dimanche 31 janvier 2021

L'habit rouge de Peter Pan - Geraldine McGaughrean.

Peter Pan in scarlet
, Oxford University Press, 2006 - Pocket jeunesse (trad. de M.Leymarie), 2006.


    La panique s'est emparée de certaines maisons de Londres. Depuis quelques nuits, de vieux garçons se réveillent affolés : sous leurs draps, ils découvrent un sabre, un carquois ou pire : un crochet ! Ces messieurs très distingués ne sont autres que les Enfants Perdus du Pays Imaginaire, les compagnons de Peter Pan. Et quelque chose s'est déréglé dans le pays de leur enfance. Ils doivent y retourner. C'est le début d'une incroyable aventure au cours de laquelle les Enfants Perdus retrouveront Peter et Clochette... mais aussi un étrange directeur de cirque.
 
 
***
 
 
"Les vieux Garçons prirent leur agenda et, sous la rubrique "A faire", ils écrivirent :
- Cesser d'être un adulte ;
- Réapprendre à voler ;
- Trouver de la poudre de fée ;
- Inventer un mensonge pour ma femme."
 
    Dans la continuité de nos récentes lectures et chroniques sur l'univers de Peter Pan, il était difficile de ne pas aborder le cas de L'habit rouge de Peter Pan, un ouvrage qui a une place particulière dans toute la bibliographie qui a proliféré autour du personnage de James Barrie. En effet, on a pu vous parler au cours des années passées de livres comme Moi, Peter Pan (sublime!), Peter et la poussière d'étoiles, ou encore Le journal de Peter, mais le présent roman se distingue de ces réécritures, suites et préquelles par son caractère officiel. En effet, rappelons que les droits d'auteur de Peter Pan appartiennent tout entier au Great Ormond Street Hospital, hôpital pour enfants londonien auquel James Barrie lui-même les a cédés en 1929 ; ainsi, aucune publication ou adaptation de son œuvre ne peut voir le jour sans l'aval de l'établissement. Mais en 2004, peut-être influencés par la récente sortie au cinéma du Peter Pan de P.J.Hogan ou par le centenaire de la pièce de Barrie, les responsables de l'hôpital décident d'autoriser l'écriture d'une suite officielle à l'histoire originale et organisent pour cela un grand concours sous la forme d'un appel à textes. Geraldine McGaughrean, femme de lettres britannique et déjà auteure de plus de 120 livres pour la jeunesse, remporte la compétition sur la base d'un synopsis complet et du premier chapitre de ce qui deviendra L'habit rouge de Peter Pan, publié deux ans plus tard.
 

Couvertures originales illustrées par David Wyatt
 
"Un jeu échappe parfois à celui qui l'a inventé. Au Pays Imaginaire, c'est toujours le cas et les jeux ne sont pas des jeux, mais la réalité. C'est formidable. Ça met votre cerveau en ébullition, ça vous envoie des jets d'adrénaline et ça vous ôte la salive de la bouche. Tous les oiseaux sont des sorcières, les rondins des canons, les rideaux des fantômes et les bruits des monstres. Ce sont les moments les meilleurs, ceux dont on se souvient toute sa vie... Mais sacré nom, qu'est-ce que ça fait peur!"
 
    L'histoire nous entraîne dans le Londres de 1929 : tous les personnages de Peter Pan, du moins les enfants Darling et les garçons perdus revenus vivre avec eux, ont grandi. Ils sont devenus clarinettistes, banquiers, médecins, parents... ou vieux garçons. Mais voilà que depuis quelques temps, leur vie bien rangée souffre de quelques réminiscences on ne peut plus intrusives : comme surgissant du passé, des bribes du Pays Imaginaire percent la frontière entre les deux mondes et apparaissent dans leur quotidien, rappelant la seconde étoile à droite à leur humble souvenir. sabres, longues-vue, tricornes... des objets sommes toutes anodins, mais quand un crocodile en chair et en os surgit de nulle part, les vieux garçons ne peuvent plus nier l'évidence. Tous décident de demander conseil à dame Wendy, devenue mère d'une petite Jane. La jeune femme est persuadée que les étranges manifestations sont la preuve d'un dérèglement du Pays Imaginaire et que tous doivent s'envoler pour aller voir ce qui s'y passe. Mais comment faire, quand on est devenu un adulte? Wendy a sa petite idée : puisqu'il est bien connu que "L'habit fait le moine", tous se rendent à Kensigton Garden vêtus des habits de leurs enfants, cherchant la fée qui naitra du rire d'un bébé en promenade avec sa nanny pour s'envoler à l'aide sa poussière magique. Aussitôt dit, aussitôt fait : les voilà redevenu enfants, dans un Pays Imaginaire qui a bien changé. L'été n'est plus et a cédé la place aux couleurs d'automne... Même Peter est désormais revêtu de feuillage écarlate. Car oui, Peter est toujours là, caractériel et immature! Mais peu importe, la bande à nouveau formée, tous oublient le but de leur voyage (car il en est ainsi de la mémoire, au Pays Imaginaire) et décident de partir en quête du trésor de feu le capitaine Crochet. Pour se faire, la joyeuse troupe monte à bord du bateau du défunt pirate et Peter, qui ne peut s'empêcher de jouer les chefs de bord, choisit de porter la redingote rouge de son pire ennemi... Et si, là aussi, "l'habit faisait le moine"?...


