mercredi 31 janvier 2018

Captive - Margaret Atwood.

Alias Grace, O.W.Toad Ltd, 1996 - Editions Robert Laffont (trad. de M.Albaret-Maatsh), 1998 - Editions Pocket, 1999 - Editions 10/18, 2003, 2017.

  1859 : Grace Marks, condamnée à perpétuité, s'étiole dans un pénitencier canadien. A l'âge de seize ans, Grace a été accusée de deux horribles meurtres. Personne n'a jamais su si elle était coupable, innocente ou folle. Lors de son procès, après avoir donné trois versions des faits, Grace s'est murée dans le silence : amnésie ou dissimulation ? Le docteur Simon Jordan veut découvrir la vérité. Gagnant sa confiance, Jordan découvre peu à peu la personnalité de Grace, qui ne semble ni démente ni criminelle. Mais pourquoi lui cache-t-elle les troublants rêves qui hantent ses nuits ?
   Inspiré d'un sanglant fait divers qui a bouleversé le Canada du XIXe siècle, Margaret Atwood nous offre un roman baroque où le mensonge et la vérité se jouent sans fin du lecteur.

***

  Alors que Margaret Atwood connait actuellement un retour sur la scène littéraire avec la récente adaptation télévisée de La servante écarlate, la grande dame de lettres canadienne continue de se faire connaitre d'une nouvelle génération de lecteurs grâce à la transposition par netflix d'un autre de ses romans : Captive (Alias Grace en VO), écrit en 1996. L'occasion de redécouvrir le livre avant de voir la série.


  Canada, XIXème siècle : Voilà près de quinze ans que la douce Grace Marks est retenue sous les verrous pour assassinat. Âgée de 16 ans à l'époque des faits, elle a été accusée de meurtre avec son amant James McDermott pour le crime de leur maître et employeur Mr Kinnear, et de sa gouvernante Nancy Montgomery. Alors que son comparse avait écopé de la pendaison, Grace, elle, avait échappé à la peine de mort en s'attirant la bienveillance de l'opinion publique. Son comportement en prison, exemplaire, lui permet d'officier en tant que femme de chambre et couturière chez la femme du gouverneur, laquelle a réunit autour d'elle tout un cercle d'orignaux et de pseudo-scientifiques qui militent pour faire libérer Grace, tous persuadés de son innocence. Leurs intérêt rejoints alors ceux d'un jeune médecin d'un genre nouveau, Simon Jordan, spécialisé dans le psychisme humain, qui souhaite faire une étude sur elle. Puisque cette dernière prétend avoir tout oublié du crime, il lui propose plusieurs entretiens au cours desquels, par un jeu de suggestions, il espère faire émerger quelques réminiscences. Mais Grace se révèle d'une étonnante perspicacité et évite les pièges tendus par le Dr Jordan, ou élude avec talent les sujets qu'il veut lui faire aborder... Tandis qu'elle lui raconte toute son histoire depuis l'enfance, Simon en vient à se demander lequel des deux mène réellement la danse...

"Ce n'est pas toujours celui qui porte le coup qui est le meurtrier."

 La véritable Grace Marks.

  Attention, chef-d’œuvre! Alors que l'on connaissait davantage Margaret Atwood pour ses récits d'anticipation, celui-là se situe dans une veine plutôt historique : en effet, Captive est en grande partie adapté d'un fait-divers réel qui a défrayé la chronique canadienne du XIXème siècle. Les éléments exposés concernant le crime de Mr Kinnear et de Nancy Montgomery sont rigoureusement exacts et Maragret Atwood a opéré un véritable travail d'archiviste avant de se lancer dans l'écriture : témoignages de l'époque, presse, compte-rendus du tribunal... De ces différentes sources au contenu souvent antinomique (il faut dire que la question de la culpabilité de Grace avait soulevé des avis mitigés), l'auteure tire des citations qui introduisent chaque nouveau chapitre, citations complétées d'extraits de poésie d'Emily Dickinson, Edgard Poe ou Nathaniel Hawthorn, dont les vers semblent soudain avoir été écrit pour Grace. Plus encore, ils apportent dès lors souvent un nouvel éclairage ou tendent à faire tirer des conclusions ambivalentes quant à l'innocence ou culpabilité de la jeune femme. Nous voilà tombés dans les filets de Margaret Atwood... et de Grace elle-même.

Documents d'archives représentant Grace et McDermott pendant leur comparution.

  Alternant entre une narration à la première personne par Grace et une narration du point de vue du médecin qui la questionne sans relâche, l'auteure se joue du lecteur, lequel se retrouve malgré lui dans la même position que Simon Jordan : Nous souhaitons tout connaître de Grace, en essayant de nous convaincre que la question de sa culpabilité importe peu, que seuls son esprit et sa mémoire nous occupent. Et pourtant, très vite, nous tombons sous son charme. Nos convictions s'ébranlent. Nous souhaitons intimement qu'elle soit innocente. Nous devenons ni plus ni moins que la mise en abyme du Dr Jordan.

"Il ne peut s'empêcher de penser que la plénitude même de ses souvenirs constitue peut-être une sorte de distraction, une façon d'éloigner l'esprit de quelques faits cachés mais essentiels, commes telles jolies fleurs plantées sur une tombe..."
  
  Le style et l'immersion narrative sont pour beaucoup dans cet effet : il faut applaudir le talent de M.Atwood (et de sa traductrice!) qui parvient à recréer autant de plumes que de personnages, en particulier celle par laquelle Grace s'exprime, qui évoque sincèrement la voix d'une domestique dont le vocabulaire se serait enrichi du contact d'employeurs d'une classe sociale plus élevée, sans se départir des tournures et de la syntaxe propres à un milieu plus modeste (une écriture similaire et toute aussi admirable avait été constatée dans le Mary Reilly de Valérie Martin). Cette plume particulièrement riche apporte un réalisme troublant et donne tout son corps à l'histoire. 

Prison de Toronto au XIXème siècle.

