mardi 25 juin 2019

Adèle et les noces de la reine Margot - Silène Edgar

Castelmore, 2015, 2018.


  Entre 2015 et 1572, Adèle doit choisir !
   Adèle en a marre de ses parents, qui ne comprennent jamais rien. Au collège, elle préfère passer du temps avec ses copines qu’étudier. Aussi, quand elle apprend qu’elle doit lire un livre en entier pendant les vacances, c’est une véritable punition…

   Mais dans ses rêves, la nuit, l’impossible se produit ! Adèle est à la Cour, au XVIe siècle, au milieu des personnages de La Reine Margot ! Elle rencontre même un beau jeune homme… Ce qu’Adèle vit en 1572 vaut-il la peine de sacrifier ses amis et sa famille de 2015 ?

***

  Silène Edgar est, depuis le roman 14-14 écrit à quatre mains avec Paul Beorn, l'une des auteures françaises les plus renommées des éditions Castelmore. Professeure de français pendant plus de quinze ans, elle a ensuite conçu des dossiers pédagogiques pour des éditeurs avant de se lancer dans l'écriture de romans, pour la plupart réédités et adaptés pour lecteurs dyslexiques. C'est probablement sa passion pour l'enseignement et la transmission qui influence les thèmes de ses fictions : la première guerre mondiale avec 14-14, les correspondances de la marquise de Sévigné avec Les lettres volées, ou, ici, le célèbre roman d'Alexandre Dumas La Reine Margot. Penchez-vous sur les résumés et vous découvrirez qu'elle y établit toujours une étroite relation entre passé et présent, subterfuge de choix pour créer du lien entre la culture historique et le héros, et donc le lecteur, d'aujourd'hui. Après la correspondance fantastique entre un enfant de 2014 et un autre de 1914, Silène Edgar propulse ici une jeune ado rebelle à la Cour des Valois, dans les événements qui ont précédé la nuit de la Saint Barthélémy...

Massacre de la Saint Barthélémy

  Adèle traverse une période compliquée : depuis le décès de sa grand-mère, elle a l'impression que sa famille a préféré l'oublier, et que toute chaleur a disparu de leurs relations. Ses parents lui paraissent froids et distants, et la jeune fille se sent incomprise. Son sérieux en classe s'en ressent et les devoirs en français la barbent plus que tout : lire La Reine Margot, d'Alexandre Dumas. Après avoir réussi à terminer le premier chapitre un soir de désœuvrement, elle rêve qu'elle se retrouve au palais du Louvre, aux veilles du mariage de la réelle Marguerite de Navarre, c'est à dire ni plus ni moins que LA reine Margot. Le lendemain, Adèle ne prend pas les choses très au sérieux, mais quand elle réalise que son rêve a anticipé sur les événements racontés dans les chapitres suivants du roman de Dumas, elle s'interroge. Plus étrange encore : les nuits suivantes, le rêve se poursuit, et Adèle se trouve mêlée au conflit entre catholiques et protestants. Chaque jour, aussi folle que semble son aventure, l'adolescente cherche des informations qui pourront l'aider, chaque nuit, à changer le cour de l'Histoire et sauver d'une mort certaine un jeune Huguenot qui ne la laisse pas insensible...

Portrait de la jeune et future reine Margot...

  Couronné de plusieurs nominations et prix littéraires jeunesse, ce roman semble avoir trouvé son public et convaincu les critiques. Je ne serai peut-être pas aussi dithyrambique : l'idée est certes originale et l'alternance des époques, très riche. La description du Paris de la renaissance, la présence de personnages historiques charismatiques (la reine Margot mais aussi le médecin Ambroise Paré, entre autres), la démocratisation de la culture pour permettre aux jeunes lecteurs d'appréhender une période complexe, et l'histoire d'amour entre l'héroïne et le jeune Huguenot sont agréables à suivre. Même le rythme, pourtant l'écueil majeur des fictions construites sur deux époques, est bien tenu et le suspense qui s'accroit en fin de livre, justement dosé pour nous tenir en haleine.

La Reine Margot à l'écran avec Isabelle Adjani dans le rôle titre.