" Chaque fois qu'un homme souffre, son ombre augmente. N'avez-vous pas remarqué que je traîne derrière moi une ombre digne d'une fuite dans une usine d'encre?"

     A voir tous les romans qui ont réinventé ou prolongé l'univers de James Barrie, on pourrait vraiment se demander ce que celui-là apporte de plus (outre son caractère officiel), ou en tout cas, en quoi il a retenu l'attention du jury. Il suffit du premier chapitre, proposé tel quel pour le concours, pour le comprendre : Geraldine McGaughrean est probablement la meilleure des faussaires. Pas de méprise, il s'agit ici d'un vrai compliment ; Peter Pan, outre son histoire, est un chef d’œuvre avant tout pour son écriture unique, le sens inné de James Barrie à faire vivre des images abstraites et donner corps à des métaphores. Ce talent qu'on pourrait croire inimitable, G.McGaughrean arrive à se l'approprier avec une aisance et une virtuosité qui laisseront interdits tous les admirateurs de Barrie...

Les retrouvailles entre Peter et Wendy, par D.Wyatt.

" Enfin, il leur donna des grades : Vice-Amiral, Vertu-Amiral, Quartier-Maitre, Kilo-Maitre, Gardien de Butin, Mousse, Lichen."

    Il ne fait aucun doute que c'est cette incroyable capacité à se glisser dans les chaussons de l'auteur qui aura convaincu les relecteurs de lui accorder la lourde mission d'écrire cette suite officielle, hommage véritable et réussi à l'original. L'intrigue et ses péripéties s'inscrivent dans la lignée de l'imagination propre à James Barrie, à travers de nombreux clins d’œil ; en affirmant, contrairement au vieil adage, que "l'habit fait le moine", la romancière trouve là un leitmotiv de choix et vient parachever ce que l'auteur suggérait à la fin de son Peter Pan : le garçon qui ne voulait pas grandir, en s'attribuant la redingote écarlate de son ennemi, voit sa personnalité changer... jusqu'à devenir cet autre qu'il haïssait tant? Pour le savoir, il vous faudra lire le livre...
 
Illustration de D.Wyatt.
 
"A partir du moment où un enfant répond à la question : "Qu'as-tu envie de devenir quand tu seras grand?", il a déjà fait la moitié du chemin. Il a trahi l'enfance et s'est tourné vers l'Avenir. Il a rejoint le rang des employés de bureau, plumeurs de poulets et metteurs en boîtes qui scrutent les petites annonces dans les colonnes "Recherche d'emploi"."
 
    Multipliant les surprises et offrant au lecteur de nouveaux éléments dignes du Pays Imaginaire (on savait jusqu'ici que les garçons perdus étaient les enfants tombés des landaus que poussaient leurs nourrices... on apprendra ici ce que sont devenues lesdites nounous!), G.McGaughrean, tout en restant respectueuse de l'ouvrage original (à UNE grosse erreur près : elle confond la main droite et la main gauche du Capitaine), n'oublie pas d'imaginer aussi des rebondissements et protagonistes plus actuels ou proches d'autres univers afin que ce texte, aussi officiel soit-il, ne soit pas qu'un simple exercice de style. Aussi le personnage d'Effilo, étrange directeur de cirque comme échappé d'un roman de Lemony Snicket ou d'un film de Burton, peut-il surprendre au départ, avant de prendre tout son sens dans cette nouvelle aventure.
 
 Peter et Effilo, par D.Wyatt.
 
" Sa voix pénétrait en elle goutte à goutte, comme du sirop de mélasse sur un pudding."
 