  A travers cette voix à la fois simple et profonde, Grace pose un regard sur la société qui, derrière un ton qu'on imagine sage et inoffensif, s'avère tranchant et particulièrement perspicace, parfois plein d'ironie. La presse s'évertue à interpréter le message féministe du roman parce qu'il correspond à une mouvance actuelle et qu'il le rapproche ainsi de La servante écarlate, mais en réalité, Captive évoque de nombreux autres sujets. A travers ce personnage de vraie fausse criminelle qui a fasciné des foules entières, son histoire, et l'Histoire en général, le filtre que Margaret Atwood vient superposer en tant qu'auteure aiguille le questionnement dans d'autres directions et veut bousculer certaines de nos représentations : la fascination malsaine que provoque le fait divers, la condition de la femme, certes, mais celle aussi de la domestique et de la prisonnière, de même que l'assimilation entre étranger et criminel, ces raccourcis si faciles à nos esprits étroits. Qu'est-ce qui fait, ou qui est-ce qui fait de nous un meurtrier, une meurtrière, un innocent, ou un fou? En quoi cette mise en boite vient-elle rassurer la foule hurlante? M.Atwood nous tend un miroir où se reflètent les travers d'une société vaine et hypocrite...

"N'empêche, criminelle est un terme fort quand on vous l'attribue. Il a une odeur, ce terme - musquée et suffocante comme des fleurs mortes dans un vase. Parfois, la nuit, je me le répète dans un murmure : Criminelle, criminelle. Il bruisse comme une jupe en taffetas sur un plancher. Criminel n'est que brutal. Il a l'effet d'un marteau ou d'un bout de métal. Si je n'avais que ça comme choix, je préférais être une criminelle qu'un criminel."

 "Je ne sais pas si vous avez remarqué ça, monsieur, mais il y a des gens qui prennent plaisir à l’affliction d’un semblable, surtout s’ils pensent que ce semblable a commis un péché, ce qui ajoute une satisfaction supplémentaire. Mais qui, parmi nous, n’a jamais péché, comme le dit la Bible ? Pour ma part, j’aurais honte de me délecter pareillement des souffrances d’autrui."

  Le plus amusant, c'est que que M.Atwood dit elle-même que si elle avait su si Grace était coupable ou innocente, elle n'aurait pas écrit ce livre. Fait est qu'au fond, elle ne cherche pas à donner de réponse, mais à faire poser d'autres questions - qui se situent par ailleurs bien au-delà de la "simple" notion de culpabilité. Pour cela, elle est prête à nous mener par le bout du nez jusqu'aux dernières pages, s'amusant des meilleurs ressorts qu'offre le roman lorsque, au terme d'un récit d'une rigueur historique et réaliste impressionnante, elle sort de sa poche un superbe rebondissement romanesque avec la séance d'hypnose finale, presque incongrue mais non moins effrayante. Grace, comparée à Shéhérazade, nous fait glisser sur le fil du rasoir du conte et de l'illusion qui dit (peut-être) des vérités, parce que nous ne demandons pas mieux que d'être mystifiés...

 Prisonnières canadiennes bénéficiant de postes de femmes de chambre à l'extérieur, XIXème siècle.

"-Mentir, répète McKenzie. Un terme sévère, assurément. Vous a-t-elle menti, vous demandez-vous? Laissez-moi vous présenter les choses ainsi - Shéhérazade mentait-elle? A ses yeux, non. En vérité, il ne faudrait ne jamais soumettre les histoires qu'elle racontait aux dures catégories du vrai et du faux."

En bref : Un récit qui puise sa source historique dans un fait divers sanglant du XIXème siècle pour mieux se jouer de nos convictions en posant un regard révélateur sur la société. Nous devenons les victimes volontaires de Grace qui, innocente ou manipulatrice, a tout compris d'un monde qui nous a dévoré, et nous balade entre fiction historique et enseignement philosophique à demi-dissimulé. Une pépite qui nous habite encore longtemps après avoir refermé l'ouvrage...

lundi 22 janvier 2018

Grease, la comédie musicale de Jim Jacobs et Warren Casey à Mogador.


Livret et musique : Jim Jacobs et Warren Casey
Mise en scène : Véronique Bandelier, Martin Michel, et Tim Van Der Stratten

Au théâtre Mogador du 17 septembre 2017 au 31 mars 2018.

  L’histoire se déroule en 1959 à la Rydell High School, dans la banlieue de Chicago, sur fond de musique rock. Sandy Dumbrowski, une nouvelle élève, intègre le lycée. A sa grande surprise, elle y retrouve son amour d’été, Danny Zuko, chef du gang des T-Birds. Si elle est heureuse de le revoir, lui se préoccupe plus de sa popularité et de son image de chef de bande que des sentiments de Sandy. Aidée par les Pink Ladies, Sandy va finir par s’imposer dans ce jeu d’amour et de hasard.

***

  Très honnêtement, je ne pensais pas aller voir Grease sur scène. Tout juste remis de l'annulation du Fantôme de l'Opera suite à l'incendie survenu en septembre 2016 à Mogador, j'étais prêt à boycotter le spectacle. Et puis, aussi, si j'ai pu voir le film avec John Travolta il y a looongtemps -ou peut-être seulement des extraits? ou était-ce sa suite ? (oui, il en existe une, avec Michelle Pfeiffer...)- je n'en garde quasiment aucun souvenir, en plus de n'avoir jamais été séduit par l'univers de cette comédie musicale.
  Et puis... et puis ayant de plus en plus envie de consommer du musical dès que je sors d'en prendre, je me suis dit, lorsque le rideau de la famille Addams s'est refermé, que ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée que d'y aller. Tout d'abord, ne serait-ce que pour la scénographie, toujours impressionnante, ensuite parce que j'étais curieux d'y retrouver deux anciens artistes déjà croisés sur scène ou sur les écrans ( Alexis Loizon, qui interprétait Gaston dans La Belle et la Bête à Mogador, et qui jouait un second rôle dans le film Disney de 2017, et Nicolas "Alexander Wood" Motet, ancien Oliver Twist que j'étais allé voir l'an dernier sur la scène salle Gaveau). Puis les années 50, la brillantine, les coupés rutilants, les diners et les drive-in ont fini par avoir raison de moi...