  Mais voilà, je n'ai pu m'empêcher de tiquer à plusieurs reprises : la narration trop omnisciente, tout d'abord, gâche souvent le réalisme car le lecteur sait tout des pensées secrètes de chaque personnage alors qu'il aurait été bon de maintenir une certaine réserve. D'autant que malgré cette omniscience, tout et tout le monde nous est présenté à travers le regard de l'héroïne adolescente, ce qui donne une vision toujours très caricaturale et simpliste des personnages (surtout des parents) ou des situations malgré le souhait (vain, du coup) de nuancer en abordant des sujets forts. On aurait espéré, à la façon du conflit familial raconté à travers les yeux du jeune protagoniste du roman Les domestiques, que l'aventure fantastique vécue par Adèle l'amène à grandir et à changer son regard sur les choses et sur les gens et, par la même, que la conclusion du roman surprenne le lecteur. Ici, ce n'est fait qu'en partie et sans vraiment de subtilité.

Le Louvre au temps de la Reine Margot

  On devine Silène Edgar engagée dans la mise à disposition de la culture pour la jeunesse d'aujourd'hui, quelque soit le niveau de lecture ou les difficultés (on rappelle son cursus dans le scolaire et les version DYS de ses romans), aussi on peut supposer que cette rondeur dans l'écriture et la psychologie des personnages ne sont ni plus ni moins qu'une forme de démagogie pour s'assurer l'adhésion du lecteur. D'accord. Mais quand même, au-delà de ce principe que je rejoins totalement, des excellentes idées de ce roman et même des gravures bienvenues parsemées ça et là dans le livre, ça ne décolle pas et il en reste un petit goût d'amertume...

Roman feuilleton La Reine Margot, par Dumas.

En bref : Une intrigue excellente et une volonté pédagogique honorable confèrent à cet alléchant roman un très bon potentiel... qui reste inexploité. L'écriture trop simpliste et les personnages trop caricaturaux le sont jusqu'au bout, là où on aurait aimé s'affranchir un peu des apparences. Résultat : l'impression que tout est très monocorde et enfantin alors qu'une vraie profondeur sur le fond et la forme aurait été bienvenue. Je persiste cependant à recommander ce roman aux jeunes lecteurs car on ne peut nier sa mission réussie de véhiculer des connaissances historiques et littéraires et de vouloir faire naitre une curiosité.

lundi 17 juin 2019

Les fleurs sauvages - Holly Ringland.

The lost flowers of Alice Hart, Harper Collins Publishers Australia - Éditions Mazarine (trad. de A.Damour), 2019.

  « À cœur vaillant, rien d’impossible »
   Lorsqu’une tragédie change à jamais sa vie, la jeune Alice Hart, âgée de neuf ans, part vivre chez sa grand-mère qu’elle ne connaît pas. Quittant le bord de l’océan où elle a grandi, elle trouve refuge dans la ferme horticole de June, où celle-ci cultive des fleurs sauvages d’Australie. Au fil du temps, Alice oublie les démons du passé et apprend à perpétuer la tradition familiale en utilisant le langage des fleurs pour remplacer les mots lorsqu’ils se font trop douloureux. Mais l’histoire des Hart est hantée par de nombreux secrets que June cache à sa petite-fille. Une sorte de fatalité semble accabler les femmes de leur famille, aussi June préfère-t-elle tenir Alice à l’abri de la vérité, quitte à la tenir à distance de l’amour. Une fois adulte, révoltée par ce silence et trahie par celles qui lui sont le plus chères, Alice se rend compte qu’il y a des histoires que les fleurs seules ne peuvent raconter. Si elle veut être libre, elle doit partir et inventer l’histoire la plus importante de toutes : la sienne…

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   Inutile de mentir : c'est tout d'abord la très attrayante couverture qui retient notre regard lorsqu'on croise cet ouvrage sur un présentoir de librairie, avant que le résumé achève de nous convaincre. Il faut dire que la symbolique florale est une thématique assez peu couramment utilisée en fiction pour qu'on se rappelle de suite un autre roman qui s'est précédemment illustré dans la même veine : Le langage secret des fleurs (ou Victoria et le secret des fleurs) de Vanessa Diffenbaugh. Ce premier livre était d'une telle originalité et d'une telle réussite qu'on pouvait craindre ici une pâle copie... tout en se laissant tenter par la lecture rien que pour l'exercice de la comparaison...