    Le tout est superbement mis en image par David Wyatt, dont l'édition française a conservé les silhouettes façon ombres chinoises en tête de chaque chapitre, comme un autre hommage de choix : le grand illustrateur Arthur Rackham, qui a en son temps illustré Peter Pan, affectionnait tout particulièrement cette technique. Il est impossible, vous en conviendrez, de ne pas voir la ressemblance, tant elle saute aux yeux...

Illustration de A.Rackham

"Même si grandir est un fléau et une malédiction, les adultes ont néanmoins un mérite : ils ne peuvent pas s'empêcher de se faire du souci pour ceux qu'ils aiment"


Illustration de D.Wyatt.

En bref : De l'écriture à l'intrigue en passant par le traitement des personnages, G.McGaughrean fait merveille avec cette suite qui aurait probablement suscité la fierté de James Barrie lui-même. Sans oublier d'imaginer sa propre histoire et de suivre ses propres idées, elle parvient à se glisser dans les chaussons de l'auteur et à s'emparer de sa plume pour un résultat enchanteur, troublant, profond et confondant de fidélité.
 

 
 
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Et pour aller plus loin... 
 

lundi 18 janvier 2021

Invisibles visiteurs - anthologie (textes de Poe, Maupassant & James).

Baker Street, 2020 (avec  des textes critiques de C.Baudelaire, N.Benhamou, J.Pavans et H.James, traductions d'E.Hennequin & J.Pavans, illustrations de Pancho & W.J.Damazy.

    Dans le très inquiétant Tour d'écrou, une gouvernante anglaise croit voir des figures sinistres surgir de nulle part pour menacer les enfants dont elle est chargée : réalité ou illusion? James laisse planer l'ambiguïté tout au long de l’œuvre, et le suspense monte jusqu'à la chute, aussi soudaine que terrible. 
    Dans le Horla, Maupassant relate les terreurs d'un homme qui croit déceler une présence à ses côtés : elle s'infiltre dans la maison, déplace les meubles, laisse des signes de son passage, mais reste toujours insaisissable. Réel? Imaginaire? Est-il en train de devenir fou, ou un danger imminent le menace-t-il vraiment?
    Et dans le texte de Poe, L'homme sans souffle, un homme se trouve étrangement dépossédé de son souffle et s'engage pour le retrouver dans un périple mouvementé, au cours duquel il connait la mort, l'enterrement, la résurection et croise divers malfaiteurs, le tout dans l'espace d'une trentaine de pages...

    Histoire de fantômes? Histoires de fous? Sont réunies pour la première fois dans ce volume trois fictions fantastiques de trois grands écrivains, dont deux sont mieux connus pour leurs œuvres dans des genres plus réalistes. Et pourtant ce sont parmi leurs récits les plus populaires, toujours lus un siècle plus tard, et maintes fois adaptés à la scène et au cinéma depuis.

***

    Que peut-il bien y avoir de plus excitant, au cœur de l'hiver, que de s'effrayer avec quelques histoires de fantômes ? Aussi propices à Noël qu'elles ne le sont à Halloween, les légendes de revenants et autres historiettes horrifiques se racontent à voix basse tandis que tout le monde se pelotonne au coin du feu. Une scène tirée d'une image d’Épinal? Peut-être bien. Mais c'est aussi sur cette scène que s'ouvre Le tour d'écrou, célèbre court roman d'Henry James, histoire dans l'histoire racontée à un auditoire fasciné, sagement installé devant la cheminée. Mais comment un auteur réaliste comme Henry James a-t-il accouché de l'histoire de fantômes la plus célèbre au monde, encore aujourd'hui? Non contente de rééditer ce texte sublime sous une toute nouvelle traduction, les éditions Baker Street répondent à cette question en insérant le texte de James au milieu d'autres récits et nouvelles, articles et commentaires, qui recontextualisent l'émergence de ce conte gothique et profondément dérangeant.
 
Henry James et Guy de Maupassant.

    Dérangeant. C'est probablement le terme à retenir pour définir cette anthologie qui cherche à cerner à travers le XIXème siècle l'apparition du fantastique dans son sens littéraire premier, à savoir un genre qui s'attache à distiller des éléments inexpliqués, incompréhensibles, dans la trame de la normalité. Dérangeants, donc. Afin de mieux montrer la plasticité de cette mouvance, le recueil propose trois nouvelles plus ou moins connues mais uniques à leur façon : la première, L'homme sans souffle, est une œuvre de jeunesse d'Edgar Poe ; la seconde, Le Horla, est la version retravaillée d'une nouvelle de Maupassant ; et enfin, la troisième est bien évidemment Le tour d'écrou d'Henri James, création on ne peut plus aboutie.
 