  Petit retour en arrière? Avant d'être le très célèbre film avec John Travolta et Olivia Newton-John que tout le monde connait, Grease était bien une comédie musicale montée sur scène à Chicago puis Brodway en 1972. Le succès de l'époque fut tel que le spectacle fut nominé plusieurs fois aux Toni Awards, reconduit puis décliné au cinéma et dans de nombreux pays. Une première adaptation française avait été mise en scène en 2008 sur la scène du Comedia avec Cécilia Carra dans le rôle de Sandy.

  Cette fois, c'est donc le charismatique Alexis Loizon qui endosse le blouson de cuir de Danny et Alizée Lalande qui joue le rôle de Sandy. Tous deux se réapproprient les rôles de manière convaincante, à mi-chemin entre hommage et réinterprétation. Alexis Loizon, sans imiter son prédécesseur, s'amuse cependant à pasticher avec humour sa gestuelle tout en surjouant de temps à autre l'accent américain quand son personnage fanfaronne (ce qui nous donne des "Sêêêêêndy" hilarants déclamés avec emphase lorsqu'il s'adresse à sa partenaire). Alizée Lalande rend son personnage moins niais que dans l'original : ici elle parait seulement "sage" et beaucoup plus crédible en jeune fille comme il faut qu'Olivia Newton-John en ingénue. Ceci dit, bien que les deux comédiens aient leur jeu bien à eux, et sans compter sur le seul effet des costumes, j'avoue avoir parfois cligné des yeux avec surprise tant ils ressemblaient à Travolta/Newton-John sous certains éclairages, en particulier Alexis Loizon. L'effet était sidérant!

Vous la voyez, quand-même, la ressemblance...?

  Les rôles secondaires sont également très bien tenus, en particulier les filles de la bande des Pink, Rizzo en tête, ici interprétée par la très présente Emmanuelle Nzuzi, métisse à la voix aussi forte que le piment qu'elle donne au rôle autrefois tenu par Stockard Channing (mais oui, la tante Frances des Ensorceleuses!). Parmi ses comparses, notons Frenchy et Jan qui marquent particulièrement les esprits (surtout la première, au cours d'un chant totalement second degré et inattendu où elle danse avec un drôle d'ange de la gomina... oui, oui...). Les garçons de la bande des T-Birds sont bien, mais alors bien lourds, mais puisque cela tient aux personnages et qu'ils sont crédibles dans leur interprétation de machos gominés, c'est sans doute que c'est réussi!
  Deux rôles, certes de faire-valoir, mais néanmoins très présents : la directrice Miss Lynch et son élève fayot Eugène (le pauvre accumule quand même quelques tristes clichés...), tous deux chargés des intermèdes scéniques au rythme des annonces hurlées au micro du lycée, qui s'égrainent du début à la fin du spectacle (mais probablement pour faire oublier que, sans ces interventions totalement facultatives, le tout ne durerait qu'une petite heure et quart, me fit remarquer l'amie qui m'accompagnait...). Reste que leurs personnages ridicules nous amusent bien quand même, surtout que les deux comédiens se sont permis quelques notes d'improvisation reconnaissables à leurs fou-rires incontrôlés et communicatifs.

Miss Lynch et Eugène.

  Parmi les nombreux points positifs du show, il faut louer le visuel. Comme toujours, Mogador fait les choses en grand : les décors, toujours très ingénieux, explosent de couleurs flashy qui rappellent la palette technicolor des années 50, tandis que les formes évoquent les lignes et courbes d'un bon vieux juke box avec en son centre, le tourne-disque qui fait pivoter les comédiens. Aucun doute, ça plus les costumes travaillés dans les moindres détails, et on replonge soixante ans en arrière!


  Les chansons sont très entrainantes, cela ne fait aucun doute. Je ne me souvenais d'aucune du film, si ce ne sont celles encore régulièrement diffusées à la radio (Summer Night et the one that I want) et une troisième admirablement reprise par Olive Snook dans Pushing Daisies ( Hopelessly devoted to you). L'excellente idée était ici de conserver les textes anglais pour certains chants, en particulier les plus connus : idée très pertinente pour la célèbre chanson de clôture ainsi que pour la très dynamique chanson d'introduction. Certaines ont bénéficié d'un mélange des deux, comme c'est le cas pour Summer Night, pour laquelle on passe de l'anglais au français du refrain aux couplets... mouais, bof, l'effet ne m'a qu'à moitié convaincu, mais peut-être un peu plus que la traduction intégrale de Hopelessly devoted to you, qui devient Je ne peux me passer de nous (Oui, je vous ai dit que c'était l'une des seules que je connais, donc j'ai le droit d'être tatillon!). Ne pas oublier un des points forts musicaux : la présence d'un orchestre (ce qui m'avait manqué dans la Famille Addams!) qui plus est intégré de manière très pertinente sur la scène et associé directement à l'histoire.

 Medley du spectacle, filmé lors de la présentation à la presse (ci-dessus)
...et la prestation d'Olive Snook, pour le plaisir!


  Mais SURTOUT, ce qu'il faut absolument applaudir car moi-même j'en suis resté baba du début à la fin, c'est l'énergie déployée sur scène : les danses, les chorégraphies, et tout cela sur un rythme et une synchronisation quasi-millimétrée (et sans cesser de chanter, s'il vous plait! Est-ce qu'on cache une pompe dans les coulisses pour les regonfler?!). Les annonces du musical vantaient "Une énergie dingue", eh bien ce n'est pas mensonger, plus encore : c'est même en dessous de la vérité. Rien que pour ça, Grease est à voir!




  ... Oui parce qu'il faut bien admettre que s'il n'y avait pas la qualité des décors, des costumes, des voix, et de la danse, il ne faudrait pas tabler sur l'intrigue pour justifier du déplacement. Les personnages sont quand même archi-stéréotypés, et si le thème de l'histoire est la difficulté de s'accepter à l'adolescence, l'issue du musical prône quand même de préférer le dévergondage à la fidélité à soi-même. Il parait que la toute première mouture du spectacle de 1972 était beaucoup plus machiste et choquante, d'où une légèreté plus mesurée dans les versions montées depuis... les valeurs du scénar' restent malgré tout toutes relatives, mais c'était une autre époque, et c'est peut-être aussi ce qui fait le côté culte du show - sans dire que cela n'enlève évidemment rien aux prestations des comédiens ;)


En bref: Un spectacle à voir pour l'énergie déployée sur scène et le vintage craquant du show. Qu'on aime ou pas le film avec Travolta, on se laissera entraîner par le dynamisme du spectacle à coup sûr!

vendredi 19 janvier 2018

Gourmandise littéraire de la divine Emilie: liqueur de Parfait Amour.


