offrir un appartement en ville ? Le majordome qui a récemment pris sa retraite ? Ou encore Lady Agnes elle-même, qui engagerait une détective uniquement dans le but de brouiller les pistes ? A moins que la momie soit réellement en cause et qu'une malédiction plane également sur Olive...
 

    Si l'on parvient à faire l'impasse sur les défauts de traduction (ou à y survivre – non, on ne s'en remet toujours pas ; oui, on en parlera certainement à chaque nouveau tome), on passe un très bon moment en compagnie d'Olive qui, après ces deux précédentes affaires, commence à se faire une réputation comme enquêtrice quasi-professionnelle dans le milieu de la haute société. Pour ce troisième opus, Sara Rosett puise son inspiration dans l'égyptomanie très en vogue pendant les années 20, fascination née de la découverte de la tombe de Toutankhamon qui lança une véritable mode pendant les années qui suivirent. Mode qui n'épargna pas le roman policier, comme on a pu le voir chez Agatha Christie avec Mort sur le Nil, La mort n'est pas une fin, mais surtout L'affaire du tombeau égyptien. Ce dernier titre en particulier, première évocation littéraire de la légende de la "malédiction du pharaon", a également constitué une source d'inspiration majeure pour Sara Rosett.
 
Sir Wallis Budge, véritable Albert Rathburn.
 
    Le personnage de Lord Mulvern et son étrange décès ont été suggérés à l'autrice par la mort mystérieuse de Lord Westbury, qui avait sauté du septième étage après avoir laissé un mot d'adieu on ne peut plus énigmatique. Lorsqu'il avait été révélé qu'il faisait partie du cercle de connaissances d'Howard Carter, la presse avait rapidement expliqué sa disparition par la malédiction de la momie. Partant de ce point de départ particulièrement romanesque, Sara Rosett réunit autour de la victime plusieurs personnages des plus charismatiques, dont certains directement calqués sur des personnalités historiques associées au milieu de l'égyptologie des années 20 (entre autres, Sir Wallis Budge, qui travaillait pour le Britsh Museum, est devenu sous la plume de Sara Rosett l'insupportable Albert Rathburn). Puis l'autrice rassemble tout ce beau monde dans un hôtel particulier qu'elle a avoué directement inspiré de la Wallace Collection, pour l'architecture et la localisation. Le décor parfait pour un crime... qui l'est presque.
 
La Wallace Collection, inspiration pour la villa Mulvern.

    Ces éléments assurent les bases assez solides d'un whodunit qui se laisse lire avec plaisir. La galerie de personnages est suffisamment sujette aux suspicions pour que les doutes du lecteur n'épargne aucun suspect et Sara Rosett parvient comme elle l'a déjà fait dans ses précédents tomes à multiplier les intrigues afin que les (nombreuses) fausses pistes nous empêchent de trouver la clef de l'énigme. Peut-être est-ce là que se situe le seul hic de l'intrigue : pas sûr, en vérité, que le lecteur dispose de toutes les informations pour avoir une chance de résoudre l'affaire par lui-même avant que les indices les plus importants soient donnés, quelques pages avant l'éclair de génie de l'héroïne. La scène de révélation finale, en pleine ouverture de l'exposition de la momie au British Museum, reste cependant un grand moment de suspense (et d'action).

Poudrier-pistolet des années 20 : une extravagance qui sera bien utile à Olive dans la scène finale !

En bref : Une troisième enquête plutôt réussie pour Olive Belgrave, qui se frotte cette fois à l'égyptomanie ambiante des années 1920. Inspirée par la malédiction de Toutankhamon, l'autrice Sara Rosett imagine une intrigue tout à fait dans l'esprit de l'époque. Si la révélation finale reste peut-être un peu rapide, Le meurtre de la momie se lit avec plaisir.



 
Et pour aller plus loin...
 

jeudi 29 février 2024

Leçons de chimie - Bonnie Garmus.

Lessons in Chemistry
, Doubleday, 2022 - La brillante destinée d'Elizabeth Zott, éditions Robert Laffont (trad. de C. Gaillard-Paris), 2022 - Leçons de Chimie, éditions Pocket, 2023.
 