Edgar Poe
 
    Trois auteurs, trois façon d'aborder le fantastique et de se le réapproprier, voire d'influencer ses confrères. Poe, qui s'érigera en grand maître du frisson, signe avec L'homme sans souffle une brève fantaisie quasi vaudevillesque qui pourrait faire rire si elle n'était pas aussi macabre (mais d'ailleurs, bien que macabre, elle prête réellement à sourire) : un homme privé de souffle comme par magie part à sa recherche mais, considéré comme mort dès qu'il s'endort dans la voiture qui constitue la première étable de son voyage, le pauvre est condamné à subir le triste sort qu'on réserve aux cadavres. Ni mort ni vivant, le héros est baladé d'un lieu en à l'autre et son étrange condition devient le ressort à des péripéties toutes plus abracadabrantesques les unes que les autres. Nous sommes au début du XIXème siècle et on n'est déjà pas loin d'un conte à la Burton ou de l'hilarant film La mort vous va si bien de Robert Zemeckis!
 
Illustration de W.Julien-Damazy pour Le Horla.
 
    Un univers entier sépare cependant ce premier texte des deux seconds, qui posent les bases dramatiques et stylistiques solides au genre fantastique en insinuant un élément majeur : le doute. Maupassant, auteur probablement aussi réaliste que James, sert avec Le Horla (sa première version, sa réécriture, mais aussi des textes intermédiaires qui ont amélioré son jet définitif, à la façon de Lettre d'un fou, également présent dans cette anthologie) une situation qui glace littéralement le lecteur. Son narrateur, persuadé d'être hanté par une force maléfique, entame un périple afin de comprendre l'origine de son mal et comment s'en délivrer. Possession ou folie, l'auteur ne se prononce pas et laisse planer le doute jusqu'à une fin ouverte encore plus terrifiante et malaisante que si quelque présence occulte s'était vue confirmée...
 
Le Horla, par W.Julian-Damazy
 
    Dès lors, et même si l'intrigue est différente, il apparait en effet que la virtuosité psychologique du Horla n'a pu qu'inspirer Henry James pour son chef-d’œuvre. Tenter de capturer la vérité du Tour d'écrou, ce serait comme essayer de retenir de l'air en mouvement et d'en comprendre la nature. En s'attaquant au genre fantastique tout en conservant une écriture digne du réalisme, l'auteur ne laisse aucune échappatoire : tout semble si vrai, si concret, si réel, que le lecteur ne peut que boire les paroles de la narratrice, cette jeune bonne d'enfant persuadée que les deux petits dont elle a la charge sont harcelés par des esprits venus les hanter de leur perversité. Le brio du livre tient essentiellement à ce qui n'est pas nommé : aux points de suspension, aux phrases jamais finies, au pouvoir de suggestion, bref, à cet angle-mort dans lequel l'auteur laisse le lecteur projeter ses propres horreurs.

Illustrations de Pancho pour Le tour d'écrou.

    L'effet de gradation suscité par la lecture consécutive de ces trois textes confirme ce que revendiquent les commentaires, préfaces et postfaces de cet ouvrage : il est cruellement important de continuer à se faire peur.

En bref : Une anthologie furieusement bien pensée et agrémentée de textes analytiques pertinents. On alterne plaisir de lecture et réflexion littéraire au fil des différentes nouvelles, lesquelles nous font vivre et comprendre l'avènement du genre fantastique et des ghost stories, entre terreur froide et psychologie. Les autres auteurs parfois évoqués dans les commentaires nous laissent espérer une suite à ce recueil, pour poursuivre un peu plus la découverte et les frissons à travers des pays et les époques.


Un grand merci aux éditions Baker Street pour cette découverte!

lundi 11 janvier 2021

Peter Pan - un film de P. J. Hogan d'après J. M. Barrie.

 Peter Pan

Un film de P. J. Hogan, écrit par P. J. Hart et M. Goldenberg d'après Peter Pan de J. M. Barrie.

Avec : Jeremy Sumpter, Rachel Hurd-Wood, Jason Isaacs, Ludivine Sagnier, Olivia Williams...