  Après le Baba et les macarons, continuons de découvrir les gourmandises chères à la divine Emilie du Châtelet, première femme philosophe et scientifique des Lumières. Dans son livre Petits secrets des ducs de Lorraine au XVIIIème siècle et sur son blog Histoires Galantes, Pascale Debert nous régale littéralement d'anecdotes sur les nobliaux et nobles gens de l'époque des Lumières - en particulier en terre de Lorraine. On ne s'étonnera donc pas qu’Émilie du Châtelet et Voltaire, cercle proche du roi Stanislas, en fassent partie!
  Aussi, parmi les potins, brèves, et autres secrets oubliés des couloirs du château de Lunéville, elle nous évoque parfois quelques anecdotes culinaires, dont l'histoire du Parfait amour : cette liqueur bleue-violette concoctée grâce à la macération d'agrumes, d'épices, et de vanille, est un grand succès à la cour de Lorraine, et il en va de même pour Émilie et Voltaire :

"Voltaire et Émilie du Châtelet en raffolent!",

nous dit Pascale Debert dans son article consacré au Parfait Amour. Cette boisson aujourd'hui vendue par de nombreux distributeurs de liqueurs et spiritueux (la marque Marie Brizard en tête) sert de base à plusieurs cocktails et continuent d'être réinventée : dans certains pays, on la décline avec d'autres ingrédients telles que la rose ou la canneberge. Mais à l'origine, elle doit effectivement son invention à un certain Monsieur Sonini, contemporain de nos personnages. Ce Lunévillois (dont le nom sera surtout porté par un fils apprenti physicien et naturaliste) a mélangé de la cochenille à une liqueur de cédrat pour lui donner sa teinte unique et presque féérique! A noter que la cochenille était à l'époque un colorant naturel déjà connu pour avoir donné sa couleur girly aux célèbre biscuits roses de Reims...


  A la cour de Lunéville, on aime boire un petit verre de Parfait Amour lorsqu'il est servi à 22 heures, juste avant le coucher du Roi Stanislas. Mais la renommée de ce breuvage ne s'arrête pas là : même à la cour de Louis XV, on le faire boire aux hommes en fin de journée pour... eh bien... leur "redonner de la vigueur"! Le Parfait Amour tiendrait-il son nom de vertus aphrodisiaques? Il parait en effet qu'aux siècles suivants, on réservait cette liqueur aux cœurs à prendre, jeunes filles à marier, et épouses qui souhaitaient consolider leur union...

Ingrédients (pour 1,5L de liqueur):

-1L d’alcool neutre entre 35° et 45° (du Rhum blanc fera l'affaire!),
-20g de branches de thym,
-10g de bâton de cannelle,
-5g de macis (écorce de na noix de muscade) ou à défaut de noix de muscade concassée,
-5g de grains de coriandre,
-5 clous de girofle,
-1 gousse de vanille,
-le zeste d'un citron (à prélever en ruban à l'aide d'un économe),
-50 cl de sirop de sucre de canne.
-colorants alimentaires rouge et bleu.



A vos toques!

-Dans un bocal ou une bonbonne (prévoir pour un contenu de 1,5L), verser l'alcool neutre de votre choix.
-Y ajouter tous les ingrédients, plantes et épices, SAUF le sirop de sucre et les colorants.
-Fermer le bocal et laisser infuser huit jours dans un lieu sombre.
-Huit  jours plus tard, ajouter le sirop de sucre, refermer et laisser de nouveau macérer pour huit jours supplémentaires.
-Au bout des huit jours supplémentaires, filtrer deux fois le mélange puis y ajouter quelques gouttes de colorants alimentaires rouge et bleu en remuant, de sorte à obtenir la teinte bleu/violette satisfaisante.
-Verser la liqueur dans de jolis flacons.


A utiliser en base de cocktail ou à siroter tel que à l'occasion d'une soirée à la cour du roi, ou... au boudoir en galante compagnie... (mais avec modération!)


dimanche 14 janvier 2018

Je suis lasse des ombres (Flavia de Luce #4) - Alan Bradley

I am half-sick of shadows, Random House Doubleday, 2011 - Editions 10/18 (trad. de H.Hiessler), 2015 .

  Tout n’est pas pour le mieux à Buckshaw, la demeure des de Luce… Avec des finances dans un état précaire, le père de Flavia se voit contraint de louer le manoir familial à une société de films. Naturellement, réalisateur, équipe de tournage et stars de cinéma ne font rien pour se faire aimer de la maisonnée- et encore moins des domestiques; jusqu’à ce qu’un lourd rideau de neige coupe Lacey Bishop de tout contact avec le monde extérieur. Les acteurs sont alors priés de monter un spectacle dans la grande salle paroissiale. Mais de vieilles jalousies refont surface et l’actrice principale est assassinée. Flavia de Luce, qui a été mise à contribution en coulisses, se retrouve prise jusqu’au cou dans cette sordide affaire!

***

" Bien qu'il soit délicieux de penser au poison à n'importe quelle saison, Noël a quelque chose de spécial..."

  Lorsque les éditions du Masque ont officialisé l'arrêt de la série des Étranges talents de Flavia de Luce en France au bout de trois tomes, de nombreux lecteurs ont crié au scandale. Heureusement, c'était pour mieux apprendre quelques temps plus tard que 10/18, qui publiait en poche les romans d'Alan Bradley, poursuivrait la traduction de cette série maintes fois primée et encensée dans les pays anglophones et à l'étranger. Bon, qu'on ne se réjouisse pas trop : après cet opus, même 10/18 ne poursuivit pas l'aventure Flavia, dont les volumes suivants sont désormais disponibles en VO uniquement. J'avais donc mis de côté ce quatrième et ultime tome français pour une lecture de Noël à venir et l'ai exhumé de ma PAL cet hiver...