    Brillante ? Elizabeth Zott l’est. En tout. Mais dans l’Amérique patriarcale des années 1960, rares sont les hommes qui s’en aperçoivent. À l’Institut de chimie où elle travaille, les remarques sexistes fusent à son passage. Quand on ne lui vole pas ses recherches, tous la renvoient à cette cuisine dont elle n’aurait jamais dû sortir… Alors elle y reviendra. D’une manière tout à fait inattendue : elle devient la vedette de télévision d’une émission culinaire très populaire. Son anticonformisme étonne, détonne, secoue les ménagères… Reste trouver la délicate alchimie du bonheur…
 
    Faites la connaissance de l’anticonformiste et intransigeante Elizabeth Zott. Votre capacité à tout changer commence ici et maintenant.
 
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     Paru tout d'abord en France sous le titre La brillante destinée d'Elizabeth Zott, Lessons in chemistry a très rapidement bénéficié d'une réédition sous celui, plus littéral, de Leçons de chimie. La raison ? Probablement commerciale, pour faciliter le lien avec l'adaptation télévisée alors en cours de production. Ce qu'il y a à en retenir ? En peu de temps, du nombre de ventes à l'achat des droits pour le petit écran – en passant par la réédition et les réimpressions – l'ouvrage témoignait de tous les signes du phénomène littéraire. Et, de fait, Leçons de Chimie est ce qu'on pourrait qualifier de petit bijou.
 

"En 1961, à l'époque où les femmes portaient des robes chemisiers, adhéraient à des clubs de jardinage et conduisaient des voitures aux sièges envahis d'enfants sans ceinture de sécurité, et avant même de savoir que les années 1960 seraient le terreau d'un mouvement culturel qui ferait date dans l'histoire, et encore moins que ses participants passeraient les soixante années qui suivraient à en faire la chronique ; à cette époque où les grandes guerres étaient terminées et où des guerres secrètes étaient sur le point d'éclore et où les gens commençaient à penser différemment et à croire que tout était possible, la mère de Madeline Zott, trente ans, se levait à l'aube tous les matins, certaine d'une seule chose : sa vie était finie. Malgré cette certitude, elle n'oubliait jamais de passer dans son laboratoire pour préparer le déjeuner de sa fille."

     Années 1960, États-Unis : Elizabeth Zott, jeune mère célibataire totalement en marge de sa génération de femmes au foyer disciplinées, se voit proposer par le plus grand des hasards l'animation d'une émission culinaire quotidienne à la télévision. Dans un premier temps, Elizabeth refuse : elle cuisine excellemment bien ? Oui, mais parce qu'elle est chimiste, et que la cuisine n'est ni plus ni moins que de la chimie. Alors jouer les épouses parfaites en tablier à fleurs devant les caméras, jamais. Quelques temps plus tard, moyennant quelques concessions des deux parties (mais surtout de la chaîne de télévision, car Elizabeth n'est pas femme à se laisser marcher sur les pieds), la voilà qui présente l'émission de cuisine la plus regardée du pays. L'origine de son succès ? Parler de gastronomie sous l'angle de la science, expliquant la subtile réussite d'une recette par la chimie des aliments. Ainsi, très certainement, que son franc-parler, son honnêteté, et son grand respect des téléspectatrices qui la regardent, n'en déplaise aux sponsors de la cuisine industrielle qu'elle n'a pas peur de dénoncer à une heure de grande écoute. Et, par-dessus tout, tout en s'exposant devant une plaque de cuisson, Elizabeth Zott invite en fait toutes ces femmes qu'on a cantonnées à des rôles de bonnes à tout faire à sortir de la cuisine. Dix ans plus tôt, années 1950 : Elizabeth Zott est une jeune laborantine aux compétences bien au-delà des missions qui lui sont confiées. Blacklistée des perspectives d'un doctorat parce qu'elle a dénoncé l'agression dont elle a été victime par son directeur de thèse, constamment rabaissée par ses collègues masculins parce qu'elle est bien plus intelligente qu'eux et critiquées par les femmes qui ne comprennent pas cette arriviste qui ne sait pas rester à sa place, Elizabeth n'en est pas moins la plus douée de tous. Dix années séparent donc la prometteuse (mais incomprise) chimiste de la présentatrice télévisée adulée de ses contemporaines (mais détestée du patriarcat). Du laboratoire au studio d'enregistrement, il n'y a qu'un pas... qui peut se faire dans les deux sens ?
 