  La petite Alice Hart vit recluse au bord de la mer australienne avec sa mère Agnès, passionnée d'horticulture, et son père Clem, un homme violent qui les maintient toutes les deux sous sa coupe. Alice trouve cependant réconfort auprès de son chien Tobby, des fleurs du jardin maternel, et dans les contes de fées qu'elle emprunte à la bibliothèque les rares fois où elle échappe à la surveillance de Clem pour courir en douce jusqu'à la ville. Un jour, plus ou moins par accident, Alice met le feu à la maison ; ses parents ne survivent pas à l'incendie mais la fillette, indemne, est confiée à June, une grand-mère qu'elle n'a jamais vue. June Hart la conduit à Thornfield, demeure luxuriante construite en plein bush et transmise de génération en génération par les femmes de la famille, bâtie sur des légendes aussi féériques que mystérieuses. Là, June et ses ancêtres avant elle y ont fondé une ferme horticole réputée, où s'épanouissent les fleurs sauvages australiennes et où peuvent venir vivre les femmes solitaires qui ont tout perdu et cherchent à se reconstruire. Surnommées les "Fleurs", elles participent chacune au bien commun et à l'entretien de la ferme. Alice trouve auprès de sa grand-mère et des autres "Fleurs" un foyer accueillant et June forme sa petite-fille au langage des plantes, afin qu'elle puisse reprendre la gestion de la propriété une fois adulte. Mais pour cela, June est prête à passer sous silence de nombreux secrets...


  Oubliez vos craintes : malgré nos doutes premiers, Holly Ringland ne nous sert pas un vague plagiat du Langage secret des fleurs. Si un même thème relie bien les deux ouvrages, Les fleurs sauvages sait, après ses cent premières pages quelque peu fastidieuses (le temps de planter le décor), trouver sa propre marque de fabrique, son essence. Le paysage australien, tout d'abord, apporte une touche exotique et l'auteure exploite au maximum les particularités de son pays pour donner à son roman une saveur unique. La flore locale est ainsi particulièrement mise en avant (dont les pois du désert, à la signification capitale dans l'intrigue), mais aussi les mythes aborigènes liés à la Terre Rouge, cette région désertique de l'Australie où l'histoire finit par nous conduire pour notre plus grande surprise. Holly Ringland enrichit sa trame principale d'éléments et de thématiques annexes qui apportent une vraie densité à son univers et qui témoignent de ses nombreuses inspirations : les joies de la cuisine et des papilles (gâteaux, biscuits, et ginger ale parsèment le roman), ou encore les contes de fées et l'amour des livres (la première visite d'Alice à la bibliothèque municipale n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de Matilda, de Roald Dahl).

Holly Ringland

  Moins ancré dans la réalité que le roman de Vanessa Diffenbaugh, Les fleurs sauvages flirte avec ce genre très américain qu'est le magic realism. A ce titre, on remarque que l'ombre d'Alice Hoffman (Les ensorceleuses, Rules of Magic...) plane plus d'une fois sur cette intrigue : demeure familiale transmise par des femmes de génération en génération, figures matriarcales, suggestions de dons et de pouvoirs... Aussi n'est-on pas étonnés de la voir citée dans le livre et dans les remerciements, ou encore que deux des personnages se nomment Sally et Gillian (noms des héroïnes des Ensorceleuses).

Pois du désert : A cœur vaillant, rien d'impossible!

  Outre cette inspiration majeure, la communauté des "Fleurs", ces femmes isolées qui se sont réunies sous le même toit à la suite de drames pour s'entraider, nous renvoie très fortement aux amies des Divins secrets des petites Yayas, un autre roman qui fait la part belle à la solidarité féminine. Tantôt pétulantes et tantôt mélancoliques, les "Fleurs" et leur personnalité haute en couleurs apportent toute la nuance émotionnelle du roman.

Désert australien...

  Si Les fleurs sauvage s'affirme comme une histoire inspirée et délicate, elle n'échappe cependant pas toujours aux écueils propre à un premier roman. Le rythme peut être par exemple assez inégal et la psychologie de l'héroïne, pourtant bien dessinée dans la première moitié du livre, se perd ensuite dans des choix chaotiques qui agacent rapidement le lecteur. On a en effet du mal, après l'avoir vue s'affranchir de Thornfield et de son passé avec force et courage, à l'imaginer tomber si facilement dans les griffes d'un amant aussi violent qu'il était évidemment peu recommandable de prime abord. De façon générale, on réalise bien vite que les histoires d'amour sont le point faible de l'auteure, qui ne peut s'empêcher de tomber dans des clichés assez extrêmes, à grand renfort de métaphores ampoulées qui, au bout du compte, gâchent un peu l'émotion.


En bref : Malgré quelques défauts propres à un premier roman, Les fleurs sauvages est un très agréable roman dans la veine du magic realism. Délicat, rafraîchissant et à la mélancolie doucereuse, il puisse sa source dans la richesse de l'Australie, décor qui confère toute son originalité à l'histoire. 


Merci à NetGalley et aux éditions Mazarine pour cette lecture!


Et pour aller plus loin...