 Trailer pour la sortie du livre en VO.

  On retrouve Flavia aux veilles de Noël, dans un Buckshaw encore plus triste et froid que d'habitude. Alors que le manoir s'effrite chaque année un peu plus de vétusté et que la famille croule sous les factures, le père de la jeune et impétueuse fillette décide de regonfler ses finances en louant la demeure ancestrale des De Luce à la société de production Illium Films pour en faire le décor d'un film à gros budget. A quelques jours des fêtes, voilà donc que scénaristes, mécaniciens, cameramen, et acteurs fendent les murs de neige qui se dressent sur les routes de Bishop Lacey pour installer leurs quartiers au manoir de Buckshaw. Au milieu de ce qui représente déjà un événement en soi dans un petit village reculé de l'Angleterre, un autre événement : la participation au film de la grande star Phyllis Wyvern, adulée des sœurs de Flavia et de leur âme romanesque. Flavia, jusque là occupée à la conception d'une substance chimique qui piègera le Père-Noël la nuit du 24 Décembre (il est en effet grand temps de capturer cet individu qui parvient chaque année à passer inaperçu en dépit de la charge et de la difficulté de son entreprise!), créé un lien étrange avec Phyllis Wyvern, tantôt mystérieuse et agréable, tantôt froide et antipathique. Sa présence attise bien évidemment la curiosité de tout le village, aussi le révérend en profite-t-il pour proposer à Phyllis de bien vouloir participer à un spectacle de charité local... Ni une, ni deux, on organise la représentation dans le grand hall de Buckshaw, où tous les villageois se retrouvent piégés à la suite d'une tempête de neige d'une rare violence. C'est dans ce huis-clos glacial que l'on retrouve le corps de Miss Wyvern, assassinée dans une macabre mise en scène. Et puisque personne n'est entré et que personne n'est sorti, le meurtrier se trouve obligatoirement parmi les habitants de Bishop Lacey réunis à Buckshaw... et Flavia est bien décidée à lui mettre la main dessus. Avant de mettre la main sur le Père Noël.

 Couvertures d'éditions étrangères.

"J'avais déjà remarqué que le surpeuplement, même dans les espaces les plus spacieux, vous donnent l'impression d'être différent. Peut-être que quand on respire l'haleine des autres, quand les atomes tourbillonnants dans leurs corps se mêlent aux nôtres, nous absorbons quelque chose de leur personnalité, à l'instar des flocons de neige. Peut-être que nous devenons un peu plus et pourtant un peu moins nous-mêmes."

  Alan Bradley nous offre encore une fois une intrigue pleine d'intelligence et de mordant, dont la complexité s'adresse aussi bien à un lectorat adulte passionné de cosy mysteries vintage qu'à un public plus jeune. En situant son histoire en plein hiver, l'auteur renouvelle son atmosphère habituelle : plus de grandes ballades à vélo dans la campagne telles que Flavia les aime, plus d'investigation dans les quatre coins du village. Cette fois, tout le monde se trouve bloqué dans le manoir de Buckshaw, piégé au beau milieu d'un blizzard. A l'instar de tous les personnages présents, le lecteur lui-même se retrouve groggy et se laisse porter par le rythme, beaucoup plus lent que celui des autres tomes mais autrement agréable. Moins centré sur les aspects policiers de son histoire, l'auteur s'attarde ici sur la psychologie de son héroïne et sur les réminiscences que l'hiver provoque dans les couloirs glacials du manoir : bien que l'humour reste omniprésent, jamais le fantôme d'Harriet, la défunte mère de Flavia, n'aura été aussi présent. Flavia, d'ailleurs, étrange et fascinante fillette indubitablement précoce, mais qui oscille sans cesse entre la logique scientifique de l'adulte et les croyances fantaisistes de l'enfance.

" C'est ainsi que les fantômes se rappellent à nous : ils surgissent aux moments les plus inattendus, dans les lieux les plus incongrus."

Buckshaw sous la neige?

  Le titre "Je suis lasse des ombres" (traduction littérale du titre VO) m'a renvoyé à toute une réflexion, certainement délibérément provoquée par l'auteur, même si la référence parlera davantage aux lecteurs anglophiles. En effet, il s'agit d'un extrait du poème La dame de Shalott, mythe arthurien médiéval anglais ; il raconte l'histoire d'une jeune fille prisonnière d'une pièce d'où elle ne peut observer le monde extérieur qu'à travers le reflet que lui renvoie un large miroir. Une légende qui évoque directement au mythe de la caverne de Platon, dans lequel des individus prisonniers d'une grotte sont persuadés que les ombres projetées sur les murs depuis le monde extérieur sont des expressions du réels et non de simples illusions. Ces deux histoires assez proches dans leur symbolique sont devenues des métaphores des arts offrant une imitation de la réalité, à l'image des arts scéniques tels que les pantomimes, le théâtre ou... par extension le cinéma, ces deux derniers ayant une importance toute particulière dans le roman d'Alan Bradley! Des clins d’œil très littéraires et toujours pertinents, comme cet auteur nous y a habitué dans ses œuvres.

"Si on considère que le théâtre a quelque chose du mesmérisme de masse, Shakespeare est certainement le plus grand hypnotiseur qui ait jamais existé."

Flavia et sa bouille toujours pleine d'assurance?

  Ce quatrième opus de Flavia de Luce évoque aussi par de nombreux points le roman Le miroir se brisa d'Agatha Christie, qui pourrait être une des inspirations possibles : on y retrouve en trame de fond le tournage d'un film dans un manoir de village anglais, avec la présence d'une grande actrice qui suscite la curiosité des habitants et... une histoire criminelle qui met en relief des liens insoupçonnés entre la comédienne et certains des humbles villageois. Pour couronner le tout, le titre "Le miroir se brisa" était également extrait d'un vers de... La dame de Shalott! Que la littérature est amusante!


"Est-ce que c'est mal de prendre plaisir à côtoyer les morts?"