 " La vie n'était pas une hypothèse que l'on pouvait tester et tenter de démontrer à plusieurs reprises sans conséquence – quelque chose finissait constamment par lâcher."
 

"Ainsi, le sujet de la famille était comme une pièce dans une demeure historique dont l'entrée était fermée à la visite par un cordon. On pouvait toujours y jeter un coup d' œil pour avoir la vague impression que Calvin avait grandi quelque part (dans le Massachusetts ?) et qu'Elizabeth avait des frères (ou était-ce des sœurs ?), mais il était impossible de pénétrer à l'intérieur et de jeter un coup d’œil furtif dans l'armoire à pharmacie."

    Petit bijou. Gourmandise. Délice. Merveille. Difficile de trouver le mot qui qualifie le mieux Leçons de chimie. Aussi difficile que de répondre à cette question : à quoi tient l’inimitable saveur d'un roman ?  A l'audace de la recette ? A l'ordre dans lequel on ajoute les ingrédients ? A l'arrière-goût que la préparation laisse sur les papilles ? Probablement à tout cela à la fois. On pourrait poursuivre la métaphore culinaire à l'infini, tant elle se prête bien, dans le fond comme dans la forme, à tout ce qui fait le sel de ce livre doux-amer. Premier roman de l'autrice américaine Bonnie Garmus, 66 ans, dont le tout premier manuscrit avait été refusé par 98 éditeurs, Leçons de chimie rassemble des éléments qui font l'unanimité. Une héroïne atypique, l'atmosphère rétro des années 60, un message féministe. Oui, mais encore faut-il avoir le tour de main pour éviter les écueils classiques du genre : en littérature, comme en cuisine – et comme en chimie – il suffit d'un faux pas pour que le soufflé retombe ; tout est une question de dosage.
 

"— Si je peux me permettre, dit-il poliment en montrant sa carte de presse, qu'est-ce que vous aimez dans cette émission ?
 — Être prise au sérieux.
 — Et les recettes ?
Elle lui jeta un regard incrédule. « Parfois, répondit-elle lentement, je pense que si un homme devait passer une journée à être une femme en Amérique, il ne réussirait pas à survivre au-delà de midi. »
La femme de l'autre côté lui tapota un genou :
— Préparez-vous à une révolution."

    Car Leçons de chimie aurait pu n'être qu'une simple romance ou un sage feel good book. D'ailleurs, on ne comprend qu'à moitié les critiques et articles qui résument le livre à ces deux étiquettes. Comme les avis qui le vendent sous la seule bannière du féminisme, label malheureusement devenu plus commercial que significatif d'une véritable intrigue de fond, parce que thématique dans l'air du temps et donc revendiquée à foison. Mais, voilà, Lessons in chemistry est bien plus que tout cela. Il y a tout d'abord l'écriture (et son excellente traduction en VF !), qui parvient à restituer avec une ironie mordante les années 1960, entre image d’Épinal et tableau au vitriol, mais aussi à donner corps aux différents protagonistes avec une étonnante justesse, jusqu'au personnage (car c'est un personnage) du chien, qu'on rêve tous d'avoir comme animal de compagnie. Cette justesse concerne bien sûr Elizabeth elle-même, qu'on ne se risquera pas à mettre dans une case, mais dont la personnalité très neuro-atypique élève le message du roman non pas seulement à la question de la place des femmes dans un monde d'hommes, mais à la place de tous ceux qui nagent à contre-courant dans un monde un peu trop bien ordonné. Un monde qui n'aime pas qu'on sorte du rang, bien entendu.

"La discrimination fondée sur la couleur de la peau n'est pas seulement scientifiquement ridicule, c'est aussi un signe de profonde ignorance."


"Le problème, quand on était pasteur, c'est qu'il fallait mentir plusieurs fois par jour. En effet, les gens avaient besoin d'être constamment rassurés sur le fait que tout allait bien ou que tout allait s'arranger, plutôt que d'être confrontés à l'évidence de la réalité, à savoir que les choses allaient mal et allaient empirer. La semaine précédente, par exemple, il avait célébré un enterrement ; l'un de ses fidèles était mort d'un cancer du poumon. Le message qu'il avait alors adressé à la famille , dont tous les membres fumaient comme des pompiers, était que l'homme était mort non pas parce qu'il fumait quatre paquets par jour mais parce que Dieu avait besoin de lui. La famille, soulagée, l'avait remercié pour ses paroles."