Sortie originale : 25 décembre 2003
Sortie française : 4 février 2004
 
    Chaque soir, Wendy émerveille ses jeunes frères avec ses fantastiques récits épiques, jusqu'au jour où son père décrète qu'elle est désormais trop grande pour partager leur chambre... Ce que les adultes ignorent, c'est qu'un autre garçon, Peter Pan, se passionne lui aussi pour les histoires de Wendy. Il vient de loin pour les écouter. Sa soudaine apparition va marquer le début d'aventures aussi fabuleuses qu'exaltantes. A travers le ciel étoilé, Peter, les enfants et la minuscule fée Clochette prennent le chemin d'un endroit où le rêve est roi : le Pays Imaginaire. Là-bas, Wendy et ses frères découvrent les Garçons Perdus et leur repaire souterrain. Mais le danger rôde et l'infâme Capitaine Crochet est prêt à tout pour remporter le combat qui, depuis longtemps, l'oppose à Peter...

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    Après avoir évoqué le film Hook il y a peu, il était difficile de ne pas parler du plus récent Peter Pan. Tourné en 2002, ce film américain marque un tournant dans l'histoire des adaptations de l’œuvre de Barrie : il est la première transposition officielle depuis le long-métrage animé par Walt Disney en 1953 et aussi la première version dans laquelle Peter est interprété par un acteur masculin (jusque-là et si on excepte Hook qui est davantage un détournement, le rôle au théâtre ou au temps du cinéma muet était joué par des actrices adultes). Cette nouvelle adaptation fut bien évidemment rendue possible grâce à l'accord du Great Ormond hospital, qui détient les droits d'auteur depuis 1929. Lorsqu'il sort dans les salles en 2003, ce Peter Pan a une longueur d'avance sur le regain d'intérêt que le cinéma allait porter aux contes quelques années plus tard. Film familial par excellence annoncé pour les fêtes de Noël, ce long-métrage n'en était pas moins attendu au tournant.
 

    Il faut dire qu'entre la version la plus populaire de Disney et le Hook de Spielberg, le film de P.J.Hogan n'avait pas une place facile : la première fait souvent office de référence mais est dépossédée d'une grande partie de l'essence de l’œuvre originale, et la seconde, très proche de Barrie dans l'esprit, proposait en même temps une totale réinvention de l'histoire. Dans quelle direction orienter ce nouveau Peter Pan? Comme souvent pour les classiques multi-adaptés à l'écran, il semble que cette nouvelle adaptation porte en elle un peu de toutes les précédentes... C'est en tout cas ce à quoi on conclut après une analyse en profondeur du film. Les premières critiques visibles sur la toile reprochent souvent les trop nombreuses similitudes avec le dessin-animé Disney, ce qui serait mettre en boite le film beaucoup trop rapidement car ce Peter Pan se rapproche à plus d'un titre du matériau d'origine, et souvent avec réussite.
 

    Pour le démontrer, attardons-nous en premier lieu sur le personnage principal de l'histoire, le point fort de ce film. Campé par le jeune Australien Jeremy Sumpter (qui a bien grandi depuis), le Peter Pan de P.J.Hogan est – ouf – beaucoup plus complexe que son homologue animé, et peut-être même encore plus fidèle au personnage original que l'interprétation (forcément différente au vu du retournement de situation de Hook) de Robbin Williams. Physiquement, tout d'abord : on oublie les collants verts et le chapeau de Robin des Bois pour une tenue de feuilles et de lierre qui correspond totalement à la description de Barrie. Psychologiquement, ensuite : le traitement du personnage dans ce film prend les bons risques pour rester fidèle à l'esprit du livre et de la pièce de théâtre, quitte à "écorcher" un peu les aspects sympathiques du garçon tels qu'on croyait les connaitre. En effet, Peter est ici un vrai garnement au sens premier du terme ; jamais sérieux, turbulent et parfois même agaçant dans son rôle de petit chef égocentrique, il est donc beaucoup plus proche de l’œuvre originale que les précédentes interprétations. Comme dans le livre également, le scénario retient l'absence totale de mémoire du personnage, qui participe à lui donner une certaine densité. Jeremy Sumpter livre une prestation très intéressante et s'avère particulièrement crédible dans le rôle, pour lequel il s'est entrainé pendant plusieurs mois pour assurer lui même les cascades et les combats à l'escrime.
 