En bref : Un quatrième tome de Flavia de Luce absolument délicieux qui se déroule dans l'atmosphère gelée de l'hiver anglais, sujet à faire de cet opus un titre plus intimiste que les précédents. Un roman pimenté par l'introduction du milieu extravagant du cinéma dans la demeure des De Luce et cette ambiance unique de superproduction vintage, le tout parsemé de références culturelles et littéraires toujours intelligentes. On adore Flavia et on continuera de la lire, même en anglais!



 Et pour aller plus loin...

mercredi 10 janvier 2018

Interview au débo-thé d'Arnaud Bachelin : rencontre entre un lapin et un renard...



  Il y a quelques jours, je vous parlais du passionnant L'heure de véri-thé, publié chez Baker Street : ouvrage qui nous présente à la fois l'Histoire et les multiples facettes du thé, par Arnaud Bachelin, spécialiste de cette boisson qui tient son propre salon à Paris.
  Alors en séjour à la capitale, une rencontre avec l'éditrice de Baker Street, Cynthia Liebow, a été l'occasion d'improviser une interview avec Arnaud Bachelin, que nous sommes allés retrouver dans son antre en fin de journée. Nous voilà donc gagnant le 5 rue de Condé, dans le sixième arrondissement de Paris : alors que les terrasses des restaurants se remplissent, la boutique d'Arnaud Bachelin, Thé-ritoires, arrive à la fin de son service journalier et s'apprête à s'ouvrir à un tea-time privé pour notre interview.


  Arnaud nous accueille dans son salon, qui semble soudain à des milliers de lieues de l'agitation parisienne : pavés et tommettes à l'ancienne, comptoir gardant précieusement l'accès à une gigantesque étagère garnie de jarres et autres boites, mobilier dépareillé patiné, fauteuils et banquettes en cuir ou en tartan, sans oublier, au beau milieu des théières anciennes et autres samovars vintage, un arbre féérique qui semble s'échapper du sol et vouloir traverser le plafond. Saison des fêtes oblige, il doit partager l'espace avec un imposant sapin qui est pour l'occasion orné de tasses en porcelaine. Le temps s'est arrêté -à moins que nous l'ayons remonté?- et il se pourrait que nous soyons tombés comme par magie dans le salon du 221b Baker Street ou même dans la caverne de Monsieur Tumnus, le faune so british des Chroniques de Narnia.

 crédit photo : Thé-ritoires

  Arnaud nous invite à prendre place aux côtés de quelques renards de bois ou de laine arborant fièrement nœud papillon, symbole et alter-ego animalier de notre hôte qui nous sert presque aussitôt thé fumant et scones (faits maison, s'il vous plait!) à la clotted cream et gelée de bergamote. Il se joint à nous, prêt à répondre à mes quelques questions... Attention, c'est parti!

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Pedro Pan Rabbit : La petite bio en quatrième de couverture du livre vous présente comme un "archéologue et spécialiste du thé", mais quel est votre parcours exactement, votre histoire et le chemin effectué jusqu'à aujourd'hui?

Arnaud Bachelin : A la base, je suis universitaire ; j'ai rédigé une thèse en archéologie pré-historique avec une spécialisation en paléobotanique. Mon métier consiste à parler de la place de la plante dans la civilisation et plus précisément au cours du Néolithique. Une fois chargé de cours, je me suis très vite ennuyé : j'ai toujours été habitué à avoir des journées bien remplies : J'ai grandi dans le Morvan, une région qui parait rude mais qui est en réalité très méconnue, aux côté d'un grand-père féru de botanique et de jardinage ; lorsque j'avais 15 ans, j'avais déjà rejoins plusieurs sociétés savantes locales et je passais des heures à étudier les archives. 
  J'ai donc envisagé une nouvelle voie autours de la plante, d'abord en cherchant à me spécialiser dans les herbiers du XVIIIème siècle ou alors en devenant le nouveau spécialiste du territoire local, mais c'était justement la carrière dans laquelle mon grand-père s'était illustré et on peut difficilement construire sa vie autour de cette profession aujourd'hui, c'était une autre époque.
  J'ai donc décidé de travailler dans le thé, que j'aime et bois depuis l'enfance. A l'époque, j'étais en Angleterre et une amie m'a invité à postuler en ligne dans ce secteur pour ce qu'elle appelait " le job de mes rêves", alors que je n'avais aucune formation. "C'est le monde anglophone, tout est possible" a-t-elle prétexté, et elle avait raison : pris deux jours à l'essai, je suis devenu acheteur au bout d'un mois... puis me suis là aussi très vite ennuyé. Encore sur motivation de mon entourage, j'ai postulé auprès d'une autre maison de thé que j'adule et y suis entré quelques temps plus tard en tant que responsable de comptoir. Le désir d'évoluer m'a par la suite amené à prendre un poste qui s'était libéré aux achats, où je n'ai eu qu'une seule semaine pour me former sur la simple observation. Puis j'ai eu la chance de me voir céder une collection complète, créée pour moi, pour que je ne m'ennuie pas.

crédit photo : Thé-ritoires

PPR : L'idée était de vous offrir une opportunité de vous retrouver davantage dans votre métier?

AB: Oui, et créer également, mais je ne voulais pas tant faire des mélanges que découvrir des nouveaux produits surprenants et originaux. C'était les prémices de Thé-ritoires : j'avais la liberté de choisir mes propres produits et leur quantité. C'est dans ce contexte que j'ai commencé à m'intéresser à l'Histoire du thé, de la plante : en tant qu'universitaire, je peux passer tout mon temps dans les livres pour lire et étudier absolument tout. Cela m'a donné l'idée d'évoluer encore et de transmettre ces savoirs en organisant mes premiers ateliers : réunir quelques personnes une fois par semaine autour d'un thé et enseigner son Histoire. J'ai très vite eu une liste d'attente.

PPR: Mais vous êtes bien revenu en France ensuite?