     Contre toute attente, parmi les autres éléments les plus réussis, il y a la construction de l'intrigue et ses revirements de situation, qui semblent toujours tomber à point nommé. Bonnie Garmus abuse-t-elle du Deux Ex Machina ? Très certainement. Et pourtant, sa maîtrise du tour de passe-passe ôte tout sentiment de facilité. Parce qu'elle parvient à intégrer parfaitement bien les hasards, coïncidences et petits miracles au canevas de son scénario, le tout s'apparente à un puzzle dont les pièces attendaient en fait depuis le début d'être assemblées les unes au bout des autres, comme une évidence. Et puis, parce que ce qu'elle raconte ne verse jamais dans le conte de fée, rien dans l'écriture de Leçons de chimie ne semble trop commode.


"C'est une chose d'être brillant, mais être brillant sans opportunité, c'en est une autre."

    En effet, loin de servir une histoire lisse, Bonnie Garmus n'hésite pas parler de traumas et à semer des embûches dans le parcours de ses personnages – car il est bien connu que la route de celles et ceux qui se sentent trop à l'étroit dans le costume des conventions est rarement bordée de roses. En dépit de l'originalité de son intrigue et du caractère parfois extraordinaire de certains rebondissements, l'autrice, probablement aussi pragmatique et réaliste que son héroïne, nous parle finalement de la vie telle qu'elle est : un chemin long et souvent sinueux, mais avec aussi de belles étapes et une ligne d'arrivée. Elizabeth Zott, attachante malgré elle, devient une héroïne inspirante qui nous donne envie de croire à la résilience aussi bien qu'à nos ambitions.
 

"La chimie est inséparable de la vie. Par définition, la chimie, c’est la vie. Mais comme votre tourte, la vie nécessite une base solide. Dans votre maison, c’est vous, la base. C’est une énorme responsabilité, le travail le plus sous-estimé au monde et qui, pourtant, assure la cohésion de l’ensemble."


En bref : Véritable coup de cœur, Leçons de chimie est un roman à la fois délicieux et inattendu. Chroniques aigres-douces d'une jeune femme aussi charismatique que neuro-atypique et à total contre-courant des patriarcales années 60, ce roman nous parle bien entendu de féminisme mais surtout de différence, d'irrévérence, et de résilience. Héroïne résolument inspirante, Elizabeth Zott nous invite à sortir de la case trop étroite dans laquelle on nous a enfermé (quelle qu'elle soit) pour prendre notre destin en main. La chimie comme la cuisine deviennent alors des métaphores pleines de sens, portées par une écriture dont la maîtrise force l'admiration. Une pépite à bien des égards, un livre qui touche comme il enchante.

vendredi 23 février 2024

Les journaux (pas si intimes) de Marion 2 : Ma vie géniale - Faustina Fiore.

Éditions Poulpe Fictions, 2024.

    Marion adore écrire et inventer des histoires, alors quand on lui propose de devenir la correspondante d’un élève étranger en remplacement de ses devoirs d’anglais, elle saute sur l’occasion : récolter une bonne note juste en rédigeant quelques courriers, c’est le bon plan assuré ! Et surtout, c’est une occasion rêvée de réinventer complètement son quotidien pas toujours passionnant. Dans ses lettres, Marion peut être qui elle veut : star de la musique ou orpheline en cavale, elle n’a qu’à choisir un personnage ! Son correspondant n’ira jamais vérifier qu’elle dit bien la vérité, n’est-ce pas ? Pourtant, plus le temps passe, plus elle se retrouve emmêlée dans ses mensonges... Avoir une double vie, ce n’est pas si facile !

***

    Tout récemment, nous avons partagé notre avis sur Les journaux (pas si intimes) de Marion, par Faustina Fiore. Après avoir mené deux journaux intimes en parallèle (le faux, à destination de sa mère, dans lequel elle se fait passer pour une petite fille modèle, et le vrai, où elle consignait ses noirs desseins et confiait ses plus mauvaises pensées), la jeune Marion Mirabelle s'est enfin assagie. Enfin, disons presque, sans quoi il n'y aurait pas d'histoire...
 