    Face à lui, le capitaine James Crochet, interprété par Jason Isaacs (qu'on avait l'habitude de voir avec les cheveux peroxydés en Lucius Malefoy dans la saga Harry Potter) mérite aussi qu'on lui consacre quelques lignes, car le traitement du personnage est beaucoup plus satisfaisant que dans les précédentes adaptations! Certes, on adorait rire avec le Crochet de Disney ou avec Dustin Hoffman mais sans même mentionner que le crochet est cette fois du bon côté (main droite, et non gauche), on a enfin un Crochet un peu plus sombre. Enfin, dans une certaine mesure car peut-être là encore de peur d'effrayer les plus jeunes, le scénario contrebalance les aspects les plus noirs du personnage par des scènes plus légères. Si cela peut être au service de la mythologie peterpanesque (le capitaine, découvrant que l'esprit de Peter est tout entier accaparé par Wendy, se sent délaissé dans cette relation à mort qui semblait tant monopoliser l'intérêt du jeune garçon jusque là : intéressant quand on connait l'étrange lien qui attache les deux personnages dans le roman), c'est malheureusement encore trop souvent pour le ridiculiser (les dernières secondes avant sa mort, pendant lesquelles il se débat au-dessus de la gueule ouverte du crocodile, par exemple, sont assez absurdes voire cartoonesques). Néanmoins, tout comme pour Jeremy Sumpter en Peter Pan, Jason Isaacs semble être LE choix le plus judicieux d'alors pour ce rôle.
 

    Concernant les autres personnages, admettons qu'ils sont beaucoup moins charismatiques : même Wendy, jouée par Rachel Hurd-Wood qui crèvera l'écran quelques années plus tard dans Le parfum, manque de relief et nous est rapidement un peu trop agaçante. On oublie assez vite Jean et Michael (mais comme dans le livre, après tout), Mouche nous est sympathique, mais sans arriver à la cheville de Bob Hoskins, et Lili la Tigresse, si elle est jouée par une vraie indienne, souffre malheureusement d'un manque de personnalité criant (ce qui est dommage car la seule réplique dont elle honore le film, en vraie langue iroquoise, laissait présager un vrai tempérament). Clochette, interprétée par la frenchie Ludivine Sagnier, n'est pas totalement convaincante non plus : elle évoque beaucoup la Clochette de Disney, mais sans son élégance froide. Ici très caricaturale, la fée Clochette du film est toute en grimaces et en grognements, comme pour ne pas faire trop d'ombre au couple Peter/Wendy (un sujet sur lequel ou reviendra tout à l'heure). 
 

    Les parents Darling sont, tout comme dans le livre, particulièrement mis en avant dans le film (alors qu'ils ne font qu'une brève apparition dans le dessin-animé). Cela ne fonctionne pas toujours très bien pour Mr Darling (également joué par Jason Isaccs, en clin d’œil aux versions théâtrales dans lesquelles Mr Darling et Crochet étaient interprétés par le même comédien) : si la personnalité très extrême de ce personnage passe sans problème dans un roman jeunesse, cela fonctionne évidemment moins bien à l'écran. En revanche, Olivia Williams est un véritable délice dans le rôle de Mrs Darling. Un regard, une voix, la façon dont la caméra s'attarde sur la douceur de son visage... tout nous renvoie à la chaleur maternelle du personnage dépeint par James Barrie.
 

    Le scénario recherche sincèrement à se rapprocher de l’œuvre originale tout en la rendant accessible à l'écran, un pari compliqué tant la magie du roman tient à son écriture imagée et à ses superbes métaphores, difficilement transposables. Néanmoins, le film parvient à intégrer l'image du baiser suspendu à la bouche de Mrs Darling, et à l'utiliser pour Wendy comme signe de son entrée à venir dans l'âge adulte ; dans la continuité, le scénario n'oublie pas la scène du dé à coudre et parvient à l'utiliser à bon escient à plusieurs reprises. Il est également intéressant de noter l'existence d'une fin alternative – ou en tout cas d'une scène finale coupée au montage – fidèle à la fin du livre : Peter revenant des années plus tard dans la chambre de Wendy pour y rencontrer sa fille, Jane. 
 
La fin malheureusement jamais utilisée pour conclure le film...
 
    On a évoqué précédemment que l'ombre de Disney planait encore très fortement sur ce film qui, pourtant, aurait pu choisir de s'en affranchir totalement : outre l'allure de la fée Clochette, on sent le regret de ne pouvoir utiliser le rocher du crâne (le rocher en question étant une invention de Disney et donc protégé par de solides droits d'auteur) dans la scène de sauvetage de Lili la Tigresse ; à la place et pour recréer une atmosphère similaire, P. J. Hogan et M. Goldenberg imaginent un fort sombre et poisseux en bord de mer... qui nous fait finalement beaucoup regretter l'absence de rocher du crâne (qui avait une résonance plus significative, relativement à l'imaginaire de la piraterie). Le retour à Londres évoque là aussi beaucoup Disney, avec l'envolée dans les airs du bateau de Crochet pour raccompagner les Darling chez eux...