AB: J'ai travaillé quatre ans en Angleterre, puis on a voulu que je forme d'autres personnes pour animer les ateliers. Il se trouve que les clients venaient surtout me voir plutôt que l'enseigne pour laquelle je travaillais. J'étais arrivé à un tournant dans cette maison : lorsqu'une opportunité s'est présentée, j'ai choisi de revenir travailler en France, dans une autre grande maison à Paris. Le changement a été radical : même à Londres qui est une grande ville, je vivais à Richmond Park, un petit coin de campagne où j'avais mes habitudes, alors que je n'ai jamais vraiment été amoureux de Paris. La transition a été très difficile. Sept ou huit mois plus tard, je suis parti pour l’Italie sur un coup de tête, sans savoir pour combien de temps et pour y faire quoi... le hasard m'a fait rencontrer dans le salon de thé de Rome, une femme qui se disait parisienne et qui, après avoir eu connaissance de mon parcours, m'a proposé de la rappeler une fois de retour à Paris. Quelques temps plus tard, par son intermédiaire, j'obtenais une place dans le salon de thé du groupe pour lequel elle travaillait, et qui avait selon elle besoin d'être dynamisé. Je m'y suis de suite investi, j'ai fait des propositions, changé la carte des thés et très vite, j'y ai organisé des ateliers. Mais tout comme à Londres, les personnes venaient pour mon travail plutôt que pour le salon qui m'employait, ce qui a de nouveau posé quelques problèmes. La seule et unique solution qui se présentait était d'ouvrir ma propre maison : ainsi est né Thé-ritoires.

 Avec le Lapin d'Alice accroché au mur, je ne pouvais que prendre une photo!

PPR: Et ensuite, comment êtes-vous arrivé à l'écriture d'un livre?

AB : L'idée s'est présentée d'elle-même : j'écris et j'aime écrire depuis mes dix ans. J'ai de nombreux carnets que j'ai entièrement noircis, souvent avec des choses inutiles ou qui ne serviront peut-être jamais à rien, mais aussi parce que mon grand-père m'imposait alors d'écrire absolument 25 lignes par jour.

PPR: Sur n'importe quel sujet? 

AB: Oui, du moment que j'écrivais mes 25 lignes. Cela n'a jamais été personnel ou de l'ordre du journal intime, mais plutôt des observations, des historiettes. Ou même des débuts : j'ai toujours été plus doué pour les débuts et les fins que pour les milieux. Pour en revenir au livre, je me suis très vite rendu compte que ceux déjà existant sur le thé ne répondaient pas aux questions que je me posais. Je me suis dit qu'il me faudrait donc écrire celui qui le ferait. Cela m'a amené à effectuer de nombreuses recherches, creuser encore plus loin que je ne l'avais déjà fait. Je ne voulais pas d'un énième guide pratique sur le sujet, et j'ai eu la chance que les éditions Baker Street et moi soyons d'accord sur la démarche littéraire de ce livre.

Cynthia Liebow: En fait, le projet du livre s'est concrétisé parce qu'un ami commun, très anglophile et très sensible aux atmosphères, m'a parlé d'Arnaud -qu'il m'a présenté en tant qu'archéologue du thé- et de son salon, de son parcours. Je me suis immédiatement demandée s'il ne voudrait pas écrire un livre sur son sujet de prédilection... le temps a un peu passé et j'ai pris contact avec lui, nous nous sommes rencontrés : le projet du livre était lancé.

AB: A la suite de cela, l'écriture a été facile parce que j'ai été, comme je l'ai dit précédemment, élevé dans cette dynamique là et aussi parce que j'ai eu la chance d'aller à l'université et d'apprendre à synthétiser ; s'il fallait rassembler toutes les archives étudiées ou utilisées pour ce livre, il y aurait l'équivalent d'une armoire!

PPR: Oui, c'est pour cela qu'il n'y a pas de bibliographie en fin d'ouvrage?

AB: En effet, j'ai constitué une bibliographie que j'ai conservée, mais elle fait 42 pages en format A4, soit peut-être la moitié du livre si on l'y avait ajoutée. Une fois, une habituée du salon m'a demandé où elle pouvait retrouver telle ou telle référence, ce que je renseigne toujours avec plaisir. On trouve beaucoup de carnets de prêtres parmi mes sources, particulièrement les carnets du Père Huc. Cet homme a voyagé en Chine, Hongrie et Mongolie et a tenu dans ses carnets d'aventure des observations et comparaisons des différents thés qu'on y trouvait. Pour les autres sources, on trouve absolument de tout : vieilles plaquettes, anciennes publicités, sachets de thé et même des cartes postales.


PPR: Cela rejoint l'aspect transversal, très complet du livre : il évoque et touche à de nombreux milieux ou questionnements politiques, économiques, sociaux, et en même temps se lit comme un roman. Certains passages sont très romanesques, n'est-ce pas?

AB: Oui, on passe de grands économistes à des personnes plus légères, on aborde les révoltes des  suffragettes puis l'expansion de la porcelaine. Et oui, quand je me penche sur certains chapitres, je me dis que l'on peut en faire des romans indépendants tant toutes ces histoires sont dignes de grands dessins-animés d'aventure.

PPR: Et au-delà du contenu qui s'avère donc si romanesque, avez vous conscience que votre livre est loin du simple documentaire lambda et qu'il se démarque par un vrai style, une vraie plume?

AB: J'essaye toujours de ne pas écrire comme j'ai tendance à écrire spontanément, à réfréner mon écriture, celle que j'utilise dans les lettres que j'ai toujours l'habitude d'écrire à la main et d'envoyer par la poste. J'ai accepté de m'ouvrir à cette part de moi dans la rédaction du livre sur encouragement de Cynthia afin d'en faire comme le prolongement d'un de mes ateliers ou d'une discussion. Ceci dit, je ne me considère pas vraiment comme écrivain, aussi parce que je suis souvent très insatisfait de mon travail du moment qu'il ne correspond pas exactement à ce que j'imaginais : j'ai une exigence personnelle très rigoureuse.

PPR : Et ce livre, en êtes-vous satisfait?

AB: Je suis en tout cas très touché des retours. Ce n'est pas seulement le fait d'avoir écrit un livre et de le voir dans les librairies, mais surtout de rencontrer des personnes qui l'ont lu et apprécié. 