    Dans l'idée de bénéficier de points bonus pour faire remonter sa moyenne (pas très haute), Marion accepte de participer à un programme de correspondance avec des collégiens étrangers. La voilà donc contrainte d'envoyer régulièrement des mails à Béla, une adolescente hongroise qui s'efforce d'améliorer son français. Mais dès les premiers échanges, c'est le drame : Béla semble issue d'une famille d'aristocrates et vit à l'année dans un véritable palace, entourée de serviteurs ! Marion et sa vie de collégienne tout ce qu'il y a de plus commune ne peuvent décidément pas faire le poids. Aux grands maux les grands remèdes : Marion s'invente une vie de rêve. Se racontant fille de stars, richissime et cultivée, elle espère ainsi rabattre le caquet de cette insupportable petite princesse hongroise ! Mais jusqu'où ses mensonges la conduiront-elle ?


    Entreprise difficile que d'imaginer une suite au premier opus, tant il relevait d'un concept bien spécifique. Impossible aussi de servir aux lecteurs du réchauffé : le double journal intime n'ayant plus d'intérêt après la résolution du précédent roman, comment poursuivre les aventures de Marion ? Sans faire dans la redite, mais tout en restant dans la même veine (et dans la dynamique du personnage), Faustina Fiore imagine de nouvelles péripéties à double entrée. Exit le faux journal intime destiné à convaincre sa mère qu'elle était devenue la fille parfaite, cette fois, c'est à travers les mails à sa correspondante étrangère que Marion affabule. L'enjeu est donc, là aussi, différent, puisqu'il s'agit de tenir la comparaison avec une aristocrate apparemment bien plus chanceuse qu'elle.


    Du côté du lecteur, le suspense reste le même – mais c'est là la marque de fabrique de l'autrice : l'héroïne va-t-elle réussir à se tirer du pétrin dans lequel elle s'est embourbée toute seule ? Pour convaincre sa correspondante de ses mensonges, il faut lui envoyer photos et selfies la mettant en scène dans les situations idylliques qu'elle dit vivre tous les jours. Elle prétend rouler en voiture de collection ? Pas de souci : elle accompagnera son beau-père à son salon de l'automobile annuel pour s'y faire photographier à bord d'une antique Bentley ! Elle raconte qu'un grand bal costumé va avoir lieu en son honneur ? La solution est toute trouvée : elle s'invitera au cours de danse historique de sa super copine Nina pour y être filmée en plein quadrille ! Mais... et si toutes ces manigances l'amenaient finalement à faire de nouvelles découvertes ? Moins peste mais toujours aussi drôle, Marion surprendra lecteurs et lectrices plus d'une fois !
 

    Côté mise en image, on avait trouvé très chouette le design du premier tome, s'amusant de la mise en page façon journal intime avec gribouillis, surlignages colorés et fond à carreaux. Ce second tome joue là encore la carte du graphisme immersif : outre les aspects conservés du journal quand Marion se confie, les fenêtres de mails sont reproduites comme on les verrait à l'écran, avec adresses, objets et pièces jointes. Les dessins survitaminés de Sess sont toujours de la partie, avec des illustrations qui cherchent plus encore une complémentarité avec le texte. Extra !
 

En bref : Alors que le premier opus ne semblait pas appeler de suite, ce second tome des Journaux (pas si intimes) de Marion parvient à renouveler le concept avec efficacité. A notre sens meilleur que le précédent tome (si, si !), Ma vie géniale nous laisse même espérer une troisième aventure de cette héroïne qu'on adore détester !

Un grand merci à Poulpe Fictions pour cette lecture !



Et pour aller plus loin...

mercredi 21 février 2024

Les journaux (pas si intimes) de Marion - Faustina Fiore.

Editions Poulpe Fictions, 2023.
 
 
    Horreur : Marion a surpris sa mère en train de lire son journal intime ! Si c’est comme ça, elle aura deux carnets : un rose, officiel, dans lequel elle sera sage comme une image… et un noir, secret, où elle pourra enfin exprimer ce qu’elle a sur le coeur et raconter sa vraie vie. Sauf que son personnage de petite fille modèle devient vite difficile à gérer ! Comment faire pour inviter chez elle une (prétendue) meilleure amie qu’elle déteste, ou organiser un spectacle de théâtre… qui n’existe pas ?
 