    De façon générale, si la mise en scène évoque dans certains de ses plans (ou même dans son esthétique aux couleurs un peu trop saturées) le long-métrage animé de 1953, les dialogues, quant à eux, reprennent souvent au mot près ceux du texte de Barrie, un régal pour qui a lu le livre et craignait que cette version manque de profondeur. Cela n'empêche pas pour autant le réalisateur et son collègue scénariste de prendre certaines libertés, la plus importante étant dans la direction qu'emprunte la relation entre Peter et Wendy. A l'évidence, P. J. Hogan fait partie des grands frustrés de l'absence d'une idylle concrète entre les deux personnages! Sans totalement changer les dialogues entre eux mais en incrustant des scènes symboliquement fortes (la danse dans les bois, notamment) ou en supprimant certains autres éléments (Lili la Tigresse n'est désormais plus attirée par Peter, mais par John Darling, faisant par la même une concurrente de moins pour Wendy), ce film pousse un peu les limites très claires posées par Barrie dans le roman : alors que le Peter de papier n'a pas l'entendement suffisant pour comprendre les allusions de Wendy, on sent ici un vrai tiraillement entre sa vie d'éternelle petit garçon et l'infime mais concrète tentation de se laisser séduire par la jeune fille. Sacrilège? Oui et non. Si cela amène les deux tourtereaux à échanger un baiser (absent de l’œuvre initiale mais qui nous remémore l'orientation prise dans Hook) qui permet à Peter de retrouver une confiance suffisante pour vaincre Crochet, cette prise de liberté très risquée ne change pas le sens de l'histoire et les scénaristes s'empressent à la dernière minute de rejoindre le "cahier des charges" pensé par J. M. Barrie. Autre détail intéressant : l'intrigue s'amuse à faire de Wendy une figure forte qui n'hésite pas à prendre les armes (et qui se laisse séduire par la proposition de Crochet de rejoindre la piraterie... à moins que ce ne soit par Crochet tout court?).


    Malgré les éléments évoquant Disney ou les prises de libertés du scénario, le Peter Pan de P. J. Hogan propose une adaptation très intéressante qui fait plus d'une fois honneur à la pièce de théâtre et au roman. Certaines scènes parviennent à distiller ce qui fait toute la singularité de l’œuvre, notamment dans ce qui contribue à complexifier la nature du personnage, sujet de magie autant que de danger. A titre d'exemple, on peut évoquer la courte mais puissante scène du départ de Wendy au Pays Imaginaire : les paroles que Peter lui chuchote à l'oreille pour la convaincre de s'envoler et d'oublier les adultes tandis que la voix off de la narration accompagne la course des parents jusqu'à la chambre, espérant qu'ils arrivent à temps pour, peut-être, l'en empêcher. Le choix est laissé au jeune spectateur de mesurer les éventuels risques d'accompagner l'enfant qui ne grandit jamais...



En bref : Une bonne adaptation du Peter Pan de James M. Barrie, qui parvient en outre à restituer un peu de la complexité de l’œuvre originale. Si l'ombre de Disney plane encore un peu sur cette version, cela pourra permettre aux enfants qui ne connaissent que le dessin-animé de les accompagner vers le roman, auquel ce film peut être une belle introduction. Notons au passage un Peter Pan très convaincant en la personne du jeune Jeremy Sumpter, face à un capitaine Crochet un peu plus glaçant que ses prédécesseurs. Mine de rien, la barre sera haute pour la future version en live action de Disney...
 
 
Et pour aller plus loin...

samedi 2 janvier 2021

Gourmandise littéraire : Wassail de Yule (Cidre chaud du Solstice).


    Petite pause dans nos rêveries hivernales pour trinquer avec des sorcières. Oui, mais une boisson de Noël, évidemment! En effet, pour célébrer la quatrième et ultime saison de Chilling adventures of Sabrina (Les nouvelles aventures de Sabrina - d'après la BD éponyme elle-même réinterprétation horrifique de l'apprentie sorcière du multivers Archie Comics) sortie le 31 décembre dernier, nous partageons avec vous un élixir de saison on ne peut plus... ensorcelant.
 