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  Je remercie vivement Cynthia Liebow, éditrice à Baker Street, pour l'organisation de cette rencontre, et Arnaud Bachelin pour son accueil très chaleureux et le temps qu'il a bien voulu nous accorder. J'ai découvert un homme passionné par son sujet et par le désir de transmission, amoureux du territoire et de la plante originelle autant que des mots et des belles lettres.

  Il est certain que je repasserai très prochainement au 5 rue de Condé. Je vous encourage vivement à y faire un arrêt, vous y offrir une parenthèse coupée du monde et de la réalité parisienne le temps d'un thé et de quelques scones dans l'univers réconfortant de Thé-ritoires.


... A ce titre, n'oubliez pas, ce jeudi 11 janvier à 18h30, la séance de dédicaces et de dégustation organisée pour la galette des rois au salon d'Arnaud! 



  

dimanche 7 janvier 2018

Gourmandise littéraire de la divine Emilie: Macaron (de Nancy) à l'ancienne.


  Nous continuons notre périple gastronomique et historique avec une nouvelle gourmandise littéraire spéciale Émilie du Châtelet et siècle des Lumières. Après le Baba de Stanislas, retournons au Château de Cirey, retraite d’Émilie et Voltaire en plein cœur de la Champagne. Dans ce Paradis terrestre où le temps semble s'écouler à un rythme qui leur est propre, ils s'adonnent à la lecture, aux sciences et au théâtre. Mais il faut bien se nourrir! Et en ce domaine, les archives privées des Châtelet, découvertes en 2012, ont permis de révéler de nombreux secrets concernant la vie tant scientifique que domestique de la célèbre Marquise. Les "Mémoires de dépenses de bouche d'avril à août 1743" de la cuisine de Cirey apportent de passionnantes précisions quant à l'évolution de la gastronomie au siècle des Lumières, dont l'apparition de ce qu'on appelle la "nouvelle cuisine". Celle-là apporte davantage d'importance aux légumes verts et au poisson, que l'on doit compléter d'ingrédients et de mets qui amèneront de la douceur, à la façon de ces macarons qui figurent sur la liste des achats.

Mémoires de dépenses de bouche d'Avril à Août 1743 du château de Cirey.

  Par ailleurs, les fameux macarons en question sont évoqués dans le roman policier gastronomique historique (oui, tout ça à la fois) Meurtre au café de l'arbre sec de Michèle Barrière. L'histoire se déroule au château de Lunéville, lorsque la marquise du Châtelet et Voltaire y séjournent : Le maître d'hôtel Gilliers ( dont nous avons parlé dans notre article sur le Baba) sert des macarons peu de temps avant que l'on croise Émilie au détour d'un escalier.

"Il leur mit dans les mains quelques macarons et diablotins et s'éloigna, laissant flotter dans son sillage une douce odeur de caramel. (...) Sur le palier du premier étage, ils croisèrent Emilie du Châtelet, les cheveux en bataille, le visage empourpré."

Meurtre au café de l'arbre sec, Michèle Barrière, J.C.Lattès, 2012.


  Si l'on évoque ici le macaron à Lunéville, c'est que l'un des plus anciens et célèbres macarons français est celui créé en Lorraine : le macaron de Nancy. La recette est adaptée d'une confection antérieure importée d'Italie, et plus précisément de l'époque  des Medicis. Dans l'hexagone, le macaron reste un biscuit dérivé de la meringue, bien que la recette diverge d'une région à l'autre. Gilliers en transmets une trace écrite dans son célèbre ouvrage de confiserie Le cannaméliste français en 1751 : 


  A l'époque, les macarons sont donc des friandises artisanales assez simples, dans tous les sens du terme. En effet, ils ne seront "doublés", c'est à dire collés entre eux à l'aide d'une ganache, qu'à partir des années 1830, devenant ainsi les macarons parisiens tels qu'on les sert chez Dalloyau et Ladurée. Pour autant, le macaron à l'ancienne continue de perdurer et d'exister : A Nancy, on trouve les plus renommé chez Les sœurs Macarons, boutique qui a ouvert en 1850.


  La version présentée ci-dessous est une recette de macarons artisanaux de Nancy, adaptée de celle proposée par le site du célèbre restaurant lorrain La table du bon roi Stanislas:

Ingrédients (pour une vingtaine de macarons):

-3 Blancs d’œufs
-100g de sucre
-100g de sucre glace
-100g de poudre d'amandes
-Quelques gouttes d'amande amère

A vos toques!

- Réalisez d'abord une meringue italienne : fouettez les blancs en neige tout en  ajoutant petit à petit le sucre. 
-A part, mélangez la poudre d'amandes avec le sucre glace et incorporez à la spatule cette poudre dans la meringue, puis l'extrait d'amande amère. Remuez.
-Disposez en petits tas espacés sur une plaque à pâtisserie recouverte d'un papier sulfurisé, à l'aide d'une cuillère à café ou d'une poche à douille.
-Enfournez dans un four préchauffé à 190°C, puis baissez la température à 170 °C et laissez cuire environ 15 minutes. Laissez refroidir à température ambiante avant de les conserver dans une boite hermétique. Les macarons doivent avoir formé une fine croûte solide, mais rester fondant à cœur.


A déguster au boudoir entre deux expériences scientifiques...



Evénement livresque et culinaire avec Arnaud Bachelin : galette des rois, thé, et dédicaces...


  Alors que je viens tout juste de vous parler du très bel ouvrage L'heure de de véri-thé et avant de vous raconter ma récente rencontre avec Arnaud Bachelin dans une interview prochainement en ligne, je vous propose de finir les fêtes en beauté en allant tirer les rois comme il se doit!

 En effet, les éditions Baker Street et Arnaud Bachelin vous invitent dans son chaleureux salon de thé Thé-ritoire, 5 rue de Condé, Paris 6ème, pour une séance de rencontre et de signature autour d'une délicieuse galette des rois. Laissez vous porter par l'univers à la fois délicieusement classique et inventif de ce spécialiste amoureux du thé et de toute sa philosophie, partez à la rencontre de nouvelles saveurs et de découvertes riches en surprises.

  Rendez-vous le 11 janvier prochain à 18h30 à Thé-ritoires et... keep calm, read books, and drink tea!

 
 
 
 
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