Un roman drôle et décapant porté par une héroïne irrévérencieuse !
 
*** 
 
 
    Alors que vient de sortir la suite de ce roman paru chez Poulpe Fictions il y a déjà presque un an, on prend enfin le temps de sortir le premier opus de notre PAL. Le nom de l'autrice ne vous sera certainement pas inconnu : de Faustina Fiore, nous avons déjà lu et chroniqué les précédents romans, à savoir Les oiseaux noirs, mais surtout les deux tomes de la Famille Alonzi : Bobards et compagnie et Amours et compagnie (sans oublier ses nombreuses traductions de littérature jeunesse étrangère). Dans une interview qu'elle nous avait accordée en décembre 2022, elle nous parlait déjà de Marion et de son journal intime, sans savoir que son (anti) héroïne s'apprêtait à rencontrer un fort beau succès en librairie...
 

 
    Marion est une peste, ça ne fait aucun doute ; le genre de gamine à faire de mauvaises farces aux enfants dans les parcs ou à piquer de l'argent dans le porte-monnaie de ses parents. Bon, pour autant, cela ne justifie absolument pas que sa mère lise en douce son journal intime, n'est-ce pas ? Car quand la préado au caractère bien trempé la découvre plongée dans ses confessions les plus intimes couchées sur le papier, elle concocte un plan diabolique : elle tiendra un double journal intime. Un rose, que lira sa mère, dans lequel elle se fera passer pour le parfait petit ange, et un noir, dans lequel elle continuera d'exprimer ses côtés les plus obscurs. Si sa petite affaire fonctionne assez efficacement au début, les choses se compliquent progressivement : s'étant inventée une nouvelle meilleure amie d'une camarade de classe qu'elle déteste, comment faire lorsque sa mère lui propose de l'inviter à passer une nuit à la maison ? Quand à l'atelier théâtre fictif qu'elle utilise comme couverture pour sortir en douce, comment retomber sur ses pattes maintenant que sa mère (encore) insiste pour venir la voir jouer sur scène ? Tout semblait pourtant si simple...
 

    Avec le personnage de Marion, Faustina Fiore confirme son goût (et son imagination) sans fin pour les enfants facétieux et débrouillards. Ici, son héroïne est peut-être un cran (plusieurs ?) moins bien intentionnée que la fratrie Alonzi, toujours désireuse d'aider son prochain. Marion, elle, pense avant tout à sa poire – et après elle le déluge ! Marion est drôle, mais Marion mériterait aussi quelques baffes. Pourtant, on adore très rapidement la détester, peut-être aussi parce qu'elle incarne tout ce à quoi on ne se serait pas laissé aller enfant, parce que c'était mal. En cela, cette proche cousine de Mortelle Adèle a quelque chose de jubilatoire !
 

    Comme dans les romans de La famille Alonzi, l’héroïne de Faustina Fiore se met ici dans de beaux draps et tout l'enjeu du livre tourne autour de la question suivante : Marion va-t-elle réussir à retomber sur ses pattes ? Malgré les aspects les plus insupportables du personnage, on en vient finalement à espérer qu'elle s'en tire indemne. Si l'on se doute qu'elle finira par entrer dans le rang à vouloir composer entre vrai et faux journal intime, on brûle d'envie, à la lecture, de découvrir par quelles astuces ou pirouettes.
 

    Toute la facétie de cette histoire est parfaitement mise en image par les illustrations cartoonesques de Sess, dont les dessins et graffitis ornent ce livre mis en page à la façon d'un journal intime stabiloté ici ou là de rose fluo sur fond de feuille à carreaux. Un format qui n'est pas sans évoquer Journal d'un dégonflé  ou Journal d'une peste, deux séries face auxquelles Les journaux (pas si intimes) de Marion mérite largement son succès.

 
En bref : Deux journaux intimes et une gamine au caractère bien trempé sont les éléments fort de ce livre aussi tordant qu’irrévérencieux, habilement mis en image pas Sess. Avec Marion, on retrouve toute la fantaisie qui faisait déjà le sel des précédents ouvrages de Faustina Fiore.