    Pour cela, petit retour en arrière dans la chronologie de la série : entre les saison 1 et 2, la production avait régalé les fans d'un épisode de Noël, en hommage aux Christmas specials des comics originaux et de leur première adaptation télévisée sous forme de sitcom dans les années 90. Mais pour cette relecture dark, même l'épisode diffusé pour les fêtes se devait d'être gothique jusqu'au bout! Or, on l'a vu dès le début de la série, la grande qualité de cette réadaptation façon horrifique, c'est d'être minutieusement documentée : l'imaginaire mis en scène est judicieusement puisé dans les sources mythologiques et légendaires des cultures païennes et occultes, lesquelles fournissent d'inépuisables idées aux scénarios et à l'univers dans son ensemble. Ainsi donc, chez les Spellman, on ne fête pas Noël mais Yule.
 
 

    Yule, c'est le nom de l'ancienne fête de l'hiver en Occident, avant que les Chrétiens n'y associent la naissance du Christ pour y effacer toute trace de paganisme ou de croyances ancestrales. Associée au solstice d'hiver, Yule, aussi appelée "Nuit des Rois", commence le 21 décembre et dure jusqu'à début ou mi janvier. Cette période, qui marque le rallongement des jours et de la lumière sur l'obscurité, est symbolisée par la victoire du Roi des Chênes sur le Roi des Houx. Mais Yule est également à l'origine de nombreuses traditions dont un héritage persiste encore de nos jours : la couronne de Yule, faite de branchages et ornée de quatre bougies rouges qu'on allume progressivement pour marquer le retour de la lumière, mais aussi la bûche de Yule, qui, une fois décorée, devait brûler le plus longtemps possible pour protéger la maison.
 
 
    Conformément à son univers occulte de référence, le Christmas Special de Chilling adventures of Sabrina puisait donc dans ces quelques pratiques afin d'en faire les ressorts à un épisode très enthousiasmant. Outre la couronne, qu'on aperçoit dans la maison magnifiquement décorée des Spellman, et la bûche qui joue un rôle capital dans l'intrigue, une autre tradition de Yule est visible dans cet épisode. Et cette tradition là, elle se boit : le cidre chaud aux épices! Ou devrait-on dire le Wassail? Si l'on voit à plusieurs reprises les membres de la famille Spellman se délecter de cidre chaud aux agrumes et à la cannelle (on assiste même à sa préparation dans la cuisine par Tante Hilda), la coutume se veut en effet directement liée à la fête de Yule.
 

    Le terme Wassail est issu de l'ancien anglais was hal, expression qui pourrait se traduire par "à ta santé". Le mot a donné naissance à l'expression wassailing pour qualifier une activité qui se déroulait justement pendant la Nuit des Rois : les wassailers allaient de porte à porte pour trinquer à la santé de leurs voisins, versant cidre et vin sur le sol tout en chantant et criant pour faire fuir les mauvais esprits qui pourraient vouloir nuire aux futures récoltes. A la fin de la soirée, on apportait le bol de Wassail, rempli de pommes rôties baignant dans le cidre et les épices, qu'on passait de main en main en se souhaitant bonne santé. Cette coutume a progressivement évolué pour aboutir aux chants de Noël qu'on va chanter de porte à porte, et le cidre qu'on y buvait est peu à peu devenu un punch chaud tel qu'on en sert encore sur les marchés de Noël.
 

    Les premières recettes officielles de Wassail datent évidemment de l'ère pré-chretienne, mais on en trouve aussi de nombreuses dans les livres de recettes de la Renaissance puis dans les ouvrages de cuisine victorienne, époque à laquelle le Wassail était encore très populaire. La version que nous vous proposons ci-dessous est à la fois simple et inratable!
 
 
Ingrédients :
 
- 1 L de cidre doux
- 1 orange sanguine tranchée en rondelles
- 3 bâtons de cannelle
- 5 clous de girofle
- 5 étoiles de badiane
- 1 cuillère à soupe de miel 
 
A vos chaudrons!
 
- Mettre tous les ingrédients dans une casserole sur feu moyen.
- Chauffer jusqu'à ce que le mélange frémisse.
- Laisser frémir cinq minutes puis retirer du feu.
- Laisser infuser quelques minutes, filtrer puis servir dans de jolis verres décorés de rondelles d'orange ou de bâtons de cannelle.
 
 

A déguster chaud en lisant une histoire de fantôme de Noël ou en écoutant des chants de saison un peu creepy :
 


Et Wassail ! A la vôtre !

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